La divinité de Jésus-Christ. — Opinion des Moraves. — Wesley. — A Genève, réaction contre les négations de la Compagnie. — Malan. — Gaussen. — En France, opinion d’Encontre et de la majorité des pasteurs. — Fondement biblique de la doctrine de la divinité de Jésus-Christ. — L’œuvre de Jésus-Christ. — Opinion des Moraves. La théologie du sang. — Les souffrances expiatoires de Christ. — Guers. — Malan. — Gaussen. — Merle d’Aubigné. — L’expiation par l’obéissance de Christ. — Wesley. — Les pasteurs français. — Fondement biblique de la doctrine de l’expiation.
La divinité de Jésus-Christ a été le dogme fondamental du Réveil, celui qui méritait, bien mieux que la théopneustie, le titre de « dogme des dogmes. »
Les Moraves se sont, il est vrai, beaucoup plus attachés à l’œuvre de Jésus-Christ qu’à sa personne ; ils n’ont donc pas approfondi le problème christologique. Zinzendorf accepte la doctrine luthérienne des deux natures, pour témoigner son adhésion à la foi de l’Église ; mais il déclare que la divinité essentielle de Christ ne saurait être l’objet d’une connaissance rationnelle. La pénétration de ces deux natures lui semble un mystère insondable. D’une part, il attribue à Christ la place la plus éminente ; il en fait non seulement le Créateur, mais aussi le Père céleste, de telle sorte que Dieu lui-même devient inutile ou passe au rang de grand-père : « Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, n’est pas notre père direct ; c’est là une fausse doctrine et une des erreurs qui sont répandues dans la chrétienté. Ce que l’on appelle dans le monde un grand-père, un beau-père, c’est là ce qu’est le Père de notre Seigneur Jésus-Christ. Mais notre Père direct, c’est le Sauveur. C’est lui qui nous a faitsa. » — D’autre part, Jésus possède cette divinité encore sur la terre ; il la possède sans qu’elle soit un obstacle à sa pleine humanité. Jésus est tellement homme que dans toutes les épreuves qui sont le partage de l’humanité, il a été soutenu, non par le concours de sa nature divine, mais par sa simple foi humaine. Sa divinité a persisté à toutes les époques de sa vie, naissance, souffrances, mort, résurrection ; et pourtant, il a pu penser en toute sincérité qu’il était un homme. Jésus n’a eu de lui-même qu’une connaissance limitée.
a – Ritschl, Geschichte des Pietismus, t. III, p 421.
On voit que Zinzendorf accepte très franchement les deux termes du problème, mais il n’en donne pas la solution.
En 1727, pour apaiser une discussion doctrinale et ecclésiastique, le comte faisait les déclarations suivantes :
« Jésus-Christ, le Dieu éternel et vivant, est de nature un esprit et invisible ; il est homme quant à la figure qu’il a prise ; celui qui nie le Dieu éternel et invisible, nie le Père.
Celui qui nie Jésus-Christ homme, comme Parole éternelle, qui est venue en chair, qui a habité parmi nous, et qui règne maintenant, comme homme, sur toutes choses, nie le Fils…
Que ce soit qui l’on voudra, et fût-ce un ange même qui vînt en forme humaine, avec toutes les apparences et les vertus d’un ange, — celui qui nie que Dieu a été manifesté en chair, prêché aux Gentils, qu’il doit être cru du monde, et qu’il est monté aux cieux, qu’il soit anathème…
Celui qui, après d’innombrables prières et supplications, nie publiquement Jésus ou veut le rendre douteux, tel qu’il nous est annoncé dans son abaissement comme crucifié, et dans sa gloire comme élevé aux cieux, celui-là n’est pas mon frère, mais un ennemi de la croix de Christb. »
b – Bost, Histoire de l’Église des frères de Bohème et de Moravie, 2e édit., 2 vol. Paris, 1844, t. I, p. 310.
Wesley de même croyait à la divinité de Jésus-Christ et enseignait cette doctrine. Il croyait à l’existence d’un Dieu qui est Esprit, immuable, éternel, infini en puissance, en sainteté, en amour. Il croyait que dans l’unité de la Divinité il y a trois personnes d’une même essence, puissance et gloire, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Le Fils, qui est la Parole du Père, engendré de toute éternité par le Père, prit la nature d’homme dans le sein de la Vierge, de telle sorte que deux natures parfaites, savoir la nature divine et la nature humaine, furent réunies en une seule personne d’une manière inséparable. C’était là le dogme généralement accepté par les Églises évangéliques.
[Sermons 111, 114, 55, 20, 112, t. II. Voir Hæmmerlin, Essai dogmatique sur John Wesley. Colmar, 1857, p. 19-21. Voir aussi Lelièvre, Wesley, 2e édition, p. 486.]
Mais à Genève, il n’en était pas ainsi, et ce qui donna dès l’abord à la prédication du Réveil sur la divinité de Jésus-Christ une forme catégorique et un ton parfois agressif, ce fut la réaction contre le discrédit dans lequel était tombée cette doctrine à la fin du dix-huitième siècle. Tandis que l’autorité des Écritures était acceptée par les adversaires eux-mêmes du Réveil, il n’en était pas de même du dogme de la divinité de Jésus-Christ.
Dans l’Instruction chrétienne de Jacques Vernet (pasteur depuis 1734 et professeur de théologie de 1756 à 1790) cours de dogmatique populaire, disposé pour demandes et réponses, qui est travaillé avec le plus grand soin, et qui fut pendant deux générations le manuel classique de l’enseignement religieux, il n’est fait aucune mention de la Trinité ; quant à la divinité de Christ, le mot s’y trouve, mais elle y est représentée seulement comme ce fait, que Dieu s’était uni de la façon la plus intime avec l’homme Jésus.
Dans le catéchisme que publia la Compagnie en 1788, Jésus-Christ était appelé le Fils unique de Dieu « à cause de sa naissance miraculeuse, de l’excellence de sa nature et de son union intime avec Dieu ; et c’était aussi, était-il ajouté, par ce titre que les Juifs désignaient le Messie. »
Pendant les premières années du siècle, la majorité de la Compagnie continua à s’éloigner du dogme ancien ; l’enseignement académique répandait cette manière de voir, et Malan raconte qu’avant sa conversion, sa religion consistait dans le désir de racheter ses péchés par une conduite meilleure ; le Fils de Dieu ne jouait d’autre rôle que celui d’un envoyé utile, il est vrai, mais dont la médiation s’était bornée à des préceptes et à des exemples, et avait été scellée du martyre, à peu près comme les opinions de Socrate l’avaient été de la mort de ce philosophec.
c – Malan, Le témoignage de Dieu. Paris, Genève et Londres. 1838. p. xv de la préface.
