Or, après qu’il eut été résolu que nous nous embarquerions pour l’Italie, on remit Paul et quelques autres prisonniers à un centenier nommé Jules, de la cohorte Auguste.
Saint Luc nous raconte la navigation de saint Paul, principalement à cette fin que nous sachions qu’il a été miraculeusement conduit à Rome de la main de Dieu ; et que même en chemin la gloire de Dieu a été ouvertement manifestée en plusieurs sortes tant en ses faits qu’en ses paroles, par laquelle son Apostolat fut de plus en plus confirmé. Il est vrai qu’il est livré pour être mené avec d’autres prisonniers ; mais le Seigneur le discerne puis après bien loin des méchants et malfaiteurs, avec lesquels il avait cette condition commune, d’être prisonnier. Et qui plus est, nous verrons bientôt après, comment le Centenier le relâche, et le tient comme en liberté entre les prisonniers. Or quant à la bande que saint Luc appelle d’Auguste, je ne sais pas bien qui est cette bande, si ce n’est celle que devant la monarchie des Césars on avait l’habitude d’appeler Prétorienne. Au reste, saint Luc dit nommément qu’ils furent mis sur un navire d’Adramytte, pour ce qu’ils devaient côtoyer l’Asie ; car Adramytte est une ville d’Eolie. Et on ne saurait pas bien dire de quel port ils partirent. Car la droite navigation n’eut pas été vers Sidon, si les cartes de la description du monde que nous avons aujourd’hui sont bonnes. Il y a une conjecture vraisemblable, qu’ils furent là transportés, ou pour ce qu’on ne trouvait point de navire ailleurs, ou pour ce que de cette contrée-là on devait prendre les prisonniers, desquels mention a été faite.
Et étant montés sur un vaisseau d’Adramytte, qui devait naviguer vers les ports de l’Asie, nous partîmes, ayant avec nous Aristarque, Macédonien de Thessalonique.
Ici il semble bien que S. Luc loue tellement la constance d’un homme, qu’il blâme et taxe les autres. Car plusieurs l’avaient suivi et fait compagnie de Jérusalem, desquels nous n’en voyons de reste maintenant que deux. Mais pour ce qu’il se peut bien faire que les autres aient eu justes causes qui les ont empêchés, ou que S. Paul ait refusé le plaisir qu’ils lui voulaient faire, je n’affirme rien ni d’une part ni d’autre. Et il n’y a nul inconvénient qu’il n’y ait pu quelque raison spéciale, pourquoi S. Luc a loué celui-ci par-dessus les autres, combien qu’il y en eût plusieurs avec lui. Et certes on peut bien penser qu’il était homme riche, vu que laissant sa maison il a pu porter les frais de trois ans. Car nous avons pu voir ci-dessus, Actes 17.11, que plusieurs Thessaloniciens des plus grandes et nobles familles avaient reçu Christ. Mais S. Luc a raconté Actes 20.4, qu’Aristarque et Second vinrent en Asie avec saint Paul par honneur. Contentons-nous donc de retenir ceci qui est certain, et utile à connaître, qu’ici nous est proposé un exemple de sainte patience, en ce que ce bon Aristarque n’est nullement lassé d’ennui ni quelconque ni fâcherie, qu’il ne se soumette volontairement à une même condition avec S. Paul ; et qu’après avoir été attaché à la prison de S. Paul par l’espace de deux ans, maintenant aussi il ne passe la mer pour lui administrer aussi à Rome ; ce qu’il ne pouvait faire sans se mettre en mauvaise réputation envers plusieurs, outre la perte que son message en souffrait, et les grands frais et incommodités.
Le jour suivant nous arrivâmes à Sidon ; et Jules, traitant Paul avec humanité, lui permit d’aller chez ses amis pour recevoir leurs soins.
Paul pouvait bien trouver des cachettes en cette ville si ample, et assise sur le bord de la mer, mais il était tenu lié et garrotté par la révélation divine, pour ne se point soustraire de la vocation de Dieu. D’avantage, pour ce que le Centenier l’avait si humainement traité, qu’il permettait à ses amis d’avoir le soin de lui, au lieu qu’il le pouvait laisser en la puanteur du navire, il ne devait et ne pouvait sans une vilaine déloyauté, mettre le Centenier en danger pour sauver sa vie. Et aussi il nous faut donner garde que par notre faute celui qui nous aura fait quelque doux traitement ne souffre dommage pour avoir été humain envers nous. Quant au fil de la navigation qui est ici expliquée par saint Luc, les lecteurs le peuvent voir par les Géographes. Seulement je les veux informer que tout ce qui est ici dit, tend à ce que nous sachions que la navigation fut difficile et tempêtueuse, depuis qu’ils partirent du port de Sidon, jusques à ce qu’ils vinrent près de Malte. De plus, que les mariniers combattirent longtemps contre les vents contraires, jusques à ce que la tourmente devint plus forte, l’issue de laquelle a été ce naufrage, duquel il sera parlé tantôt.
