Pendant la période qui nous occupe, celle des Églises réformées, dans laquelle le développement des études théologiques et dogmatiques prit le plus grand développement, fut l’Église de Hollande, qui vit la conception plus modérée de la prédestination vaincue sans doute, ou plutôt écrasée un moment, par la formule ultra-calviniste, mais pour préparer en fait dans l’avenir, et malgré son échec, le triomphe d’une conception théologique, qui repousse et finit par condamner le supralapsarisme.
Calvin (mort en 1564) laissa après lui une école qui grandit et se développa, grâce à la création en 1559 d’une faculté de théologie, dont Bèze devint le recteur. Cette école n’exerça qu’une influence secondaire en Allemagne, où se trouvaient de nombreux théologiens réformés, plus modérés et amis de Mélanchthon, mais qui, dispersés et sans point d’appui commun, ne purent exercer, en face de la phalange compacte des luthériens, l’influence légitime à laquelle ils avaient droit. Son influence, par contre, fut aussi intense que profonde en Angleterre, et surtout en Écosse par le ministère de John Knox.
Antoine de Chandieu et plusieurs autres théologiens, entre autres Marlorat, propagèrent les principes de l’école genevoise jusqu’au massacre de la Saint-Barthélémy (1572), qui compromit pour de longues années l’avenir de l’Église réformée, dispersa à l’étranger ses professeurs les plus éminents, et contribua par là au développement si remarquable de la théologie hollandaise. A la suite de luttes sérieuses et violentes, dans lesquelles les questions politiques jouèrent aussi un rôle considérable, l’élément réformé prit le dessus sur les tendances diverses, qui se partageaient depuis longtemps les esprits en Hollande, les écoles des Frères de la vie commune, les écrits de Thomas A-Kempis, de Jean Wessel et des docteurs luthériens. La lutte désespérée et héroïque du protestantisme hollandais contre le despotisme du sanguinaire Philippe II, puisait sa force et sa grandeur dans une sombre doctrine qui, tout en anéantissant l’humilité humaine devant la majesté divine, communique au croyant une confiance stoïque et un courage indomptable, qui ne recule devant aucun danger, puisqu’il repose sur les décrets divins. La dogmatique calviniste, tout en semblant fouler aux pieds la liberté humaine, communique à l’âme de ses adeptes une puissance morale, une soif de martyre, un héroïsme inflexible, qui lui ont valu ses progrès et ses conquêtes.
La crise politique hâta le succès du calvinisme, et assura une valeur presque officielle à la confession belge, composée en 1562 par Guido de Bres, sans autre mandat que ses convictions, et toute pénétrée de la prédestination calviniste, bien qu’elle ne tombe pas dans le supralapsarisme[a]. Elle rencontra, cependant, de nombreux adversaires parmi les réfugiés luthériens de l’Allemagne et les populations de l’Ostfrise, où Jean de Lasco[b] avait propagé des opinions plus modérées. Les théologiens, qui prirent contre Martin Lydius, d’Amsterdam, la défense d’une théorie prédestinatienne moins rigoureuse, furent en 1554 Clément Martenson, et plus tard Cornheert et Arnold Cornelii. Ces derniers, soutenus par leurs nombreux amis des provinces d’Utrecht, de Hollande et de Frise, réclamèrent la révision de la confession belge, qui avait été imposée illégalement aux consciences. De leur côté, les défenseurs de la confession belge réclamaient pour elle, aussi bien que pour le catéchisme d’Heidelberg, l’acceptation sans réserve et annuelle de tous les fonctionnaires et pasteurs.
[a] Belgica. Art. XIII, XVL.
[b] Pierre Bartels, Johannes à Lasko, 1860.
La controverse prit une forme sérieuse et menaçante, à l’apparition dans l’arène de Jacques Arminius, d’Amsterdam. Elève distingué de Théodore de Bèze, il avait débuté, dans l’intérêt du parti calviniste, par réfuter Cornheert. Il se vit bientôt entraîné par le cours de ses études et de ses pensées dans les rangs des adversaires de Calvin. Installé en 1602 professeur à Leyde, il se vit attaqué avec une violence extrême par François Gomar et Bogermann. Il voulait faire dépendre l’élection de la foi, tandis que ses adversaires affirmaient comme règle unique de la foi la prédestination absolue, d’après laquelle seule les saintes Écritures devaient être interprétées. Arminius déclarait une telle opinion papiste au premier chef. Ce sont, disait-il, les Écritures, qui constituent notre règle de foi, et il ne saurait exister de vérité supérieure à elles. Lui-même, sans s’en rendre compte, tombait dans une erreur semblable, puisqu’il affirmait a priori la liberté humaine, avant d’invoquer les Écritures, tout en reprochant à ses adversaires de présupposer le décret absolu de Dieu, et de le transformer en principe matériel de la Réforme et antérieur au principe formel. Les ultracalvinistes craignaient de voir crouler tout l’édifice dogmatique avec le principe de la prédestination, qui jouait pour eux le même rôle que le principe de la justification par la foi pour les luthériens.
