Et le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé dans le ciel, et il s’assit à la droite de Dieu.
Un jour, le quarantième après sa résurrection, Jésus réunit ses apôtres et leur dit de le suivre jusqu’à Béthanie, sur le mont des Oliviers. Là, après leur avoir donné ses ordres et sa bénédiction, le Sauveur, soutenu sur les ondes d’une nuée resplendissante, s’éleva lentement de terre, et, suivi des regards des apôtres, il monta vers le ciel, pour s’asseoir à la droite de Dieu.
En lisant ce récit, ne vous êtes-vous pas dit plus d’une fois que c’était une manière bien douce de quitter la terre ? Et quand, faisant un retour sur vous-mêmes, vous vous êtes dit que c’était par la maladie, la mort et la tombe qu’il vous faudrait passer pour arriver au céleste séjour, ne vous êtes-vous pas surpris à regretter que votre départ de ce monde ne dût pas être semblable à celui du Sauveur ? Je le pense. La mort a, même pour le croyant, quelque chose de si triste, et, au contraire, l’ascension d’un être vivant quelque chose de si agréable à notre imagination, que, s’il nous était possible de choisir entre ces deux modes de quitter ce monde, certes nous n’hésiterions pas ; nous payerions même volontiers fort cher pour éviter le passage du sépulcre et prendre celui à travers les espaces éthérés. Qui ne donnerait dix ans de sa vie pour ne pas mourir et pour disparaître dans les airs, comme le fit Jésus ?
Hélas ! ce désir, qui paraît si raisonnable, est cependant une folie, et alors même qu’il pourrait être réalisé, cette ascension n’atteindrait pas le but que nous nous serions proposé. En effet, qu’est-ce qui nous épouvante dans la mort ? Ce n’est pas la souffrance passagère de l’agonie ; car, si cette agonie n’était qu’une crise d’une maladie nous laissant dans cette vie et sur ce monde, nous n’en serions guère effrayés. Nous avons été malades ; nous le serons probablement encore ; mais ces maladies de quelques heures, de quelques jours même, sont acceptées par nous sans beaucoup de terreur. Pour la plupart, nous avons déjà supporté des douleurs aussi cuisantes que celles dont le corps humain peut soutenir l’expérience. Mais entre souffrir et mourir il y a pour nous un abîme. Nous rachèterions avec joie la mort par des années de douleur. Non, ce n’est pas la maladie, c’est la mort qui nous épouvante ! C’est notre descente dans la terre froide, c’est la suspension de notre vie, c’est l’incertitude de ce qui se passera pour nous au-delà de la tombe. Aurons-nous en partage la vie ou le néant, le bonheur ou la souffrance ? Voilà pourquoi nous ne voudrions pas mourir.
Mais supposez que notre vœu d’ascension fût exaucé ; supposez qu’à un jour inconnu nous fussions enveloppés comme Jésus d’une nuée resplendissante, et qu’aux yeux de ceux qui nous entoureront à cette heure suprême nous disparussions dans les airs ; qu’en résulterait-il de plus certain pour ceux qui resteraient après nous sur la terre ? Nous serions montés dans les espaces ; mais où serions-nous allés ? à la vie ou au néant ? à la joie ou à la tristesse ? Personne ici-bas n’en saurait rien ; pour tous nous aurions disparu, et voilà tout ; ce serait une autre manière de mourir, rien de plus. Même incertitude, même angoisse pour les survivants ; il y aurait encore quelque chose de plus triste pour eux dans cette ascension que dans la mort. L’ascension emporte tout, corps et âme : la mort laisse au moins le corps. Si elle le dissout avec le temps, elle n’empêche pas qu’on n’y puisse concevoir un germe qui se conserve et qui, déposé dans la terre comme le grain de blé, ne puisse en sortir après une saison de la durée d’un monde. En un mot, la mort laisse quelque chose ici-bas, l’ascension n’y laisserait rien. Pourquoi donc préférerais-je disparaître en montant qu’en descendant ? N’est-ce pas toujours disparaître ? et, avec une apparence égale, n’est-ce pas toujours s’évanouir ? Oui, peu m’importe d’avoir pour tombe la terre ou l’espace ; ce qui m’effraie, c’est de mourir ; or, mourir, pour moi, c’est quitter ce monde, cette vie, sans savoir ce que je vais devenir ou si même je continue à vivre. Je puis rencontrer le néant en haut et en bas, dans l’ascension comme dans la mort ; en me donnant le choix, vous ne me tirez donc pas de ce qui fait mon supplice : l’incertitude de mon avenir.