Et étant partis de là, nous longeâmes la côte de l’île de Chypre, parce que les vents étaient contraires.
Et après avoir traversé la mer qui baigne la Cilicie et la Pamphylie, nous arrivâmes à Myra, ville de Lycie.
Et là le centenier, ayant trouvé un vaisseau d’Alexandrie qui faisait voile pour l’Italie, nous y fit monter.
Or comme, pendant plusieurs jours, nous naviguions lentement, et que nous n’étions arrivés qu’avec peine à la hauteur de Cnide, le vent ne nous permettant pas de poursuivre en droite ligne, nous passâmes au-dessous de l’île de Crète, vers Salmone ;
et la longeant avec difficulté, nous arrivâmes à un endroit appelé Beaux-Ports, près duquel était la ville de Lasée.
Comme il s’était écoulé beaucoup de temps, et que la navigation était déjà dangereuse, parce que le jeûne même était déjà passé, Paul les avertissait
Non seulement il entend que les vents étaient contraires, mais aussi que le temps de l’année était incommode. Ce qu’il exprime puis après plus ouvertement, disant, que le jeûne était passé. Car selon mon opinion cette particule est ajoutée pour plus ample déclaration pour noter la fin de l’automne. Et en cela n’est point à considérer que ce temps solennel du jeûne que saint Luc marque, était inconnu au Centenier, aux mariniers et autres qui étaient au navire. Car il dénote les parties et saisons de l’an selon la coutume du peuple Judaïque. Au reste, il n’y a point de doute que ce ne fut le jeûne d’Automne. Toutefois je ne suis point de l’opinion de ceux qui pensent que c’était l’un des quatre jeûnes, lesquels les Juifs avaient institués pour eux, après le retour de la captivité de Babylone. Car S. Luc n’eût point mis simplement le troisième, qui était du septième mois, vu qu’il n’était point renommé en comparaison des autres, comme étant ordonné à cause de la mort de Godolias, et pour la déconfiture du résidu du peuple ; mais il y eût ajouté quelque marque de distinction. Davantage, je ne sais si cette coutume a été retenue par le peuple après le retour. Il est plus probable que par ceci est entendue la fête des réconciliations, en laquelle le Seigneur commandait qu’ils affligeassent leurs âmes par l’espace de sept jours, Lévitique 16.29 ; 23.27. Et cela commençait depuis le dixième jour du septième mois ; auquel maintenant est correspondant en partie Septembre, et en partie Octobre. étant donc déjà entrés en Octobre, ce n’est point sans cause qu’il est dit que la navigation était alors périlleuse. Que si on veut rapporter ceci à la faim, comme font d’aucuns, je ne vois point quel sens on pourrait tirer de cela. Car il y avait encore abondance de blé au navire, en sorte qu’ils ne pouvaient point mourir de faim par nécessité. Et puis, pourquoi dirait-il que le temps du jeûne volontaire était accompli ? Davantage, on pourra bien connaître ci-après par la déduction du texte, qu’ils ont été exhortés par saint Paul de s’arrêter, d’autant que l’hiver était prochain, et que l’âpreté de celui-ci a accoutumé de fermer la mer. Car combien qu’il considérât que Dieu guiderait et adresserait leur navire, il ne voulait pas toutefois qu’on le tentât en se hâtant à la volée.
disant : hommes, je vois que la navigation se fera au milieu d’une tempête et avec de grandes pertes, non seulement pour la cargaison et le navire, mais aussi pour nos personnes.
Mais le centenier ajoutait plus de foi au pilote et au maître du vaisseau qu’à ce que Paul disait.
Le Centenier n’est point repris de ce qu’il a plutôt cru le patron et gouverneur, que saint Paul. Car qu’eût-il fait ? Car encore qu’il eût en grande estime le conseil de S. Paul, en d’autres choses, nonobstant il savait bien qu’il n’entendait pas l’art de naviguer. Il se laisse donc gouverner par ceux qui étaient habiles et experts, ce qui est le fait d’un homme prudent et modeste. Et la nécessité même le contraignait presqu’à cela ; car le port n’était pas propre pour hiverner. Et aussi le patron ne donnait pas conseil qu’on se mît en la haute mer, mais qu’ils abordassent un port prochain, qui était quasi devant leurs yeux. Ainsi en supportant un peu de fâcherie, ils eussent eu commodité de passer l’hiver à leur aise. Tant y a toutefois que saint Luc ne explique point ceci sans cause ; mais c’est afin que nous sachions que saint Paul était muni de la grâce et présence du Saint Esprit déjà dès le commencement, en sorte qu’il voyait les choses qui étaient utiles, mieux que ne faisaient les maîtres bien experts. Au reste, on ne sait s’il donna ce conseil étant averti par révélation de Dieu, ou si ce fut par une inspiration secrète. Il est bien certain que cela servit depuis pour lui donner autorité. Cependant vu qu’il dit qu’ils côtoyèrent la Crète jusqu’à ce qu’un vent les poussa tout au contraire ; à bon droit notre frère Théodore de Besze reprend l’erreur des expositeurs, qui du mot Grec Asson, lequel signifie De plus près, ont fait ici le nom d’une ville nommée Assos.
