Élie le Tishbite

22.
Le passage du Jourdain

« La fille du roi est toute pleine de gloire au dedans, » a dit de la véritable église le chantre royal au psaume 25. Il n’est en effet rien de plus beau et de plus grand qu’un chrétien vivant. Le monde ne s’en doute pas, parce qu’il n’a aucun sens pour les choses divines ; comment pourrait-il comprendre et apprécier les actions et les pensées d’un homme né de Dieu ?

Le chrétien est grand dans sa repentance ; car elle est une rupture avec Satan et le péché. Il est grand dans ses désirs ; car Dieu seul peut rassasier son cœur. Grand dans ses prières, quand il secoue de ses pieds la poussière d’ici-bas et pénètre jusques au trône même de l’Eternel. Grand dans ses espérances, car il n’aspire à rien moins qu’à partager un jour avec le Seigneur même la domination et la puissance. Grand dans ses larmes, car elles sont celles d’un roi détrôné. Grand dans ses joies, qui découlent d’un monde supérieur et dont les objets sont au-delà des étoiles. Grand d’une divine grandeur, qui est toute « au dedans » de lui, et que le monde ne connaît pas.

Il est bien vrai que la fille du roi n’a pas toujours la même beauté. Elle peut-être malade et perdre de son éclat. Elle était malade en Galatie : « Vous courriez bien ; qui vous a retenus ? » Elle était malade à Corinthe : « Je ne puis pas vous parler comme à des hommes spirituels ; car vous êtes encore charnels. » Mais pour être malade, elle ne cesse pas d’être la fille du roi. Tous les vrais chrétiens sont participants de la même nature divine, tous portent en eux la même semence éternelle. Que l’un soit de l’or purifié déjà par le feu, et que chez l’autre le céleste métal soit caché sous une enveloppe charnelle, épaisse et grossière ; que l’un soit semblable à la jacinthe qui sort à peine de terre et que les feuilles voilent encore aux regards, et que l’autre étale aux yeux de tous ses belles fleurs : peu importe, ils sont tous du même or, ils sont tous des plantes de la même famille. Tous ils ont les mêmes vertus, les mêmes pensées, il n’est pour eux tous qu’une seule et même sainteté. Le péager et le larron ne sont pas moins pleins de gloire dans leur intérieur, que un Paul ou un Jean.

La gloire de l’œuvre de la grâce dans une âme renouvelée, est si éclatante que les miracles spirituels me semblent plus admirables que les miracles physiques. Ce que je découvre dans la vie intérieure d’hommes, tels que Moïse, Élie, Paul, chez qui la foi a pris son plein développement, me cause plus d’étonnement que les scènes les plus brillantes de leur vie extérieure, et je ne suis nullement surpris de voir de tels hommes sortir des routes battues et marcher par des chemins tout nouveaux. Je le sens, il faut qu’ils fassent des miracles. Le miracle est le fruit naturel, le résultat de leur vie intérieure qui est si extraordinaire et si pleine de Dieu ; et dans ce sens leurs actes les plus merveilleux sont tout aussi peu des miracles que c’en est un que le soleil éclaire tout un monde, ou que les Alpes donnent naissance à un fleuve tel que le Rhin.

Nous trouverons la preuve de ce que je viens de dire dans le récit du fait vraiment extraordinaire par lequel Élie clôt la brillante série de ses miracles.

2 Rois 2.7-8

7 Et cinquante hommes d’entre les fils des prophètes vinrent, et se tinrent loin vis-à-vis. Et les deux s’arrêtèrent près du Jourdain. 8 Alors Élie prit son manteau, et le plia, et en frappa les eaux, qui se partagèrent des deux côtés, et ils passèrent tous deux à sec.

Ce texte offre à notre méditation : les fils des prophètes accompagnant Élie ; Élie et Élisée sur les bords du Jourdain, et leur miraculeux passage à travers la rivière.

