Combien que par le commencement de cette harangue on puisse conjecturer à quel but tendait saint Paul ; nonobstant pour ce qu’on lui a rompu propos, on ne saurait pas bien affirmer ce qu’il avait à dire. C’est bien ci la somme de cette partie qui est racontée, que comme ainsi soit qu’il eût été bien et fidèlement instruit en la doctrine de la Loi, qu’il a aussi servi Dieu saintement et religieusement devant le monde. En après, qu’il a été ennemi de l’Evangile de Jésus-Christ, en sorte que les Sacrificateurs l’ont estimé des plus fervents défenseurs de la Loi. Pour le troisième, qu’il ne s’est point jeté à la volée dans une nouvelle secte ; mais qu’ayant été dompté par oracle céleste, et vaincu, il s’est rangé au service et obéissance du Seigneur Jésus. Quatrièmement, qu’il n’a point légèrement reçu choses inconnues ; mais qu’un fidèle précepteur lui a été divinement ordonné, duquel il apprît diligemment toutes choses requises. Finalement, qu’étant retourné en Jérusalem, combien qu’il désirât de profiter aux gens de sa nation, toutefois Dieu ne lui permit pas. Par ce moyen qu’il a porté loin la doctrine de salut jusques aux nations étrangères, non point témérairement, ni par haine qu’il eût contre sa nation, mais par ordonnance expresse de Dieu.
Hommes frères et pères, écoutez ce que j’ai à vous dire maintenant pour ma défense.
C’est merveilles comment il porte encore si grand honneur à ceux qui étaient ennemis désespérés de l’Evangile. Car ils avaient rompu tout lien de conjonction fraternelle, et s’étaient dépouillés de tous titres honorables, en opprimant la gloire de Dieu. Mais pour ce que Paul parle ici comme si c’était un homme vulgaire d’entre le peuple, il parle ainsi aimablement à tout le corps, sans dissimulation, et donne des titres honorables aux chefs. Et de fait, soit déjà qu’ils fussent indignes de tout honneur quant à eux, toutefois pour autant que leur réjection n’était encore ouvertement manifestée à tous, la grâce de l’adoption divine méritait bien que Paul avec révérence la reconnut en eux. Ainsi donc quand il les appelle pères et frères, il ne regarde pas tant ce qu’ils ont mérité, qu’au degré et honneur auquel Dieu les avait élevés. Et il a tellement dressé toute sa harangue, qu’il tâche de leur satisfaire en toute douceur et humilité, toutefois librement et sans aucune flatterie. Ainsi apprenons à honorer tellement les hommes, que nous réservions à Dieu son droit entier. Par ceci nous pouvons connaître combien est détestable le grand orgueil du Pape, lequel s’étant constitué de soi-même souverain Évêque sans aucun commandement de Dieu, et sans le consentement de l’Eglise, non seulement il s’attribue tous les titres de dignité et honneur, mais aussi une tyrannie, par laquelle il met au bas le Seigneur Jésus, comme si Dieu en élevant les hommes, leur résignait son droit et s’abaissait à terre pour les mettre en son lieu.
Or quand ils entendirent qu’il s’adressait à eux en langue hébraïque, ils firent encore plus silence. Et il dit :
Il est bien vrai que ceci advient coutumièrement, que quand il y a diversité de langages mêlés ensemble, nous entendons plus volontiers parler ceux qui sont de notre langue naturelle. Mais les Juifs ont eu une autre cause particulière : à savoir qu’ils avaient conçu cette opinion de S. Paul, qu’il s’était constitué ennemi juré de sa nation, en sorte que le langage Hébraïque même lui était en haine, ou bien que c’était quelque coureur et vagabond, lequel n’avait pas mêmes appris à parler le langage de la nation de laquelle il se disait être issu. Maintenant après qu’ils l’ont entendu parler le langage du pays, ils ont espéré quelque meilleure chose. Au reste, on ne pourrait pas vraiment dire si S. Paul a parlé en langage Syriaque ou hébreu. Car nous savons qu’après la captivité, les Juifs ont eu un langage corrompu et bâtard, vu qu’ils avaient tiré beaucoup de choses des Chaldéens et Syriens. De moi, je pense bien qu’il a usé du langage reçu partout, puis qu’il adressait son propos tant au peuple qu’aux anciens.