Et comme le port n’était pas propre à l’hivernage, la plupart furent d’avis de partir de là, afin de gagner, si possible, pour y passer l’hiver, Phénix, port de Crète, tourné vers le sud-ouest et le nord-ouest.
Or, le vent du sud commençant à souffler doucement, ils se crurent maîtres de leur dessein, et ayant levé l’ancre, ils côtoyaient de près l’île de Crète.
Mais bientôt un vent impétueux, qu’on appelle Euraquilon, descendit avec violence de l’île,
et le vaisseau, étant emporté, et ne pouvant résister, nous nous laissâmes aller au gré du vent.
Saint Luc raconte ici être advenu ce qui advient coutumièrement en un grand danger et extrême, à savoir qu’ils se sont abandonnés aux vents, et allaient à l’aventure. Comme ainsi soit qu’auparavant les nautonniers ayant aucunement avancé et dépêché chemin, pensassent que leur cas allait bien, il ne faut point douter qu’ils ne se soient moqués de l’avertissement de S. Paul ; comme ont coutume les hommes téméraires de se glorifier, chaque fois que quelque prospérité leur advient. Etant maintenant surpris, ils commencent à sentir sur le tard la punition de leur audace outrecuidée ; et qui plus est, étant arrivés près de l’île, ils ne craignent pas moins de s’aheurter contre quelque rocher, qu’ils craignaient auparavant que le navire renversât. Et S. Luc touche soigneusement toutes les choses desquelles on peut recueillir que la tourmente a été si cruelle et horrible, et a duré d’une façon si obstinée, qu’à tous propos on ne voyait que nouvelles morts. Il déclare aussi qu’ils ont diligemment usé de tous remèdes, par lesquels on peut obvier au danger de naufrage, et qu’ils n’ont épargné ni la marchandise, ni l’équipage ni même du navire. Dont nous pouvons bien connaître qu’ils ont été touchés à bon escient d’un sentiment du danger, qui les a contraints jusqu’à toute extrémité. Et saint Luc ajoute qu’à la fin, après avoir essayé toutes choses, ils ont désespéré de leur vie. Et de fait, l’obscurité du ciel leur était comme un sépulcre. Et il ne faut point douter que le Seigneur a voulu plus clairement donner à connaître, et rendre notable par ce moyen la grâce de la délivrance qui s’est ensuivie puis après. Cependant il a permis que son serviteur fut en peine aussi bien que les autres, voire jusqu’à se penser être en danger certain de la mort. Car il ne lui est point apparu par son Ange, que premièrement il ne semblât que ce fut du tout fait de sa vie. Par quoi non seulement son corps a été agité au milieu des orages, mais aussi son âme a été en grand branle par tentations dures et violentes. Toutefois l’issue a bien montré que la foi l’a soutenu qu’il ne perdît du tout courage. Il est vrai que saint Luc ne fait aucune mention de ses prières, mais pour autant qu’il explique puis après qu’il voit l’Ange de Dieu, auquel il servait, il est bien vraisemblable que cependant que les autres maudissaient ciel et terre, il a adressé ses prières là-haut, et ainsi s’est tenu coi, et d’un esprit posé a attendu ce qu’il plairait à Dieu d’envoyer. Or quant à ce que saint Luc dit que l’espoir de se sauver leur a été ôté, cela ne se doit rapporter au sentiment qu’en eût saint Paul, mais seulement aux moyens humains ; comme si S. Luc eût dit que les choses étaient si fort confuses, qu’il ne restait aucun moyen de se sauver, selon le jugement des hommes.
Et ayant passé au-dessous d’une petite île, appelée Clauda, nous pûmes à peine nous rendre maîtres de la chaloupe.
Après l’avoir hissée, ils employaient des moyens de secours : ils ceignaient le vaisseau. Et comme ils craignaient d’être jetés sur la Syrte, ayant cargué la voile, ils se laissaient emporter ainsi.
Mais comme nous étions violemment battus par la tempête, le jour suivant, ils jetaient une partie de la cargaison.
Et le troisième jour, nous jetâmes de nos propres mains les agrès du vaisseau.