Pour vous mieux convaincre de la vanité de ce désir d’ascension, essayez d’une autre supposition, et vous arriverez toujours au même résultat. Supposez que, non plus comme Jésus, mais comme Élie, vous quittiez la terre sur un char de feu, tandis que vos amis, vos parents, comme Elisée, vous contempleraient de ce bas monde ; amis et parents qui restent n’y gagneraient rien en lumière sur leur propre avenir ; toujours cette terrible incertitude. Car si vous quittiez ainsi la terre, c’est ainsi que la quitteraient tous les hommes, ce serait chose ordinaire, le sort commun ; et ce qui vous frappe aujourd’hui d’admiration, parce que c’est une exception, ne vous frapperait plus alors, car ce serait un autre genre de disparition, un autre genre de mort, la mort de tout le monde ; ce serait ce que vous appelez une loi de la nature et non plus un miracle. L’effrayant, c’est-à-dire l’incertitude de la route que prend ce char lumineux, resterait tout entière, et c’est toujours là ce qui fait l’épouvantail de la mort.
Oui, l’incertitude, voilà ce qui nous épouvante ; et quand nous formons un souhait, soit de rester sur cette terre, soit d’en partir autrement que par la mort, tout cela revient à dire que nous voudrions être certains de notre avenir. Or, ce souhait, ainsi exprimé, est-il réalisable ? Non, et c’est ce qu’il importe de bien se persuader. Non (du moins dans le sens où, on l’entend), non, il n’était pas sage que Dieu nous donnât la certitude de notre avenir. C’eût été renverser tout ce qui existe, et en particulier détruire la nature de l’homme ; c’eût été nous transformer en mercenaires, tandis que nous sommes appelés à devenir des êtres moraux et aimants. Nous donner dès ici-bas la certitude matérielle de notre avenir, c’était nous fermer la porte des cieux, c’était, en un mot, nous empêcher d’être jamais heureux ; c’est ce que nous allons essayer de faire sentir.
Pour vous faire une idée de l’influence qu’exercerait sur nous cette certitude matérielle acquise dès ici-bas, représentez-vous le monde à venir, ciel et enfer, comme une contrée séparée de vous par un simple fleuve : vous êtes sur un bord, la vie éternelle est sur l’autre. De votre rivage, couvert d’épines, peuplé de malades, souillé de crimes, vous contemplez sur l’autre rive, resplendissant au soleil, le trône de Dieu, les harpes d’or de ses anges ; vous entendez les célestes concerts, vous êtes témoins des transports d’amour de tous ces êtres pour leur Créateur ; dans leur foule vous reconnaissez d’anciens amis, qui vous crient combien ils sont heureux. Complétez ce tableau : vous apercevez au-delà, non moins distinctement, un amas de ténèbres que percent çà et là des langues de flamme et des têtes de démon. Vous y reconnaissez tel homme, tel femme, et vous entendez leurs pleurs et leurs grincements de dents. Est-ce assez d’évidence ? Ce spectacle frappe chaque jour vos yeux. Êtes-vous assez certains ? Je le pense. Eh bien, que feraient de vous cette évidence et cette certitude ? des peureux qui fuiraient le péché pour éviter l’enfer ; des spéculateurs qui vendraient leur part de la terre pour acheter le Ciel ; des mercenaires, mus par la crainte ou l’intérêt, qui accompliraient matériellement les actes requis par Dieu, mais qui les accompliraient sans amour ; des faiseurs d’aumônes sans charité ; des martyrs de leur corps sans dévouement ; des esclaves avides de salaire, tremblant sous la verge et incapables d’un sentiment noble, précisément parce que la récompense et la punition seraient évidentes sous leurs yeux, sous leurs mains. En un mot, vous ne seriez plus des êtres moraux, mais des machines à bonnes actions. Vous seriez comme cette foule qui se presse sur la place publique où se dresse un échafaud ; vous éprouveriez le sentiment de cette population des bagnes qui, à genoux, la tête baissée, obéit, mais obéit sous la bouche du canon, à la lueur de la mèche allumée. Vous ne seriez plus des hommes, vous n’auriez plus de moralité, et, par conséquent, vous seriez aussi incapables d’être heureux que la plante qui porte de bons fruits. Voilà ce que la certitude et l’évidence feraient de vous.