Je suis un Juif, né à Tarse en Cilicie, mais élevé dans cette ville-ci, exactement instruit de la loi des pères aux pieds de Gamaliel, étant zélé pour Dieu, comme vous l’êtes tous aujourd’hui,
Comme lors il y avait une confusion en toutes choses entre les Juifs, aussi il y avait beaucoup de gens émigrés et vagabonds qui se disaient être Juifs, et nonobstant ne l’étaient pas ; et faisaient cela pour couvrir leurs méchancetés. A cette fin donc que saint Paul ôte un tel soupçon de soi, il commence par le lieu de sa nativité. De plus, il montre qu’il est connu en la ville de Jérusalem, d’autant qu’il y a été nourri dès son enfance. Nonobstant il semble que non seulement ce dernier point ait été dit pour les rendre tant plus certains, mais aussi pour ce que cela était bien nécessaire d’être connu, à savoir comment il avait été bien instruit. Entre les hommes il n’y en a point qui soient plus audacieux et hardis à faire des troubles, que ceux qui sont ignorants ; et lors, le gouvernement de l’Eglise était tellement renversé, que la religion était non seulement sujette à sectes et bandes, mais aussi misérablement déchirée. Saint Paul donc montre qui a été son précepteur ; afin qu’on ne pensât que n’ayant nullement été instruit, il eût renoncé à la religion Judaïque ; comme il en advient à plusieurs, que par faute d’instruction ils mettent en oubli leur nature, et s’abâtardissent. Mais saint Paul raconte principalement qu’il a été dûment enseigné en la Loi, afin que les Juifs entendent qu’il ne provoquât point des tumultes et bruits par ignorance. Quant a ce Gamaliel, on doute si c’est celui duquel mention a été faite ci-dessus, Actes 5.31. Au reste, les disciples sont assis aux pieds de leurs précepteurs, comme il est ici dit, d’autant que n’ayant encore ferme jugement, ils doivent apporter une telle docilité et modestie, qu’ils assujettissent tous leurs sens à leurs précepteurs, et qu’ils dépendent de la bouche de ceux-ci. Ainsi est-il dit de Marie sœur de Marthe, qu’elle était assise aux pieds de Christ, quand elle l’écoutait, lorsqu’il enseignait, Luc 10.39. Que si une telle révérence est bien due aux précepteurs terrestres, combien plus est-il convenable, que nous soyons assis bas aux pieds de Jésus-Christ, afin que nous nous rendions dociles à lui parlant du trône céleste ? Aussi cette façon de parler exhorte les enfants et adolescents de leur office ; à savoir qu’ils ne soient point rebelles, et qu’étant enflés d’une sotte confiance ils ne s’élèvent à l’encontre de leurs maîtres, mais que d’un Esprit paisible et plein de mansuétude, ils souffrent être enseignés d’eux.
Etant instruit en la perfection de la Loi des Pères, etc. Le traducteur ancien a rendu ainsi de mot à mot : Instruit selon la vérité de la Loi paternelle. Cependant le mot Grec, signifie plutôt une façon exquise ou perfection que vérité. Toutefois on demande ce que signifie cette manière exquise ou perfection, vu qu’il n’y avait qu’une seule et pareille forme de la Loi pour tous. De ma part, il me semble qu’il veut discerner l’instruction et façon d’enseigner plus pure de laquelle il avait été instruit, d’avec l’instruction commune, qui était lors fort éloignée du sens naïf de la Loi. Or combien que la Loi de Dieu fut pour lors corrompue de plusieurs additions, même entre les meilleurs docteurs ; toutefois pour ce que la religion était totalement corrompue entre plusieurs, saint Paul se glorifie à bon droit qu’il a été instruit en la Loi Judaïque bien et diligemment, ou (ce qui vaut autant) exactement, à cette fin qu’on ne pensât point qu’il eût seulement passé par-dessus, comme quelque homme vulgaire d’entre le peuple. Mais pour ce qu’il y en aura plusieurs qui seront bien instruits, qui toutefois seront pleins d’un mépris de Dieu, a la façon des Epicuriens, il atteste qu’il a été zélateur de Dieu ; comme s’il disait qu’il a eu une vraie et bonne affection de la religion conjointe avec la doctrine, en telle façon qu’il ne s’est point voulu jouer des saintes Ecritures, comme il y a des hommes profanes qui de propos et malice délibérée y mêlent tout ce qui leur vient à plaisir. Au reste, pour ce que ce zèle était inconsidéré, il se fait pour ce temps-là semblable aux autres Juifs. Toutefois on pourrait bien prendre ceci en bonne part, qu’auparavant il a servi Dieu, voire d’aussi bon cœur qu’eux faisaient pour lors.
moi qui ai persécuté cette secte à mort, liant et jetant en prison hommes et femmes ;
C’est-ci le second article, qu’il a été ennemi de la doctrine de Jésus-Christ, voire qu’il a été plus âpre que tous les autres à la persécuter, jusques à ce qu’il en a été retiré par la main de Dieu. Et en témoignage de cela, il allègue le principal Sacrificateur et les anciens. Quant à ce qu’il dit qu’il a reçu des lettres pour porter aux frères, cela se doit rapporter aux Juifs ; comme s’il eût dit : aux gens de ma nation ; mais il les voulait adoucir par un titre plus honorable. Car saint Paul tend à cela, qu’il veut montrer que sa vraie et légitime origine est de cette nation-là ; et puis, qu’il l’aime affectueusement.
comme aussi le souverain sacrificateur m’en est témoin, et tout le corps des anciens. Ayant même reçu d’eux des lettres pour les frères, j’allai à Damas, pour amener liés à Jérusalem ceux aussi qui étaient là, afin qu’ils fussent punis.
Or il arriva, comme j’étais en chemin et que j’approchais de Damas, que vers midi, tout à coup, une grande lumière venant du ciel resplendit autour de moi.
Pour ce que cette histoire a été amplement déclarée ci-dessus au chap. 9, je ne ferai seulement que toucher en bref ce que j’ai là expliqué. Or ceci est particulier à ce présent passage, et y a diversité en ceci, que saint Paul raconte ses circonstances, par lesquelles il veut prouver qu’il a été Divinement converti. Et ceci est le troisième membre de sa harangue. Autrement le changement de sa religion n’eût point été sans quelque note infâme d’inconstance ou témérité. Car il n’y a rien moins supportable que de laisser le cours qu’on aura commencé en la religion ; et de n’accomplir pas la charge qu’on aura reçue de ses supérieurs. A telle fin donc que la conversion de Paul ne soit suspecte à aucun, il veut montrer par plusieurs miracles qu’il met en avant, que Dieu en a été auteur. Souvent on verra de nuit des éclairs et lueurs resplendissantes qui sont engendrées des exhalations chaudes de la terre. Mais ceci a été d’autant plus extraordinaire, qu’environ midi non seulement est apparue une soudaine lumière resplendissante, mais aussi que Paul en a été environné comme d’un éclair, tellement que pour la frayeur il est tombé de son cheval en terre. L’autre miracle a été, qu’une voix a retenti du ciel. Le troisième, que ceux qui étaient en sa compagnie n’entendirent pas si bien que lui. D’autres encore suivent, qu’après qu’il eût été envoyé à Damas, il trouve que l’événement des choses est correspondant à la voix qu’il a entendue ; car Ananias vint au-devant de lui. De même, qu’il recouvre la vue.