Mais ni soleil ni étoiles ne luisant pendant plusieurs jours, et une grande tempête étant sur nous, à la fin toute espérance de nous sauver nous était ôtée.
Et comme il y avait longtemps qu’on n’avait mangé, Paul se leva alors au milieu d’eux et dit : hommes, vous auriez dû m’écouter, et ne pas partir de Crète, et éviter ainsi cette tempête et cette perte.
Combien que saint Luc n’exprime pas ouvertement comment les soldats et les nautonniers se sont portés ; toutefois il discerne assez clairement saint Paul d’avec eux, disant qu’il s’est tenu au milieu d’eux, pour les exhorter à prendre bon courage, et les redresser de la peur qu’ils avaient. Car celui qui veut donner bon courage aux autres, ne sera pas propre pour ce faire, sinon qu’il propose en soi un exemple de constance et force. Au surplus, saint Paul a différé de faire cette remontrance jusques à ce que tous fussent quasi comme morts. On peut recueillir de la façon commune des infidèles, que ceux-ci ont fait de grands bruits entre les commencements, et tempêté outre mesure et sans aucune modération. Entre ces cris et bruits on n’eût jamais entendu un propos rassis. Après qu’ils se soient bien tracassés, et qu’étant las de se lamenter, ils sont là gisant comme complètement éperdus, saint Paul leur parle. Il fallait donc qu’ils languissent comme demi-morts, jusqu’à ce qu’étant un peu apaisés, paisiblement aussi ils écoutent et en silence celui qui les admonestait pour leur bien. Tant il y a toutefois qu’il semble que saint Paul y procède sans propos de les taxer de folie, de ce que quand les affaires se portaient bien encore, ils n’avaient voulu croire son conseil ; vu qu’ils savaient bien qu’il n’entendait pas le fait de la navigation, comme aussi lui-même reconnaissait bien cela en soi. Mais si nous considérons bien combien difficilement les hommes se laissent manier et amener à quelque bon sens, et à reconnaître leur faute, ce châtiment de saint Paul leur a été fort utile. Il n’y avait point d’autorité en saint Paul pour les émouvoir, sinon qu’il leur fut donné à connaître qu’ils s’étaient mal trouvés de n’avoir tenu compte auparavant de ce qu’il avait dit. Il est bien vrai que la répréhension qui n’apporte aucun soulagement, sera cruelle. Mais si elle est assaisonnée de remède, qui y sera ajouté, elle-même sera une partie de la médecine. Ainsi après que saint Paul les a rendu attentifs, et par l’événement leur a montré qu’il lui fallait ajouter foi, il les exhorte à ce qu’ils prennent bon courage, et leur promet qu’ils échapperont. Or c’est un signe d’une confiance et hardiesse singulière, quand il dit qu’ils le devaient croire. Ainsi il témoigne par ces paroles qu’il n’avait rien mis en avant à la volée, mais qu’il leur avait déclaré ce qui lui était ordonné de Dieu. Car soit déjà qu’on ne lise point qu’aucune révélation lui fut donnée alors, néanmoins il sentait bien en soi un secret gouvernement du Saint Esprit, en sorte qu’il pouvait hardiment entreprendre de faire l’office d’exhortateur, vu qu’il avait un bon conducteur qui allait devant, et qui le guidait, à savoir l’Esprit de Dieu. Dont apparaît encore mieux ce que j’ai naguère touché, que Paul en faisant une telle préface réveille ceux qui étaient au navire, afin qu’ils prêtent plus d’attention à ce qu’il veut dire. Autrement c’eut été une moquerie, de dire qu’un homme qui était en danger d’être noyé, promît sûreté à ceux qui étaient en pareil danger.
Et maintenant je vous exhorte à prendre courage ; car il n’y aura perte de la vie d’aucun de vous, mais seulement du vaisseau.
Car un ange du Dieu à qui je suis et que je sers, m’est apparu cette nuit, disant :
Afin qu’il ne puisse être taxé de témérité, d’autant que si hardiment il promet sûreté à tous ceux qui sont au navire, il amène Dieu pour témoin et garant. Et il n’y a point de doute qu’il n’ait été bien assuré de la vision, en sorte qu’il ne craignait point les tromperies et illusions de Satan. Car d’autant que ce père de mensonge bien souvent déçoit les hommes sous espèce de révélations ou visions, Dieu n’est jamais apparu à ses serviteurs ou par soi-même ou par ses Anges, que en même temps il ne leur ait ôté tout scrupule de doutes par certaines marques et enseignes. De plus, qu’il ne les ait munis d’esprit de discrétion, afin que les mensonges n’eussent point de lieu. Au reste, saint Paul célèbre haut et clair le nom de son Dieu entre gens profanes ; non seulement afin qu’ils apprennent qu’en Judée le vrai Dieu est honoré et adoré, mais aussi qu’ils connaissent que Paul est son serviteur. Tous savaient bien pour quelle raison on l’avait constitué prisonnier ; maintenant puisque les Anges descendent du ciel pour venir à lui, on peut recueillir facilement que sa cause est approuvée de Dieu. Ainsi donc il y a tacitement en ces paroles une louange de l’Evangile. Cependant on peut bien voir comment saint Paul triomphe en ses liens ; vu qu’il est ministre de sûreté à tant de gens, et messager de Dieu.
