Théologie Systématique – IV. De l’Église

4. Système intermédiaire

Les deux systèmes extrêmes (le séparatisme et le latitudinarisme), sont incomplets et par cela même erronés et périlleux. Ils rompent également, quoiqu’en sens contraire, l’harmonie des deux grands principes évangéliques ; l’un poussant l’unité dogmatique jusqu’à l’anéantissement de l’Église extérieure-générale, l’autre allant jusqu’à sacrifier la vérité à une union purement apparente ; l’un manquant au devoir de la condescendance, l’autre au devoir de la fidélité.

Nous sommes donc conduits au troisième système, celui de la Réformation, qui veut en même temps le maintien de la vérité et le maintien de l’union, une Église générale et une doctrine positive.

Nous n’avons pas besoin de nous arrêter à établir qu’à nos yeux ce système est le seul fondé : cela ressort suffisamment de notre discussion précédente et, en particulier, du double caractère que nous avons relevé dans la notion scripturaire de l’Église. Il est évident d’ailleurs qu’il faut à la Société religieuse, comme à la Société politique, sa charte constitutionnelle, qui constate ce qu’elle est et lui imprime l’unité de direction dont elle a besoin. On regrette d’avoir à ramener incessamment un tel lieu commun, un tel truisme.

Mais, parmi ceux qui admettent en principe le système intermédiaire, il existe de graves dissidences. D’accord sur l’obligation de concilier la liberté et l’ordre par une règle constitutive, ils ne le sont pas, à beaucoup près, sur la nature, la forme et l’étendue de cette règle. Les uns demandent le retour pur et simple aux anciens symboles ; d’autres sont d’avis qu’ils doivent être remplacés par des formulaires, réduits aux seuls points essentiels pour qu’il y ait dans l’Église communauté de direction et de vie ; d’autres encore veulent que les liturgies et les catéchismes soient substitués aux formulairesa.

a – Ce dernier point de vue, que je place dans le système intermédiaire et qui lui appartient en effet, s’est généralement placé dans le système universaliste.

Cette dernière opinion s’est peu produite comme théorie, quoiqu’elle ait de nombreux partisans. La voici telle qu’elle fut formulée par un de nos journaux religieux qui s’en fit pendant quelque temps l’organeb : « L’erreur n’est pas seulement d’un côté… Les amis de la liberté ouvrent la porte à l’anarchie lorsqu’ils disent n’avoir d’autre lien que la Bible, lorsqu’ils prétendent laisser à chacun liberté entière dans la manifestation de ses croyances religieuses. Il n’est pas possible, en effet, que dans la même chaire un prédicateur vienne le soir combattre la doctrine prêchée par un autre le matin. Dès que cela arrive, un règlement intervient pour empêcher la polémique et mettre des bornes à la liberté individuelle. Lors même que tous les pasteurs seraient du même avis, il ne leur serait pas possible de prêcher que Jésus-Christ n’a point fait de miracles, qu’il n’est pas le Fils de Dieu, que sa mort est inutile à la rémission des péchés, que l’homme est sans péché ou qu’il n’a pas besoin du secours du Saint-Esprit… Pourquoi cela ? Parce que ces doctrines sont celles de l’Église… Il y a donc une doctrine commune dans les Églises sans Confession de foi : même en France, même à Neuchâtel, même à Genève, il y a un certain nombre de vérités simples, pratiques, un certain nombre de faits, qui constituent les croyances publiques, qui lient les uns aux autres ceux qui les professent. Cette doctrine se trouve exposée sous sa forme la plus simple, la plus vivante, dans la Liturgie ; elle est sous une forme plus didactique, et pourtant populaire, dans le Catéchisme. Là se trouve le complément indispensable du principe fondamental : « la Bible et l’examen ; là est l’alliance possible de l’unité avec la liberté. »

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b – « L’Evangéliste », 15 juin 1840.

Ce système pose bien formellement la nécessité et la légitimité de la règle dogmatique. La question de principe y est tranchée ; il ne reste que la question de forme, de moyen, d’application. On repousse les symboles, mais on veut qu’à leur place les liturgies et les catéchismes exercent l’autorité doctrinale dont l’Église ne saurait se passer. Ce système est, quant au fond, celui de bien des « dissenters » anglais, qui rejettent aussi toute espèce de formulaire. Il peut assurer une unité dogmatique très étendue et très forte.