I

Élie et Élisée s’éloignent de Jéricho, et traversent en silence la contrée solitaire par laquelle le peuple hébreu entra dans la Terre promise. Ils s’abandonnent aux solennelles pensées qui remplissent leurs cœurs ; on dirait deux hommes qui montent, en prières, les longs degrés d’un temple, ou qui, la veille d’une sainte fête, accueillent en eux les pensées qui, tels que des anges, descendent du ciel aux sons cadencés des cloches du temple voisin. Élie a déjà quitté en esprit la terre, et son âme, semblable au papillon qui s’élance de sa sombre prison, s’envole vers d’autres mondes. Élisée retient avec peine ses larmes, et il voudrait faire redescendre vers lui l’aigle qui a pris son vol, et l’enchaîner à la terre, pour quelque temps encore, avec les doux liens de l’amitié. Ils approchent ainsi du Jourdain, se croyant seuls. Mais à quelque distance se cache derrière les buissons une troupe silencieuse de leurs fidèles disciples qui suivent des yeux tous leurs mouvements. Ils sont cinquante. Ils n’ont pu rester à Jéricho, leur affection pour leur maître qui va quitter la terre, les a chassés de la ville. Ils voulaient le voir encore, ne fût-ce que de loin et sans lui parler. Et à son départ, ils l’ont suivi à la dérobée et par divers chemins.

Leur amour pour Élie nous émeut et leur gagne nos cœurs ; leur tristesse se communique à nous : nous voyons un pilote comme il y en eut peu, quitter le vaisseau de l’église et l’enfer puiser de nouvelles forces, et nous sentons toute la grandeur de leur perte à la joie que nous aurions à voir apparaître au milieu de nous un homme semblable à Élie. Oh ! avec quelle joie nous saluerions sa venue ! Et qu’on ne dise pas que des hommes d’actions comme l’était le Tishbite, seraient aujourd’hui de peu de secours, et qu’un siècle qui ne sait que composer des livres ne peut être réfuté et surmonté que par des livres. Nous avons besoin, non de journaux ni d’écrits, mais d’exemples et d’actions. Il nous faudrait un homme qui, l’épée de l’Esprit à la main, opposât une foi inébranlable au Prince des ténèbres, et fit taire par sa seule présence les aboiements de ces armées de nains qui se sont mis en campagne contre l’évangile ; un homme qui dominât son siècle par ses divines lumières, autant que par sa sainteté, qui fécondât par de nouvelles et célestes pensées un monde usé, et qui en même temps le forçât au respect par l’énergie de son caractère et la conséquence de sa conduite ; un homme dont la vie toute d’une pièce fût une continuelle prédication de l’Evangile, et contraignît au silence la raison, qui comprendrait enfin que les dogmes qui produisent de tels actes ne peuvent venir que de Dieu ; un homme qui donnerait à la vie et à la science une impulsion nouvelle, qui arracherait à cette génération tous les voiles sous lesquels elle cachent ses plaies, et qui saurait en même temps la conduire d’une main ferme vers l’unique médecin ; un homme qui dans une sainte indignation chasserait à coups de fouet du temple tous les sophistes ; un homme enfin qui mettrait au jour les trésors de connaissances qui sont enfouis dans nos livres saints, et que nous pressentons sans pouvoir y atteindre. Il nous faudrait un Élie chrétien, un nouveau Luther, un Calvin avec le cœur d’un Luther. Mais où est cet homme ? Nous le cherchons d’un pôle à l’autre, et ne le trouvons pas. Toutefois, souvenons-nous des deux témoins de l’Apocalypse, prenons patience et espérons.

