Il ne faut faire usage ni des parfums, ni des couronnes ; car ils excitent au plaisir et à une indolence voluptueuse, surtout lorsque la nuit est proche. Je n’ignore point qu’une femme repentante versa sur les pieds du Seigneur, au moment où il se mettait à table, un vase rempli de parfums, et que cette offrande lui fût agréable ; je sais aussi que les anciens rois des Hébreux portaient des diadèmes enrichis d’or et de pierres précieuses. Mais cette femme, dont l’offrande fut agréable au Sauveur, ne connaissait point sa doctrine ; car elle était encore pécheresse. Ce parfum était ce qu’elle croyait posséder de plus précieux, et elle lui en faisait hommage ; elle faisait plus, elle lui essuyait les pieds avec ses cheveux, le plus bel ornement de son corps, et lui offrait, en abondantes libations, les larmes que le repentir lui arrachait. Aussi ses péchés lui furent-ils pardonnés et remis.
Je crois voir, dans ce récit de l’Évangile, comme une image symbolique de la doctrine et de la passion du Sauveur. Ses pieds, inondés de parfums, sont l’image de sa doctrine, de cette doctrine divine qui envahit la terre entière avec une gloire toujours croissante. « Leur langage a retenti jusqu’aux extrémités de la terre. » J’ajouterais même, si je ne craignais de paraître importun, que les pieds du Seigneur arrosés de parfums, ce sont les apôtres, et que ce parfum odoriférant était pour eux l’annonce prophétique des dons futurs de l’Esprit saint. N’est-il pas naturel, en effet, que les apôtres qui ont parcouru tout l’univers et prêché partout l’Évangile, soient appelés par allégorie les pieds du Seigneur ? « Adorons-le, dit le Psalmiste, dans l’endroit où ses pieds se sont arrêtés ; » ses pieds, c’est-à-dire les apôtres, qui ont annoncé son nom aux nations les plus reculées de la terre. Les larmes de la pécheresse repentante expriment le repentir et la conversion des gentils ; ses cheveux détachés, le détachement des vaines parures, les persécutions souffertes pour le Seigneur, avec une invincible persévérance, et le fol amour de la fausse gloire étouffé par la foi nouvelle. C’est encore une figure de la passion du fils de Dieu.
Jésus-Christ, dans un sens mystique, est une source d’huile par où sa miséricorde découle jusqu’à nous. Judas, qui le trahit, est une huile falsifiée dont les pieds du Seigneur furent oints un peu avant de quitter le monde ; car c’est la coutume d’oindre les morts. Les larmes nous représentent encore nous qui sommes pécheurs et qui, croyant en lui, en avons reçu le pardon et la rémission de nos péchés. Les cheveux épars sont l’image de la malheureuse Jérusalem, la ville ointe et sacrée, sur laquelle ont pleuré tant de prophétiques lamentations. Le Seigneur nous montre en ces termes que Judas était un traître et un faux disciple : « Celui qui porte la main dans le plat avec moi, me trahira. » Convive perfide, ce fut par un baiser qu’il trahit son maître et son Dieu. Hypocrite et menteur, il avait des baisers pleins d’artifice et de fraude, et il accusait, en l’imitant, l’ancienne hypocrisie de ce peuple, duquel il est écrit : « Ce peuple m’honore du bout des lèvres, mais son cœur est loin de moi. » Il est donc assez probable que, comme disciple à qui le Seigneur avait fait miséricorde, Judas était la figure de l’huile ; mais, comme traître, d’une huile impure et empoisonnée. Ce parfum, versé sur les pieds du Sauveur, annonçait la trahison de Judas et l’approche de sa passion. Lui-même enfin, lavant les pieds de ses disciples et leur communiquant le pouvoir céleste qui leur était nécessaire pour faire entrer les nations en partage de sa parole et de ses bienfaits, répandit sur eux un parfum dont l’odeur suave a pénétré glorieusement tous les habitants de la terre. Sa passion, en effet, a été pour nous un parfum précieux, et pour les Juifs, un affreux péché. Vous le voyez manifestement dans ce passage de l’apôtre : « Au reste, je rends grâce à Dieu, qui nous fait toujours triompher en Jésus-Christ, et qui répand par nous, en tous lieux, la connaissance de son nom. Nous sommes devant Dieu la bonne odeur de Jésus-Christ, pour ceux qui se sauvent, et pour ceux qui se perdent ; aux uns, une odeur de mort pour la mort, et aux autres, une odeur de vie pour la vie. »
Les rois Juifs dont la couronne était d’or diversement incrustée de pierres précieuses, les rois Juifs appelés Christs portaient, sans le savoir, sur leur tête le symbole de son éternelle royauté. Toute pierre précieuse, soit perle, soit émeraude, exprime le Verbe. L’or surtout, qui est incorruptible, exprime son incorruptibilité. Ce fut de l’or que les mages lut offrirent à sa naissance parce que l’or est le symbole de la royauté. Couronne immortelle comme le Dieu dont elle est l’image, couronne dont l’éclat ne passe point comme ces fleurs de nos prairies qu’un même jour voit naître et mourir.
