Histoire des Protestants de France – Tome 1

3.
Depuis la promulgation jusqu’à la révocation de l’Édit de Nantes

(1598 – 1685)

3.1.
Apaisement des esprits. – Abjuration de Henri de Condé. – Catherine de Navarre, sœur de Henri IV. – Modération des assemblées politiques des réformés. Synodes nationaux. – La question de l’Antechrist. – Conférences à Fontainebleau entre Mornay et Duperron. – Fraudes et mauvais procédés. – L’Église réformée de Charenton. – Assassinat de Henri IV.

La transaction entre les deux communions religieuses était approuvée par les bons esprits ; mais elle fut lente à passer de la loi dans les idées et les mœurs.

Le clergé catholique fit les plus vives protestations contre l’édit de Nantes, et Clément VIII écrivit qu’une ordonnance qui permettait la liberté de conscience à tout chacun était la plus maudite qui fût jamais. L’université, dominée par la Sorbonne et les Jésuites, voulait fermer aux huguenots la porte des collèges, et quelques parlements même opposèrent de grandes difficultés à l’enregistrement de l’édit.

Peu à peu, cependant, les passions s’amortirent ; et malgré des querelles inévitables après de si cruels conflits, les douze ans qui s’écoulèrent depuis la promulgation de l’édit jusqu’à la mort du roi furent l’une des époques les plus calmes de la Réforme française. Nos anciens historiens n’expriment qu’un regret : c’est que le règne de Henri IV n’ait pas duré douze ans de plus, pour lui laisser le temps d’achever son œuvre d’apaisement et de conciliation.

Le prosélytisme, déjà renfermé dans d’étroites limites par les guerres de religion, cessa presque entièrement après l’édit, au moins du côté des calvinistes. Les catholiques seuls continuèrent à recruter quelques adhérents, et la politique y servit plus que l’argumentation. C’étaient des gentilshommes huguenots qui passaient par l’Église de Rome pour arriver dans les antichambres de la cour.

Les prêtres auraient voulu surtout gagner les pasteurs. Ils s’y montrèrent même généreux, et sur un bref du pape, ils firent un fonds de trente mille livres de rentes annuelles, afin de donner des pensions aux ministres et aux professeurs qui seraient tentés d’abjurer. Mais il ne se trouva personne pour puiser dans la bourse du clergé à cette condition.

De 1598 à 1610, les calvinistes intervinrent peu dans les affaires de l’Etat. Le jeune Henri de Condé avait été appelé à Paris, dès l’an 1595, sous la promesse de le laisser dans la religion de son père. A peine arrivé, on le remit entre les mains de catholiques ardents ; et non seulement il fut converti, mais il devint convertisseur. Ce prince donnait quinze sous à ses domestiques chaque fois qu’ils allaient à confesse, pourvu qu’ils lui apportassent des certificats revêtus de signatures bien authentiques.

Un seul membre de la famille des Bourbons, Catherine de Navarre, sœur de Henri IV, était restée fidèle à la religion de Jeanne d’Albret. Elle y fit preuve d’une grande constance ; et sur un faux bruit qu’elle était allée à la messe, elle écrivit à Mornay : « Je ne pense pas y aller jusqu’à ce que vous soyez devenu pape. »

Elle pratiquait son culte à Saint-Germain-en-Laye, après l’entrée de Henri IV à Paris, afin d’éviter les récriminations. Un jour pourtant, comme elle avait fait célébrer au Louvre le mariage d’une nièce de Coligny, et prêcher à portes ouvertes pour la circonstance, les prêtres vinrent s’en plaindre avec amertume. « Je vous trouve bien osés, leur dit le roi, de tenir ce langage en ma maison sur madame ma sœur. — Mais on a fait un mariage. — Eh bien ! puisque c’est fait, quel ordre voulez-vous que j’y donne ? » Ce petit détail sert à montrer comment le clergé veillait alors d’un œil hostile sur les réformés, resserrant leur chaîne quand il pouvait, sans permettre jamais de l’élargir.