En 1816, Empaytaz, qui avait subi l’influence des moraves et des pasteurs orthodoxes de Genève, posa nettement la question dans ses Considérations sur la divinité de Jésus-Christ. Nous ne reparlerons pas de cette brochure que nous avons déjà analysée ; nous rappellerons seulement que l’auteur montrait, par une sérieuse enquête, que la Compagnie gardait sur le dogme de la divinité de Jésus-Christ un silence absolu, ou bien qu’elle professait des doctrines entièrement opposées au dogme orthodoxe. La Compagnie ne répondit pas et n’essaya pas de se justifier.
Survint Robert Haldane ; son enseignement, strictement trinitaire, poussa les étudiants qui l’écoutaient dans une voie de plus en plus différente de celle que suivait la Compagnie.
D’autre part, Gaussen, qui était pasteur depuis 1816, portait dans les chaires nationales la doctrine orthodoxe. A l’occasion de la fête de Noël de 1816, l’ancien pasteur Cellérier rendit en chaire un témoignage public et décidé à la doctrine de la divinité de Jésus-Christ. Un jeune pasteur lui répondit bientôt par un discours « sur les mystères, » dans lequel il prémunissait les fidèles « contre le danger de porter leur pensée sur des questions qui demeureront toujours cachées dans le sein de la divinité, et qui n’ont rien à faire avec la piété. »
Cette polémique ayant préoccupé la Compagnie, on décida, d’un commun accord et par amour de la paix, d’adopter, à l’égard de Jésus-Christ, la désignation d’ « être divin, » et de ne plus porter en chaire les points controversés.
Le sermon de Malan sur le salut par grâce, prêché les 5 et 6 mars 1817, provoqua au plus haut degré l’irritation de la Compagnie, et le règlement du 3 mai fut voté. Son premier article interdisait de prêcher sur « la manière dont la nature divine est unie à la personne de Jésus-Christ. » En réalité, c’était l’interdiction de prêcher sur la divinité de Jésus-Christ, et non sur l’union des deux natures ou toute autre théorie métaphysique.
Ce fut la première explosion. La seconde eut lieu quelques années plus tard, en 1831, lorsque Chenevière publia ses Essais théologiques. Le premier avait pour objet le système théologique de la Trinité ; Chenevière partait du fait de l’unité de Dieu, reconnaissait Jésus-Christ comme un être divin, élevé au-dessus des anges, l’image de la gloire de Dieu ; mais il combattait la théorie athanasienne, en cherchant à montrer qu’elle est contraire : 1° à la foi de l’Église primitive ; 2° à la raison ; 3° à l’Écriture.
On sait que ce fut cet incident qui amena la fondation de l’École de théologie de l’Oratoire.
Enfin, lors du Jubilé de 1835, la Compagnie introduisit dans l’Église une nouvelle édition de sa version de la Bible dans laquelle, entre autres choses, ces paroles de Jean 1.1 : « La Parole était Dieu, » étaient commentées par cette note : « être divin. »
Il n’est pas surprenant, dès lors, de voir les hommes du Réveil prêcher avec force la divinité de Jésus-Christ et répondre aux négations par des affirmations de plus en plus catégoriques.
Robert Haldane développa sa théorie dans son traité intitulé : Emmanuel ou Vues scripturaires sur Jésus-Christd. Voici ce qu’en dit Daniel Encontre (cette critique est particulièrement intéressante, non seulement parce qu’elle analyse très exactement le traité, mais encore parce qu’elle nous donne la pensée d’Encontre sur le point en question) : « Le principal but de l’Emmanuel est de démontrer la divinité de notre Seigneur Jésus-Christ. Le plan suivi par l’auteur est tout à fait semblable à celui qu’avaient suivi Saurin, Pictet, Osterwald et nos autres théologiens. On sait qu’ils se sont tous attachés à prouver que le culte que nous devons rendre à Jésus-Christ est absolument le même que celui que nous devons rendre à Dieu, et que les titres, les perfections, les œuvres que l’Écriture attribue exclusivement au Dieu suprême sont, par cette même Écriture, attribués à Jésus-Christ. Mais la connaissance approfondie que l’auteur a des saintes Lettres l’a mis en état de faire des rapprochements heureux, dont quelques-uns peuvent même être regardés comme nouveaux, quoiqu’il semble que Pictet, Waterland et, plus récemment, Williams Jones, aient moissonné ce champ de manière à ne laisser après eux que de stériles glanures. Sous ce point de vue, la lecture de l’Emmanuel, surtout de la première partie, ne saurait être trop recommandée. Le lecteur de bonne foi y trouvera une démonstration rigoureuse de la plus difficile, comme aussi de la plus importante des vérités, objet de la foi chrétienne (Suit la réserve que nous avons déjà mentionnée…
d – Montauban, 1817.
Les dernières pages de l’Emmanuel expriment des sentiments que les chrétiens évangéliques sont loin de partager. L’auteur pose en principe que tous les hommes qui ne croient pas à la parfaite égalité du Fils et du Père sont également ennemis du Père et du Fils, les renient, les blasphèment l’un et l’autre et ne peuvent éviter la mort éternelle.
Il regarde comme infiniment criminelle l’indulgence que nous leur témoignons, et peu s’en faut qu’il ne damne tous ceux qui n’ont pas le courage de les damner. Quant à moi, j’ose croire que le devoir d’un chrétien est de travailler à son propre salut, sans se permettre de prononcer sur celui des autres. Ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugés, nous dit celui que nous reconnaissons tous pour notre Maître ; et saint Paul ajoute : Qui es-tu, toi, qui condamnes le serviteur d’autrui ?
Je saisis cette circonstance pour déclarer à tous ceux qui voudront l’entendre, que je crois fermement à la divinité de Notre Seigneur Jésus-Christ ; que j’adopte dans tout son contenu le symbole de Nicée ; que j’adopte également le fameux symbole Quicumque dans tout ce qui s’y trouve présenté, comme faisant partie de la foi catholique ou chrétienne ; j’ose affirmer de plus que ces sentiments sont actuellement ceux de tous les membres de notre Faculté, comme ils ont toujours été ceux de nos Églises ; car le savant M. Grégoire s’est étrangement mépris, en jugeant de tous les protestants de France, d’après deux ou trois protestants qu’il avait été dans le cas de connaître, et qui ne sont pas Français.
[« Il est à remarquer que les Chrétiens Syriens, établis dans les Indes depuis le cinquième siècle, pensent exactement comme nous, au sujet du symbole dit d’Athanase, et plus généralement connu des gens de lettres sous le nom de Quicunque. »]
Il me paraît que les personnes qui ne connaissent pas Jésus-Christ comme Dieu sur toutes choses béni éternellement, sont très à plaindre et manquent de la plus grande de toutes les consolations. Leur erreur me semble d’autant plus dangereuse, qu’elle est d’ordinaire bientôt suivie d’autres erreurs, parce que les vérités, objets de la foi, sont tellement liées, tellement enchaînées entre elles, qu’on ne peut en retrancher une sans ébranler, sans renverser toutes les autres. Ces vérités forment ensemble un édifice majestueux, dont toutes les parties sont absolument nécessaires, et qu’on ruine de fond en comble, si une fois on parvient à l’entamer, surtout lorsque la première pierre qu’on en détache est la maîtresse pierre du coin. Mais où en serions-nous, si les errants, même lorsqu’ils se trompent de bonne foi, ne trouvaient point d’accès au pied du trône de grâce ? Ah ! ceux qui sentent, comme moi, combien ils ont besoin de la miséricorde de Dieu et de l’indulgence des hommes, ne sont pas tentés de se montrer sévères envers autruie. »
e – Archives du Christianisme, février 1818, p. 63-66.