Les sentiments d’Aristippe de Cyrène, philosophe à la vie molle et licencieuse, ne me sont point inconnus. Voici le sophisme qu’il proposait : Le cheval et le chien qu’on oint de parfums ne perdent point leur vigueur, l’homme donc ne doit point la perdre. Mais l’usage puéril des parfums ne serait point aussi blâmable dans ces animaux, privés de raison, que dans l’homme qui en est doué.
Il existe de nos jours une infinité de parfums dont la nature et les noms diffèrent : végétal, minéral, royal ; celui qu’on extrait de la cire, celui que donne un arbrisseau d’Égypte. Le poète Simonide n’a point honte de dire dans ses Iambes qu’il employait ces parfums à un usage impudique. Parmi ces parfums, les plus estimés sont celui de Cypre et le nard. Viennent ensuite les essences de lys et de rose et mille autres dont les femmes se servent, soit en pâte, soit secs, soit liquides ; elles s’arrosent et s’inondent de ceux-ci, elles respirent l’odeur de ceux-là. Chaque jour même on en invente de nouveaux, afin de satisfaire et rassasier cet insatiable désir qu’elles ont de paraître belles. Elles en arrosent leurs vêtements, leurs meubles et leurs lits ; elles les brûlent dans l’intérieur de leurs appartements. Il n’est point enfin jusqu’aux vases destinés aux plus vils besoins qu’elles ne forcent à en répandre les voluptueuses odeurs. Ceux donc qui, ne pouvant souffrir cet amour outré des parfums, bannissent des villes bien policées, comme efféminant les hommes mêmes, non-seulement les artisans qui les composent et qui les vendent, mais ceux encore dont le métier est de répandre des couleurs fleuries sur la blancheur des laines, me paraissent avoir bien jugé des dangers de ce luxe impur. C’est un crime, en effet, que d’introduire des habits et des parfums trompeurs dans la ville de la vérité. Parmi les Chrétiens, l’homme doit respirer la probité ; la femme, respirer le Christ, qui est l’onction royale, et non la vaine odeur des parfums terrestres. Que l’odeur divine qui s’exhale de la chasteté soit l’unique parfum dont la femme se pare ; ce parfum l’embellira et la remplira d’une joie spirituelle. Tel est celui que le Christ prépare à ceux qui sont siens, qu’il compose des aromates célestes et dont il ne dédaigne pas de faire usage, comme il le rappelle dans les chants du prophète roi : « C’est pourquoi, ô Dieu votre Dieu vous a sacré d’une onction de joie, au-dessus de tous ceux qui doivent y participer : la myrrhe, l’ambre et le santal s’exhalent de vos vêtements. »
Il ne faut pas cependant que nous ayons pour les parfums la même horreur que les vautours ou les escarbots, dont on dit qu’un peu d’essence de rose les fait mourir. Les femmes peuvent en faire usage, pourvu que ce soit en petite quantité et qu’elles aient soin de choisir ceux dont l’odeur est la moins forte et la moins enivrante ; car les prodiguer sans mesure, c’est transporter aux vivants l’usage d’embaumer les morts. L’huile qui est nuisible aux abeilles et aux autres insectes est utile aux hommes ; elle excite leur courage, assouplit leurs membres et leur donne dans les jeux guerriers plus d’agilité et de force. Le parfum, au contraire, qui est une huile trop douce, les amollit et les énerve. Aussi, après avoir banni de nos tables les mets recherchés qui corrompent le goût, nous nous garderons bien de permettre l’usage d’aucun objet dont la vue ou l’odeur excite en nous des chatouillements voluptueux, de peur que l’intempérance que nous avons bannie ne rentre dans notre âme par ces sens, comme par une porte que nous lui aurons laissée ouverte. Si l’on objecte que le grand