Nous pouvons résumer en quelques mots l’attitude des deux partis. Les calvinistes rehaussaient l’honneur et la majesté de Dieu aux dépens de l’homme, qui se transformait entre leurs mains en un instrument aveugle des desseins de la toute-puissance divine. Arminius et ses partisans mettaient, de leur côté, au premier rang la dignité de l’homme, et transformaient, pour ainsi dire, Dieu en un instrument docile de ses desseins. Ceux-là ne voulaient assurément ni anéantir, ni même simplement déprécier l’homme : il n’est à leurs yeux, sans doute, qu’un instrument, mais encore un instrument efficace, nécessaire, libre, puisqu’ils réclament de lui un sacrifice joyeux et sans réserve de sa personnalité. De ce point de vue l’on pourrait même être tenté de dire que, si le souverain principe est le principe moral, qui se propose pour but de son activité ceux qui sont en dehors de lui, le calvinisme place ce principe moral souverain du côté de l’homme, comme l’arminianisme du côté de Dieu. Nous le voyons, en effet, enseigner que Dieu n’a fait toutes choses qu’en vue de sa propre grandeur, mais nous devons aussi en même temps reconnaître, qu’il n’y a point là un principe égoïste et intéressé, mais une manifestation grandiose de la volonté divine, qui assigne — bien que ce point reste imparfaitement développé, — à son activité comme but une partie des humains.
L’arminianisme, de son côté, envisage bien, il est vrai, l’homme comme le but de Dieu, mais sans chercher à se demander si Dieu ne devient pas dans son système un simple instrument entre les mains de l’homme, et s’il ne dépouille pas celui-ci de son but suprême et sublime, qui est l’amour désintéressé pour son créateur. Bien plus, il offre les mêmes lacunes que le calvinisme, et s’attache comme lui, dans son désir de maintenir intacte la majesté souveraine de Dieu, à l’idée exclusive de sa toute-puissance. Il dépasse même sur ce point le calvinisme, et professe une doctrine extrême, que celui-ci a toujours repoussée. Il refuse d’astreindre à aucune loi la toute-puissance divine, et ne conserve plus à l’élément moral qu’une position relative et arbitraire. Arminius enseigne que Dieu veut une chose, non parce qu’elle est bonne en soi et conforme à son essence, mais parce qu’il l’a voulue. Le bien cesse d’être absolu, et n’est plus que la résultante des faits qui le manifestent. L’image de Dieu en l’homme n’est plus sa vocation essentielle pour le bien, qui est Dieu, mais pour ce que Dieu veut et pourrait également ne pas vouloir. Ces théories semblent subordonner les attributs moraux de Dieu, sa bonté et sa justice, à sa toute-puissance, et ne leur assigner qu’une valeur relative et accidentelle ; elles ne s’appliquent, en réalité, qu’aux attributs de la sainteté et de la justice, car l’armianinisme professe que le bien de l’homme est le but, que s’assigne la miséricorde divine. L’homme a été créé pour le bonheur, et tout dans le gouvernement divin tend à la réalisation de sa destinée.
Le calvinisme lutta avec autant d’énergie que de justice contre une théologie, qui sacrifiait la majesté divine à la grandeur humaine, et qui, en méconnaissant, ou tout au moins en reléguant au second plan, l’idée centrale d’un bien suprême, sur lequel Calvin faisait reposer toute la théologie, relâchait les liens qui rattachent entre elles les individualités humaines, et les abandonnait à leurs caprices et à leurs fantaisies. L’eudémonisme semble devenu le principe de l’arminianisme, et cette erreur si grave procède de l’atteinte portée par lui à la base objective de la sainteté et du bien dans la volonté de l’homme et de Dieu, ainsi que du peu d’importance assignée à l’idée de la justice divine. Pour l’arminianisme, en effet, ce n’est pas le bien absolu, idéal, qui est à la base du plan providentiel de Dieu, et le bien ne joue plus que le rôle secondaire d’un moyen, mis à la disposition de l’homme, pour lui assurer le bonheur. Il n’y avait, selon lui, dans la nature de Dieu, aucun principe, qui lui interdit de donner d’autres lois morales à l’homme, en tant qu’elles fussent capables d’assurer son bonheur, et la loi du Sinaï n’est obligatoire, que parce que Dieu l’a donnée à l’homme. Il ne montre jamais l’accord profond et indissoluble, qui existe entre le bien-être et la loi morale, il n’enseigne jamais non plus combien l’homme a été créé en vue de l’accomplissement de cette loi. Non, il se contente de montrer l’obligation pour l’homme d’accomplir tout ce que Dieu lui a commandé et imposé dans sa sagesse. Il n’établit aucun rapport entre la puissance et l’essence morale de Dieu, et se borne à envisager le bien-être (εὐδαιμονία, de là l’eudémonisme) comme le souverain bien. Nous retrouvons les mêmes tendances dans le domaine des questions politiques et judiciaires.