Cette foi à la divinité de Jésus-Christ, à son égalité avec Dieu, était professée par tous les hommes du Réveil ; ils y trouvaient une source inépuisable de consolation et d’espérance ; témoin, par exemple, cette lettre de Félix Neff à une de ses paroissiennes : « Je vous écris à la hâte ce petit mot pour vous souhaiter, comme on dit, le bon jour de Noël. Hélas ! ce jour pourrait dire à beaucoup de gens comme Jésus au jeune homme : Pourquoi m’appelles-tu bon ? Mais bénissons mille fois le Seigneur de ce que nous savons pourquoi ce jour est bon ! Puissions-nous dire que nous savons combien il est bon ! Mais c’est un mystère que nul ne peut sonder, pas même les anges ; car, sans contredit, ce mystère est grand : Dieu manifesté en chair, sa Parole faite chair habitant parmi nous ; Emmanuel, Dieu avec nous ; nous n’étions plus avec Dieu, le péché avait fait séparation entre nous et lui, et nous avait bannis de sa présence. Le péché, en corrompant nos esprits et nos cœurs, en avait banni la pensée et l’amour de Dieu ; nous n’étions plus avec lui, nous le fuyions, nous lui tournions le dos. Mais voilà, Jésus-Christ s’est fait Emmanuel, il est venu chercher ce qui était perdu, il a dépouillé l’éclat de sa gloire, et, enveloppé d’infirmités, il est venu parmi les hommes doux et humble de cœur. Nous savons maintenant à qui nous adresser, dans quel cœur verser nos peines et nos angoisses. Nous n’avons pas besoin de monter aux cieux et d’entrer dans le sanctuaire magnifique, dont le chérubin même n’approche qu’en tremblant et qu’en voilant sa face. Il est tout près de nous, il est avec nous, et nous pouvons noua le figurer toujours sous la forme du Fils de l’homme ; c’est toujours Jésus, le prophète de Nazareth, allant de lieu en lieu, faisant du bien, embrassant et bénissant les petits enfants que de tendres mères lui présentaient avec simplicité et confiance, entrant chez les péagers, se mettant à table avec eux, conversant familièrement avec une porteuse d’eau (Jean ch. 4) ; en un mot, se mêlant dans la foule avec les pauvres, les ignorants, les pécheurs, et étant pour tous Emmanuel, Dieu avec nous.
Oh ! que nous sommes heureux d’avoir un tel Dieu, un Emmanuel dans le royaume de sa gloire ! Son désir est que là où il sera, ceux que le Père lui a donnés y soient aussi avec lui (Jean ch. 17). L’Agneau lui-même nous paîtra et nous conduira aux vives fontaines des eaux. Il sera le flambeau de la sainte Jérusalem, ses élus verront sa face et leur nom sera écrit sur leurs fronts. Le chrétien pourrait-il supporter l’idée d’être au ciel privé de la présence de son aimable et bien-aimé Sauveur ? Quel vide ! quel désert qu’un paradis sans Jésus t… Que les affaires de ce monde aillent bien ou mal, que les biens périssables nous échappent, que les douleurs affaiblissent notre corps de poussière, que le monde gronde, insulte, calomnie, maudisse, persécute, nous avons un Emmanuel, un Jésus qui demeure avec nous jusqu’à la fin du monde, et de l’amour duquel nous ne pourrions nous séparerf. »
f – Félix Neff, missionnaire et prédicateur, par Aimé Marchand (thèse de Montauban), 1868.
Jusqu’en 1831, la doctrine de la divinité de Jésus-Christ ne fit l’objet d’aucun exposé systématique. Mais à cette époque, Chenevière ayant publié son cours de dogmatique, Malan écrivit en réponse un traité intitulé : Jésus-Christ est l’Eternel-Dieu manifesté en chair, première réponse à l’écrit de M. le professeur Chenevière contre le Dieu des chrétiensg.
g – Genève, 1831.
Après avoir montré l’importance de « la droite connaissance de la nature du Seigneur Jésus, » Malan déclare que « Jésus-Christ existe par lui-même, que le nom d’Éternel lui est donné dans l’Écriture, qu’il est appelé Dieu, dans le sens propre et sublime de ce mot ; — en second lieu, Jésus, dit-il, possède la souveraine puissance, comme créateur, conservateur et roi suprême de l’univers, ainsi que dans sa toute-présence et dans sa connaissance des cœurs ; — troisièmement, l’adoration n’appartient qu’à l’Éternel, et Jésus-Christ la possède ; Jésus-Christ a été invoqué, prié et servi ; — enfin la gloire n’appartient qu’à l’Éternel, et Jésus la possède : les prophéties attribuent la gloire à Jésus ; les récits de l’Évangile manifestent dans Jésus la gloire souveraine de Dieu, les louanges adressées à Jésus-Christ la lui attribuent de même. » Un appendice contient : une lettre aux familles genevoises qui recherchent ou qui possèdent la vérité, telle qu’elle est en Jésus, le catalogue des noms, titres et attributs que l’Écriture donne au Seigneur Jésus, et quelques notes et éclaircissements sur des passages relatifs à la divinité du Seigneur et du Saint-Esprit.
Si l’on joint à ce traité de Malan une lettre de Gaussen sur la divinité de Jésus-Christh, on aura à peu près tout ce que le Réveil de Genève a produit de systématique sur la matière.
h – Insérée dans le volume de Sermons, publié en 1842.
En France, comme à Genève, la divinité de Jésus-Christ était pleinement admise. Il se produisait même l’inverse de ce qui se passait dans la ville de Calvin ; tandis qu’ici c’était la majorité des pasteurs qui penchait vers l’arianisme, et un petit noyau qui était trinitaire, en France c’était la grande majorité qui acceptait la Trinité et un nombre infime qui la repoussait. Nous venons d’exposer l’opinion d’Encontrei. Elle était partagée par la plupart des pasteurs. On n’a qu’à se souvenir de l’affaire de Gasc. Dès que le professeur de Montauban émit ses opinions antitrinitaires, l’Église s’émut. Un grand nombre de consistoires firent entendre des protestations et des plaintes, et Gasc dut se rétracter. On sait même que la Faculté fit une déclaration nettement orthodoxe en avril 1817, à la suite de nouvelles accusations d’arianisme.
i – Voir aussi : Opinion d’Encontre sur la Trinité (édité par Ph. Corbière. Montpellier, 1864).