Ne crains point, Paul, il faut que tu comparaisses devant César ; et voici, Dieu t’a donné tous ceux qui naviguent avec toi.
Il insiste soigneusement sur ce point, d’attribuer à Dieu seul la gloire de cette délivrance ; à cette fin que les superstitieux ne la transfèrent faussement à leurs idoles ; et par ce moyen il les invite à la vraie et droite foi. Mais il apparaît par ceci quelle est la perversité des hommes, en ce qu’ils ferment les oreilles aux bons conseils et profitables qu’on leur donne, et tout incontinent mettent en oubli la grâce de Dieu, quoi qu’elle leur ait été manifestée familièrement ; même, qui pis est, quand elle est devant leurs yeux présente, ils ne la voient ni ne la sentent. Mais combien que la plupart de ceux-ci aient été ingrats ; tant il y a toutefois que cette vision n’a point été manifestée sans fruit ; et même elle a profité en ce que ces gens ont été rendus inexcusables, qui se plaisaient par trop en tromperies et abus. Or quant à ce qu’il lui a été dit qu’il fallait qu’il fut présenté à César, cela tendait à ce but, que sa confession confirmât d’avantage les cœurs des fidèles, après qu’ils auraient été avertis que de façon certaine il venait ordonné de Dieu pour lui être témoin, et pour maintenir la doctrine de l’Evangile, et qu’il était gardé en sûreté à cette fin.
Et voici, Dieu t’a donné tous ceux. Il semble bien que S. Luc veuille dire que saint Paul a prié non seulement pour soi, mais aussi pour les autres, que Dieu les préservât tous d’être noyés. Et de fait, il est vraisemblable que voyant le danger commun, il n’a point été tellement soigneux de sa propre vie, que cependant il ne se souciât point des autres, vu qu’il les voyait tous avec soi enveloppés en même danger. Il se peut bien faire toutefois que Dieu ait prévenu ses prières de sa libéralité. Et ce n’est point une chose nouvelle, que sa bénédiction soit étendue jusques à ceux qui en sont indignes, lesquels sont conjoints de quelque lien de société avec les fidèles. Ainsi eût-il épargné Sodome, si dix hommes de bien seulement eussent été là trouvés, Genèse 18.32.
Sur ceci on peut faire cette question, Jusqu’à quel but profite l’intégrité des fidèles aux méchants. Pour répondre à ceci, il faut en premier lieu ôter la superstition des Papistes, lesquels aussitôt qu’ils aient dire que Dieu fait bien aux méchants à cause des fidèles, ils songent que les fidèles sont médiateurs, qui par leurs mérites obtiennent salut pour le monde. Mais ils se montrent doublement sots, en ce qu’ils attribuent aux morts ce qui est dit des vivants ; et il n’espèrent point que Dieu leur soit propice sinon au regard de ceux-ci pour cette cause ils les prennent pour patrons et avocats. Je laisse à dire, qu’en faisant valoir les mérites des saints, ils obscurcissent la bonté gratuite de Dieu. Maintenant pour donner solution à la question qui a été proposée, voici ce qu’il nous en faut résoudre : Que quand avec les bons il y a des méchants mêlés, les adversités et prospérités adviennent indifféremment aux uns et aux autres ; néanmoins il advient quelque fois que Dieu en épargnant les siens, supporte les méchants avec eux pour quelque temps ; car il y a plusieurs causes pourquoi il fait du bien aux méchants et réprouvés pour l’amour des fidèles. Le Seigneur a bénit la maison de Potiphar pour l’amour de Joseph (Genèse 39.3) pour fléchir son cœur a ce qu’il se montrât humain envers ce saint Personnage. Il a rendu témoignage de la faveur qu’il portait à saint Paul, en sauvant la vie à un grand nombre de gens ; afin qu’il montrât quelle était sa religion et sainteté, et que par ce moyen la majesté de l’Evangile fut apparente. Au demeurant, il faut entendre que tous les bénéfices que Dieu confère aux infidèles, leur tournent finalement à ruine ; comme au contraire les peines sont utiles aux fidèles, lesquelles ils endurent avec les méchants. Cependant c’est un gage singulier de l’amour de Dieu envers ses fidèles, que de ceux-ci il fait découler sur les autres quelques gouttes de sa sollicitude.
