Les épîtres de Paul

5.
L’auteur

1. Les témoignages externes.

La propagation et l’emploi de la 1re aux Corinthiens sont attestés dès la fin du premier siècle par l’épître de Clément de Rome. Ecrivant aux Corinthiens eux-mêmes de la part de son église, il cite plusieurs fois notre lettre. Le passage le plus remarquable est celui du ch. 47 : « Reprenez l’épître du bienheureux apôtre Paul : que vous a-t-il écrit avant tout au commencement de l’évangile ? En vérité, il vous a donné des directions toutes spirituelles sur lui-même, sur Céphas et sur Apollos, parce que déjà alors vous vous livriez à des préférences. »

Ce n’est pas sans rapport avec notre lettre qu’Ignace, ad Eph., ch. 18, appelle la croix « un scandale pour les infidèles, » et s’écrie : « Où est le sage ? Où est le discuteur ? » comparez 1 Corinthiens 1.18,20.

L’énumération que fait Polycarpe des vicieux (ad Phil., ch. 5) est exactement parallèle à celle que nous trouvons 1 Corinthiens 6.9-10 et aboutit à cette déclaration identique : « ils n’hériteront point le royaume de Dieu. »

Justin Martyr (Dial., ch. 14) parle des vieilles œuvres, du mauvais levain, et, ch. 3, appelle Christ notre Pâque (1 Corinthiens 5.6-8). Dans Apol. I, 19, il dit que le corps humain, dissous dans la terre à la façon des semences, ressuscitera par l’ordre de Dieu et qu’il n’est point impossible qu’il revête l’incorruptibilité (1 Corinthiens 15.35-37 ; 53-54).

Je renonce à citer textuellement le fragment de Muratori, Athénagore, Théophile, Irénée, Clément d’Alexandrie, Tertullien, et renvoie le lecteur à Charteris, Canonicity, p. 222-224.

Une lettre ainsi attestée, et cela dès la fin du premier siècle, semblait devoir être pour jamais à l’abri du soupçon d’inauthenticité. Cette prévision est aujourd’hui démentie. Voici les principales raisons alléguées par Sleck (Galaterbrief ; Prol. K. Z. 1889) et par l’école hollandaise.

Les témoignages des Pères ne remontent pas plus haut que 140 (Clément) ou 150 (Ignace, Polycarpe). — Il serait inutile de discuter avec Steck sur ce point-là ; nous nous bornons à rappeler que Volkmar lui-même place l’épître de Clément en 125 et Hilgenfeld en 95. Après l’admirable travail de Lightfoot, auquel Harnack a pleinement rendu hommage, il n’est plus permis de trancher de la sorte la question de la date des lettres d’Ignace et de Polycarpe.

2. Les difficultés historiques soulevées par Steek se résolvent aisément, comme cela ressort déjà en partie de l’exposé précédent. Il ne faut pas oublier que le récit des Actes sur cette période est, on ne peut plus sommaire, ce qui fait, que nous sommes obligés, pour reconstruire l’histoire, de réunir certaines données occasionnellement disséminées dans nos deux épîtres. Ainsi à l’occasion de la visite à Corinthe que doit avoir faite Paul après l’envoi de notre première lettre, Steck demande si l’une des deux démarches n’excluait pas l’autre. Nullement ; car la visite devait avoir pour effet de compléter le changement commencé par la lettre ; comparez 1 Corinthiens 4.18 et suiv. et 11.34. — Mais, dit-on, le silence des Actes est incompatible avec un tel voyage qui n’est inventé par la critique que pour donner satisfaction à certaines expressions de la seconde aux Corinthiens. Bien plus, cette dernière lettre elle-même contient une parole qui exclut ce voyage, c’est 1.23 : « C’est pour vous épargner que je ne suis pas encore venu à Corinthe. » Mais il ne faut pas traduire οὔκετι, plus, comme s’il y avait οὔπω, pas encore. Paul ne veut pas dire qu’il n’est pas encore retourné à Corinthe depuis son premier séjour, mais qu’il n’y est plus retourné depuis un certain séjour déterminé à la suite duquel on l’y attendait de nouveau. Quant aux Actes, nous avons déjà répondu ().

Steck demande comment il se ferait que la lettre antérieure à 1 Corinhtiens, supposée par 5.9,11, ainsi qu’une troisième que plusieurs critiques actuels placent entre nos deux lettres canoniques, auraient pu se perdre, tandis que ces deux dernières nous ont été conservées. On pourrait répondre en alléguant des circonstances inconnues. Mais n’est-il pas aisément compréhensible que ces deux lettres, qui avaient trait à des circonstances occasionnelles, de nature personnelle et en même temps très pénibles et très douloureuses, n’aient pas été mises en circulation, tandis que les deux autres, qui traitaient d’une foule de questions pleines d’intérêt pour l’Eglise et le ministère, ont été jugées dignes de publication ?