[Voir aussi l’étude sur La divinité de Jésus-Christ, publiée par M. Gardes, pasteur à Nîmes, dans les Archives du Christianisme, 1822, p. 300. Parmi tous ceux qui se plaignirent de l’enseignement de Gasc, Chabrand traita seul la question de fond : « Il adressa au professeur, le 26 décembre, un mémoire en forme de lettre sur l’Incarnation et la Divinité de Jésus-Christ (Il est dans les pièces justificatives d’Esaïe Gasc). Son but était de montrer que ce dogme, étant un mystère, n’est point de la compétence de la raison. Il cherche ensuite à prouver, par divers passages, que l’Écriture Sainte attribue à Jésus-Christ la même nature, les mêmes perfections et la même adoration qu’à Dieu lui-même. Il le conjure, en terminant, de désavouer son hérésie, d’« anéantir les germes d’irréligion et de discorde » qu’il a jetés dans le champ sacré de l’Église du Seigneur, et de déclarer aux étudiants que son « intention ferme et sincère désormais est de s’en tenir aux articles de la confession des Églises qui lui ont confié l’enseignement de leur doctrine. » (C. Dardier, Esaïe Gasc, p. 256.)]
Plus tard encore, les sermons des hommes du Réveil, Adolphe Monod, Grandpierre, Audebez renferment la doctrine de la divinité de Jésus-Christ clairement acceptée et prêchée.
Quant aux preuves sur lesquelles cette doctrine est affirmée, c’est principalement, comme nous l’avons vu, l’appel au témoignage de l’Écriture, aux prophéties, aux miracles, surtout à la résurrection, fondement de l’Église. Ces preuves sont loin, d’ailleurs, d’avoir perdu leur valeur, surtout la dernière, la résurrection, qui reste le fait inexplicable et inexpliqué tant qu’on n’admet pas la divinité du Sauveur ; aujourd’hui encore, elle est l’argument capital de l’apologétique externe.
La lacune qu’il y a surtout à signaler sur ce point dans la théologie du Réveil, c’est l’absence de théorie sur l’union des deux natures en Jésus, la divine et l’humaine. Elles sont plutôt juxtaposées qu’unies, et on se demande alors ce que devient l’unité de la personne.
D’autres théologiens, on le sait, ont tenté de résoudre le problème en reprenant une théorie professée partiellement par Origène, Tertullien et surtout Hilaire de Poitiers, et qui a pour point de départ le texte Philippiens 2.7 ; c’est la théorie de la Kénose, représentée par Thomasius, Sartorius, Liebner, Hofmann, Kahnis, Luthardt, Beck, Gess, Reiff, Bonifas, F. Godet, de Pressenséj.
j – Voir Gretillat, t. IV, Dogmatique II, p. 167.
Il est incontestable que d’après les textes scrupuleusement étudiés, le Logos préexistant s’est dépouillé, lors de son incarnation, de sa divinité, et s’est soumis aux conditions de notre existence humaine et terrestre. Sa vie physique s’est développée comme la nôtre, avec ses besoins et ses souffrances : faim, soif, fatigue, sommeil, etc. Au point de vue des affections, il a aimé comme nous : il a été fils, frère, ami ; il s’est associé aux joies et aux douleurs de ceux qu’il aimait ; il s’est réjoui aux noces de Cana et a pleuré sur le tombeau de Lazare. Dans sa relation avec Dieu, il a eu recours, comme nous, à la prière, et entretenu par le Saint-Esprit communion avec son Père céleste.
Il y a toutefois une différence capitale entre Christ et l’humanité : c’est sa vie morale. Les théologiens que nous avons cités ont admis que le développement moral de Jésus s’est accompli à travers des luttes, passant de l’innocence à la sainteté, et a trouvé sa formule dans les trois propositions : potuit non peccare, non peccavit, non potuit peccare. D’autres, Schleiermacher par exemple, ont vu dans cette peccabilité de Jésus une atteinte portée à sa sainteté : « Une impeccabilité purement accidentelle (comme le serait la simple exemption du fait du péché), non seulement n’exprimerait pas l’immunité propre au Rédempteur, mais la possibilité intérieure du péché impliquerait ne fût-ce qu’un minimum de péché sous forme de tendancek. »
k – Voir Gretillat, t. IV, Dogmatique II, p. 205.
M. D.-H. Meyer se rallie aussi à cette manière de voir : « Il est inadmissible que la possibilité de se détacher, de se séparer du souverain Bien, ait existé pour le Fils de Dieu devenu homme. Admettre que, par son incarnation, le Fils de Dieu se soit rendu capable de se détacher du souverain Bien, ce serait admettre que, pour devenir homme, le Fils de Dieu a dû se renier lui-même.
Mais alors, comment échapper au docétisme ? L’objection serait dirimante, si la liberté morale était essentiellement un pouvoir de choisir entre le bien et le mal. Mais telle n’est pas l’essence de la liberté morale. La liberté est le pouvoir que possède la créature personnelle de s’attacher ex se au souverain Bien. Pour toute créature, ce pouvoir implique, du moins au début, la possibilité de se détacher du souverain Bien. Pour le Fils seul (c’est son privilège unique et sa gloire éternelle), cette possibilité de déchoir de son attachement au souverain Bien n’existe pas. Elle n’existe pas plus pour le Fils incarné dans l’humble personne de Jésus de Nazareth, que pour le Fils réalisant sa libre subordination au sein de la gloire divine.
Mais cela n’empêche point que l’obéissance du Fils de l’homme soit essentiellement libre. L’obéissance du Fils de l’homme est aussi réellement, aussi essentiellement libre que l’obéissance de tout homme, quel qu’il soit, qui se conforme à la loi du devoir. Un homme parfaitement honnête supporte les privations de l’indigence et les tourments de la faim, plutôt que de dérober ce qui ne lui appartient pas. Cet homme cesse-t-il d’être libre, parce que son honnêteté supprime pour lui, malgré le besoin qui le presse, jusqu’à la convoitise du bien d’autruil ? »
l – D.-H. Meyer, Le christianisme du Christ. Paris, 1883, p. 455.