Je tombai par terre, et j’entendis une voix qui me disait : Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ?
Comme Paul était enflé d’un orgueil Pharisaïque, aussi fallait-il qu’il fut prosterné et rué bas, avant qu’il peut écouter la voix de Jésus-Christ. Il est bien vrai qu’il n’eût point méprisé Dieu de propos délibéré, et n’eût osé rejeter l’oracle céleste ; toutefois son cœur n’eût jamais été bien disposé à l’obéissance de la foi en son esprit, s’il fut demeuré en son état. Il est donc, abattu d’une violence impétueuse, à telle fin qu’il apprenne à s’humilier de son bon gré. Au demeurant, il y a seulement une brève objurgation dans les paroles de Christ, par laquelle l’orgueil cruel de Paul soit réprimé. Cependant de cela nous revient une consolation singulière, à savoir que Christ se vêtant de la personne de tous les fidèles, se plaint qu’il a enduré toutes les injures et violences qui leur ont été faites. Or comme on ne pourrait rien imaginer qui soit plus gracieux pour adoucir l’aigreur des persécutions, que quand nous entendons que le Fils de Dieu endure non seulement avec nous, mais aussi en nous ; aussi au contraire les ennemis de l’Evangile cruels et sanguinaires, qui d’un orgueil stupide s’élèvent et se dressent maintenant contre la pauvre Eglise, sentiront quelque fois celui qu’ils ont percé.
Et je répondis : Qui es-tu, Seigneur ? Et il me dit : Je suis Jésus le Nazaréen, que tu persécutes.
Or ceux qui étaient avec moi virent bien la lumière, mais ils n’entendirent pas la voix de celui qui me parlait.
Il semble qu’il y ait un désaccord dans les paroles de S. Luc ; mais j’ai suffisamment montré en l’autre passage du chap. 9 qu’il n’y en a point. Or S. Luc disait là que les compagnons de Paul étonnés entendirent bien la voix, mais qu’ils ne virent personne. Et ici il dit qu’ils n’ouïrent point la voix de celui qui parlait à Paul, en regardant la lumière. Il n’est pas inconvénient qu’ils aient perçu quelque voix obscure ; en sorte toutefois qu’ils ne la discernaient point comme Paul, lequel seul le Fils de Dieu voulait réprimer et dompter par son objurgation. Ils entendent donc la voix, d’autant que le son de celle-ci bat leurs oreilles, afin qu’ils sachent que quelqu’un parle du ciel ; tant il y a néanmoins qu’ils n’entendent point la voix de celui qui parle à Paul ; d’autant qu’ils ne comprennent pas ce que dit le Seigneur Jésus. Ils voient aussi une splendeur à l’entour de Paul ; mais ils ne voient personne qui se fasse entendre du ciel.
Et je dis : Que ferai-je. Seigneur ? Et le Seigneur me dit : Lève-toi, va à Damas, et là on te parlera de tout ce qu’il t’est ordonné de faire.
C’est la parole d’un homme abattu et adouci. Et c’est-ci la vraie conversion au Seigneur, quand ôtant toute cruauté, nous plions volontiers le col, et le baissons pour endurer que son joug nous soit mis, et sommes prêts de recevoir tout ce qu’il nous commandera. En après, le commencement de bien faire, c’est que nous interrogions la bouche du Seigneur. Car ceux qui se forgent repentance sans la parole de Dieu, ne font que se donner de la peine pour néant. Au reste, quant à ce que Jésus-Christ ordonne Ananias pour précepteur à Paul, ce n’est point pour lui faire honte, ou qu’il dédaigne de l’enseigner ; mais il veut orner et recommander par ce moyen le ministère extérieur de l’Eglise. Et il nous a bien voulu donner une instruction commune en la personne d’un homme ; afin que nous ne nous fâchions pas de l’entendre parler par la langue d’un homme. A ce même but tend ce qui s’ensuit incontinent après, qu’il a perdu la vue, jusques à ce que se présentant pour être disciple, il eût montré la docilité et humilité de sa foi. Il est vrai que Dieu n’aveugle pas tous ceux qu’il veut illuminer ; mais tant y a qu’il y a une règle générale pour tous, que ceux qui veulent être sages selon Dieu, deviennent fols en eux-mêmes.
Et comme je n’y voyais pas, à cause de l’éclat de cette lumière, j’arrivai à Damas, ceux qui étaient avec moi me conduisant par la main.