A vrai dire, c’est parce qu’il ne laisse pas assez de liberté, que nous répugnerions surtout à l’admettre. Et puis, dans notre état actuel, comment l’appliquer ? Quelle est la Liturgie, quel est le Catéchisme qui serait investi de l’autorité normative ? Car nous avons plusieurs de ces livres symboliques, admis les uns ici, les autres là. Dans chacun respire un esprit particulier, et aucun n’a été rédigé au nom de l’Église, ni approuvé ni sanctionné par elle.

Dans cette indétermination, on laisse subsister toutes les questions, toutes les difficultés, et on en soulève de nouvelles. La liturgie exprime une tendance, une couleur religieuse, sans donner formellement une doctrine, et ne peut dès lors fournir la règle cherchée. Le catéchisme, devant exposer l’ensemble des devoirs et des dogmes, va nécessairement fort au delà de ce qu’exige un formulaire ; il décide, il fixe, en bien des cas, ce qui devrait rester libre ; d’un autre côté, n’exposant la doctrine que pour l’instruction et l’édification de l’enfance, il ne peut définir suffisamment les points essentiels. C’est trop et trop peu ; la règle a trop d’étendue et manque de précision. Aussi arrive-t-on toujours à une déclaration de foi : à côté ou au-dessus de la liturgie et du catéchisme, on pose certains dogmes ou certains faits dont on exige la profession ; ici, c’est le Symbole des Apôtres ; là, un consensus tacite ; ailleurs, on réduit tout à un seul point, la foi en Jésus-Christ, Seigneur et Sauveur.

Avec ceux qui en sont là, il ne s’agit plus de discuter s’il est légitime et nécessaire d’avoir une règle dogmatique ; ils en ont une. L’unique question est de savoir si celle qu’ils proposent est suffisante. Or, évidemment, elle ne l’est pas ; surtout lorsqu’elle se borne, suivant la pente la plus commune aujourd’hui, à poser la foi au salut par Jésus-Christ, sans entrer aucunement dans le fond des idées que ces mots expriment. Quiconque prend le nom de chrétien peut, en toute sincérité, adopter cette vague formule ; car il est impossible d’admettre l’Évangile, en quelque sens qu’on le fasse, sans admettre aussi d’une ou d’autre manière que Jésus-Christ est le Sauveur du monde, puisque c’est là l’Évangile même. Les chrétiens panthéistes de nos jours le proclament, comme les chrétiens déistes du siècle dernier, comme les chrétiens socialistes eux-mêmes. La formule n’ajoute rien au principe ; elle laisse toutes les opinions antagonistes en présence et en lutte, elle est sans force contre l’anarchie qu’on veut prévenir ; ce n’est qu’une règle apparente, une barrière nominale, et il en faut une qui soit réelle, positive, efficace.

Le retour aux anciens symboles ne me semble ni possible ni désirable. Si les confessionalistes allemands le réclament, ils sont à peu près les seuls. Quoique la Confession de la Rochelle n’ait pas été officiellement abolie, et qu’elle soit même reconnue par les Articles organiques, elle a cessé, en réalité, d’être la loi de nos Églises ; elle n’existe guère, ainsi que la Discipline, que comme monument historique. Or, en thèse générale, une constitution quelconque, politique ou religieuse, une fois tombée ne se relève pas. Les restaurations sont des reconstructions. Pour revenir à la Confession de La Rochelle, il faudrait revenir au point de vue du xvie siècle ; et si quelques esprits semblent s’y replacer, la masse ne le peut. Le fond vital de cette antique déclaration restera sans doute, car il est éternel en tant qu’expression de la vérité évangélique ; mais la forme, et tout ce qu’elle porte avec elle, et qui tient à la théologie du temps, ne réunira plus l’assentiment général. Si donc on ne veut pas scinder notre Église et se contenter de grouper une petite minorité de ses membres autour de son ancienne règle de foi, il faut ou consentir à un nouveau formulaire, ou se résigner à n’en avoir aucun.