Il ne paraît pas que le Béarnais se soit mis en peine de faire abjurer sa sœur, et il renvoyait les calvinistes vers elle, quand il ne trouvait pas moyen de satisfaire à leurs requêtes. « Adressez-vous à ma sœur, » disait-il en riant à des gentilshommes de la Saintonge ; « car votre état est tombé en quenouille. »

Il voulut enfin la marier au duc de Bar, de la maison de Lorraine. Cette affaire, en soi si peu importante, occupa longtemps le conseil de la couronne, le saint-siège et les synodes. On fit disputer devant la princesse un docteur de Sorbonne contre un professeur de Sedan, ce qui n’engagea point Catherine à renier sa foi. Le pape refusa les dispenses pour le mariage ; les prélats refusèrent à leur tour de passer outre ; et le roi, qui se fatiguait de ces lenteurs, imagina d’appeler dans son cabinet son frère naturel, l’archevêque de Rouen, prêtre mondain, qui consentit à donner la bénédiction nuptiale.

Ce mariage ne fut pas heureux. La sœur de Henri IV eut à souffrir des froideurs et des mauvais procédés du duc de Bar, qui se laissait complètement gouverner par les Jésuites. Elle mourut en 1604. Aucun Bourbon n’a depuis lors appartenu à la communion réformée.

Quelques seigneurs de haut rang essayèrent encore d’entraîner les huguenots dans leurs querelles particulières : ils ne furent pas écoutés. Le duc de Bouillon, entre autres, qui avait été compromis dans le complot du maréchal Biron, invita ses coreligionnaires à lui venir en aide. « Il faut, écrivait-il, que les ministres et les Églises tout entières, sans aucune exception ni distinction, prennent la défense de cette cause tant juste et importante. » Quelques gentilshommes se levèrent à son appel, mais la masse n’y répondit pas. La liberté garantie par l’édit de Nantes suffisait aux consistoriaux, et les autres ne pouvaient plus rien sans eux.

Si des assemblées politiques continuèrent à se réunir, ce fut seulement de trois en trois ans. Elles se composèrent quelquefois de soixante et dix membres, savoir, trente gentilshommes, vingt délégués du tiers et vingt pasteurs. L’esprit de faction ne s’y montra point. Ces assemblées se bornaient ordinairement à rédiger des cahiers de griefs, et à nommer deux députés généraux qui devaient soutenir à la cour les intérêts des Églises.

Le roi, sans interdire absolument ces réunions, en prenait ombrage, et il le fit exprimer par Sully, en 1605, à l’assemblée de Châtellerault. « Si Henri IV, lui répondirent les délégués, était immortel, contents de sa parole en tout ce qui nous a pour objet, nous renoncerions de ce moment à prendre aucune précaution ; nous abandonnerions nos places de sûreté ; nous regarderions comme inutiles tous règlements particuliers pour la conservation de notre société. Mais la crainte de trouver dans quelqu’un de ses successeurs des sentiments bien différents (n’avaient-ils pas prévu trop juste ?) nous force à conserver les mesures qu’on a bien voulu que nous prissions pour notre sûreté. »

Les synodes nationaux se réunirent aussi d’une manière plus régulière qu’ils n’avaient fait en aucun temps. On en compte cinq depuis l’édit de Nantes jusqu’en 1609. Pasteurs, anciens et fidèles, tous avaient compris que l’exacte pratique du système synodal était essentielle à la prospérité de la religion. Il n’y avait aucun débat, aucun fait de quelque importance qui, directement ou par voie d’appellation, ne vînt aboutir à ce haut tribunal où les passions locales ne pouvaient prévaloir sur les intérêts communs.

L’une des attributions des synodes nationaux était de répartir entre les provinces et les académies les deniers de l’octroi du roi, qui montaient ou plutôt devaient monter (car on ne le payait pas très exactement) à quarante-cinq mille écus. Un professeur de théologie recevait alors 700 livres par an ; un professeur d’hébreu, de grec ou de philosophie, 400 livres ; les régents des collèges, de 150 à 300 livres. Les académies soutenues par les synodes étaient établies à Montauban, Saumur, Nîmes, Montpellier et Sedan. Les deux premières étaient les plus florissantes.