L’arminianisme comptait dans ses rangs un grand nombre de théologiens distingués, en particulier dans le séminaire d’Amsterdam. Le successeur d’Arminius fut Simon Episcopius, mort en 1643, auteur d’une Institution de la religion chrétienne, puis Etienne Curcellæus (mort en 1659), Arnold Pœlenbourg (mort en 1666), Pontanus (mort en 1698). Il compte au dix-huitième siècle un grand nombre d’hommes remarquables, Philippe Van Limborch (1711), Adrien de Cattenbourg (vers 1730), Jean Leclerc, né à Genève en 1657, mort en 1736 ; Wetstein, mort en 1754. Hugo Grotius fut aussi un collaborateur infatigable d’Episcopius. L’arminianisme offre de grandes analogies avec la théologie luthérienne du dix-septième siècle, qui réagit comme lui avec énergie contre le dogme de la prédestination absolue, mais en fait la ressemblance est plus apparente que réelle. Le point de vue théologique de ces deux grandes écoles est tout autre.
Nous ne trouvons dans l’arminianisme aucune trace de mysticisme, et aucune profondeur de la vie religieuse. Il ne semble même pas soupçonner, que le souverain bien consiste pour l’homme à vivre dans une communion toujours plus intime avec Dieu. Favorisant outre mesure le subjectivisme en religion, il croit ne pouvoir mieux assurer la liberté de l’homme, qu’en renfermant la toute-puissance divine dans d’étroites limites, et en abandonnant l’homme à sa propre direction, contrôlée, il est vrai, par les commandements divins. L’arminianisme, en un mot, n’est qu’une restauration des principes d’Erasme sur la liberté humaine. Le principe matériel de la Réforme, maintenu par le calvinisme, qui ne voit dans l’élection en Christ à la foi et au bonheur, que l’acte de justification, accompli de toute éternité devant le tribunal de Dieu pour ceux qu’il rend participants de ses grâces, est, aussi bien que le témoignage du Saint-Esprit, qui en est le gage, relégué dans l’ombre par l’arminianisme.
L’âme humaine, affranchie tout à coup des liens intérieurs si puissants de la dépendance absolue vis-à-vis de Dieu, commence à s’émanciper tout à fait, et ne veut plus reconnaître d’autre frein que le principe formel de la Réforme, l’Écriture sainte, transformée en une sorte de code officiel. La foi cesse d’être envisagée comme une communion vivante de l’âme avec son Dieu, qui lui assure le salut ; grâce à la présence en elle de Jésus-Christ, elle se transforme vite en une simple acceptation intellectuelle des enseignements et des préceptes de la révélation. La conviction individuelle cherche à remplacer la conviction spirituelle et la puissance, qui vient d’en haut, qu’elle a elle-même renversées, par les démonstrations rationnelles et par les arguments historiques de la foi humaine. L’arminianisme, en mettant ainsi l’accent sur le libre arbitre, est retombé dans quelques-uns des errements du pélagianisme, et a substitué la sanctification à la justification. Il a aussi modifié profondément dans le cours de son développement les bases objectives de la justification, c’est-à-dire les dogmes de l’existence de Dieu, de la Trinité, de la personne de Christ, de la rédemption. Nous voulons examiner chacun de ces points en particulier[c].
[c] Voir Schneckenburger, Lehrbegriff der kleineren protestantischen Kirchenparteien, 2-26.
L’arminianisme s’élève avec énergie contre l’admission d’une autorité divine de l’Église et de la tradition, et ne sait obéir qu’à la sainte Écriture. Il occupe dans le développement rapide de l’Église réformée la place du supranaturalisme biblique, qui n’est apparu au sein de l’Église luthérienne que dans le courant du dix-huitième siècle. Il n’a fait, en réalité, que confirmer par son exemple cet axiome, que le tact exégétique se perd bien vite chez ceux qui ne conservent pas le principe matériel dans son indépendance relative, et qui n’abordent pas les saintes Écritures avec cette soif de pardon et de salut, qui en garantit la saine interprétation. L’âme individuelle, en effet, n’étant plus dirigée par la lumière de la vie intérieure, tend à découvrir dans les Écritures ce qu’elle y cherche, à repousser les enseignements qui lui sont antipathiques, à confondre, en un mot, et dans des vues intéressées, sa propre interprétation avec le sens véritable de la Bible. L’arminianisme pose comme la règle fondamentale de sa croyance que l’Écriture est le juge unique de toute évidence et de toute vérité, mais il ne donne pas comme base unique des saintes lettres l’autorité de l’Église, il n’impose pas à tous comme un axiome la règle souveraine et unique de la foi, et dès lors il soumet l’Écriture elle-même aux arguments et au contrôle de la raison, qui devient, en dernière analyse, le seul juge de la croyance.