Que l’on accepte l’une ou l’autre théorie, il n’en reste pas moins que Jésus a réalisé, dans tous les moments de son existence terrestre, la perfection morale. Il a pu toujours dire : « Le Malin n’a rien en moi… (Jean 14.30). Ma nourriture, c’est de faire la volonté de mon Père et d’accomplir son œuvre (Jean 4.34). » Il a toujours été en accord parfait avec cette volonté, et même à Gethsémané, la parole de l’infinie douleur : « S’il est possible que cette coupe passe loin de moi sans que je la boive ! » est immédiatement suivie de la parole de l’obéissance absolue : « Toutefois non pas ma volonté, mais la tienne (Matthieu 26.39) ! »
C’est cette sainteté qui est le caractère distinctif de sa divinité ; d’autres serviteurs de Dieu, prophètes, apôtres, ont pu posséder le pouvoir de faire des miracles et participer ainsi à la toute-puissance. Nul n’a pu dire : « Qui de vous me convaincra de péché (Jean 8.46) »
Cette sainteté est le seul de ses attributs divins que le Fils de l’homme ne voile jamais. « Il possède toujours virtuellement la toute-science, la toute-puissance et toute la plénitude des attributs divins, il a clairement conscience de tous ces trésors de divinité qui sont cachés en lui. Seulement il voile ces trésors ; il ne s’en sert pas. Il a renoncé à l’exercice de ceux de ses attributs divins qui seraient en contradiction avec le développement et les conditions de la vie humaine qu’il veut vivre ici-basm. »
m – Bonifas, Hist. des Dogmes. Paris, 1886, t. II, p. 159.
Mais il n’en a pas moins la conscience claire et permanente de sa divinité. Dans les synoptiques, il se compare et s’égale au Jéhovah de l’Ancienne Alliancen ; il se désigne lui-même dans un sens transcendant, absolu et unique, comme le Fils de Dieuo ; il accepte les témoignages rendus à sa divinitép. Quant au quatrième Évangile, on sait avec quelle précision il établit non seulement la divinité du Sauveur, mais encore sa préexistence personnelle, et cela par des témoignages que Jésus se rend à lui-même Jean 8.58 ; 17.5, 24.
n – Matthieu 11.28 ; cf. Ésaïe 55.3 ; Matthieu 24.35 ; cf. Ésaïe 40.8 ; Matthieu 11.10 ; cf. Malachie 3.1.
o – Matthieu 16.17 ; 18.10 ; 21.37-38 ; Marc 13.32 ; Matthieu 28.18-19, et surtout Matthieu 11.27.
Pour ce qui est du dogme trinitaire, nous ne pouvons en essayer une exposition, même incomplète ; qu’il suffise de remarquer que plusieurs textes établissent cette doctrine, notamment la formule du baptême (Matthieu 28.19) « qui, comme l’a dit Julius Müller, établit tout ensemble la divinité du Fils par celle du Père et du Saint-Esprit dont personne ne doute et la personnalité du Saint-Esprit par celle du Père et du Fils dont personne ne doute. »
Les trois personnes sont également nommées dans 1 Corinthiens 12.4-6 ; 2 Corinthiens 13.13 ; Éphésiens 4.4-6 ; trois textes où le terme de κύριος se rapporte évidemment au Christ glorifié. Des échos de la doctrine trinitaire se retrouvent sous la plume d’autres écrivains : 1 Pierre 1.2, 3-11 ; 1 Jean 4.13-14 ; Apocalypse 1.4-5 ; Jude 1.20-21q.
q – Gretillat, Dogmatique t. I p. 175-1 6.
La personnalité du Saint-Esprit en particulier, qui semble disparaître dans certains passages où l’Esprit est considéré comme un don, une force ou un organer, est au contraire affirmée dans les derniers discours de Jésus à ses disciples (Jean, XIV-XVI), et dans des textes où le Saint-Esprit est envisagé comme une personne parlant, agissant, souffrant, intercédant pour nous, etc.s.
r – Actes 1.8 ; Romains 1.4 ; 8.6,11 ; 1 Corinthiens 2.4, 10-11 ; 6.19, etc.
s – Actes 8.29 ; 10.19 ; 13.2 ; 15.28 ; 16.7 ; Romains 8.26.
Enfin, la subordination du Fils au Père nous paraît enseignée dans les textes : Jean 5.26 ; 14.28 ; 16.28 ; 17.24 ; 1Cor.15.28, sans que cela implique la non éternité du Fils ; il est éternellement engendré par le Père, et de l’un et l’autre procède éternellement le Saint-Espritt.
t – Voir Gretillat, Dogmatique, t. I 170-213 ; t. II, 145-218. Arnaud, Manuel de Dogmatique. Paris, 1890, 57-137 ; Martensen, Dogmatique chrétienne, trad. Ducros. Paris, 1879, p. 123-185.
Tout bien considéré, la théologie du Réveil n’a donc pas dépassé sensiblement au sujet de la divinité de Jésus-Christ les données bibliques.
Si nous considérons maintenant l’œuvre de Jésus-Christ, nous constaterons que la théologie du Réveil genevois a été, sur ce point encore, une réaction contre les doctrines prêchées dans l’Église nationale.
[Voir Pozzy, Histoire du dogme de la Rédemption chez les Pères, les Réformateurs et les hommes du Réveil. Paris, 1868, p. 94 et suiv. Nous sommes heureux de nous rencontrer avec M. Pozzy dans la remarque du fait qu’on a exagéré le dogmatisme du Réveil et apprécié avec quelque injustice sa théologie.]
Au salut par les œuvres, le Réveil oppose le salut par la foi en Jésus-Christ, mort pour nos péchés. La doctrine de l’expiation par le sang de Christ répandu pour nous est comme l’élément objectif de sa prédication ; l’élément subjectif se retrouve dans les appels à la conversion et à la foi qui saisit cette grâce. Au reste, la sotériologie du Réveil est étroitement unie à sa christologie, et celle-ci est en quelque sorte le postulat de celle-là. Il fallait pour notre rédemption « un sang d’un prix immense, » le sang même du Fils de Dieu.
On sait avec quelle insistance les Moraves se sont attachés à ce point. Zinzendorf a appelé lui-même sa théologie la théologie du sang, et l’Église des Frères, l’Église de l’Agneauu. Ceux-ci ont même matérialisé leur foi à un degré tel, que le culte en esprit et en vérité s’y trouve singulièrement compromis. Les plaies de Jésus, le côté percé, deviennent des objets d’adoration et d’amour. Cet amour lui-même s’exprime sous des formes de tendresse délirante, de volupté religieuse et de sensualité qui dépassent souvent toutes les bornesv.
u – F. Bovet, Le comte de Zinzendorf, Paris, 1865, nouvelle édition, p. 211.
v – Voir Bost, Hist. des frères moraves, t. II, p. 307 et suiv. Voir aussi Ritschl, Geschichte des Pietismus, t. III, p. 404 et suiv.
Plus modérés dans leurs expressions, les hommes du Réveil de Genève ont cependant absolument adopté la théologie des Moraves, l’ont parfois même dépassée dans la conception juridique qu’ils se sont faite de la rédemption.
