La possession et l’usage des richesses doivent être subordonnées à la souveraine raison. Il en faut faire part aux autres, non point avec une épargne mesquine et sordide, non point avec un orgueil insolent, mais avec une tendre sollicitude. Gardons-nous d’être bienfaisants par orgueil ou par égoïsme, de peur qu’on ne dise de nous : Les biens que possède ce riche, ses chevaux, ses esclaves, ses trésors sont hors de prix ; mais lui-même ne vaut pas trois oboles. Ôtez, en effet, la parure aux femmes et les domestiques aux maîtres, vous verrez que les maîtres ne différent en rien des esclaves qu’ils ont achetés à prix d’argent. Leur démarche, leur aspect, leur langage est le même ; ou si même il existe entre eux quelque différence, elle est toute à l’avantage des esclaves, qui n’ont point été affaiblis et énervés par une éducation molle et efféminée. Ne nous lassons donc point de répéter, suivant l’esprit et les maximes des divines Écritures : Si vous êtes bon, juste et modéré, vous faites dès à présent un amas d’argent que vous retrouverez dans le ciel. Si vous vendez vos biens terrestres et les distribuez aux pauvres, vous amassez des trésors célestes que la rouille ne dévore point et que les voleurs ne vous peuvent ravir. Si vous agissez ainsi, vous êtes véritablement heureux, quelque pauvre, faible et sans gloire que vous soyez, et vous possédez réellement de grandes richesses. Mais fussiez-vous, au contraire, plus riche et plus puissant que les rois Midas et Cinyre, si vous êtes injuste et insolent comme le riche de l’Évangile, qui, vêtu de pourpre et de lin, méprisait la misère et la nudité de Lazare, vous êtes malheureux et tourmenté en ce monde, et vous ne vivrez point dans l’autre.
La richesse est perfide et dangereuse comme le serpent. Si quelqu’un saisit un serpent sans prudence et sans précaution, il se roulera en mille cercles autour de sa main, et le mordra ; de même s’il ne commande point à ses richesses, et s’il n’en règle point l’usage, elles s’attacheront à lui et le dévoreront. Mais si vous êtes magnifique et bienfaisant envers vos frères, vous vaincrez le monstre par la puissance du Verbe, et son venin ne pourra vous nuire. Telles sont les véritables richesses à la nature desquelles nous ne faisons point assez attention ; tels sont les trésors véritablement précieux. Ce n’est point l’argent, les perles, les habits magnifiques, la beauté corporelle, qui ont un grand prix, mais la vertu seule. La vertu est cette raison dont le Pédagogue divin règle et dirige l’exercice. De là viennent les ordres répétés qu’il nous fait, d’abjurer les vaines délices ; et les louanges qu’il ne cesse de donner à la frugalité, fille de la tempérance. « Préférez, dit-il, mes enseignements à l’argent, et la science à l’or le plus pur ; car la sagesse est meilleure que les perles, et toutes les pierres précieuses ne l’égalent pas. » Rien de ce qui est le plus précieux n’est donc comparable à la vertu. « Mes fruits, dit-il encore, sont meilleurs que l’or, que l’or le plus pur ; mes dons valent mieux que les saphirs. »
Faut-il peser le mérite de ces deux sortes de trésors, si différents l’un de l’autre ? Je le veux bien. Pensez-vous qu’un homme soit riche, parce qu’il possède de grands biens et qu’il est rempli d’or comme une vile bourse ? ou plutôt le véritable riche n’est-il pas celui qui, plein de justice, de sagesse et de beauté, car l’ordre est la vraie beauté, montre sa sagesse dans l’administration de ses biens, et sa modération dans la manière bienveillante dont il les distribue à ses frères ? N’est-ce pas de ces hommes que l’Écriture nous dit que plus ils sèment plus ils récoltent : « Il a répandu ses biens sur le pauvre ; sa justice subsistera dans les siècles. » Ce n’est donc pas celui qui a et ne donne point, mais celui qui donne, qui est riche ; car le bonheur ne consiste point à posséder, mais à donner. La bienfaisance venant de l’âme, les vrais biens en viennent aussi, appartenant à la vertu seule, et par conséquent aux Chrétiens. Un homme qui n’a ni justice, ni sagesse, ni modération, ne peut ni connaître ni posséder ces biens. Les Chrétiens seuls le peuvent ; et comme rien n’est aussi précieux que ces biens, étant les seuls qui les possèdent, ils sont nécessairement les seuls qui soient riches. Les richesses du Chrétien sont la justice et la raison, qui est plus précieuse qu’aucun trésor. Elles ne lui viennent point de la terre, mais de Dieu, qui se plaît à les lui donner ; et rien ne peut les lui ravir. Elles ne consistent point dans la multitude de ses troupeaux, l’étendue et la fertilité de ses champs ; mais elles sont enfermées dans son âme comme dans un trésor, et leur possession, qui est la plus excellente de toutes, le rend parfaitement heureux. Elles l’empêchent de rien désirer qui soit injuste, et lui font obtenir tout ce qu’il désire. Comment donc ne serait-il pas riche, puisque toutes ses demandes étant saintes et exaucées, il possède Dieu lui-même, trésor éternel et inépuisable. « On donnera à celui qui demande, on ouvrira à celui qui frappe. » Vous le voyez, ceux à qui Dieu ne refuse rien à cause de leur vertu et de leur piété, ne manquent de rien et possèdent tout.