Hugo Grotius, qui appartenait à l’arminianisme moins par ses relations extérieures que par ses affinités d’esprit, l’a compris lui-même et a composé dans ce but, de même qu’Episcopius[d], un traité apologétique sur la vérité de la religion chrétienne. Il n’est pas permis, selon eux, de mettre en suspicion les écrivains du Nouveau Testament, de croire qu’ils n’ont pas voulu nous communiquer la vérité qu’ils possédaient. Nous devons donc accepter avec confiance tous les faits qu’ils nous rapportent, les miracles, la résurrection de Jésus-Christ et admettre l’origine divine de la religion chrétienne que son fondateur a formellement enseignée. Arminius cherche à appuyer la preuve expérimentale et historique sur des arguments philosophiques, et nous voyons, en effet, la philosophie jouer un grand rôle chez les arminiens[e]. Cette même raison, qui altérait si profondément la notion de la foi, et qui cherchait à la démontrer a priori, exerça sur l’exégèse une influence décisive et désastreuse. On n’a jamais vu un tel luxe d’arguments et de forme uni à une si grande pauvreté de fond. La raison arminienne dénature et amoindrit tous les enseignements fondamentaux des Écritures. La nouvelle naissance n’est plus que le développement imprimé aux forces morales de l’homme par la doctrine et par l’exemple. L’action du Saint-Esprit est assurément nécessaire à l’âme, mais nous ne devons pas croire qu’il établisse sa demeure en elle, quand il s’agit des hommes inspirés ; non, il n’est plus qu’un auxiliaire et un conseiller fidèle. La raison veut que l’exégète passe les passages les plus obscurs sous silence, et qu’il donne aux passages clairs et précis une influence décisive. Les passages obscurs sont ceux qui sont susceptibles de plusieurs sens, et qui ne peuvent dès lors jouer un rôle important dans l’économie du salut. Les arminiens trouvent dans ces axiomes commodes une garantie pour leur système contre toute réfutation scripturaire, mais ils trahissent aussi leurs préoccupations secrètes.
[d] Episcopii Institutiones, I, IV. Sectio, I.
[e] J. Arminii Opera. De certitudine theologica, p. 56.
Il est évident, qu’en accordant une place aussi éminente dans leur système à l’autorité des saintes Écritures, et en les séparant du principe matériel, qui fait leur force et leur grandeur, ils obéissent bien plus à leur répugnance pour les doctrines traditionnelles, contre lesquelles ils les emploient, qu’à leur respect pour elles et à leur désir d’y trouver leur inspiration. Ils unissent encore à leur doctrine du libre arbitre, base de leur interprétation scripturaire, et qui est comme le succédané du principe matériel, des arguments positifs et utilitaires d’application pratique et d’intérêt commun. C’était ôter, en réalité, toute valeur et toute puissance aux enseignements les plus mystérieux des saintes Écritures, bien que nous devions reconnaître que les réformateurs les ont joints à leurs symboles, sans se les assimiler, et en les envisageant bien moins comme des éléments indissolubles d’une foi vivante et nourrie que comme des traditions respectables et officielles. Ils étaient, en un mot, accolés à l’édifice dogmatique sans entrer dans le plan d’ensemble de son architecture. Simon Episcopius n’a pas craint d’enseigner l’inutilité pratique des dogmes les plus importants, même de la divinité de Jésus-Christ.
Etudions rapidement les divers éléments de la dogmatique arminienne en abordant d’abord la théodicée. Nous avons reconnu l’existence de deux axiomes fondamentaux qui constituent dans leur ensemble la véritable définition de l’amour ; Dieu s’affirmant lui-même dans sa personnalité absolue et se donnant tout entier dans sa révélation libre et spontanée, en un mot Dieu se suffisant à lui-même, et l’homme constituant une personnalité libre, vivante, puisqu’il est le but direct de l’activité divine, un reflet saint et pur, un être aimé, capable d’aimer, lui aussi, image et but de Dieu, et se proposant, à son tour, Dieu comme le but unique de ses aspirations et de ses pensées. Nous avons vu des deux partis théologiques de l’Église hollandaise, les calvinistes rigides mettre l’accent sur le premier axiome et les arminiens sur le second. Le calvinisme primitif sacrifie l’élément moral à l’intensité de la vie religieuse, et l’arminianisme mélange à l’élément moral, prépondérant dans son système, bien des principes terrestres et humains. On peut affirmer avec justesse de l’arminianisme, qu’il transporte dans la volonté divine l’activité morale, que les calvinistes assignent à son essence elle-même. L’orthodoxie réformée envisage la justice comme immuable et éternellement inhérente à l’essence divine, et ses théologiens prennent ce principe comme base de la nécessité d’une expiation. Les arminiens transforment la sainte colère de Dieu contre le mal en une dispensation providentielle et préordonnée de son amour ; nous verrons le dogme de la rédemption profondément modifié par cette théorie.
Conrad Vorstius, de Steinfurt (1610), va plus loin encore, et cherche à renverser par son argumentation la théodicée calviniste[f]. Désireux de communiquer à la notion de Dieu plus de mouvement et de vie, ce profond penseur, dont quelques hypothèses ont reparu dans la théologie moderne, ne se borne pas à introduire l’action de Dieu dans le temps et dans l’espace, mais ne craint pas de le restreindre dans son essence même, et de considérer le temps et l’espace comme deux puissances éternelles qui enchaînent l’action divine.
[f] Conrad Vorstius, De Deo. Voir Dörner, Ueber die Unverænderlichkeit Gottes. Jahrbücher fur deutsche Theologie, 1857, p. 478 sq.
[Vorstius n’admet pas que Dieu soit immensus, infinitus, il existe en lui un élément contingent, auquel il rattache la joie, la colère, la tristesse. L’élément moral en Dieu n’est pas lui-même immuable. Comp. The works of John Howe, 111, 216. The Living temple.]