pontife, c’est-à-dire Jésus-Christ, offre perpétuellement à Dieu des parfums, je répondrai qu’il ne faut pas prendre à la lettre ces passages de l’Écriture ; ce n’est qu’un parfum spirituel, et la bonne odeur de la charité ou le sacrifice de son corps, qu’il immole sur les autels. Il suffit donc de l’huile, de l’huile simple et naturelle, pour entretenir la moiteur de la peau, relâcher la tension des nerfs et neutraliser les odeurs trop pénétrantes qui s’exhalent parfois du corps de l’homme. L’amour des parfums exquis est comme une nourriture donnée à l’oisiveté et à la mollesse, mollesse qui conduit à la débauche par une pente insensible. Si vous avez un penchant au vice, tout vous y porte et vous y entraîne ; c’est comme un réseau qui vous enlace de toutes parts ; tout, les repas, le sommeil, la parole, les yeux, les oreilles, la bouche, les narines mêmes. Le voluptueux est entraîné par l’odeur pénétrante des parfums et des couronnes, comme l’est un taureau par des anneaux de fer et des cordes.
Cependant, puisque nous condamnons les plaisirs qui ne sont d’aucun usage pour l’utilité de la vie, il est important d’examiner si nous ne pouvons en retirer aucune de l’usage des parfums. Il en est, en effet, quelques-uns qui n’amollissent point, n’excitent point à l’impudicité et à la luxure ; et dont l’usage modéré n’est point incompatible avec l’amour de la tempérance. Ils fortifient le cerveau et l’estomac, ils assouplissent les nerfs, ils sont d’un utile secours contre diverses maladies ; c’est à cet effet qu’il les faut employer, pour ranimer les forces languissantes, combattre les fluxions, les refroidissements et les dégoûts. Une des manières d’en user les plus utiles à la santé, comme le dit quelque part un poète comique, c’est d’en oindre les mains, qui en transmettent au cerveau l’odeur bienfaisante. On frictionne encore utilement, en divers cas, les jambes et les pieds des malades avec des herbes odoriférantes qui échauffent ou rafraîchissent, et dont l’influence salutaire attire vers les parties du corps les moins importantes les humeurs malignes qui embarrassent le cerveau. Mais il faut laisser les plaisirs inutiles aux voluptueux dont ils sont la honte, et qui s’en servent vainement comme d’un aiguillon pour réveiller leurs sens blasés. Il y a une grande différence entre la profusion des parfums et la simple onction : l’une n’appartient qu’aux efféminés, l’autre est souvent utile pour la santé. Le philosophe Aristippe, qui avait coutume de se parfumer, maudissait ces voluptueux qui, par l’abus qu’ils faisaient des bonnes odeurs, en avaient décrié l’usage. « Rends au médecin ce qui lui est dû. Le Très-Haut l’a créé ; car tout remède salutaire vient de Dieu. Le médecin préparera les breuvages. » Telles sont les paroles de l’Écriture, qui nous apprend ainsi que les parfums nous ont été donnés pour notre santé et non pour chatouiller voluptueusement les organes de nos sens. Il faut donc rejeter ce qu’ils ont de voluptueux, et choisir ce qu’ils ont d’utile ; car Dieu lui-même a fait naître les fruits qui produisent l’huile afin que nous y trouvions un secours contre les fatigues du travail. Les femmes dont le fol usage est de couvrir leurs cheveux de pommades et de les colorer quand ils sont blancs, les voient blanchir plus vite encore sous l’influence pernicieuse de ces aromates, qui dessèchent leur corps et le maigrissent. Il importe peu que ce soit le défaut de chaleur ou d’humidité qui produise cet effet, il n’en est pas moins réel. Comment donc pouvons-nous aimer des parfums qui absorbent l’humeur dont les cheveux se