Mais pensez-vous que l’attrait de la récompense assurée obtiendrait de vous un meilleur résultat que la crainte de la punition ? Voyez donc, voyez ce qui fait déjà dans les affaires de ce monde la récompense promise : suivez ces compétiteurs qui se disputent un prix ou qui même peuvent en obtenir chacun un différent ; étudiez depuis l’enfant sur le banc de l’école jusqu’au guerrier en face de l’ennemi, et dites-moi si ces récompenses, qui font des prodiges de science, de courage, d’industrie, ont jamais fait des cœurs aimants, des âmes nobles ? Non, elles font naître l’ambition pour soi-même, la haine pour les rivaux, parfois le crime, pour atteindre le prix de la vertu ! La vertu mise à prix ! Mais c’est contradictoire ! mais c’est absurde ! mais c’est impossible ! Le prix et la récompense manufacturent des actions, mais ils ne régénèrent pas un cœur ; et s’ils le modifient, c’est pour le rendre pire, plus avare et plus ambitieux. L’amour n’a rien à faire avec le calcul, et ce n’est que par l’amour, le dévouement, que vous, être moral, pouvez être heureux. Encore une fois voici les résultats de la récompense rendue évidente et du châtiment mis sous les yeux. Je le demande : est-ce là ce que Dieu devait faire ? Non ; aussi ne l’a-t-il pas fait. L’évidence matérielle est impossible ; il n’y a que l’évidence morale que nous puissions atteindre, et, pour y parvenir, voyons où nous devons passer.
« Jésus fut enlevé au ciel, » dit notre texte. D’après la Bible, il y a donc un ciel. Nous avons reconnu que nous ne devions ni le voir ni le toucher dès ici-bas. Comment donc saurons-nous qu’il existe ? : – Par la foi. – Et que demande de nous Jésus pour nous y transporter ? – La foi. – Qu’est-ce donc qui deviendra pour nous, non seulement le mobile de l’action, mais encore de l’amour ? – Toujours la foi. En sorte que, si nous croyons que le ciel existe et que Jésus nous l’a gratuitement donné, nous deviendrons capables d’agir et d’aimer. Mais cette foi est-elle le contraire de l’évidence et de la certitude ? Faudrait-il, comme on l’a dit, croire une chose parce qu’elle serait absurde ? Non, mille fois non ; la foi aux vérités chrétiennes repose sur des bases solides : l’histoire, la conscience et l’action du Saint-Esprit lui-même sur le cœur du croyant ; seulement ces bases solides, ces preuves, cette évidence, cette certitude, au lieu d’être matérielles sont morales ; je puis les montrer et les faire toucher, non à celui qui a des yeux et des mains, mais à celui qui a un cœur et une conscience. Si ce n’était pas votre cas, je renoncerais, je l’avoue, à vous convaincre. Si au contraire vous êtes susceptibles d’amour, si vous êtes capables de repentir, si vous avez un sens pour apprécier le beau et le bon, contemplez la vie et la doctrine de Christ, et vous serez gagnés.