L’arminianisme a aussi profondément modifié le dogme ecclésiastique de la Trinité. Arminius déclare, il est vrai, ne vouloir y introduire aucun changement, pas même enseigner la subordination éternelle du Fils. Toutefois, au contraire de Calvin, qui enseigne que le Fils, bien qu’engendré par le Père en tant que Fils, n’en possède pas moins l’aséité, c’est-à-dire l’existence par lui-même, Arminius déclare que Jésus-Christ, dans sa nature divine aussi bien que dans sa nature humaine, procède du Père et non pas de lui-même, il n’est pas Dieu en vertu de sa propre nature, mais, comme le Saint-Esprit, procède du Père. Les principes subordinatiens qui sont renfermés en germe dans ces affirmations, reçurent des développements plus complets sous la plume de Simon Episcopius, de Philippe de Limborch et de Vorstius. Leclerc, de son côté, publia, sous le nom de Libère de Saint-Amour, des écrits sabelliens et plus tard ariens.
C’est surtout dans sa tractation du dogme de la rédemption que l’arminianisme a jeté un certain éclat[g]. Arminius nie que la peine attirée par le péché sur la tête de l’homme coupable soit infinie. Le péché n’offense pas Dieu lui-même, et n’est qu’une violation partielle de ses commandements, qu’Arminius, comme nous l’avons vu, ne rattache pas directement à l’essence divine.
[g] Hugo Grotius, Defensio fidei Christianæ de satisfactione Christi contre les sociniens. De même Arminius, De sacerdotio. Episcopius, Institutiones, IV, 3, 11. Limborch, Theologia christiana, III, 18-23, p. 250-269. Curcellaeus, Religionis christianse institutio, IV, 19, 15.
Tout en affirmant la miséricorde infinie de Dieu, il laisse néanmoins subsister son inaltérable justice, et la sainte colère, que le mal lui inspire. La négation de l’infinité de la faute rend seulement plus facile la manifestation de la grâce, qui l’emporte et qui réalise ses desseins de pardon par l’œuvre expiatoire de Christ. Arminius n’avait pas su expliquer comment l’inflexible justice de Dieu peut se concilier avec la culpabilité relative de l’homme ; Episcopius résout la difficulté en invoquant la toute-puissance de Dieu, libre de pardonner ou de punir, comme il l’entend, sans qu’aucune puissance dans le ciel ou sur la terre puisse lui en demander compte. Son honneur repose sur sa seule puissance. Il est impossible de tirer de l’étude de son essence une nécessité logique du châtiment ou du pardon. Mais comme il existe en Dieu une double tendance à la miséricorde et à la justice, et comme il a accompagné d’une sanction chacun de ses commandements formels, il ne peut, sans compromettre sa véracité, laisser leur violation impunie. Aussi a-t-il voulu établir la balance égale entre les deux tendances de sa nature par un compromis équitable, par un sacrifice propitiatoire, qui n’était en aucune façon nécessaire, mais qu’il a bien voulu considérer comme la rançon payée à sa justice par sa miséricorde. Le sacrifice de Christ montre que Dieu ne pardonne à l’homme ses péchés qu’en vue de son repentir et de ses progrès futurs.
Hugo Grotius, plus décidément individualiste dans ses tendances, oppose à cette théorie des objections nombreuses. Selon lui l’honneur de Dieu n’est nullement engagé dans l’œuvre de la rédemption. S’il était vrai que l’on dût considérer le péché comme y portant atteinte, on mettrait Dieu le créateur, partie offensée et adverse, sur le même pied que la créature. La partie offensée n’a pas le droit de se venger elle-même, et ce droit appartient au pouvoir supérieur impartial, parce que son intérêt n’est pas en question. On ne peut pas plus faire procéder en Dieu le droit de punir de sa toute-puissance, car ce droit existe non pas en vertu des pouvoirs de celui qui punit, mais dans l’intérêt de la société tout entière. Grotius sépare de l’essence divine la justice absolue, qu’il envisage comme une entité indépendante, et ne peut plus, dès lors, asseoir le droit de punir que sur des bases empiriques et pratiques. La punition se propose, selon lui, le bien général et le maintien de l’ordre public. Souverain chef de l’univers, Dieu ne saurait ni laisser passer le mal impuni, ni pardonner au hasard et sans règle. D’un autre côté l’accomplissement de la punition tout entière entraînerait pour l’humanité une ruine sans issue. Comment résoudre ce redoutable problème ? Grotius propose son explication. Il existe, dit-il, dans toute loi humaine un adoucissement de peine, qui ne porte aucune atteinte à la sanction, qu’elle se propose. Il n’assigne à la loi imposée à nos premiers parents qu’un caractère relatif, et par conséquent accidentel, ce qui lui permet d’établir la possibilité d’un adoucissement, et même d’une suspension complète de la punition, salaire de la désobéissance. La loi n’a rien d’absolu, et n’est pas adéquate à la volonté même de Dieu, qu’elle se borne à manifester au monde dans une certaine mesure, la modification de la loi n’est donc pas répercutée dans l’essence divine. En vertu de sa toute-puissance qui lui permet de modifier la loi, qu’il a lui-même donnée, Dieu peut aussi bien laisser le mal impuni, qu’il est en droit de lui infliger les châtiments les plus redoutables. Il se règle d’après le plus grand bien de l’humanité.