D’ailleurs les Confessions du xvie siècle prêtent de divers côtés à de sérieuses objections. Ayant généralement pour but d’instituer et de garantir une détermination systématique du Christianisme, elles mêlent beaucoup trop à la simple et pure donnée scripturaire une interprétation humaine ; la conception du fait révélé s’y substitue souvent au fait lui-même. C’est une religion greffée sur une théologie. Or, en cela une Église outrepasse ses droits et ses devoirs : elle empiète sur le terrain de la liberté, et, en voulant trop réglementer la vérité divine, elle l’expose, en même temps qu’elle compromet l’unité. Il est obligatoire pour elle, quand elle marque les conditions auxquelles elle attache ses emplois, de se borner à la constatation des grandes doctrines bibliques, base de son enseignement et de son culte, en laissant de côté la théorie proprement dite. Ainsi, pour citer un exemple, sur la personne du Sauveur, le Nouveau Testament enseigne que la divinité est unie en lui à l’humanité et il le montre adoré dans le Ciel et sur la terre : il réclame pour lui tous les sentiments qui constituent la piété et qui lui ont toujours fait dire : Mon Seigneur et mon Dieu ! Mais les rapports du Verbe éternel avec le Père d’un côté, et avec l’Homme-Jésus de l’autre, ne sont point déterminés dans l’Ecriture comme ils l’ont été plus tard dans la dogmatique officielle. Déduits de la révélation, sans y être donnés directement et positivement, ils appartiennent à la partie théologique, et par là même libre, de la doctrine chrétienne ; ils ne doivent pas entrer dans la charte constitutionnelle de l’Église. Les Confessions de foi du xvie siècle ont donc dépassé sur ce point leurs vraies limites en consacrant, comme elles l’ont fait, les symboles de Nicée et d’Athanase.

Non seulement les formulaires développés, qui fondent ensemble la théologie et la religion, tels que le sont généralement ceux du xvi° siècle, gênent la liberté, mais ils compromettent l’unité. Ce qui n’est qu’induction de l’enseignement biblique ne pouvant avoir le même caractère d’évidence et d’autorité que ce que l’Ecriture donne directement et formellement, il résultera de là, par la nature même des choses, des dissidences, sans gravité réelle, mais qu’il faudra frapper, sous peine de laisser tomber la loi fondamentale ; et l’Église se décimera incessamment, soit parce qu’elle se trouvera dans la fréquente nécessité d’exclure, soit parce qu’elle deviendra la proie du séparatisme, dont elle aura posé le principe par une excessive rigidité doctrinale.

Tout formulaire qui dépasse les grands faits de révélation, sous ombre de les compléter ou de les assurer, et ne s’arrête pas à cette uniformité générale de direction qu’exige l’ordre et l’édification de l’Église, est répréhensible par cela seul, puisqu’il blesse en pure perte l’esprit de condescendance et de support, que le Nouveau Testament recommande dans l’intérêt de l’union.

Du reste, les hommes les plus attachés aux anciennes confessions de foi reconnaissent généralement qu’elles ont quelque chose de trop théologique et de trop absolu, et se montrent disposés à y substituer une déclaration plus large, qui rapproche des personnes et des Églises que ces confessions séparent. Bien des tentatives se sont faites et se font en ce sens. Les esprits se portent de ce côté, par le travail interne des principes et la nécessité extérieure des choses. Tout fait sentir, de plus en plus, le devoir et le besoin de chercher une base sur laquelle puisse s’asseoir la grande unité évangélique.

Le formulaire ecclésiastique doit, selon nous, remplir les trois conditions suivantes :

  1. Ne déterminer que les points essentiels à l’unité générale d’enseignement, de direction et de culte, ou, en d’autres termes, à l’ordre et au gouvernement de l’Église.
  2. Ces points-là même, les consacrer moins comme dogmes que comme faits de révélation.
  3. Ne les imposer qu’au corps dirigeant.