Or un certain Ananias, homme pieux selon la loi, à qui tous les Juifs résidant à Damas rendaient un bon témoignage,
S. Paul vient maintenant au quatrième point, à savoir que non seulement étant stupéfait par miracles il s’est rangé sous la sainte obéissance du Seigneur, Jésus, mais aussi a été bien et dûment instruit en la doctrine de l’Evangile. J’ai déjà ci-dessus montré qu’Ananias n’est pas venu au-devant de Paul par cas fortuit, mais par la conduite de Christ. Et quant à ce qu’il est orné de ce titre, qu’il avait la crainte de Dieu selon la Loi, et avait bon témoignage de toute la nation, par ces paroles il prévient la mauvaise opinion qu’ils pouvaient concevoir de lui. Comme ils avaient les Gentils en horreur, jamais ils n’eussent reçu de là aucun pour docteur ; et puis un apostat de la Loi eût été envers eux complètement détestable. Ainsi donc il rend témoignage d’Ananias, qu’il a servi à Dieu selon la Loi, et que sa piété a été connue et prisée de tous les Juifs, tellement qu’il ne doit être nullement suspect. Touchant ce mot, Selon la Loi, d’aucuns le tirent à ce qui s’ensuit puis après, et mal à propos, à savoir qu’il a eu bon témoignage selon la Loi. Car plutôt la religion d’Ananias est par cette marque discernée des superstitions des Gentils. Combien qu’il faut noter qu’il n’est pas ici fait mention de la Loi pour établir les mérites des œuvres, qu’on vienne opposer à la grâce de Dieu ; mais ceci tend seulement à purger de tout mauvais soupçon envers les Juifs la piété d’Ananias. Et quant à ce qu’il ne fait que dire le mot, et ainsi rend la vue à Paul, on voit bien par cela que Dieu l’avait envoyé, comme j’ai ci-dessus remontré.
étant venu vers moi et s’étant approché, me dit : Saul, mon frère, recouvre la vue. Et au même instant je recouvrai la vue en levant les yeux sur lui.
Et il dit : Le Dieu de nos pères t’a destiné d’avance pour connaître sa volonté, et pour voir le Juste, et pour entendre des paroles de sa bouche ;
Tout ainsi qu’il n’y a rien plus propre pour nous inciter à aller à Dieu d’un cœur joyeux, que quand nous connaissons que Dieu vient au-devant de nous par sa bonté gratuite, pour nous retirer de perdition, et nous amener au droit chemin ; aussi Ananias commence par là, disant, Le Dieu de nos Pères t’a préordonné pour connaître sa volonté. Car par ce moyen Paul est exhorté que Dieu l’a regardé lorsqu’il était vagabond, et complètement détourné de son salut. En l’appelant Le Dieu des Pères, il renouvelle la mémoire des promesses, afin que les Juifs sachent que la vocation de S. Paul est conjointe avec celles-ci ; et que ce n’est point se détourner de la Loi, quand on vient à Christ. Ainsi donc Paul a confirmé par ces paroles ce qu’il a affirmé ci-dessus en sa personne, qu’il n’a point laissé le Dieu d’Abraham, et qui déjà dès longtemps avait été adoré et servi entre les Juifs, mais qu’il demeurait en la religion ancienne des Pères, telle qu’il avait apprise de la Loi. Par quoi quand il est question de la religion, apprenons à l’exemple de S. Paul à n’imaginer point quelque Dieu nouveau (comme ont fait les Papistes et les Mahométans, et comme tous hérétiques ont coutume de faire) mais retenons ce Dieu lequel s’est révélé anciennement aux Pères tant par la Loi que par divers oracles. Voilà quelle est l’ancienneté en laquelle il nous faut demeurer, non point celle de laquelle les Papistes se vantent orgueilleusement et sans cause, lesquels se sont forgé un dieu bâtard, vu qu’ils se sont complètement éloignés des vrais Pères. On en peut autant dire aujourd’hui des Juifs ; car comme leur religion n’est point selon la Loi et les Prophètes, il faut aussi que le Dieu qu’ils ont, soit un dieu contrefait et bâtard. Car le vrai Dieu qui a voulu jadis être appelé le Dieu d’Abraham et des Pères, finalement est apparu en la personne de son Fils, en sorte que maintenant c’est son propre titre, d’être appelé Père de Jésus-Christ. Et pourtant quiconque rejette le Fils, celui-ci n’a point le Père, lequel ne peut être séparé de son Fils. Or Ananias souligne que ceci est advenu par l’élection gratuite de Dieu, que la lumière de la vérité Evangélique resplendit maintenant à Paul ; dont il s’ensuit qu’il n’a point obtenu cela par son industrie ; ce qu’aussi l’expérience de fait a bien démontré. Car il n’y avait rien plus obstiné que Paul, jusques à ce que Jésus-Christ l’a dompté. Et si on demande la cause et origine, Ananias nous renvoie au conseil de Dieu, auquel il a été ordonné. Et de fait, connaître la volonté de Dieu, est une chose si haute et excellente, que les hommes n’y peuvent parvenir par leur propre industrie. Or ce qu’Ananias affirme de Paul, doit être transféré à tous ; que le trésor de la foi n’est point indifféremment déployé à tous ; mais il n’y a que les élus, auxquels il s’est offert spécialement. Au reste, on peut plus clairement connaître par ce qui s’ensuit puis après, quelle est cette volonté de Dieu. Car Dieu a parlé par ses Prophètes à diverses fois et en beaucoup de sortes ; et dernièrement il a entièrement manifesté sa bonne volonté, voire soi-même tout entier en son Fils, Hébreux 1.4.