Steck voit encore une contradiction entre la permission de prophétiser et de prier, accordée aux femmes au ch. 11, et la défense de parler dans l’assemblée, qui leur est faite au ch. 14. Mais cette contradiction, si elle était réelle, serait étonnante chez tout écrivain simplement raisonnable ; et nous avons vu qu’elle n’existe point. — Ce que dit Paul 1 Corinthiens ch. 9 de son refus de se faire entretenir par les églises n’est nullement en contradiction avec ce qu’il rappelle, 2 Corinthiens 11.8-9, des secours en argent qui lui avaient été envoyés à Corinthe par les églises de Macédoine ; le simple bon sens fait sentir la différence entre l’entretien qu’une église fournit à son pasteur et un secours que des amis lui font parvenir. — On trouve dans l’intuition très spiritualiste de l’état après la mort énoncée 2 Corinthiens ch. 5 une contradiction avec le tableau apocalyptico-judaïque de la résurrection dans 1 Corinthiens ch. 15. Nous ne répondrons pas avec Pfleiderer et Sabatier que Paul a changé d’idée et progressé en connaissance d’une épître à l’autre. Nous renvoyons à l’exposé de ce passage.

Sleck appelle les quelques combinaisons historiques, que suggère à la critique le désir de concilier les données diverses renfermées dans les deux épîtres et dans les Actes, « un édifice d’hypothèses construit en l’air. » Ne devrait-on pas craindre d’employer une pareille expression quand on a soi-même à sa charge la supposition absolument arbitraire d’une école de philosophes chrétiens habitant Rome au IIe siècle et fabriquant dans leur cabinet une dizaine d’épîtres à la saint Paul ! Comment peut-on méconnaître que, comme le dit Schmiedel, « il y a derrière le contenu de ces lettres une personnalité pleine de force et de vie ? » Ne sont-elles pas d’un bout à l’autre en rapport avec des circonstances historiques qui portent en elles-mêmes le sceau de la réalité ?

Citons le jugement de deux des critiques les plus éminents et les plus indépendants de notre siècle. Schleiermacher s’exprime ainsih : « Quand on compare plusieurs passages des Actes (ch. 18 à 20) avec les détails personnels qui commencent et qui terminent les deux épîtres aux Corinthiens, tout s’emboîte et se complète parfaitement ; et pourtant l’on constate que chacun des documents suit sa propre marche et que les données renfermées dans l’un ne peuvent être empruntées à celles de l’autre. » Baur exprime de cette manière un sentiment analoguei : « Les deux épîtres aux Corinthiens signalent le centre de la féconde activité de Paul comme fondateur des églises de la gentilité. Ce qui nous est présenté par l’épître aux Galates dans ses éléments les plus simples, par celle aux Romains sous une forme dogmatique plus abstraite, s’offre à nous dans les deux aux Corinthiens dans la pleine réalité de la vie concrète et avec toute la complication des circonstances multiples qui devaient se produire dans les premiers commencements d’une communauté chrétienne. »

hEinleitung in das N. T., p. 148.

iDer Apostel Paulus, I, p. 287-288

Rappelons quelques traits seulement parmi la multitude de ceux que nous pourrions citer.

A quoi bon expliquer longuement au second siècle un changement de plan de voyage qui, à supposer qu’il fût réel, n’avait d’intérêt que pour ceux que la visite promise de l’apôtre concernait personnellement ? Quand l’auteur parle de cinq cents personnes qui avaient vu le Christ ressuscité et dont la plupart vivaient encore au moment où il écrivait, fait-il à ses lecteurs un pur conte, qui ressemblerait à une mauvaise plaisanterie ? A quoi bon disserter longuement et donner des règles détaillées sur l’exercice de la glossolalie dans un temps où ce don n’existait pour ainsi dire plus dans l’Église ? Comment faire dire à l’apôtre : « Nous qui vivrons (au moment de la Parousie), » à une époque où chacun savait qu’il était mort depuis longtemps ? Enfin quelle église eût reçu sans opposition dans ses archives, comme épître de l’apôtre, un demi-siècle après sa mort, une lettre inconnue jusqu’alors et remplie des reproches les plus sévères et les plus humiliants pour elle ?

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