La douleur des fils des prophètes est plus grande que nous ne le pouvons dire ; et cependant elle est mêlée d’une merveilleuse joie ; car ils savent où va le maître, l’aurore des cieux éclaire l’heure de la séparation, et en pleurant son départ, ils célèbrent son triomphe. — Oh comme les adieux sont doux et sereins, quand l’éclat d’en haut dore à nos regards l’abîme ténébreux de la mort où descend une tête chérie ? Que la tristesse au contraire est déchirante, quand un ami nous quitte sans que nous sachions pour quel lieu, sans que nous puissions lui dire un joyeux : Au revoir ! On est là près de son lit, attendant, épiant, quand ce ne serait qu’une seule parole qui donnât bonne espérance, qu’un regard où se peindrait une foi ignorée, qu’une seule larme de repentir. Mais en vain : ni larme, ni regard, ni parole, point de prière, point de soupir. Le cœur cesse de battre et l’âme va en son lieu. En quel lieu ? nous n’osons pas nous adresser cette question. Oh ! mes frères, le plus beau legs que nos amis nous puissent faire, n’est-ce pas la certitude qu’ils se sont endormis au Seigneur et qu’ils sont partis d’ici-bas lavés dans son sang. Cette douce confiance nous rend ceux qui nous ont quittés, et qui reviennent à nous glorifiés, et le cercle de nos amis n’est point rétréci, seulement les uns sont déjà dans le ciel, les autres encore ici bas. Je le sais, il a été donné à nombre d’entre vous de garder dans vos cœurs avec cette joyeuse certitude les images chéries de vos parents, de vos frères, de vos amis décédés ; et je n’ai pas de peine à vous croire, vous n’échangeriez pas contre des montagnes d’or une telle consolation, qui brille comme une étoile sur les tombeaux des vôtres, et qui rapproche de vous pour l’éternité ce qui a été pour un temps soustrait à vos regards. Oh ! que nos tombeaux éveillent de semblables espérances dans les cœurs de ceux qui nous auront aimés, et que les saints puissent saluer un jour nos pierres funéraires avec la même certitude ! Que la grâce divine imprime si nettement son sceau sur notre front, qu’à notre départ nul ne doute de la route que nous avons prise !

Les fils des prophètes espéraient sans doute que du lieu où ils s’étaient arrêtés, ils verraient l’ascension de leur maître. Ils se trompaient ; peut-être ont-ils vu la nue et l’orage, mais ils n’ont pas pu distinguer dans la nue le char et les chevaux. Nous ignorons pourquoi ce spectacle ravissant leur a été caché. Mais nous comprenons bien les motifs qui engagent Dieu à nous voiler le triomphe de ses saints à l’heure où ils passent à travers la nuée de la mort. Si lors du départ d’un juste, le ciel s’ouvrait devant lui aux yeux de tous, si l’on voyait le chemin que prend l’âme, s’élever en droite ligne vers les demeures des bienheureux, de lumineuses figures d’anges se réunir autour du lit du mourant, et l’âme s’envoler paisiblement vers le ciel au milieu de leurs chœurs et de leurs chants (car, mes frères, c’est ainsi que meurent les justes) ; je vous le demande, qui voudrait encore rester ici bas, supporter le fardeau du jour, se soumettre aux ennuis de la vie ? notre désir d’être au ciel ne se changerait-il pas en un feu qui nous consumerait ? Et ne serait-ce pas d’ailleurs marcher par la vue et non par la foi ? Notre existence ici bas est et doit être une vie de foi et de patience dans la terre de l’étranger, et voilà pourquoi Dieu fait reposer la sombre nuit de la mort sur l’issue de l’étroit sentier de la vie, et voile à nos yeux les gloires qui attendent à leur départ ses enfants bien-aimés.