Guers revendique le titre de théologie du sang par lequel on croit stigmatiser cette doctrine : « Oui, la théologie du sang, vous l’avez bien nommée ; et c’est parce que la vôtre ne l’est pas, que nous nous en défions depuis longtemps… La Bible entière est le livre du sang ; « elle n’est pas tant écrite d’encre, dit Calvin, que du sang du Fils de Dieu. » La Bible n’est autre chose que l’histoire de la chute de l’homme et de sa Rédemption par le sang de Christ. Un mot la résume en quelque façon, je le dis plus haut, et lui donne son admirable unité, c’est celui d’Agneau, Agneau de Dieuw. »
w – Le sacrifice de Christ. Genève et Paris. 1867, p. 73.
Mais non seulement l’Agneau a été immolé pour nous, il a même souffert la mort seconde : « Chargé de nos forfaits et de notre condamnation, il se sentait descendre dans les sombres abîmes de la mort seconde ; il a craint l’éternelle séparation d’avec Dieu…x »
x – Le sacrifice de Christ, p. 39.
Malan a insisté sur ce point dans son Témoignage de Dieu ou Catéchisme de la vie éternelley. « La mort de Jésus fut non seulement la mort visible et cruelle du corps, mais de plus et surtout, elle fut la mort invisible et infinie de l’âme, cette mort qui se nomme la malédiction de Dieu ou la mort seconde. Cette mort seconde qu’a soufferte le Sauveur est surtout importante dans notre salut, car si le Sauveur n’a pas souffert tout ce que devait souffrir l’Église, le rachat de l’Église n’a pas été complet. Jésus fut vraiment maudit de Dieu ; car, comme il avait pris sur lui tous les péchés de son peuple, il souffrit aussi toute la peine de ces péchés. Puisque Jésus était Dieu en même temps qu’homme, il était infini en puissance. Il a donc pu prendre sur lui, même en un seul moment, l’éternité, c’est-à-dire l’infini de la peine de l’Église. Une loi juste ne punit pas deux fois la même faute. Puis donc que tous les péchés de l’Église ont été punis par la loi de Dieu en la personne de Jésus-Christ, l’Église est tout à fait libérée. »
y – Genève, 1817, p. 22.
Cette même doctrine se retrouve dans les Cantiques de Sion :
La colère de Dieu l’a chargé des horreurs
Dont l’Église en enfer devait être puniez.
z – Cantique 26 de la 6e édition.
Il y a ainsi équivalence parfaite entre les souffrances de Christ et les péchés de l’Église : c’est une sorte d’équation mathématique.
Malan soutient même que « l’âme du Sauveur, non seulement a souffert la malédiction sur la croix, mais que, de plus et surtout, elle a été dans cette malédiction et cette réprobation depuis le vendredi soir jusqu’au dimanche matin, et cela dans l’enfera. »
a – Jésus-Christ est descendu en enfer, p. 14.
Mais il faut reconnaître que tous les hommes du Réveil n’ont pas accepté ces exagérations :
« On rejette ce qu’on appelle la doctrine de l’équivalence, selon laquelle Jésus a souffert juste ce que devaient souffrir dans l’éternité ceux qu’il sauve. Certes, si l’on fait de ceci un calcul d’arithmétique, une addition vulgaire, je doute fort qu’il y ait beaucoup de chrétiens qui admettent cette doctrine-là, et ceux qui l’attaquent pourraient bien se battre contre un fantôme. » (Merle d’Aubigné : Discours d’ouverture de l’assemblée générale de la Société évangélique de Genève, 1867).
Bost admet l’expiation par le sang, mais sans faire ressortir l’idée d’équivalence : « Les chrétiens ont toujours appliqué à la mort de Christ l’idée littérale d’un sacrifice, non seulement telle que l’avaient les Juifs, mais telle que l’ont eue et l’ont encore presque tous les peuples de la terre, comme par un instinct universel du besoin d’une expiation… Jésus-Christ est l’agneau de Dieu qui porte les péchés du monde… Nous sommes justifiés par son sang… Il nous a réconciliés avec Dieu par le corps de sa chair en sa mortb. »
b – Qu’est-ce que l’Évangile ? p. 13 et 14. Genève, 1828.
Gaussen, dans son discours sur La préparation de la Pâque chrétienne, insiste vivement sur l’idée d’expiation et la rend sensible à ses auditeurs par la célèbre parabole d’un roi, qui, ayant promulgué une loi d’après laquelle tout homme convaincu d’adultère serait aveuglé par la main du bourreau, se fit arracher un des yeux, à la place de son fils, pour satisfaire à la loi promulguée : « O mon âme, s’écrie l’orateur, voilà ton image. Voilà ce qu’a pu faire pour te sauver le Roi des rois. Et comment nous a-t-il sauvés ? On a vu le Seigneur descendre comme un coupable du trône de la gloire, s’anéantir jusqu’à prendre la forme d’une créature, et venir souffrir à la place des pécheurs les angoisses de la mort éternellec. »
c – Sermons. Toulouse, 1842, p. 146-148.
D’autre part, il ne faudrait pas croire que pour Gaussen, la mort de la croix fût le seul moment où Jésus a expié nos péchés. M. de Pressensé adresse ce reproche à l’orthodoxie du Réveil et lui oppose les paroles suivantes de Vinet : « Ce n’est pas par les seules souffrances comprises entre Gethsémané et le Calvaire, ou par la passion proprement dite que Jésus nous sauve, mais par toutes les souffrances de sa vie, qui fut tout entière une passion. Ce n’est pas même par les souffrances de toute sa vie, mais par sa vied. »
d – Etudes évangéliques, p. 117. Voir de Pressensé : Alexandre Vinet, p. 266-267.
Or, Gaussen soutenait dans son cours de dogmatique, professé à l’école de l’Oratoire, que « ce n’est pas seulement dans les dernières souffrances de Christ (bien que ce soit surtout alors), mais c’est par toutes ses douleurs et toutes ses humiliations, depuis le premier moment de son incarnation jusqu’à sa résurrection, que s’est continuée son œuvre de propitiation. Ses humbles circonstances à sa naissance (la pauvreté de sa mère, son état, sa crèche, toute sa carrière, toutes les circonstances de « cette forme de chair de péché, » dans laquelle il est venu, et aussi toutes ses souffrances dans son enfance et sa jeunesse, ses travaux, son opprobre, ses tentations), ont eu ce caractère d’expiatione. »
e – Cours de dogmatique (autographié, non mis en vente). Genève, 1854, 2 vol., t. II, p. 266 et suiv.
De même, Guers, sur ce sujet, s’exprimait ainsi : « L’œuvre rédemptrice du Seigneur ne commence pas à Gethsémané ; c’est là, au contraire, ou plutôt c’est à Golgotha qu’elle se consomme. Elle a commencé dès le moment où le Fils a dit au Père, par le fait même de son incarnation : « Me voici, je viens, ô Dieu ! pour faire ta volonté » (Psaumes 40 ; Hébreux 10). L’incarnation du Fils a été son premier pas dans cette sombre carrière de renoncements, d’humiliations et de souffrances qui s’ouvrit à la crèche de Bethléem et ne se termina que sur le Calvaire. La vie de Jésus, vie d’obéissance parfaite à la volonté de Dieu, ne fut tout entière pour lui qu’un sacrifice de bonne odeur, en même temps qu’elle fut une longue et douloureuse préparation au sacrifice qui devait expier le péchéf. »
f – Le sacrifice de Christ. Avant-propos, p. 1.