Une question qui agita beaucoup ces assemblées, et devint presque une affaire d’Etat, fut un article ajouté, en 1603, à la confession de foi par le synode national de Gap, où le pontife romain était accusé d’être l’Antechrist. Nous citons cet article comme un monument des idées et du langage de l’époque : « Puisque l’évêque de Rome, s’étant dressé une monarchie dans la chrétienté, en s’attribuant une domination sur toutes les Églises et les pasteurs, s’est élevé jusqu’à se nommer Dieu, à vouloir être adoré, à se vanter d’avoir toute puissance en ciel et en terre, à disposer de toutes choses ecclésiastiques, à décider des articles de foi, à autoriser et interpréter à son plaisir les Écritures, à faire trafic des âmes, à dispenser des vœux et des serments, à ordonner de nouveaux services de Dieu ; et pour le regard de la police, à fouler aux pieds l’autorité légitime des magistrats, en ôtant, donnant, échangeant les royaumes : nous croyons et maintenons que c’est proprement l’Antechrist et le fils de perdition prédit dans la Parole de Dieu, sous l’emblème de la paillarde vêtue d’écarlate… »

L’article fit grand bruit. Il venait à la suite de thèses sur le même sujet, qui avaient été soutenues avec éclat par Jérémie Ferrier, pasteur à Nîmes, et déférées au parlement de Toulouse. L’adhésion du synode national de Gap leur donnait beaucoup plus de gravité. Le légat en fit des plaintes fort vives ; le pape en témoigna une grande irritation ; le roi se récria, disant que la décision du synode menaçait de détruire la paix du royaume, et les catholiques ardents ne manquèrent pas de lui représenter cette affaire comme une offense personnelle, ou même comme un acte de révolte contre sa couronne.

De là une longue et difficile négociation. Enfin le synode national de La Rochelle, convoqué en 1607, décida que, tout en approuvant d’une commune voix l’article contesté, et en le tenant pour conforme à ce qui a été annoncé dans l’Écriture, il consentait, sur l’ordre exprès du prince, à le laisser hors de la confession de foi. En revanche, il chargea l’un de ses membres de prouver que l’accusation était juste, et le pasteur Viguier s’acquitta de la commission dans un livre intitulé : Le théâtre de l’Antechrist.

Pour comprendre cette persistance, il faut se rappeler que la controverse était alors conduite de part et d’autre avec une âpreté extrême. La parole et la plume ayant remplacé l’épée, on apportait sur ce nouveau champ de bataille les passions qui n’avaient plus d’autre issue. Les besoins de cette polémique étaient si grands que, par une résolution singulière, le synode national de Saint-Maixent distribua les points les plus difficiles de controverse entre les provinces, en leur ordonnant de les faire examiner par des personnes capables de tenir tête, en toute occasion, aux docteurs catholiques.

La lutte prenait quelquefois des proportions considérables, comme il arriva dans la conférence ouverte à Fontainebleau ; le 4 mai 1600, entre Duplessis-Mornay et Duperron.

Mornay avait recueilli dans un traité sur l’Eucharistie cinq à six mille textes des Pères, qui lui paraissaient opposés à la doctrine de la transsubstantiation. C’était, pour ainsi parler, la voix des premiers siècles du christianisme qu’il appelait à rendre témoignage contre les inventions des âges suivants, et tous les vénérables docteurs de l’Église primitive se levaient l’un après l’autre, dans son livre, pour protester contre l’altération du sacrement de la cène. Ce traité fut un événement tout à la fois religieux et politique ; et l’on s’en étonnera peu si l’on réfléchit, d’un côté, que l’auteur avait vécu trente ans dans la familiarité du roi ; de l’autre, que le dogme de l’eucharistie était la grande question de l’époque entre le catholicisme et la Réforme. C’est sur ce point que s’étaient principalement appuyés les arrêts de mort prononcés contre les hérétiques, et rien non plus ne contribua davantage, comme on l’a vu, à rompre le colloque de Poissy.

Le cardinal de Médicis, légat du pape, envoya six exemplaires du livre de Mornay à Rome, en promettant de le faire réfuter par Bellarmin. A la place d’une réfutation arrivèrent des dépêches de Clément VIII, qui dénonçaient une nouvelle conspiration de l’hérésie. Henri IV en fut d’autant plus fâché qu’il poursuivait alors devant le saint-siège l’annulation de son mariage avec Marguerite de Valois. Les parlements se mêlèrent aussi de la querelle ; et pendant tout un hiver, les chaires des vieux prédicateurs de la Ligue retentirent de violents anathèmes contre l’audacieux adversaire de la présence réelle.