Cette explication ne fait que déplacer la difficulté sans la résoudre, car on est en droit d’affirmer que l’intérêt public exige la sanction sévère de la loi, dont elle est la sauvegarde, et qui ne saurait être que sérieusement compromise, si elle pouvait être enfreinte impunément, tout en en réclamant l’adoucissement dans la pratique, pour ne pas entraîner tous les hommes, également coupables, dans une ruine commune. Christ, répond Grotius, permet à la sagesse éternelle de concilier par son moyen sa justice et sa miséricorde. Il n’a pas, sans doute, acquis par sa mort le salut au monde, car la punition du péché n’était pas nécessaire à la grandeur de Dieu ; il n’a pas davantage contraint le Père à pardonner au monde. Non, mais d’après le plan de Dieu, qui ne pouvait remettre au monde la peine de son péché sans un exemple mémorable, Christ est devenu un exemple frappant, sans cesse offert à nos regards et à nos méditations, du caractère repoussant du mal. Il unit en sa personne le pardon de l’amour et les châtiments de ]a justice céleste, et assure le bonheur de l’humanité, sans porter atteinte à l’autorité de la loi.
La loi, sans doute, ne reçoit pas toute la sanction vengeresse, dont elle avait menacé l’homme en cas de chute, c’est-à-dire la punition complète du pécheur, mais elle n’en est pas moins respectée. Sans doute aussi le châtiment atteint l’innocente victime, en épargnant le coupable impuni, et Socin demande avec raison l’union intime et indissoluble des coupables et de la victime. En fait cette union s’accomplit grâce à la relation de parenté, que l’incarnation établit entre le Christ et les hommes pécheurs devenus ses frères, grâce surtout à la parenté spirituelle, si intime et si profonde, à laquelle ils sont prédestinés dans le ciel par la Providence. Christ a été appelé par Dieu à devenir la tête du corps, dont nous sommes les membres. L’imputation des fautes des hommes à Christ, et de l’expiation de Christ aux hommes repose sur le double fait, qu’il est le second Adam, et que les hommes sont unis à lui par les liens mystiques de l’amour ; tel un peuple est uni à son souverain. Cette théorie qui, chez les théologiens postérieurs, perdit de plus en plus le caractère légal, que le génie de Grotius lui avait imprimé, et qui substitua à l’idée d’une loi éternelle la conception d’une alliance réciproque, principe intermédiaire entre le simple droit et l’arbitraire absolu, était dirigée contre les erreurs du socinianisme. En fait elle aboutit plutôt insensiblement à lui, puisqu’elle ne se borne pas, comme lui, à envisager surtout en Dieu l’attribut du libre arbitre, mais qu’elle assigne encore une large place au libre arbitre de l’homme, refuse de considérer le péché originel comme entraînant la culpabilité individuelle, et transforme la nouvelle naissance et le don du Saint-Esprit en une loi de progrès et de coopération.
Les arminiens se virent condamnés sans réserve après cent cinquante-quatre séances, dont la première eut lieu le 13 novembre 1618, et la dernière le 9 mai 1619, par le synode général de Dordrecht, qui afficha la prétention d’être un concile œcuménique de la Réforme, mais dans lequel ne furent admis qu’un petit nombre de remontrants avec simple voie consultative. Les pays qui envoyèrent des représentants au synode hollandais, furent l’Angleterre, la France, Genève, la Suisse allemande, la Hesse, Nassau, le Palatinat, l’Ostfrise et Brême. Les théologiens de Dordrecht, plus réservés que Calvin et Théodore de Bèze, formulent dies théories infralapsaires. Adam, disent-ils, fut créé par Dieu pur et irrépréhensible. Rendu désobéissant par les conseils perfides de Satan, et les égarements de sa propre volonté, il s’est dépouillé volontairement des dons précieux qu’il avait reçus du ciel. Tous les hommes ont péché en Adam, et sont devenus les objets de la redoutable colère de Dieu, qui ne tient pas le coupable pour innocent. Dieu ne cesserait pas d’être juste, quand bien même il laisserait s’accomplir dans son entier la sentence de sa justice, mais il n’a obéi qu’aux inspirations miséricordieuses de son cœur paternel. Par un décret de sa pure grâce, il a déterminé dans sa sagesse éternelle de sauver quelques élus par le ministère de Christ, chef des fidèles, auxquels il communique par la vertu toute-puissante du Saint-Esprit la justification, la sanctification, et la persévérance finale. Quant à la masse de l’humanité coupable, il l’abandonne aux conséquences fatales de son endurcissement et de son incrédulité. Ce n’est pas pourtant Dieu, mais leur propre indignité, qui entraîne leur chute finale. L’efficace de la mort de Jésus-Christ est infinie, et aurait pu suffire au salut de tout le genre humain, mais le Sauveur n’est pas mort pour tous, et s’est réservé de n’appliquer qu’au plus petit nombre les bienfaits de son sacrifice.
Des médailles consacrèrent le triomphe du calvinisme sur les arminiens, qui se virent chassés de tout le territoire de la Hollande, et trouvèrent un asile à Anvers et dans le Holstein. Maurice leur accorda en 1636 le droit de professer librement leur culte en Hollande, et nous les verrons exercer une influence insensible mais profonde sur le mouvement théologique de la Hollande et de la France.