Mais je m’arrête, car ce n’est pas à des incrédules que je parle ; je suis en face d’hommes qui portent et affectionnent le nom de chrétiens. Peut-être ont-ils peu de foi ; mais enfin ils en ont, ils en désirent davantage, et ce que je dois leur indiquer, c’est un moyen d’en acquérir. Je vais donc l’essayer.
Pour avancer vers la certitude morale d’un avenir et du salut, il faut croire, avons-nous dit ; et maintenant nous ajoutons que, pour avancer dans la foi, il faut avancer dans la sanctification. La foi, il est vrai, est le principe de la vie chrétienne ; elle est, qu’on me permette cette expression, le sang qui anime notre corps moral. Il semble donc qu’on ne puisse pas donner le conseil de se sanctifier afin de croire. Sans doute, si je parlais à des incrédules, cette objection aurait du poids ; car ce serait à leurs yeux comme si je demandais à un cadavre de marcher. Mais je parle à des hommes qui ont un peu de foi, un peu de ce sang dans les veines, et je leur dis d’agir pour se procurer la santé, d’agir pour se fortifier, d’agir pour accroître même ce principe de vie. Plus vous serez saints, mieux vous comprendrez l’Évangile, la miséricorde de Dieu, l’étendue de vos péchés, l’immensité du sacrifice de Christ. Plus vous serez saints, plus vous serez humbles, plus vous prierez, et plus abondante sera la mesure de foi que vous recevrez. Plus vous serez saints, plus vous désirerez l’être, plus vous laisserez agir Dieu sur vous, moins les passions obstrueront le passage de la foi dans votre cœur, et, comme dit Jésus, si vous voulez faire la volonté de son Père, vous reconnaîtrez que sa doctrine vient de Dieu. En vous sanctifiant, vous croirez.
Admirable sagesse du Dieu qui a voulu que la sainteté produisît la foi, comme la foi produit la sainteté, et qu’ainsi, dès que nous sommes entrés dans le champ de l’Évangile, nous pussions travailler avec succès par quelque bout que nous commencions : chaque sillon recevra sa semence, chaque coup de bêche remuera la terre. Soit que notre bras s’abaisse ou s’élève à la pompe, l’eau monte toujours sur la terre. C’est le grain qui pousse nuit et jour, que le laboureur dorme ou veille, et sans qu’il sache comment ; en sorte qu’à la fin de l’année il a une moisson mûrie et abondante, des quelques poignées qu’il a semées et que même il tenait de son Maître.
Courage donc, chers amis, croyons pour nous sanctifier ; sanctifions-nous afin de mieux croire. Ne nous préoccupons pas du comment pousse le blé spirituel, mais semons et recueillons ; prions et veillons tout ensemble. Demandons la foi, mais sanctifions-nous sans attendre. C’est Satan qui nous fait dire : si j’avais plus de foi, je ferais ceci ou cela ; faisons, et en faisant la foi s’accroîtra. Quand les Apôtres eurent vu Jésus s’élever vers le ciel et que leur foi s’en fût accrue, ils ne restèrent pas là ; mais, selon le conseil de l’ange, ils sortirent de la contemplation pour rentrer à Jérusalem, dans la vie active ; et quand ils furent arrivés, ils ne cessèrent pas de prier, parce qu’ils avaient déjà cru ; au contraire « ils persévérèrent, » dit le texte, ils persévérèrent dans la prière ; c’est ainsi qu’ils reçurent de nouveau l’Esprit-Saint qui leur donna un nouveau courage, source de nouvelles et puissantes actions. Suivons les Apôtres : après la contemplation de la vérité que nous avons étudiée aujourd’hui, rentrons dans la Jérusalem de l’activité chrétienne pour travailler, jusqu’à ce que nous revenions nous retremper dans la méditation et la prière.