Mais pourquoi les fils des prophètes se tiennent-ils ainsi éloignés, et ne tentent-ils même pas de se joindre à Élisée et à Élie ? C’est qu’ils connaissaient l’humilité de leur maître qui ne voulait pas de témoins de son triomphe, et leur discrétion nous apprend combien souvent nous en manquons dans les choses spirituelles. Je vous en citerai un seul cas. Quand vous remarquez que la grâce de Dieu commence à attirer fortement une âme qui est encore enlacée dans les filets du monde, vous devriez vous taire, la voir sans en avoir l’air, garder entre vous le secret, et vous dire l’un à l’autre, comme Élisée aux disciples : « Je le sais-bien, taisez-vous. » Car les premiers commencements sont chose délicate ; et la plante qui germe exige d’autres soins que l’arbre dans sa force. Mais vous, vous n’y prenez garde, vous ébruitez le mystère. Et qu’arrive-t-il d’ordinaire ? Quand la personne en qui Dieu commence son œuvre, apprend que le public s’occupe de sa conversion, elle en reçoit une impression très pénible, qui trouble son travail intérieur et la rejette par fois à une grande distance en arrière. Car ses épaules ne sont pas encore assez fortes pour supporter l’opprobre de Christ. Vous le voyez, le royaume de Dieu a aussi son tact, sa discrétion, sa délicatesse de sentiments.

II

Élie est arrivé avec son compagnon sur la rive du Jourdain, qui précipite ses vagues écumantes, et se brise contre les rochers de son lit, comme s’il voulait lui refuser le passage. Néanmoins, Élie le traversera, il doit le faire. C’est au delà du fleuve qu’est le lieu que l’Esprit lui signale, c’est au delà que l’attend son char de triomphe.

Et c’est « au-delà » qu’est placé pour nous aussi tout ce que Dieu nous accorde de plus précieux ; il faut pour l’obtenir ne pas avoir peur des flots écumants. C’est au delà d’un fleuve qu’est le royaume de Dieu ; il en est beaucoup parmi vous qui suivent jusqu’à ses rives le chemin du christianisme ; ce sont ces gens moraux, honnêtes, sérieux, qui se sont retirés d’un monde trop bruyant pour eux. Mais ils font halte au Jourdain, ils reculent devant les flots de la repentance, de la contrition, du renoncement à tout ce qui n’est pas Christ ; ils n’osent se jeter dans l’abîme et périr à eux-mêmes pour renaître à Dieu. Ils veulent gagner à pieds secs Jérusalem, et ils n’y arrivent pas. — Ce qui est vrai du royaume de Dieu tout entier, l’est aussi de toutes les promesses que Dieu nous fait. Nous sommes séparés de chacune d’elles par un fleuve qu’il faut traverser pour les saisir et s’en restaurer. Dieu a dit : « Quand les montagnes se remueraient et que les coteaux s’ébranleraient, l’alliance de ma paix ne sera pas ébranlée, et ma grâce ne se retirera point de toi. » (Ésaïe 54.10) Excellente promesse ! Mais qui consolera-t-elle ? Celui-là seul qui a tremblé jusques au fond de son âme, à la pensée que Dieu pourrait bien rompre son alliance, et qui a désespéré de la garder par lui-même. — Il est écrit : « Je ne t’abandonnerai pas et ne tarderai pas. » Qui comprendra le sens de cette promesse, si ce n’est celui qui s’est senti abandonné ? — Jésus-Christ a dit : « Mes brebis ne périront point, et nul ne les ravira de ma main. » Nous laissons là ces paroles et n’en faisons pour ainsi dire aucun usage, aussi longtemps que nous n’avons pas appris à connaître par notre expérience les dangers mortels qui environnent nos âmes, et que nous possédons encore quelque force propre. Mais quelle ineffable douceur n’a pas pour nous cette-promesse, une fois que nous avons lutté corps à corps avec la puissance de l’enfer, et éprouvé sa force et sa ruse en même temps que notre faiblesse et notre lâcheté ! Partout le Jourdain nous sépare des plus précieux trésors de la Parole de Dieu. Il faut s’être vu dans la foule des péagers, pour découvrir en soi une beauté, une justice supérieure à celle des anges ; et avoir connu les angoisses de la condamnation, pour s’écrier plus tard avec Paul : « Qui condamnera ? » Tous ces aigles qui s’élancent à travers les nuées et les étoiles jusques au pied du Dieu des cieux, ont été de malheureux prisonniers sur lesquels avait été déjà prononcée la sentence de mort.