Le mouvement commencé par Arminius fut continué par les sociniens, qui datent, il est vrai, des premiers jours de la Réforme, mais qui n’ont exercé une influence sérieuse qu’à partir du dix-septième siècle. C’est grâce aux arminiens que le socinianisme, persécuté pendant plus d’un siècle en Allemagne, obtint droit de cité en Hollande et en Angleterre.
[Les théologiens hollandais Vorstius et Curcellæus offrent déjà de grandes affinités avec le socinianisme. Il fut introduit en Angleterre par Thomas Chubb, Thomas Emlyn, John Biddell et Arthur Bury, The Naked Gospel. Voir Patrick Fairbairu dans l’appendice de sa traduction de ma Lehre von der Person Christi.]
Le socinianisme a pris naissance dans les premiers mouvements réformateurs de l’Italie, où l’élément intellectuel et esthétique l’emporta de beaucoup sur les questions purement religieuses et morales. L’humanisme italien, idolâtre de la beauté des lignes et de la pureté du style, crut pouvoir réaliser l’idéal païen de son imagination par l’imitation de l’antiquité, et le déploiement harmonieux de ses propres forces. Admirateur passionné de la beauté plastique, adorateur de la nature, le génie italien ne pouvait envisager qu’avec une répugnance profonde les dogmes évangéliques de la corruption universelle et de la rédemption, dont les formules scolastiques et à moitié barbares choquaient le tact délicat de ses goûts littéraires, et provoquaient les résistances de sa raison. Son intelligence qui visait, avant toutes choses, à la netteté et à la précision, avait horreur du mystère et du surnaturel. Les penseurs italiens, qui partageaient leurs études entre Aristote et Platon, professaient une théodicée inconciliable avec la christologie biblique. Nous ne trouvons en Italie que bien peu d’hommes animés de l’esprit d’Aonio Paleario[h], Paul Vergérius et Contarini. Il est avéré que le dogme ecclésiastique de la Trinité est une sorte d’union des tendances sabelliennes et ariennes, dégagées de leur alliage juif et païen. Aussi la réaction contre la doctrine officielle provoqua-t-elle de la part de penseurs, comme Campanella et Giordano Bruno, une profession nouvelle de sabellianisme, et de la part d’hommes comme Bernard Ochin et Valentin Gentilis des opinions subordinatiennes accentuées. Ces deux courants, si opposés à l’origine, se confondirent dans une forme supérieure de l’ébionisme, dont le socinianisme fut le couronnement. Persécuté à outrance en Italie, il trouva en Transylvanie et dans les pays slaves un sûr asile.
[h] Paleario, Le bienfait de la mort de Jésus-Christ. Jules Bonnet, Aonio Paleario. In-12, Meyrueis. Sixt. Paul Vergérius, 1857. Sur Contarini consulter Lömmer, Die vortridentinische katholische Théologie, 1858.
Le chef spirituel du socinianisme est Lélius Socin. Son neveu, Faust Socin, mort en 1604, donna une organisation à son parti, après que Georges Vlandrata eut conservé dans le culte l’invocation du nom de Christ, malgré la résistance passionnée de François Davidis. L’école socinienne de Rachow possédait une réputation européenne. Mais l’heure de la persécution ne tarda pas à sonner pour les sociniens. Jean Casimir les chassa en 1658 de la Pologne, et les contraignit à chercher un asile en Hollande, en Angleterre, et surtout en Transylvanie, où ils se sont maintenus jusqu’à nos jours. Ils ont compté dans leurs rangs un grand nombre de théologiens remarquables, et ont trouvé des auxiliaires dévoués et savants parmi les Allemands sortis de la tradition orthodoxe. Contentons-nous de rappeler la grande bibliothèque des frères de Pologne, et de citer les noms de Valentin Schmalz, Volkel, Ostorodt, Jean Crell, mort en 1631 ; André Wissowatius, mort en 1678 ; Van Wolzogen, Schlichting, mort en 1661.
Le socinianisme, bien qu’il n’ait pas exercé avant 1700 une grande influence sur les autres communions chrétiennes, mérite, cependant, de fixer quelques instants notre attention, à la fin de cette première partie de notre étude. C’est comme un orage, dont on entend gronder dans le lointain les premières menaces : il met tout en question, attaque directement le système dogmatique tout entier, se demande si les antiques doctrines suffisent aux besoins nouveaux des esprits, si l’autorité de la tradition ecclésiastique a le droit de peser éternellement sur le libre développement de la science, si la critique sacrée dépend du dogme officiel, ou si elle ne doit pas plutôt revendiquer fièrement son indépendance, enfin si on a assez tenu compte jusqu’à présent du développement moral du christianisme ? Lui-même n’est encore qu’un mélange confus et hétérogène de surnaturel et de rationalisme outré, dominé par les préoccupations exclusivement pratiques d’une moralité strictement légale. Il attache la nécessité d’une révélation surnaturelle, non pas au besoin inné de rédemption, qui consume l’âme humaine, mais à notre ignorance de la volonté divine, dont l’accomplissement fidèle peut seul assurer notre bonheur. Cette ignorance de notre raison impuissante découle pour lui de la nature de la loi. On ne peut déterminer à l’avance la loi divine, puisque les commandements de Dieu ne possèdent aucune nécessité logique, mais dépendent du libre arbitre de Dieu, conçu par Socin comme l’arbitraire même.