nourrissent, et qui les blanchissent, nous qui craignons tant de blanchir ? Comme les chiens de chasse découvrent à l’odeur les bêtes fauves qu’ils poursuivent, ainsi les parfums recherchés qu’exhalent les voluptueux les trahissent soudain et nous les font reconnaître. C’est le vin et la débauche qui ont introduit dans les festins ce criminel usage des couronnes. Pourquoi me couronner de fleurs au moment où le doux printemps en revêt toute la nature ? Dans ces prés brillants de rosée et parsemés de fleurs naissantes aux mille couleurs variées, n’est-il pas meilleur de se promener et d’en respirer, comme l’abeille, les suaves exhalaisons ? Pourquoi dépouiller les prairies de leur ornement et s’en faire dans sa maison une ridicule parure ? Pourquoi, dans les festins, charger sa tête de bouquets de roses, de lis, de violettes et de mille autres fleurs ou herbes brillantes ? Cette folie, indigne de tout homme sage, est encore nuisible à tous ceux à qui elle est commune. L’humidité des fleurs refroidit le cerveau, déjà trop froid par lui-même, comme le prouvent assez les divers remèdes que l’expérience des médecins emploie pour le réchauffer. Il est donc absurde et dangereux de le charger de ces couronnes humides qui le refroidissent encore. D’ailleurs ceux qui se couronnent de fleurs se privent ainsi des plaisirs qu’il est de leur nature de procurer à la vue et à l’odorat. Placées sur leur tête, au-dessus des organes de ces sens, comment verraient-ils leurs fraîches couleurs, comment pourraient-ils respirer les doux parfums qu’elles exhalent ? Il est dans la nature de la fleur, comme dans celle de la beauté, de charmer les regards des hommes ; de leur peindre la gloire du Créateur, et de leur faire chanter ses louanges dans la reconnaissance de ses bienfaits. Mais ces choses, si douces à voir, sont dangereuses à toucher. Il ne s’en faut approcher qu’avec méfiance ; leur usage d’un jour laisse de longs regrets. Les fleurs refroidissent, la beauté brûle et enflamme quiconque les touche. Enfin des plaisirs qu’elles donnent, un seul est légitime, c’est celui de la vue ; les autres sont trompeurs et criminels. Suivons donc en ceci comme en tout, les instructions de l’Écriture, et que nos plaisirs sur la terre soient aussi purs, s’il est possible, que ceux qu’on goûte dans le paradis.
L’homme est le chef et l’ornement de la femme, le mariage est la couronne de l’homme. Les enfants qui naissent du mariage en sont comme les fleurs que le divin jardinier cueille dans des prairies vivantes. « Les enfants des enfants sont la couronne des vieillards, et les pères sont la gloire des enfants. » Jésus-Christ, qui est le père universel de la nature est le chef et la couronne de l’Église universelle ; les fleurs ont comme les plantes et les racines, des qualités qui leur sont propres. De ces qualités les unes sont utiles, les autres nuisibles ou dangereuses. Le lierre est rafraîchissant. Le noyer exhale une vapeur léthargique qui engourdit et qui endort. L’odeur trop forte du narcisse attaque les nerfs et les affaiblit ; l’odeur plus douce de la rose et de la violette calme et dissipe les pesanteurs du cerveau. Quant à nous, l’ivresse qui naît des parfums ne nous est pas moins défendue que celle que produit le vin. Le safran et le troène procurent un doux sommeil. Un nombre infini d’autres fleurs réchauffent d’un parfum bienfaisant la froideur du cerveau et dissipent les vapeurs grossières qui s’y condensent. De là vient peut-être que le nom grec de la rose exprime la richesse de ses parfums, richesse prodigue qui l’épuise et la flétrit si vite.