Le Jourdain coule impétueux et mugissant, et cependant Élie ne met pas en doute qu’il le traversera ; car Dieu l’appelle au delà du fleuve. Le Dieu qui commande une chose, donne le moyen de la faire. Ses élus arrivent tous au but. Les invitations de sa grâce sont des décrets de sa toute puissance. Ayons donc pleine confiance en lui pour ce qui regarde notre salut ; les difficultés et les dangers de la route sont immenses, mais il nous a fait préparer dans les cieux une place par Jésus-Christ, et il nous y appelle, or il justifie ceux qu’il a appelés, et glorifie ceux qu’il a justifiés (Romains 8.30). Si vous demandez quel est le lieu qui nous est destiné, et comment nous y arriverons, je vous dirai que la chose se passe à peu près comme suit : Un homme descend du ciel vers toi et te dit : « N’aimerais-tu pas à demeurer dans la maison de ton père ? » et tu lui réponds : « Oui, je le désirerais beaucoup, » et il dit : « Pourquoi n’y entres-tu donc pas ? » et toi : « Comment le pourrais-je ? Je n’ai pas observé la loi, et mes péchés me condamnent à mort, » et il te répond : « Donne-moi tes péchés, je prendrai ta place et toi prends la mienne. » Et l’homme se charge de tous tes péchés, il porte ta malédiction, et accomplit la loi que tu as violée. Et après cela une voix lui dit des cieux : « Monte, fils de ma dilection. » Or, à qui s’adresse cette voix ? A lui seul ? ou bien à toi aussi dont il a pris la place ? Evidemment à l’un et à l’autre, car tu es en lui. C’est pour toi aussi que les anges ouvrent les portes des cieux, c’est bien toi que le Père reçoit dans sa maison. — Voulez-vous une autre comparaison ? Vous désirez parler au roi dans son palais ; mais vous êtes timides et craignez les visages étrangers et les gardes et les grands seigneurs. Votre intime ami se trouve être aussi celui du roi, et vous dit : « Venez seulement, je vous attendrai à la porte du château, et vous introduirai moi-même et parlerai pour vous. » Eh bien, à ton départ d’ici-bas, tu trouveras au seuil des cieux ton ami, Jésus, qui te prendra de sa main percée, et te conduira, à travers les rangs serrés des séraphins et des rachetés, jusques au pied du trône de Dieu. — Ou bien encore, vous devez aller occuper un appartement dans une maison magnifique, qui est toute pleine de personnes d’un haut rang. Et vous vous dites : « Que ferais-je, moi pauvre homme, en pareille société ? » Et vous passez, tout embarrassé, devant la porte, sans oser y entrer. Mais quelqu’un se hâte sur vos pas, et vous dit : « Entrez donc, tel et tel de vos amis est là. Tous vous connaissent déjà et vous aiment. » A la porte, vous recevez un vêtement aussi beau, plus beau même, soyez en certain, que celui des anges, et tous vous saluent avec joie à votre entrée ; car ils savent qu’un Seigneur puissant, qu’ils honorent plus que aucun autre, vous a donné toute sa faveur. Eh bien, mes frères, n’en est-il pas de même des places qui sont préparées aux élus dans les cieux ? La faveur du roi des roi est leur lettre de recommandation, et il n’est aucun d’eux qui ne puisse être assuré d’arriver jusques à l’entrée et de voir s’ouvrir les portes devant lui, quels que puissent être les obstacles qui semblent lui fermer le chemin. Car Dieu l’a promis. Quand un océan vous séparerait de la terre où Dieu vous appelle, n’hésitez pas, allez en avant ! Dieu frappera les vagues de la mer et les divisera et vous y fraiera un chemin. Quand mille morts et des armées de démons s’opposeraient à vous, soyez sans crainte, avancez ! Dieu combattra pour vous. N’avez-vous pas entendu celui qui pouvait dire : « Père ! je sais que tu m’exauces toujours », adresser à Dieu cette prière : « Père ! je veux que là où je suis, soient aussi ceux tu m’as donnés, afin qu’ils contemplent ma gloire. » Appuyez-vous donc sur ces divines promesses, et répétez avec Paul : « Je sais en qui j’ai cru, et suis certain qu’il gardera mon dépôt jusques à ce jour. » Qui vous séparerait de l’amour de Dieu en Jésus-Christ ? Cet amour est fidèle, ingénieux et puissant, pour vous faire traverser au temps fixe et les fleuves impétueux et les vastes océans.