Henri IV lui fit témoigner son déplaisir par M. de la Force. « J’ai toujours réglé mes services, répondit Mornay, dans l’ordre suivant : d’abord à Dieu, ensuite à mon roi, enfin à mes amis, et je ne puis en bonne conscience, changer de méthode. »

Cependant Duperron, évêque d’Evreux, disait à qui voulait l’entendre qu’il avait découvert dans le traité plus de cinq cents faussetés énormes et qu’il se faisait fort de le prouver. Le bruit en étant venu à l’oreille de Mornay, il taxa cette assertion d’indigne calomnie, et demanda à se justifier dans une conférence publique.

Au seul mot de conférence publique, le légat, l’évêque de Paris, les docteurs de Sorbonne se récrièrent ; car les prêtres s’étaient généralement mal trouvés de leurs discussions orales avec les théologiens de la Réforme. Tranquillisez-vous, leur dit le roi ; « l’affaire sera si bien conduite que le démenti en demeurera aux hérétiques. »

Il choisit en effet pour juges de la controverse quatre catholiques très prononcés, et seulement deux calvinistes suspects : Dufrêne-Canaye, qui avait déjà donné sa parole au roi d’embrasser le catholicisme, et Casaubon, qui, tout occupé de manuscrits grecs et latins, affectait une grande indifférence pour les matières de foi. On raconte de lui qu’il répondit à son fils qui lui demandait sa bénédiction, après s’être fait capucin : « Je te la donne de bon cœur ; je ne te condamne point ; ne me condamne pas non plus. »

Mornay vit le piège, et réclama contre ce manque d’impartialité. « Sire, dit-il au roi, s’il n’y allait que de ma vie, ou même de mon honneur, je les jetterais à vos pieds, j’en ferais litière pour votre service. Mais puisque je suis obligé à la défense de la vérité, où il y va de l’honneur de Dieu, je supplie Votre Majesté de me pardonner, si je recherche les moyens justes et raisonnables de la garantir. »

Loin de faire droit à sa requête, le roi répondit durement qu’il lui avait causé le plus grand déplaisir en attaquant le pape, auquel il était plus obligé qu’à son propre père. « Eh bien ! sire, dit Mornay, « puisqu’il plaît ainsi à Dieu, je vois la partie faite ; on vous fera condamner la vérité entre quatre murailles, et Dieu me fera la grâce, si je vis, de la faire retentir aux quatre coins du monde. »

On avait pris jour pour la conférence. Henri apportait dans cette querelle une si violente passion que, la veille, il ne put dormir de toute la nuit. « M. de Loménie, qui couchait dans sa chambre, écrit un historien, lui dit : Il faut bien que Votre Majesté ait cette affaire étrangement à cœur ; la veille de Coutras, d’Arques et d’Ivry, trois batailles où il nous allait de tout, Votre Majesté ne se donnait pas tant de peine. Ce qu’il lui avoua, tant il lui touchait de contenter le pape en la ruine de M. Duplessis ! »

Ce n’était pas assez du mauvais choix des commissaires. Les textes incriminés ne furent indiqués à Mornay que le jour même de la conférence, à une heure du matin, et il perdit encore une heure à faire venir les livres dont il avait besoin pour vérifier ses citations. A huit heures le roi le fit appeler en sa présence, bien que la discussion ne dût s’ouvrir qu’à midi ; c’était, selon le mot d’un historien, pour lui manger son temps. A ce dernier trait, toute l’âme de Mornay se souleva d’indignation. « Sire, s’écria-t-il, que Votre Majesté me pardonne ! Cette rigueur extraordinaire envers un bon serviteur n’est point de votre naturel. »

Le moment venu, seigneurs et dames de la cour, membres du conseil, magistrats du parlement, évêques et prêtres, se réunissent dans la grande salle du palais de Fontainebleau. Duperron s’avance, le front radieux, et tout fier d’une victoire qu’il savait gagnée d’avance. Mornay vient aussi, n’ayant pas cru possible de reculer sans compromettre la cause de l’Évangile ; mais il n’a pu vérifier qu’un très petit nombre de citations ; il est souffrant, abattu, et trop certain de la sentence qui va être prononcée.