Et voir le Juste. Vu que quasi tous les livres Grecs consentent en ceci, que ce mot de Juste est mis au genre masculin, je m’étonne comment Erasme a mieux aimé dire au genre neutre : Ce qui est juste. Et les lecteurs voient que ce sens est froid et contraint. Ainsi donc je ne doute point que ce mot de Juste ne soit ici pris pour Jésus-Christ. Et en cette sorte le fil du texte coule joliment ; car il s’ensuit incontinent après : Entendre la voix de sa bouche. Or il est bien certain que le plus grand désir que tous les saints ont eu, c’est qu’il leur fut loisible de jouir de la présence de Jésus-Christ. De là est venue cette confession de Siméon : Tu laisses maintenant, ô Seigneur, ton serviteur en paix, pour autant que mes yeux ont vu ton salutaire, Luc 2.29. Cette vision donc (du désir de laquelle ont été embrasés les bons Rois et Prophètes, comme le Fils de Dieu en rend témoignage lui-même) n’est point sans bonne raison ainsi haut élevée, comme un singulier et excellent bénéfice de Dieu. Au reste, pour ce que la vue des yeux n’apporterait aucun profit, ou bien peu (comme nous savons qu’elle n’a servi qu’à condamnation à plusieurs) il ajoute l’ouïe de la voix. Après cela Ananias montre la fin pour laquelle Dieu a voulu faire un si grand honneur à Paul, à savoir afin qu’il fut témoin publique à son Fils. Et il le prépare ainsi, à telle fin que non seulement il apprenne pour soi en particulier, mais qu’il profite de tant plus grande affection, pour ce qu’il est ordonné pour être docteur à toute l’Eglise.
car tu lui seras témoin, devant tous les hommes, des choses que tu as vues et entendues.
Et maintenant que tardes-tu ? Lève-toi, et fais-toi baptiser et laver de tes péchés, en invoquant son nom.
Il n’y a nulle doute qu’Ananias n’ait fidèlement instruit Paul dans les rudiments de la vraie religion. Car s’il n’eût entendu la substance de la foi, il ne l’eût pas baptisé. Mais saint Luc laissant passer plusieurs choses, ne fait que toucher la somme en bref. Puis donc que Paul entend que la rédemption promise est maintenant offerte et manifestée en Jésus-Christ, Ananias dit à bon droit qu’il ne doit plus retarder à recevoir le baptême. Au surplus, quand il dit, Que tardes-tu ? il ne tance point Paul, Et ne l’accuse pas de traîner, ; mais il amplifie mieux la grâce de Dieu par l’addition du baptême. Nous avons vu une semblable sentence Actes 10.47. Y a-t-il quelqu’un qui puisse empêcher que ceux qui ont reçu le Saint Esprit comme nous, soient semblablement baptisé ? Et quand il ajoute, Lave tes péchés, par cette forme de parler il exprime la vertu et l’efficace du baptême ; comme s’il eût dit : Lave tes péchés par le baptême. Mais pour ce qu’il semble qu’en cette façon il est plus attribué a l’élément extérieur et corruptible qu’il n’est raisonnable, on pourrait demander si le baptême est cause de notre purgation. Certes vu que nos offenses ne peuvent être lavées que par le sang de Jésus-Christ ; et comme il a été une fois répandu a cette fin, aussi par l’effusion de celui-ci le Saint Esprit nous lave tous les jours par foi ; cet honneur ne peut être transféré au signe de l’eau, sans faire grand outrage au Seigneur Jésus et au Saint Esprit. Et aussi l’expérience montre assez, comment les hommes sont enclins à cette superstition. Pour cette cause il y a plusieurs bons personnages, lesquels afin de n’attacher point la foi au signe extérieur, amoindrissent par trop la vertu du baptême. Mais il faut tenir moyen, en sorte que les Sacrements soient mis en leur rang, afin que la gloire de Jésus-Christ ne soit obscurcie par eux, et toutefois qu’ils ne soient point sans leur efficace et utilité. Par quoi il faut entendre en premier lieu, qu’il n’y a que Dieu seul qui nous lave de nos péchés par le sang de son Fils ; mais afin que cette purification ait son efficace en nous, il travaille par la vertu secrète de son Esprit. Ainsi donc quand il est question de la rémission des péchés, il ne faut point chercher une autre auteur de celle-ci que le Père céleste ; aussi il n’est point question de forger une autre cause matérielle que le sang du Fils de Dieu. Mais quand on vient à parler de la cause formelle, il est vrai que le Saint Esprit tient le premier lieu ; tant il y a toutefois qu’avec cela il y a l’instrument inférieur, à savoir la prédication de l’Evangile et le baptême. Au reste, combien que Dieu seul travaille par la vertu intérieure de son Esprit, toutefois cela n’empêche point que selon son bon plaisir il n’y applique les instruments et moyens qu’il connaît être convenables. Non pas qu’il diminue quelque chose ou de son Esprit, ou du sang de Jésus-Christ pour l’enfermer en l’élément ; mais pour ce qu’il veut que le signe soit une aide à notre infirmité. En tant donc que le baptême aide notre foi, à ce qu’elle reçoive la rémission dos péchés par le seul sang de Jésus-Christ, il est appelé le purification de l’âme. Ainsi la purification de laquelle saint Luc fait mention, ne dénote point la cause, mais il se rapporte au sentiment qu’en a eu Paul, lequel après avoir reçu le signe, a mieux connu que ses péchés étaient effacés. Combien qu’il faut en même temps observer qu’au baptême ne nous est pas proposée une figure abstraite, mais que en même temps avec le signe il y a la vérité ; car Dieu ne promet rien faussement ; mais il accomplit vraiment ce qu’il signifie sous les figures. néanmoins il se faut d’autre part aussi donner garde, que la grâce de Dieu ne soit attachée aux Sacrements. Car l’administration extérieure du baptême ne profite de rien, sinon quand il plaît à Dieu qu’elle profite. On peut aussi par ceci résoudre une autre question qu’on pourrait faire. Car comme ainsi soit que Paul eût témoignage de la grâce de Dieu, ses péchés lui étaient déjà pardonnés. Ce n’a donc point été par le Baptême que finalement il a été lavé, mais il a reçu une confirmation nouvelle de la grâce qu’il avait obtenue.