III

Élie est donc arrivé sur la rive du Jourdain qu’il doit traverser, et bientôt Dieu lui met au cœur le souvenir de Moïse frappant de sa verge la Mer rouge. « Le Dieu de Moïse, se dit-il, est aussi le Dieu d’Élie. » Il saisit son manteau de poils, l’enlève de ses épaules, le plie et en frappe de toute sa force le Jourdain… qui se divise. D’un côté l’eau fuit et s’écoule et tarit, de l’autre elle s’amoncelle en un mur de cristal. Les deux prophètes passent le fleuve à pieds secs, et à peine touchent-ils à la rive opposée, que la montagne d’eau s’abaisse et que sont enlevées les chaînes invisibles qui retenaient la rivière captive. Oh quel Dieu que celui qui fait ce qu’il lui plaît au ciel et sur la terre, qui tarit les mers dans son courroux et change les fleuves d’eau en désert, qui commande aux tempêtes, et fait d’un manteau dans une main d’homme, un sceptre auquel doit obéir la nature entière ! Heureux celui qui a placé sa confiance en ce Dieu qui, par amour pour ses enfants, ordonne aux flots de ne pas couler, aux lions de ne pas déchirer, aux corbeaux de nourrir, aux rochers de se changer en sources, au désert de se couvrir de manne, au soleil de s’arrêter sur Gabaon. Avec un tel Dieu rien n’est impossible et la foi en ce Dieu transporte les montagnes.

Ce passage du Jourdain est le dernier et [magnifique anneau de cette chaîne de miracles qui traverse toute la vie du prophète et l’éclaire d’un éclat surhumain. Cet acte d’une foi gigantesque nous prouve que l’homme qui s’est enraciné en Dieu, ne vieillit pas, et qu’en dépit des fatigues et des années, sa foi se maintient jeune jusques à la fin. A la vue de ce miracle, Élisée qui devait hériter du manteau de son maître, avait senti sa foi se fortifier, et les fils des prophètes avaient mieux compris encore quel était celui aux pieds duquel ils s’étaient assis. Le peuple entier, auquel on le raconta, y vit une nouvelle preuve de la divine mission du prophète qui venait de le quitter. Élie lui-même y reconnut l’amour de son Dieu qui, invisible encore, lui souhaitait la bienvenue. Et nous, nous y voyons une confirmation de la vérité que Dieu conduit les siens à travers tous les obstacles jusques au terme. Tant est riche en leçons cet acte merveilleux du prophète prêt à quitter la terre, et tant fut brillant au firmament de son siècle le coucher de cette belle étoile. Ainsi le vaisseau qui disparaît à l’horizon laisse longtemps après lui un lumineux sillage, ainsi les éclatantes couleurs du ciel à l’occident nous attestent que le soleil qui vient de disparaître derrière les montagnes, ne s’est point éteint, et qu’il ne nous quitte que pour éclairer un autre monde.