C’est pourquoi, ô hommes, prenez courage ; car j’ai cette confiance en Dieu qu’il en sera comme il m’a été dit ;
Saint Paul répète derechef d’où lui vient une si grande hardiesse, qu’au milieu de tant de gouffres de la mer, il affirme si constamment que tous les hommes qui étaient au navire, parviendront en sûreté au port, à savoir d’autant que Dieu l’avait ainsi promis. Par lesquels mots est exprimée la nature de la foi, en tant qu’ils contiennent une relation mutuelle entre la parole de Dieu et la foi, afin qu’elle fasse subsister fermes les cœurs contre les assauts des tentations. Au surplus, non seulement il exhorte par son exemple ceux qui étaient au navire, à ce qu’ils croient ; mais (par manière de dire) il fait office d’une caution, pour autoriser la certitude de la révélation. Quant à ce qu’il ajoute tout incontinent après, de l’île, c’est un second signe, par lequel après l’issue on puisse plus clairement connaître que cette navigation n’était point incertaine et conduite par fortune. Autrement il ne servait de rien à ceux qui étaient au navire, de savoir le moyen par lequel ils échapperaient. Nous voyons donc comment Dieu donne des marques notables à la délivrance qu’il avait promise, afin qu’il ne semble que cela soit advenu par fortune. Cependant il faut noter que Dieu les tient en suspens, en partie afin que la foi de son serviteur soit exercée ; en partie aussi afin que tous connaissent que Paul a appris du Saint Esprit ce que le sens humain ne pouvait encore comprendre. Toutefois en la déduction du texte saint Luc enseigne qu’encore pour cela on n’a point cru à ses paroles. Car ce que les mariniers pensaient qu’ils approchaient de quelque région ou contrée de terre, n’était pas accordant avec la promesse d’aborder en quelqu’île. Nous voyons donc qu’ils n’ont pu entendre que S. Paul eût dit vrai, sinon après que finalement ils ont été contraints à grande difficulté par l’expérience.
mais il faut que nous soyons jetés sur quelque île.
Or, quand la quatorzième nuit fut venue, comme nous étions portés çà et là sur la mer Adriatique, vers le milieu de la nuit, les matelots soupçonnaient qu’ils approchaient de quelque terre.
Et ayant jeté la sonde, ils trouvèrent vingt brasses ; puis étant passés un peu plus loin et l’ayant jetée de nouveau, ils trouvèrent quinze brasses.
Et craignant que nous ne donnions sur des récifs, ils jetèrent quatre ancres de la poupe, et ils faisaient des vœux pour que le jour vînt.
Mais comme les matelots cherchaient à s’enfuir du vaisseau, et qu’ils avaient mis la chaloupe à la mer, sous prétexte de jeter les ancres de la proue,
La grâce du Saint Esprit s’est aussi en cet endroit montrée en saint Paul ; à savoir qu’il a prudemment averti qu’il fallait garder les nautonniers de s’enfuir. Car pourquoi est-ce que le Centenier ou quelqu’autre de la troupe ne s’aperçoit plus tôt de la fraude, sinon afin que saint Paul soit ministre de cette délivrance jusqu’à l’extrémité ? Mais c’est merveille qu’il dit que les autres qui sont au navire, ne pourront être sauvés, si les nautonniers ne sont retenus ; comme s’il eût été en leur puissance d’anéantir la promesse de Dieu. Je réponds à cela, que saint Paul ne dispute point ici précisément de la puissance de Dieu, en sorte qu’il la sépare de la volonté de celui-ci et des moyens. Et de fait, quand Dieu propose sa vertu aux fidèles, ce n’est pas afin que laissant les moyens, ils s’adonnent à nonchalance et soient sans soin, ou qu’ils se jettent à l’étourdie, quand il y a certain moyen de se garder. Dieu avait promis au roi Ezéchias que la ville de Jérusalem qui était assiégée, serait délivrée, Esaïe.37.6, 35. Là-dessus s’il eût ouvert les portes aux ennemis, Esaïe n’eût-il pas incontinent crié à haute voix : Tu te ruines toi-même et la ville ? toutefois il ne s’ensuit pas pourtant que la main de Dieu soit attachée aux moyens et aides. Mais quand le Seigneur ordonne ce moyen de faire ou celui-là, il retient les sens des hommes, à ce qu’ils n’outrepassent point les limites qu’il leur a donnés.
Paul dit au centenier et aux soldats : Si ceux-ci ne demeurent dans le vaisseau, vous ne pouvez être sauvés.
Alors les soldats coupèrent les cordes de la chaloupe, et la laissèrent tomber.