Dieu peut déterminer la loi, à laquelle l’homme est appelé à obéir, mais il ne lui est possible de se communiquer à nous que par une révélation positive, qui nous fait connaître sa loi. A la doctrine évangélique, qui enseigne un acte juridique de Dieu, en vertu duquel il peut déclarer juste le fidèle croyant en Jésus-Christ, le socinianisme oppose un autre acte juridique de Dieu, en vertu duquel il déclare bien ce qui n’est pas le bien intrinsèquement et d’une manière absolue, mais seulement par un acte de sa puissance arbitraire. Cette révélation de la volonté divine nous est donnée dans le Nouveau Testament, selon Socin qui rabaisse l’ancienne alliance avec d’autant plus de force, que lui-même demeure sur le terrain strictement légal. La loi supérieure abolit et supprime toutes les lois antérieures. Le socinianisme a bien conscience de ce fait essentiel, que le but suprême, la loi d’attraction universelle du monde est la loi morale. C’est elle qui constitue la règle et le contrôle des révélations et de leur interprétation. Il n’en est pas moins vrai, qu’il n’a du principe constitutif de la morale qu’une connaissance très insuffisante, puisqu’il le rattache à la catégorie arbitraire de la puissance, et ne l’envisage qu’au point de vue inférieur de la loi et de l’obéissance légale, et non pas de la pénétration profonde et religieuse de l’âme régénérée par l’Esprit de son Dieu Sauveur. On ne doit donc point s’étonner de ne pas retrouver dans le socinianisme un enseignement positif sur l’existence réelle du mal, et de l’entendre affirmer que la volonté humaine est parfaitement capable d’accomplir tous les commandements de Dieu.
Il ne saurait donc pas être question de l’esclavage de l’homme, de sa soif de délivrance, de l’action du Saint-Esprit, et de la nouvelle naissance ! Le socinianisme cherche toutefois à assurer une place à Jésus-Christ dans sa conception si amoindrie du christianisme. Christ n’est, il est vrai, pour lui qu’un homme né d’une vierge par l’efficace du Saint-Esprit. Il ne veut entendre parler ni de la Trinité, ni des deux natures en Christ, mais il admet que le Sauveur, soit en vertu de ses dons naturels, soit à la suite d’un ravissement en esprit dans le ciel avant son ministère, a reçu une révélation directe et absolue des volontés divines, révélation, que ses discours ont eu pour but de communiquer aux hommes. Sa vie, elle aussi, si sainte et si pure, est un exemple de l’obéissance, que l’âme peut témoigner à son Dieu, malgré les mauvais exemples et les haines dont elle est entourée. Sa mort est un martyre, qui scelle la vérité de ses enseignements
En fait, ajoute Socin, l’homme n’a pas accompli la volonté divine dans la mesure de ses forces, et s’expose à la condamnation éternelle dans la mesure de sa persévérance dans l’endurcissement. Les peines éternelles, l’anéantissement final sont le juste châtiment de la rébellion des impies. Dieu peut, sans doute, leur pardonner, s’ils viennent à se repentir, sans exiger ni expiation, ni châtiment, mais cette amélioration des pécheurs est très difficile, pour ne pas dire impossible, si Dieu ne vient pas se révéler à leur intelligence. Aussi Dieu a-t-il voulu venir en aide à l’humanité par l’envoi de Jésus-Christ. C’est par son ministère, qu’il a fait connaître au monde les vues miséricordieuses de son amour à l’égard des pécheurs, qui amendent leurs voies, c’est par sa mort, et par sa résurrection qu’il a confirmé la vérité de ses promesses. Tous ceux qui persévèrent dans le bien, et qui s’efforcent d’accomplir tous les commandements de sa loi, Dieu les justifie, en tenant compte de leurs efforts, qu’il leur impute à justice, et leur communique la vie éternelle, que Christ leur avait promise, comme la conséquence naturelle ou la récompense de leur obéissance, mais non pas comme, un mérite. Christ, qui s’est montré saint et juste dans sa vie et dans sa mort, a été jugé par Dieu digne de s’asseoir à sa droite dans le ciel, de gouverner l’univers matériel et moral en son nom, et de recevoir les hommages et les prières, que les hommes lui rendent, en se conformant à la volonté divine, qu’ils adorent. Christ a rempli sur la terre les fonctions de prophète ; dans le ciel il est roi et grand prêtre tout ensemble. En un mot, Christ est un homme devenu dieu, car, s’il ne conserve qu’une nature, la nature humaine, et s’il ne possède pas la nature divine, il reçoit de Dieu lui-même les attributs de la divinité.
Dans la théorie socinienne du salut tout converge vers l’amélioration pélagienne de l’homme. Aussi Socin réduit-il les sacrements à de simples actes de la volonté humaine. Le baptême est une institution respectable et temporaire. Ceux, qui professent ouvertement leur foi, appartiennent seuls réellement au corps de l’Église[i].
[i] Otto Fock, Der Socinianismus nach seiner Stellung in der Gesammtentwickelung des christlichen Geistes, nach seinem historischen Verlauf und nach seinem Lehrbegriff. Kiel, 1847.