En invoquant le nom du Seigneur. Il ne faut point douter que par le mot du Seigneur, il n’entende Jésus-Christ ; non pas qu’il n’y ait autre nom que de Christ invoqué au Baptême ; mais pour ce que le Père nous commande d’aller chercher en lui tout ce que le baptême nous figure. Et l’opération du Saint Esprit ne tend point à autre but, qu’à ce qu’elle nous fasse participant de sa mort et résurrection. Jésus-Christ donc est constitué pour être éminent au baptême ; mais c’est en tant qu’il nous est donné du Père, et en tant qu’il répand sur nous ses grâces par son Esprit. Par ce moyen l’invocation du nom de Jésus-Christ contient en soi le Père et le Fils. Par quoi Ananias n’entend point que le nom de Christ soit seulement proféré de voix, mais il dénote une prière par laquelle les fidèles attestent que l’efficace du signe extérieur est seulement en Jésus-Christ. Car les Sacrements n’ont point aucune vertu de salut enclose en eux, et ne valent rien d’eux-mêmes. Par quoi ce membre est comme une correction de ce qui a été dit ci-dessus ; car Ananias retirant Paul de la confiance de l’élément extérieur, le renvoie manifestement à Jésus-Christ. Il est tout notoire combien les Papistes sont loin de cette règle, lesquels attachent la cause de la grâce à leurs conjurations ; et tant s’en faut qu’ils tâchent d’adresser le pauvre peuple au Seigneur Jésus, que plutôt ils ensevelissent Jésus-Christ par le baptême, et souillent son saint nom par leurs conjurations.
Or il m’arriva, étant retourné à Jérusalem, comme je priais dans le temple, de me trouver en extase ;
Le propos de Paul n’eût point encore été achevé par cela, sinon qu’il eût été rompu par bruits et cris enragés. Toutefois on peut connaître facilement son intention par le texte précédent. Car il commence à traiter de son office et ministère, pour montrer qu’il ne s’est séparé d’avec les Juifs de son bon gré, comme s’il eût voulu soutraire d’eux son labeur par dédain ou malveillance, mais qu’il a été tiré aux Gentils par expresse ordonnance de Dieu, contre son espérance, et ce qu’il avait délibéré de faire. Car il était venu de propos délibéré en la ville de Jérusalem, afin qu’il communiquât aux gens de sa nation la grâce qui lui était commise. Mais le Seigneur lui rompant et ôtant l’espoir du profit qu’il pensait faire, le chasse de là. Or il y avait double scandale, auquel S. Paul a bien voulu obvier. Car ils pensaient que l’alliance de Dieu serait profanée, si on admettait indifféremment les Gentils avec eux en l’Eglise ; et il n’y avait rien qui fît plus grand mal à cette nation superbe et orgueilleuse, que d’en voir d’autres qui leur fussent préférés, ou bien même mis en degré égal. En ceci donc réside la défense de saint Paul, qu’il a été prêt de s’adonner à eux, en tant qu’il dépendait de lui ; mais il a été puis après contraint par le commandement de Dieu d’aller vers les Gentils, pour que Dieu ne voulait pas qu’il demeurât là inutile. Quant à ce qui est ici dit, Je fus ravi hors de moi, selon Erasme il y a de mot à mot au texte Grec : Je fus en extase. Par cela il a bien voulu donner à entendre la certitude de l’oracle. Cela aussi est confirmé par la circonstance du temps et du lieu, que le Seigneur lui apparut ainsi qu’il faisait oraison au temple ; qui a été une bonne préparation pour ouïr la voix de Dieu. Du moyen et façon de la vision, on peut voir ce que j’en ai touché vers la fin du chapitre 7.
et je le vis, qui me disait : Hâte-toi, et sors promptement de Jérusalem ; car ils ne recevront point ton témoignage sur moi.
Combien que là simple volonté de Dieu nous doit abondamment suffire pour rendre obéissance, toutefois à telle fin que Paul fut plus prompt à suivre, Jésus-Christ lui assigne la raison pourquoi il veut qu’il sorte de Jérusalem ; à savoir pour ce qu’il n’y ferait aucun profit. Or est-il ainsi qu’il n’avait été élu à cette fin qu’il fut inutile, ou qu’en enseignant il n’avançât rien. Combien que ce lui a été une tentation fort violente, et de laquelle il est facile à croire que le cœur de ce saint homme a été rudement navré. Peu de temps auparavant la charge lui avait été donnée de publier l’Evangile, à ce que sa voix retentît par tout le monde ; maintenant à grand peine y a-t-il mis le premier pas, et voici défense lui est faite ; et même il semble que son labeur soit condamné avec une ignominie spéciale, quand son témoignage est rejeté en haine de sa personne. Mais il a fallu que ce saint serviteur du Seigneur ait été ainsi humilié ; afin que par son exemple tous les Docteurs et Ministres de l’Evangile apprissent de s’adonner complètement au service et obéissance de Jésus-Christ, à ce qu’aussitôt qu’ils seront chassés hors d’un lieu, ils soient incontinent prêts d’aller ailleurs ; et qu’ils ne perdent point courage, ou se désistent de faire leur devoir à cause de l’ingratitude et du vilain dédain qu’ils trouveront, en plusieurs.