Et, en attendant que le jour vînt, Paul les exhortait tous à prendre de la nourriture, disant : C’est aujourd’hui le quatorzième jour que vous passez à jeun, dans l’attente, sans avoir rien pris.
Quoi que jugent les mariniers par leur conjecture, la foi de saint Paul ne chancelle point, mais il se repose constamment sur la promesse qui lui a été faite. Car il n’exhorte pas seulement les autres à manger, comme on lit de quelqu’un, qui en guerre voyant les affaires en désespoir, dit à ses Soldats : Dînez mes amis, car nous souperons en enfer, mais persévérant en ce qu’il avait prédit, il les exhorte de prendre bon courage. La vertu de la foi se montre en cela, quand elle nous arme à patience, et reçoit hardiment, voire repousse les assauts contraires, par lesquels Satan s’efforce de la renverser du tout. Mais ceci pourrait sembler être fort absurde, quand il dit qu’ils demeurèrent à jeun l’espace de quatorze jours. Il s’en pourra trouver par aventure quelqu’un qui endurera la faim un longue espace de temps ; mais d’une si grande multitude de gens cela n’est pas facile à croire. La réponse est facile, que le jeûne est ici improprement pris pour une abstinence extraordinaire et non accoutumée ; d’autant que durant tout ce temps-là ils n’avaient fait un seul bon repas ; comme ceux qui sont angoissés de tristesse, sont presque dégoûtés de la viande. Or pour ce que le désespoir était cause d’un tel dégoût, il affirme derechef que la vie leur sera sauvée, moyennant qu’ils reprennent courage. Car un fidèle Ministre de la Parole doit, non seulement mettre en avant les promesses, mais aussi en même temps ajouter bon conseil, que les hommes suivent Dieu qui les appelle, et ne demeurent point oisifs et hébétés. Au demeurant, le sens des paroles est : Dieu a ordonné de vous sauver ; cette confiance vous doit donner bon courage, et vous rendre allègre, afin que vous fassiez votre part.
C’est pourquoi je vous exhorte à prendre de la nourriture, car cela est nécessaire pour votre salut ; en effet, pas un cheveu de la tête d’aucun de vous ne se perdra.
Et ayant dit cela, il prit du pain et rendit grâces à Dieu en présence de tous ; et l’ayant rompu, il se mit à manger.
Afin qu’à son exemple ils soient mieux encouragés, il prend du pain et en mange. Saint Luc mentionne qu’il a rendu grâces, non seulement selon la façon ordinaire, mais pour ce que cela servait grandement à rendre témoignage de son assurance. Il est vrai qu’il ne faut point douter que S. Paul en prenant la viande, n’ait soigneusement pratiqué ce qu’il commande aux autres ; mais maintenant non seulement il rend témoignage qu’il n’est point ingrat envers Dieu qui le nourrit, et ne demande point seulement que Dieu bénisse et sanctifie la viande qu’il doit prendre, mais avec hardiesse il invoque Dieu comme auteur de la vie, afin que ces pauvres gens qui étaient serrés de tristesse, conçussent quelque bonne espérance. Aussi pour le moins ceci a apporté ce profit, qu’ils ont repris courage, et puis après, qu’ils ont mangé, tandis qu’auparavant la crainte leur avait fait mettre en oubli tout soin de leur vie.
Et tous, encouragés, prirent eux aussi de la nourriture.
Or nous étions, en tout, sur le vaisseau, deux cent soixante-seize personnes.
Le nombre des hommes est ici rapporté, premièrement afin qu’on sache plus certainement qu’il n’en est péri un seul de la troupe. Car saint Luc ne raconte point combien de personnes sont parvenues au bord à nage ou autrement, mais combien pour lors il y en avait au navire. Secondement, afin que le miracle soit plus renommé et évident. Car à grand peine cela pouvait advenir selon les hommes, que 276 fussent rescapés d’un si grand danger pour venir tous à nage en sûreté, sans qu’il y en eût à dire pas un. Car on peut bien penser qu’outre les mariniers il n’y en avait pas beaucoup qui sachent nager. Et combien qu’après avoir bu et manger ils fussent un peu revigoré, toutefois la longue fâcherie et la grande tristesse les avaient tellement mis bas, que c’est merveilles comment ils ont été agiles à remuer les bras. Aussi il faut considérer quel bruit ils ont fait là, vu qu’à grand peine advient-il que vingt ou trente personnes nagent tellement en un danger, que les uns ne heurtent les autres, ou les fassent enfoncer. Dieu donc a déployé manifestement son bras, vu que sans exception on a pu compter au rivage tous ceux qui étaient jetés en la mer.
Et quand ils furent rassasiés, ils allégèrent le vaisseau en jetant le blé à la mer.