Ce système tient également compte des deux grands principes évangéliques. Il répond à l’un en assurant les points fondamentaux, à l’autre en laissant libre tout ce qui peut l’être. Il concilie au degré possible la condescendance et la fidélité, les obligations de la charité et les exigences de la foi, les intérêts de l’Église et ceux de la doctrine. Il satisfait aux deux besoins, en apparence contraires, qui se font si vivement sentir aujourd’hui, celui d’unité et celui de liberté. Il garantit cette unité foncière sans laquelle une Église ne peut ni marcher, ni subsister, et il laisse cependant à la liberté beaucoup d’espace ; il ne la restreint qu’autant que l’exigent l’ordre et l’édification.

Il est un autre besoin, trop peu apprécié dans les questions ecclésiastiques, et auquel une bonne organisation doit se prêter aussi, celui d’un régime spirituel particulier pour certains états religieux et moraux. Quoique d’accord sur le fond, on peut en être autrement impressionné, selon qu’on le saisit principalement ou par la raison, ou par la conscience morale, ou par le cœur, ce qui lui imprime un caractère tantôt plus dogmatique, tantôt plus pratique, tantôt plus mystique ; types distincts du Christianisme, qu’on peut reconnaître déjà parmi les apôtres, chez saint Paul, saint Jacques, saint Jean ; directions différentes qui veulent à certains égards une culture différente. D’ailleurs, ce qui suffit aux chrétiens commençants ne saurait suffire aux chrétiens avancés ; le point de vue des uns n’est plus celai des autres, sous le double rapport de la foi et de la sanctification. Il est tout simple que les personnes qui éprouvent les mêmes besoins se cherchent, s’unissent par une communion plus étroite, et mettent en commun leurs moyens d’édification, formant ainsi de diverses manières des ecclesiolæ in Ecclesia. C’est un droit qu’on ne peut méconnaître sans injustice et sans péril. Le leur dénier, c’est les pousser au séparatisme. Qu’au contraire on le leur accorde pleinement, il n’en résultera que du bien, pourvu que le devoir de l’union, c’est-à-dire le vrai principe évangélique, soit compris et respecté. Si nous voulons une Église générale, il faut y laisser place aux tendances particulières, sous les grandes conditions qui doivent en garantir l’unité intérieure et extérieure. — Mais que nous avons à apprendre à cet égard !

Ici se placerait naturellement un projet de formulaire, si nous nous sentions en mesure et en droit de l’essayer. Notre article des Points fondamentaux indique dans quel esprit nous le concevrions. La difficulté de le réaliser et de le légitimer tient au désordre de notre temps, plus qu’à la nature des choses. En principe, le contenu substantiel du Nouveau Testament doit pouvoir se dégager et se constater comme celui de tout autre écrit. Ce n’est pas de l’obscurité du livre, c’est de la prévention des lecteurs que vient le défaut d’entente sur le fondamental et le vital de son enseignement, seule chose qui importe ici. En fait, à part l’évidence interne et directe, nous avons deux critères externes, deux moyens indirects de vérification qui ne demandent qu’à être convenablement appliqués pour assurer le résultat général. Je les ai exposés à l’article des Points fondamentaux, car cette question, telle que nous l’avons envisagée, est la même que celle des Formulaires ecclésiastiques. Les deux contrôles dont il s’agit sont le témoignage de l’étude pleinement docile des Saintes Ecritures, et le témoignage, non moins positif et peut-être plus frappant, de l’étude pleinement indépendante. Le premier nous est fourni par ce fond vital de croyances auquel arrivent généralement les humbles disciples de la Bible, qui subsiste plus ou moins pur dans toutes les grandes Églises, à travers leurs diversités, et qui, séparé des interprétations traditionnelles et des formules théologiques, constitue ce qu’il semble à peu près convenu de nommer l’orthodoxie. Le second nous est fourni par l’exégèse rationaliste et incrédule. Partout où des préoccupations systématiques, des intérêts d’opinion ou de position n’ont point empêché de voir dans le Nouveau Testament ce qui y est et de dire ce qu’on y trouve, on s’est accordé à y reconnaître, comme tenant à l’essence même de son enseignement, les dogmes dont nous avons fait les points fondamentaux, c’est-à-dire ceux qu’il s’agirait de fixer et de garantir.

Que le principe protestant reprenne son empire, ce qu’il fera certainement car il est le principe chrétien, et la théologie biblique du rationalisme aura contribué pour beaucoup à résoudre quelques-unes des questions les plus controversées et les plus graves, celle en particulier du contenu foncier des Livres saints, à laquelle s’en rattachent tant d’autres ; le rationalisme aura ainsi servi, et servi puissamment, la cause qu’il prétend ruiner.