Et je dis : Seigneur, ils savent eux-mêmes que je faisais emprisonner et battre de verges dans les synagogues ceux qui croient en toi ;
Par ce mot Paul atteste qu’il n’avait point perdu l’entendement, et n’était point un homme transporté de perplexité, qu’il ne vît bien vraiment que c’était une révélation de Dieu. Car il est certain qu’il a reconnu le Fils de Dieu, lequel il appelle Seigneur. Or Paul réplique qu’à grand peine se pourra-t-il faire qu’ils ne soient grandement émus d’un tel spectacle, quand ils le verront si tôt changé ; et de cela il recueille qu’il ne sera point inutile. Voilà ce qu’il pensait ; mais Jésus-Christ lui répond court, qu’il lui a ordonné une autre charge ; et lui ôte cette espérance qu’il avait en vain conçue des Juifs. On demande sur ceci, à savoir s’il a été licite à Paul d’objecter ces raisons au Seigneur Jésus. Car c’est autant comme s’il débattait, que ce que le Fils de Dieu avait dit ni devoir advenir, était toutefois probable. Je réponds à cela, que Dieu permet bien à ses fidèles de décharger familièrement leurs affections en son sein ; et principalement quand ils ne demandent sinon que leur foi soit confirmée. Si quelqu’un était sage en soi-même, ou qu’il refusât par rébellion de faire ce que Dieu lui ordonne, il sera à bon droit condamné comme arrogant et orgueilleux. Mais Dieu donne un privilège particulier à ses fidèles, qu’ils proposent avec modestie et humilité ce qui les pourrait retirer ou retarder de l’affection d’obéir ; afin qu’étant mieux à délivre, ils se remettent du tout à Dieu. Comme nous voyons que quand Paul entend que le bon plaisir du Seigneur est tel, il ne réplique plus, et n’entre plus en contestation ; mais se contentant de cette seule objection, et se déportant de celle-ci, il se prépare soudain à faire le voyage, lequel il semblait fuir auparavant. Cependant, en ce que les Juifs ne sont point émus de tant de miracles, se montre leur obstination indomptable. Lequel reproche leur étant fait, pour certain les a mis en rage.
et que lorsque le sang d’Etienne, ton martyr, était répandu, j’étais aussi présent et approuvant, et gardant les vêtements de ceux qui le tuaient.
Et il me dit : Va, car je t’enverrai au loin vers les païens.
Or ils l’écoutèrent jusqu’à cette parole, et ils élevèrent leurs voix, disant : Ote de la terre un tel homme ; car il ne devrait pas vivre.
Saint Luc explique ici avec quel bruit et tempête le propos de Paul a été rompu. Car non seulement ils élèvent contre lui des cris furieux, mais aussi ils demandent qu’il soit mis à mort. En quoi on peut aussi connaître, combien l’orgueil est frénétique. Les Juifs se plaisaient si fort, que non seulement ils méprisaient tous les hommes du monde en comparaison d’eux, mais combattaient plus âprement pour leur dignité que pour la Loi même ; comme si toute la religion consistait en ce point, que la lignée d’Abraham fut excellente par-dessus tous les autres hommes du monde. Ainsi maintenant ils sont transportés d’une furie contre saint Paul, pour ce qu’il avait dit qu’il avait été envoyé apôtre aux Gentils. Comme si Dieu en usant de libéralité s’obligeait à souffrir le mépris de sa majesté en des méchants et ingrats, lesquels il avait ornés de grâces excellentes par-dessus tous autres. Et il ne faut pas s’étonner si pour lors il y a eu une telle bravade et insolence des Juifs, vu que combien qu’ils soient aujourd’hui du tout accablés et accoutumés à outrages extrêmes, néanmoins ils ne laissent d’être enflés d’un orgueil servile. Mais voilà quels sont les fruits de leur réprobation, jusques à ce que selon la prophétie de S. Paul, Dieu recueille leur résidu, Romains 11.5.
Et comme ils criaient, et qu’ils jetaient leurs vêtements, et lançaient de la poussière en l’air,
Le Capitaine fait bien et prudemment en ceci, qu’il fait retirer saint Paul de la présence du peuple ; vu que sa présence irritait de plus en plus les cœurs des Juifs, qui n’étaient déjà que trop émus. Car par ce moyen il pourvoit à la vie de ce bon et saint personnage, et apaise en partie la rage forcenée de ce peuple. Mais quand il commande qu’il soit battu de fouets, alors qu’il n’avait entendu de lui aucun forfait, il semble qu’il use de grande iniquité et injustice ; et toutefois cette iniquité n’a point été sans couleur, d’autant qu’il était vraisemblable que tout le peuple n’avait point ainsi conspiré à la mort d’un seul homme sans bonne cause. Cette présomption donc véhémente donnait ouverture à un si rigoureux examen. Mais il faut noter que c’est la coutume des gens politiques, de se montrer juges équitables, tant qu’il leur est expédient et profitable ; mais si leur profit les appelle ailleurs, de se détourner ça et là. Cependant ce leur est assez de farder cette perversité de quelque beau titre de prudence ; d’autant qu’ils tiennent ce principe général, que le monde ne peut être gouverné sans quelque honnête apparence de justice. Mais dans les cas particuliers, la finesse que j’ai dite l’emporte, qu’ils regardent plutôt à ce qui est utile, qu’à ce qui est droit et équitable.
le tribun ordonna qu’il fût conduit dans la forteresse, et dit qu’on lui donnât la question par le fouet, afin de savoir pour quel sujet ils criaient ainsi contre lui.
Mais comme ils le présentaient aux lanières, Paul dit au centenier qui était présent : Vous est-il permis de fouetter un citoyen romain, et qui n’a pas été condamné ?