Telle était aussi l’opinion de Merle d’Aubigné, qui déclarait que l’œuvre rédemptrice de Christ s’accomplit dès sa naissanceg, mais donnait à l’expiation de la croix une valeur exceptionnelle et unique.
g – L’Expiation de la Croix.
Les autres chrétiens qui ont concouru à l’œuvre du Réveil ont également professé cette doctrine.
Wesley croyait et prêchait que seul le sang de Christ nous purifie de toute souillure, nous délivre de l’esclavage, de la condamnation et de l’enfer. Les méthodistes ne se sont point écartés de cet enseignement.
De même, les pasteurs fidèles de l’Église réformée de France acceptaient l’expiation par le sang : on n’a qu’à relire le sermon de Lissignol sur l’accomplissement du salut (Montpellier 1827)). « Sur ce bois maudit (de la croix) se trouve le Juge souverain de l’univers qui transforme cette croix en un autel sacré où il ratifie son alliance éternelle avec les hommes pécheurs, où il reçoit de son Fils le double de notre rançon, il change ses blessures en autant de sources de grâce d’où procède notre guérison, et, pour montrer qu’il agrée ce sacrifice, que sa justice est satisfaite, sa colère épuisée, il accompagne cette mort de prodiges extraordinaires… »
Ainsi pensait Vergé, de Saverdun, puisque la prédication de Pyt ne choqua pas ses paroissiens : « La Rédemption qui est en Jésus, écrivait celui-ci, n’a choqué personne ; la bonne doctrine ne trouvera pas ici d’obstacles, parce qu’on y est orthodoxeh. »
h – Guers, Vie de Pyt, p. 42-43.
Comment, d’ailleurs, supposer que Chabrand, Gachon, Encontre, Marzials, Soulier, etc., qui ont eu de si fraternelles relations soit avec les Moraves, soit avec les hommes du Réveil, aient eu, sur un point si important pour ces derniers, une opinion différente de la leur ?
Plus tard, Adolphe Monod prêcha de même l’expiation par le sang : « J’ai vu le Père, pour nous racheter de la malédiction de la loi, faisant le Fils malédiction pour nous, prenant plaisir à le froisser, appesantissant sa main sur lui et ne laissant rien d’entier dans sa chair, à cause de son indignation, ni de repos dans ses os, à cause du péché. Je l’ai vu trouvant désormais dans son Fils, oui, dans son Fils unique et bien-aimé, un spectacle que repousse sa majesté sainte, s’éloignant de sa délivrance et des paroles de son rugissement, le laissant crier, la voix basse, le gosier desséché, les yeux consumés d’attente et le contraignant enfin à cette exclamation d’angoisse : « Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m’as-tu abandonnéi ? »
i – Sermons, édit. de 1844, p. 271
Dans ses Adieux, où nous avons l’expression dernière de sa pensée, après qu’il a traversé cette sorte de crise théologique, il s’écrie : « Mesurez à sa posture même (de Christ), à sa prière, aux tendres reproches qu’il adresse à ses disciples, l’immensité de sa souffrance, d’une souffrance que nous ne sommes pas plus capables de ressentir et de concevoir que Dieu et l’infini, parce qu’il n’y a pas seulement la souffrance physique et extérieure, il y a une souffrance spirituelle dont nous ne pouvons nous faire aucune idée. Non seulement des saints, mais des hommes même qui ne connaissaient pas le Seigneur ont souffert patiemment les plus atroces douleurs ; mais en Jésus, avec ses douleurs infinies, il y avait une douleur secrète et intérieure que nous ne pouvons pénétrer, celle de porter seul, devant le Dieu saint, lui innocent pour nous coupables, le poids de nos péchés ; de se trouver par eux comme séparé un moment (quoique j’ose à peine toucher ce mystère), comme séparé un moment de l’amour du Père, si l’on peut ainsi parler, quoiqu’il soit un avec lui, et contraint de s’écrier : « Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m’as-tu abandonnéj ? »
j – Adieux, XI : La croix nous révélant l’amour de Dieu, p. 67.
Grandpierre déclare aussi « que le sang expiatoire a coulé pour notre éternelle rédemption, » et ailleurs : « Par un prodige d’amour et de justice tout ensemble, il a pris sur lui la peine due au péché, il a subi, dans son corps et dans son âme, le châtiment réservé aux transgresseurs ; par la valeur infinie de sa personne, de sa passion, de son obéissance et de ses mérites, il nous a acquis une rédemption éternelle, il a couvert toutes nos iniquités du manteau de sa parfaite justicek. »
k – Sermons, p. 109.
Et non seulement les pasteurs, mais encore les laïques prêchaient l’expiation par le sacrifice de Jésus-Christ. Celui qui a représenté dans le Réveil à Paris l’élément philosophique et scientifique, P.-A. Stapfer, disait dans un de ses discours : « Plus on y réfléchit, plus on examine les divers remèdes proposés pour la guérison des âmes, plus on en compare les résultats, tels que nous les fournit l’expérience, et plus on se pénètre de la conviction qu’il n’y a que le sacrifice expiatoire du Fils de Dieu qui coupe la racine à toutes ces vaines espérances, à tous ces sophismes de la raison asservie aux convoitises de la chair, à toutes ces transactions avec une conscience mal assoupie, à tous ces essais de capitulation avec la loi de sainteté… La rédemption de Jésus-Christ donne la solution d’énigmes que la raison ne saurait expliquerl. »
l – Mélanges, t. II, p. 218.
On connaît les reproches qui ont été faits à cette théorie de la rédemption. Le nom de théologie du sang, que Zinzendorf et, après lui, Guers revendiquent, lui a été appliqué comme une épithète de flétrissure. Sans vouloir entrer dans l’examen des théories opposées, notamment de celle de M. de Pressensé sur l’expiation moralem, il nous paraît difficile d’éliminer de l’enseignement biblique l’idée de sacrifice expiatoire et de rédemption par le sang. Le texte central, tiré du témoignage de Christ lui-même, et cela dans une circonstance particulièrement solennelle, lors de l’institution de la sainte Cène : « Ceci est mon sang répandu pour la rémission des péchésn, » résume la Nouvelle alliance dans l’effusion du sang, et rattache à cette effusion sanglante la rémission des péchés, comme l’effet à la cause.
m – Essai sur le dogme de la Rédemption (Bulletin théologique. Paris, 1867).
n – Luc 22.20 ; Matthieu 26.28. Cf. aussi Actes 20.28 ; Romains 3.25 ; Éphésiens 1.7 ; Colossiens 1.20 ; 1 Pierre 1.19 ; 1 Jean 1.7 ; Apocalypse 1.5 ; 7.14 etc.