Le passage d’Élie à travers le Jourdain nous rappelle celui des Israélites à travers ce même fleuve. Mais quelle différence entre ces deux faits ! Celui d’Élie me semble préfigurer l’évangile, et l’autre la loi. Ici, que de préparatifs solennels, et que de prescriptions légales ! Là, au contraire, quelle liberté et quelle promptitude d’action ! Ici l’arche de l’alliance doit marcher en tête, et le peuple ne la suivre qu’à une respectueuse distance ; il faut une séparation, un large espace entre l’Eternel et les pécheurs. Là Dieu et le prophète sont pour ainsi dire un ; Dieu demeure avec sa force par son Esprit en Élie, qui est lui-même l’arche. Ici l’eau ne recule et ne s’amoncelle que devant le tabernacle même ; ici c’est un manteau dans une main d’homme qui fend les flots au premier contact. Si les Israélites des temps de Josué avaient été spectateurs du miracle d’Élie, ils auraient été saisis d’un grand étonnement, et cependant la gloire du Tishbite n’était qu’une pâle lueur de celle qui était réservée aux enfants de la nouvelle alliance, aux rachetés du Seigneur, qui doivent se considérer comme un avec lui, au point de ne plus se distinguer de lui et de tout faire en son nom.

Quand Élie pliait son manteau pour en frapper les eaux, il sentait obscurément en lui la présence de forces divines pour lesquelles les obstacles matériels ne sont rien, et qui maîtrisent sans peine les éléments terrestres. Il commençait ainsi à rompre ses chaînes, à prendre son essor vers le monde supérieur : la nature lui semblait déjà soumise à sa parole royale, il n’y avait plus pour lui de miracles, et ce qui remplit d’étonnement les mortels, lui semblait presque chose toute simple. Qu’on lui ouvre un nouvel univers ! Ce monde est trop étroit pour lui. Qu’on se hâte de donner à son âme de nouveaux organes, si l’on ne veut pas qu’elle brise sa prison ! C’est l’esprit de feu d’un séraphin confiné dans la lourde maison d’argile d’un enfant de la poudre. Cieux ouvrez-vous ! Limites du temps et de la terre, reculez ! Élie ne peut plus demeurer ici bas.

C’est ainsi que la sagesse et l’amour de son Dieu préparait graduellement le prophète à la transformation inouïe qui l’attendait, et aux phénomènes du monde où il allait être ravi. En même temps Élisée, qui traversait aux côtés d’Élie le fleuve mis à sec, se formait aux miracles, et se familiarisait avec un genre d’œuvres qu’il allait bientôt opérer lui-même. Élie l’enlevait pour ainsi dire avec lui dans la sublime région de sa foi, il le portait sur ses ailes et lui apprenait à voler ; et qui nous dira ce qui se passait chez le laboureur d’Abel-mehola, quand il marchait dans le lit desséché du Jourdain, au devant des eaux qui s’accumulaient sur sa tête ? — C’est ainsi que les forts dans la foi apprennent aux faibles, à demander et obtenir le secours de Dieu dans la détresse, à demeurer en paix et inébranlables comme le rocher dans les tempêtes de la vie, à chanter de joyeux cantiques sous les plus menaçants orages, à descendre comme en triomphe et enseignes déployées, dans la sombre vallée de la mort. De telles âmes nous transportent à leur hauteur et nous inspirent leur foi, leur fermeté, leur sérénité, et leur paix jusque dans la mort. Mais où sont parmi nous ces hommes de foi qui portent sur leurs ailes leurs frères par dessus les fleuves et à travers les tempêtes, et qui frappent et divisent les flots devant l’armée d’Israël arrêtée sur le rivage ? Toutefois le Dieu d’Élie, de Paul, de Luther gouverne encore le monde. Quand le temps sera venu, il dira un mot, et voici, « le plus faible d’entre nous sera comme David, et la maison de David comme celle de Dieu et comme l’ange de l’Eternel à la tête du peuple » (Zacharie 12.8). « Oui, » dit l’Eternel, « je fortifierai la maison de Juda, et je préserverai la maison de Joseph. Ephraïm sera comme un géant, et leur cœur se réjouira comme par le vin. Leurs enfants le verront et se réjouiront, et leur cœur s’égaiera en l’Eternel » (Zacharie 10.6). Heureuse perspective, que nous saluons de loin avec délices ! Réjouissantes promesses dont nous attendons avec assurance l’accomplissement ! Amen.

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