En premier lieu il allègue son droit de bourgeoisie ; puis après il se défend par le droit commun. Or combien qu’au second point il y eût plus d’importance (à savoir qu’il n’était point licite de fouetter un homme sans connaissance de cause) ce nonobstant cela n’eût de rien profité, si le Centenier n’eut été beaucoup plus ému de l’honneur de l’Empire Romain. Car il n’y avait rien pour lors qui fut plus criminel, que d’avoir violé la liberté du peuple Romain. La Loi Valérienne, et après elle la Loi Porcienne, aussi la Loi Sempronienne, et autres semblables, défendaient que nul ne fut si osé de faire punition de corps d’un bourgeois de Rome, sans expresse ordonnance du peuple. C’était un privilège tant sacré et inviolable, que non seulement ils estimaient être un crime capital, mais aussi tel qu’il ne pouvait être purgé pour rien que ce fut, quand on avait battu un bourgeois de Rome. Ainsi saint Paul a échappé plutôt par privilège que par l’équité commune ; mais il n’a point fait de difficulté en cette sienne bonne cause, de repousser par ce bouclier de bourgeoisie, l’ouvrage qui lui était préparé. Au reste, il faut savoir qu’il s’est tellement maintenu bourgeois de Rome, qu’il en a fait foi au Capitaine car autrement on ne l’eût pas cru pou l’avoir dit, sinon qu’il eût eu une preuve. Et aussi il ne lui a pas été difficile d’amener témoins, vu qu’il était homme assez connu. Or nous avons Actes 16.37, rendu la raison pour laquelle il a enduré sans dire mot d’être battu de verges à Philippes, ce que maintenant il prévient en avertissant ; à savoir d’autant qu’il ne fut point entendu au milieu du trouble du peuple. Maintenant pour ce qu’il a affaire avec des soldats Romains, qui se portaient plus gravement et en plus grande modération, il use de cette occasion.
Le centenier ayant entendu cela, alla vers le tribun, et lui fit rapport disant : Que vas-tu faire ? car cet homme est Romain.
On se pourrait bien étonner comment celui qui présidait là pour faire ’examen, a été si prompt à croire, qu’il affirme la chose comme en étant bien certain et assuré. Car s’il eût fallu ajouter foi à ce que Paul disait, un chacun malfaiteur pouvait éviter la peine par une telle ruse. Mais il faut entendre comment on y procédait, à savoir que celui qui se maintenait bourgeois de Rome, était puni, sinon qu’il indiquât quelqu’un qui répondît pour lui comme le connaissant, ou bien qu’il prouvât sa bourgeoisie par preuves légitimes. Car c’était un crime mortel, de se couvrir faussement du droit de bourgeoisie. Par quoi le Centenier en fait le rapport au Capitaine comme d’une chose douteuse ; et le Capitaine tout soudain vient pour connaître s’il en est ainsi. Or combien que saint Luc n’exprime pas par quels témoignages Paul a prouvé qu’il était bourgeois de Rome, toutefois il ne faut point douter que le Capitaine n’ait bien connu la vérité, avant qu’il le lâchât.
Et le tribun vint vers lui et lui dit : Dis-moi, es-tu Romain ? Et il répondit : Oui.
Et le tribun reprit : Moi, c’est pour une grande somme d’argent que j’ai acquis ce droit de cité. Et Paul dit : Mais moi, je l’ai de naissance.
Le Capitaine réplique ceci pour réfuter ; comme s’il disait que le droit de bourgeoisie n’est point si commun, ni si facile à obtenir. Comment se peut faire cela, dit-il, que toi qui es homme de basse condition, du pays de Cilicie, aies acquis un tel honneur, lequel m’a coûté une grande somme d’argent ? Or quant à ce que saint Paul répond qu’il était bourgeois de Rome de nativité, et cependant il n’avait jamais vu la ville de Rome, et qui plus est, possible que son père n’en était jamais approché, il ne faut point que nous soyons troublés pour cela. Car ceux qui ont vu et connu les histoires Romaines, savent qu’il y en a eu d’aucuns par les provinces, qui ont été faits bourgeois, quand ayant fait quelque chose pour le bien public, ou en guerre, ou dans d’autres affaires qui étaient de grande importance, ils demandaient aux Proconsuls pour récompense le droit de bourgeoisie. Ainsi il n’y a point inconvénient de dire, que tel fut de nativité bourgeois de Rome, qui était toutefois natif de quelque province lointaine, et si jamais n’avait mis le pied en Italie. Toutefois on pourrait demander comment s’accordent ces deux choses, de dire que le Capitaine ait craint, pour ce qu’il avait lié un bourgeois de Rome, et que toutefois il ne le délia que le lendemain. Peul-être qu’il différa jusques au lendemain, afin de ne donner point à connaître qu’il craignît. Toutefois je pense que la cause de la crainte du Capitaine était, pour ce que par son commandement on avait lié Paul pour le fouetter, et cela était outrager un bourgeois de Rome en sa personne, et enfreindre la liberté commune ; mais que quant à tenir en prison un bourgeois de Rome, cela était permis.
Aussitôt donc ceux qui allaient lui donner la question se retirèrent d’auprès de lui ; et le tribun craignit aussi, sachant que Paul était Romain et qu’il l’avait fait lier.
Or le lendemain, voulant savoir positivement de quoi il était accusé par les Juifs, il le fit délier ; et il ordonna que les principaux sacrificateurs et tout le sanhédrin s’assemblassent ; et, ayant fait descendre Paul il le plaça au milieu d’eux.