Il est difficile, sans doute, sinon de déterminer ce fondamental que l’Église doit réglementer dans l’intérêt de sa foi et de sa vie, du moins de le faire admettre dans le désordre actuel des idées. Mais si les principes se raffermissent, si les troubles s’apaisent, bien des montagnes s’aplaniront. Ainsi, sur la personne de Jésus-Christ, les grands éléments du dogme ecclésiastique, pris simplement comme faits de révélation, se constatent d’eux-mêmes : préexistence, création du monde, règne sur l’Église, action mystique sur les âmes qu’il illumine et régénère, seconde venue pour la résurrection et le jugement, union en lui de la vraie divinité et de la vraie humanité, culte religieux avec l’ensemble de sentiments dont il sort et qu’il nourrit ; tout cela, simplement comme fait, ne frappe-t-il pas au cœur cet idéalisme vaporeux où l’on se réfugie de tant de côtés ? — De même de l’œuvre de Jésus-Christ et des autres articles réglementaires ou constitutifs.

La Bible maintenue comme norme suprême de vérité, nous sommes en droit d’affirmer qu’elle les donne formellement. Qu’on l’ouvre en renonçant à tout esprit propre comme à toute volonté propre, qu’on l’ouvre avec l’humble et ferme intention d’être enseigné de Dieu, et l’on verra ! Or, tout est là pour l’Église de la Bible.

Encore une fois, que la réalisation de ces vues ne soit pas chose aisée, c’est tout simple ; car c’est l’abandon de la méthode ou de la forme suivie jusqu’ici, c’est le passage du système théologique au système scripturaire. Mais des difficultés ne sont pas des impossibilités. Le fondamental évangélique peut certes être suffisamment dégagé, constaté, précisé, autant que l’exigent l’ordre et l’édification. Et puis, n’oublions pas que le mouvement actuel pousse de plus en plus dans ce sens les âmes et les églises attachées à la vérité telle qu’elle est en Christ ; fidèles à ce fond divin où la foi et la vie de la foi ont toujours plongé leurs racines, elles aspirent de toutes parts à s’unir sur cette, base, à travers leurs dissidences secondaires, pour marcher ensemble au grand combat de la foi contre le négativisme déclaré et contre cette sorte de nominalisme chrétien qui n’est qu’un négativisme déguisé.

Je n’ai voulu, par ces observations, que constater le principe qui doit présider à l’établissement des formulaires, savoir la conciliation de la spontanéité et de la règle, de la condescendance et de la fidélité, ou, comme on dit en politique, de la liberté et de l’ordre ; car le problème est le même au fond pour l’Église que pour l’État. Ce simple rapprochement fait entendre quelles sont les difficultés d’exécution. Tous les projets laisseront plus ou moins de prise à l’éternel dilemme des partis extrêmes : c’est trop ou trop peu. Toujours, l’un trouvera qu’on ne sauvegarde pas assez l’unité, l’autre la liberté. Et puis, l’esprit des temps subissant des transformations infinies, l’accent devra se mettre sur des points différents, selon les entraînements ou les préoccupations du moment. Aujourd’hui, par exemple, ainsi que j’ai eu l’occasion d’en faire la remarque, l’article qu’il faudrait porter en première ligne est celui de l’inspiration des Ecritures, autrefois sous-entendu ou supposé plutôt que posé, parce qu’il était universellement et pleinement admis.

En somme, si le régime des formulaires est difficile, celui qui prétend s’en passer est impossible. Une Église sans règle de foi n’est pas plus une Église qu’un État sans constitution n’est un État. C’est moins encore, car le despotisme peut tenir lieu de loi dans l’État, tandis que rien ne peut tenir lieu d’une doctrine dans l’Église, puisqu’elle n’est qu’en elle et par elle. L’esprit des Ecritures, les données de l’expérience, la nature des choses, font du premier système une obligation et une nécessité. C’est à chaque époque et à chaque situation à l’appliquer dans la mesure et sous la forme qu’elles réclament.

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