Il est bien montré par cette circonstance, que finalement ils ont été remués par la parole de saint Paul. Le jour n’était encore apparu, en sorte qu’ils puissent savoir s’il y avait là quelque port prochain. Toutefois ils jettent en la mer le blé qu’ils ont de reste pour alléger leur navire. Ils n’eussent point fait cela, si saint Paul n’eût eu plus d’autorité envers eux qu’il n’avait eu auparavant. Mais comme tous les incrédules sont inconstants, cette persuasion s’écoula facilement de leurs cœurs bientôt après.
Et lorsque le jour fut venu, ils ne reconnaissaient point la terre, mais ils apercevaient un golfe qui avait une plage, sur laquelle ils projetaient de pousser le vaisseau, s’ils le pouvaient.
Et ayant coupé les câbles des ancres, ils les abandonnèrent à la mer, déliant en même temps les attaches des gouvernails ; et ayant mis au vent la voile d’artimon, ils cinglèrent vers la plage.
Mais étant tombés dans un endroit qui avait la mer des deux côtés, ils échouèrent le vaisseau ; et tandis que la proue, se trouvant engagée, demeura immobile, la poupe se rompait par la violence des vagues.
Lors certes il pouvait sembler que Dieu s’était même moqué de saint Paul ; et d’autre part, que lui n’avait fait que gazouiller et entretenir les autres en une vaine espérance. Mais Dieu en donnant meilleure issue a prévenu qu’ils n’entrassent en cette opinion. Et il fallait qu’il en advint, et que le navire étant rompu et brisé, ils vinssent à perdre courage ; afin que le désespoir de l’affaire augmentât l’excellence du miracle, et lui donnât du lustre. Car Dieu a coutume de tellement conduire ses œuvres, que plusieurs obstacles se présentant, il nous montre apparence de difficulté. En cette sorte il aiguise nos sens, à ce que nous soyons plus attentifs, afin que finalement nous apprenions que la victoire demeurera par devers lui, et qu’il ne pourra être empêché, quelque résistance que tout le monde lui fasse. C’est la raison pourquoi il a mieux aimé tirer hors du danger Paul et les autres, après que le navire a été rompu, que de faire venir à bord le navire entier.
Or les soldats délibérèrent de tuer les prisonniers, de peur que quelqu’un d’eux, s’étant échappé à la nage, ne s’enfuit.
C’a été une ingratitude trop cruelle, que combien que ces soldats dussent leur vie à saint Paul par deux ou trois fois, nonobstant ils prennent conseil de le tuer ; en lieu que c’eût été bien raison que pour l’amour de lui ils eussent épargné les autres. La vie leur avait été sauvée par lui, comme si un Ange de Dieu fut venu à eux pour les sauver ; ils avaient entendu de sa bouche un conseil salutaire ; ce même jour comme ils étaient demi-morts, il les avait remis en vigueur. Maintenant ils ne font point de difficulté de le vouloir occir cruellement, lui par lequel ils avaient été tant de fois et en tant de sortes délivrés. Par quoi si quelque fois il advient qu’on nous rende une méchante récompense pour nos bienfaits, il ne faut point que la vilaine ingratitude des hommes nous trouble ; c’est une maladie plus que commune. Au reste, non seulement ils sont ingrats envers saint Paul qui est ministre de leur vie, mais aussi une vilaine incrédulité et oubli malheureux de la grâce de Dieu se montre en eux. Il n’y avait pas longtemps qu’ils avaient accepté cette révélation, que leurs vies étaient données à saint Paul ; maintenant quand ils veulent se sauver en le faisant mourir, que tâchent-ils de faire sinon résister à Dieu, à ce que contre sa volonté ils se délivrent de la mort eux-mêmes ? Ainsi la grâce laquelle au dernier désespoir ils avaient été contraints de goûter, leur est écoulée maintenant et ne leur sent plus rien depuis qu’ils aperçoivent un port prochain. Or quant à nous, il faut que nous considérions le conseil admirable de Dieu, tant à garder saint Paul, qu’à accomplir sa promesse, quand il amène jusqu’en terre ceux mêmes auxquels il n’avait point tenu que sa promesse ne fut rendue vaine. Ainsi bien souvent sa bonté a coutume de combattre contre la malice des hommes. Toutefois il est tellement miséricordieux envers les méchants, que différant leur punition au temps qu’il connaîtra opportun, il les laisse toujours en leur condamnation ; et même finalement par la pesanteur de la punition il récompense le long terme qu’il les a supportés en patience.
Mais le centenier, voulant sauver Paul, les empêcha d’exécuter ce dessein, et ordonna à ceux qui savaient nager de se jeter à l’eau les premiers et de gagner la terre,
et aux autres de se mettre, qui sur des planches, qui sur quelques épaves du vaisseau. Et ainsi il arriva que tous se sauvèrent à terre.