Cet usage des couronnes était inconnu aux anciens Grecs. Nous ne le trouvons établi ni chez les amants de Pénélope ni chez les Phéaciens, peuple mou et efféminé. La première fois qu’on en ait distribué, c’est aux athlètes après le combat. D’abord on se contentait de les récompenser par de vifs applaudissements ; ensuite on leur offrit des branches et des feuilles vertes ; plus tard enfin, lorsque, après les triomphes de la Grèce sur la Perse et sur la Médie, les mœurs publiques se furent amollies et corrompues, on chargea leurs têtes de couronnes.
Ceux qui vivent selon le Verbe, c’est-à-dire selon la raison, doivent s’interdire ce fol usage et ne pas enchaîner leur raison dans son siège même, qui est le cerveau. La couronne, en effet, n’est pas seulement le symbole de cette joie licencieuse qui s’allume dans les festins, elle est encore consacrée au culte impur des idoles. Sophocle appelle le narcisse l’antique couronne des grands Dieux. Sapho couronne les muses de roses. Qu’avons-nous de commun avec les roses de ces divinités païennes ? Le lis est consacré à Junon, et le myrthe à Diane. Ainsi les fleurs qu’un Dieu bienfaisant avait créées pour l’usage des hommes, et dont ils pouvaient jouir, en lui en payant le prix par une juste reconnaissance, leur folie se les est ravies et les a transportées au ministère ingrat des démons. C’est donc un devoir de conscience de s’en abstenir. Ainsi employées, elles trahissent un amour oisif du repos et un lâche dégoût de tout mouvement. De là vient que les païens en couronnent les morts, attestant ainsi que les idoles, à qui ils rendent le même honneur, sont elles-mêmes des dieux morts. Ils ne peuvent sans ces couronnes célébrer les folles orgies de Bacchus, et il semble que cet ornement excite en eux une fureur plus ardente et plus insensée. Il ne faut donc ni communiquer avec les démons, ni couronner la vivante image de Dieu des mêmes fleurs dont on couronne des simulacres morts. On offre, il est vrai, une couronne d’amaranthe à celui qui se conduit bien ; mais la terre ne produit point cette fleur, c’est une fleur céleste que le ciel seul peut produire. Est-ce à nous d’ailleurs, qui savons que notre Seigneur a été couronné d’épines, est-ce à nous d’insulter aux souffrances adorables de sa passion, en nous couronnant de roses ? Ne serait-ce pas le comble de la déraison et de la folie ? La couronne d’épines du Seigneur était le symbole de notre ancienne stérilité, stérilité qu’il a fait cesser en nous unissant à l’Église, dont il est le chef. Elle est de plus le type de la foi : de la vie, à cause de la substance du bois ; de la joie, à cause du nom de couronne ; de la douleur, à cause de l’épine, car il est impossible d’approcher du Verbe sans répandre du sang. Ces bouquets de fleurs tressés en couronne se flétrissent, sèchent et meurent ; ainsi est morte la gloire de ceux qui ne crurent point au Seigneur. Ils l’élevèrent cependant et le couronnèrent, attestant ainsi la profondeur de leur aveuglement. Ils appelèrent, ils appellent encore outrage et infamie du Sauvent l’accomplissement d’une prophétie qui fait sa gloire et que la dureté de leur cœur les a empêchés de comprendre.