A l’ouverture de la conférence, le plan d’attaque est changé : au lieu de faussetés énormes, il ne s’agit plus que de simples méprises. Or, quoi d’étonnant que dans un si gros livre tout rempli de citations, l’auteur eût commis quelques inexactitudes ? Mornay se défendit mal, et sur quelques milliers de textes, les juges en condamnèrent neuf. La nuit suivante, il tomba malade, ce qui donna le moyen qu’on cherchait de rompre la conférence.

Henri voulut souper dans la salle de ce tournoi théologique, comme il aurait fait sur un champ de bataille. Il annonça dans tout le royaume le succès qu’il avait obtenu, et écrivit au duc d’Epernon : « Je viens de faire merveille. » Duperron triomphait. « Avouons la vérité, » lui dit le roi, qui ne pouvait contenir longtemps son humeur railleuse : « bon droit a eu bon besoin d’aide. »

Clément VIII témoigna une grande joie de cette victoire. Il annula le mariage de Henri IV, et envoya le chapeau de cardinal à Duperron.

On doit noter, à la décharge de Henri IV, qu’il loua publiquement Mornay peu après la conférence, et déclara qu’il n’avait jamais eu de meilleur ni de plus grand serviteur. C’était la conscience de l’homme qui protestait contre la diplomatie du roi.

Duplessis s’en retourna, le cœur brisé, dans son gouvernement de Saumur. « Courage, lui dit sa femme ; c’est Dieu qui l’a fait ainsi. Retenez seulement votre cœur et votre esprit pour l’employer à ce qu’il faut. Il se remit à vérifier tous les textes de l’Eucharistie, et en publia une nouvelle édition qui fut approuvée par les théologiens calvinistes de France et de Genève. Le roi ne s’en mêla plus, ni le cardinal Duperron : ils avaient tous deux ce qu’ils voulaient avoir.

Point d’autres faits plus importants dans la seconde moitié du règne de Henri IV ; et quand on se souvient des horribles scènes qui avaient précédé, on est heureux de n’avoir à enregistrer que des luttes de théologie. Si elles remuaient encore de brûlantes passions, le sang humain ne coulait plus.

Le culte se célébrait presque partout sans obstacle dans les sept cent soixante Églises qui étaient restées à la Réforme française ; et lorsqu’on exposait des griefs sérieux, le conseil y faisait droit. Les fidèles de Paris avaient été forcés d’ouvrir leur temple au petit village d’Ablon, à cinq lieues de la ville. Les seigneurs se plaignaient de ne pouvoir, dans le même jour, rendre leurs devoirs à Dieu et au roi. Les pauvres se plaignaient aussi de la longueur du trajet. Quelques-uns des enfants qu’on portait aux assemblée, selon la discipline, pour les faire baptiser, étaient morts en chemin. Le roi fut touché de ces difficultés, et permit en 1606 aux réformés de faire leurs exercices à Charenton, ce qui subsista jusqu’à la révocation de l’édit de Nantes.

Cependant un affreux attentat se préparait dans l’ombre. Les Jésuites, chassés du royaume après le crime de Jean Châtel, y étaient rentrés, parce que Henri IV, ayant à choisir entre deux dangers, aimait mieux les avoir près de lui que contre lui. Et comme on lui représentait qu’il avait tort de rappeler ces moines perfides et sanguinaires : « Ventre saint-gris ! dit-il, me répondez-vous de ma personne ? » il tâcha de les gagner à force de confiance et de bienfaits. Le père Cotton fut nommé confesseur du roi et précepteur du dauphin. Mais rien ne les désarma, non plus que la lie du peuple qui, se souvenant des sermons de la Ligue, voyait toujours dans le Béarnais un hérétique et un excommunié.

Le 14 mai 1610, Ravaillac enfonça deux fois son couteau dans la poitrine de Henri IV. Ce misérable avoua dans ses interrogatoires qu’il avait cédé à la tentation de le tuer, parce qu’en faisant la guerre au pape, le roi la faisait à Dieu, d’autant que le pape est Dieu. Une doctrine sacrilège avait enfanté le crime du régicide.

Henri IV a conservé une grande place dans la mémoire et le cœur des Français. Il a racheté ses faiblesses par d’éminentes qualités, et ses fautes mêmes par les éclatants services qu’il a rendus à son peuple. C’est de son règne, comme on l’a remarqué, que date véritablement la fin du moyen âge ; et les réformés ont toujours été reconnaissants envers un prince qui, le premier, leur a sincèrement accordé le libre exercice de la religion.

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