Comme le remarque M. Gretillat, « l’objet principal et, pour ainsi dire, favori de la prédication de saint Paul, celui dans lequel il résume tout enseignement élémentaire du salut, c’est la croix de Christ et Christ crucifié (1 Corinthiens 1.23 ; 2.2). Quels que soient les éléments intimes du fait mystérieux rappelé dans Galates 3.13, il n’est pas niable que l’idée générale qui se dégage du passage est celle d’une assimilation faite par l’apôtre entre le Christ crucifié et ceux que l’ancienne loi théocratique avait condamnés à une peine infamanteo. »
o – Gretillat, t. IV, Dogmatique II, p. 342.
Faut-il donc s’étonner et se scandaliser que les hommes du Réveil, à l’exemple de saint Paul, aient fait de la prédication de la croix et de l’aspersion du sang le centre de leur enseignement ?
On a reproché aussi au Réveil d’avoir donné à cette doctrine une expression trop juridique, d’avoir considéré notre réconciliation avec Dieu comme une sorte de procès, d’y avoir mêlé des termes de droit pénal, d’avoir enseigné cette théorie de l’équivalence exacte entre les souffrances de Christ et nos transgressions.
Il est possible, en effet, que les formules qu’il a employées soient parfois entachées de légalisme ; mais, si l’on considère le fond même, la signification des doctrines, comment contester que la doctrine de la substitution ne soit éminemment biblique ? Ici encore, nous avons une déclaration de Jésus lui-même : « Le Fils de l’homme est venu pour donner sa vie en rançon pour plusieurs (Matthieu 20.28 ; Marc 10.46). » D’autres passages affirment que Jésus s’est mis à notre place, portant nos péchés et nos maladies, se chargeant de nos douleurs et de nos iniquitésp.
p – Hébreux 9.28 ; 1 Pierre 2.24 ; Ésaïe 53.4, 6, 11-12, etc.
Si donc il s’est ainsi mis à notre place, c’est qu’il fallait une satisfaction à la justice de Dieu. Le péché nous est représenté, dans l’Écriture, comme une dette contractée par l’homme envers Dieu, et le pardon de ce péché est désigné sous le nom de rédemption, mot profondément significatif (Matthieu 6.12 ; Colossiens 2.14). L’œuvre de Christ est un acte de rachat, l’acquittement d’une obligationq.
q – 1 Corinthiens 6.20 ; Galates 3.13 ; 4.5 ; Romains 3.24 ; Éphésiens 1.7 ; Colossiens 2.14.
« La question de la nécessité de la passion propitiatoire de Christ s’est posée sous sa forme la plus angoissante à l’hôte du jardin de Gethsémané, à l’heure où il s’écria : « Père, s’il est possible que cette coupe passe loin de moi ! » et il semble que si le vœu d’un tel Fils n’a pas prévalu contre la volonté d’un tel Père, c’est qu’une nécessité plus haute et plus irrévocable que toute raison terrestre et pédagogique planait sur l’événement qui allait s’accomplirr. »
r – Gretillat, op. cit., p. 307.
Là où certains théologiens du Réveil ont incontestablement dépassé les données bibliques, c’est dans la théorie de l’équivalence, qui n’est pas enseignée par l’Écriture : tout ce que les auteurs sacrés nous apprennent, c’est que Christ est mort à notre place, et que, soit qu’il y ait eu ou non proportion exacte et mathématique entre nos péchés et sa souffrance, son expiation a été suffisante aux yeux de Dieu. Quelques-uns sont surtout allés plus loin que l’enseignement scripturaire, quand ils ont soutenu que Christ avait été personnellement maudit et était descendu dans les enfers.
Le texte Galates 3.13 établit que Christ a été fait « malédiction » pour nous, mais non qu’il a été personnellement « maudit. » On peut rapprocher de ce passage le texte 2 Corinthiens 5.21 : « Celui qui n’a pas connu le péché, il l’a fait péché pour nous, afin que nous devenions en lui justice de Dieu. » Personne ne voudrait en inférer que Christ a été personnellement pécheur.
Dans Esaïe ch. 53, où les souffrances du serviteur de l’Éternel sont décrites avec une si grande abondance d’expressions, le mot de damnation, de malédiction ne se trouve pas.
Si l’on considère, d’autre part, les caractères de la souffrance des maudits, des damnés, tels qu’ils nous sont donnés par l’Écriture elle-même, les pleurs et les grincements de dents (Matthieu 8.12), on voit que tout autre est la douleur du Sauveur crucifié.
[Guers lui-même déclare que « pour souffrir comme souffrent les démons et les damnés, il aurait fallu que Jésus eût momentanément perdu la conscience de sa relation avec le Père, ce qui était tout simplement impossible. » (Le sacrifice de Christ, p. 72).]
Il nous est enseigné que Jésus sur la croix, au lieu d’être l’objet de la réprobation divine, est « une offrande et un sacrifice d’agréable odeur (Éphésiens 5.2). » C’est, comme le dit Calvin, le maudit qui est en même temps béni.
Reste enfin le cri de la douleur suprême : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Il semble difficile, en face d’une pareille lamentation, d’admettre que le Fils ne s’est pas senti un moment abandonné du Père, que la vue de Dieu ne lui a pas fait défaut.
Mais ce moment de souffrance indicible où le Saint et le Juste a goûté la mort dans ce qu’elle a de plus amer, et le châtiment du péché dans ce qu’il a de plus redoutable, la séparation d’avec Dieu, ce moment n’a eu que la durée d’un éclair. Loin d’admettre avec Malan que Christ est resté dans les enfers du vendredi soir au dimanche matin, nous voyons, dans le récit lui-même de la Passion, que la délivrance a suivi de près le cri de l’angoisse. Jésus s’écriant : « Tout est accompli… Mon Père, je remets mon esprit entre tes mains (Luc 23.46), » est de nouveau dans une communion parfaite avec son Père céleste, duquel il a acheté l’œuvre, et auquel il remet son esprit.
[Voir, sur cette question de l’expiation, outre les Dogmatiques que nous avons déjà citées, Une nouvelle conception de la Rédemption, par Ernest Bertrand. Paris, 1891.]
Tel nous paraît être l’enseignement biblique : il est fâcheux que, sur ce point, quelques hommes du Réveil y aient ajouté des théories qui le dénaturent en voulant l’expliquer, et aient ainsi justifié en quelque mesure les reproches qu’on a adressés à leur théologie. Mais, pour être équitable, il faut distinguer, dans l’appréciation de la théorie de la rédemption, ces superfétations et la doctrine scripturaire à laquelle le Réveil dans son ensemble s’est fidèlement attaché. Ici encore, l’exagération dogmatique ne saurait être, sans injustice, attribuée à toute la théologie du Réveil.