Ce peuple, qui s’était éloigné des voies du Seigneur, ne l’a point connu quand il s’est présenté à lui. Circoncis de corps, il ne l’était plus de raison et d’intelligence. Les ténèbres dont son orgueil l’avait entouré étaient si épaisses, que la lumière divine n’a pu les percer. Il a méconnu Dieu, il l’a nié, il a cessé d’être Israël. Il a persécuté Dieu, il a follement espéré de pouvoir outrager le Verbe ; et celui qu’il a crucifié comme malfaiteur, il l’a couronné comme roi. Mais, dans cet homme qu’ils ont méconnu, ils reconnaîtront le Seigneur, Dieu juste et clément : sa divinité, que leurs outrages se sont efforcés de lui faire manifester à leurs yeux par quelque signe éclatant, eux-mêmes l’ont manifestée et lui ont rendu témoignage en l’élevant en haut et en plaçant sur sa tête, au-dessus de tout nom humain, ce diadème de justice dont l’épine n’a pas cessé depuis sa mort et ne cessera jamais de fleurir. Cette couronne fait la perte des incrédules et le salut des fidèles qu’elle rassemble et qu’elle entoure comme d’un rempart. Elle est la brillante et l’éternelle parure de tous ceux qui ont cru à la glorification du Sauveur ; elle punit, elle blesse, elle ensanglante ceux qui l’ont niée. Elle atteste la bonté infinie de Jésus-Christ, qui a chargé sa tête du poids de nos crimes, souffrant ainsi les peines que nous devions souffrir. Car lorsqu’il nous eut délivrés des épines de nos péchés par celles de sa passion ; lorsqu’il eut vaincu le démon et anéanti sa puissance, il eut raison de s’écrier : « Ô mort, où est ton aiguillon ? »
Nous cueillons des raisins parmi les épines et des figues sur les buissons ; mais les mains du peuple infidèle et stérile vers lequel le Verbe étend vainement les siennes, s’y blessent et s’y déchirent. Ce sujet que je traite est tout plein de mysticité ; car lorsque le Créateur tout-puissant de la nature commença à donner sa loi, et qu’il voulut manifester sa puissance à Moïse, il lui apparut en forme de lumière dans un buisson ardent, qui brûlait sans se consumer. De même lorsque le Verbe eut établi sa loi et cessé de converser avec les hommes, il remonta au ciel, d’où il était descendu, avec une mystique couronne d’épines sur la tête ; unissant ainsi les deux époques de la promulgation de sa loi, afin de prouver que c’est un seul et même Dieu, le père et le fils, principe et fin du siècle, qui les a données. J’ai quitté la manière pédagogique pour prendre la dogmatique ; mais je rentre dans mon sujet et je retourne à ma méthode.
Nous avons prouvé que les fleurs peuvent être employées comme remèdes contre les maladies et pour réjouir modérément la vue, et qu’on ne se doit pas priver de l’utilité des parfums qu’elles exhalent. Si quelqu’un me demande de quelle utilité elles peuvent être à ceux qui ne s’en servent point, je lui répondrai qu’on en compose divers onguents dont l’usage est très-salutaire. L’onguent de lis, par exemple, est chaud et apéritif ; il attire, il humecte, il nettoie, il remue les parties subtiles de la bile, adoucit l’âcreté des humeurs. L’onguent de narcisse fait à peu près les mêmes effets que celui de lis. L’onguent de myrthe constipe, mais il corrige les mauvaises odeurs que le corps exhale. L’onguent de rose rafraîchit. Enfin, tous ces parfums nous ont été donnés afin que nous en fassions un bon usage. « Une voix me dit : Écoutez-moi, germes divins ; fructifiez comme les rosiers plantés près du courant des eaux ; répandez des parfums comme le Liban, et bénissez le Seigneur dans ses œuvres. » On pourrait dire encore une infinité d’autres choses sur ce que les parfums nous ont été donnés pour nous être utiles et non pour nous aider à nous plonger dans la mollesse et la volupté. Que si l’on veut accorder encore quelque chose à la faiblesse des hommes, il suffit qu’ils jouissent de l’odeur des fleurs ; mais il ne faut jamais, et en aucun cas, qu’ils s’en tressent des couronnes. Le Créateur apprend lui-même à l’homme, qui est son ouvrage, tous les arts dont il a besoin pour subsister. « Le nécessaire pour la vie de l’homme, dit l’Écriture, c’est l’eau, le feu et le fer ; le sel, le lait et le pain de fleur de farine ; le miel et le raisin, l’huile et les vêtements. » Toutes ces choses sont des biens pour les saints, et elles se changent en maux pour les méchants et pour les pécheurs.