La situation des réformés s’aggravait, malgré les déclarations réitérées du conseil sur la fidèle exécution des édits. Leurs droits étaient continuellement lésés dans les cours de justice, les nominations aux charges publiques, les hôpitaux, le partage des aumônes, les lieux de culte, partout et en toutes choses où l’on pouvait leur faire subir des vexations sans violer trop ouvertement les lois.
Dans les Etats généraux, réunis en 1614, l’orateur du tiers parla en faveur de la tolérance. Mais le clergé et la noblesse même firent entendre que le roi exécuterait tôt ou tard le serment de son sacre, par lequel il avait promis de chasser des terres de sa juridiction tous les hérétiques dénoncés par l’Église. Le cardinal Duperron déclara que les édits n’étaient que provisoires ou suspensifs, et qu’on avait accordé un simple sursis à des sujets rebelles.
Il serait difficile aujourd’hui d’imaginer jusqu’où allait le clergé dans les demandes qu’il faisait au roi contre les huguenots, après en avoir délibéré dans ses assemblées générales : défense de rien écrire contre les sacrements de l’Église romaine et l’autorité du pape ; défense de tenir des écoles dans les villes, et même dans les faubourgs des villes épiscopales ; défense aux ministres d’entrer dans les hôpitaux pour consoler les malades de leur communion ; défense aux gens venus de l’étranger d’enseigner autre chose que le catholicisme ; défense aux juges des chambres mi-parties, en cas de partage des voix, d’adopter la sentence la moins rigoureuse ; enfin prochaine interdiction de tous les exercices de la religion prétendue réformée. Ces demandes se renouvelèrent périodiquement avec des clauses toujours plus dures, plus oppressives, jusqu’à la révocation de l’édit de Nantes, et après jusqu’en 1787. Il fallut que la grande voix de la nation s’élevât dans l’Assemblée constituante pour faire taire enfin celle des prêtres.
Le projet d’un double mariage du jeune roi avec une infante d’Espagne et du prince des Asturies avec une fille de France, projet appuyé par le saint-siège, augmentait encore les craintes des réformés. On avait généralement répandu le bruit que l’une des conditions de l’alliance des deux cours était la ruine de l’hérésie, et les prédicateurs catholiques en avaient fait le texte de leurs sermons. « Si les Jésuites, » écrivait Duplessis-Mornay au chancelier de Sillery, « prêchent sans façon, que le dessein du double mariage avec l’Espagne est l’extirpation de l’hérésie, doit-on être surpris que nos Églises en soient alarmées, et qu’il en soit parlé dans les cahiers de l’assemblée ? »
Le prince de Condé, catholique bigot, comme nous l’avons vu, essaya de tourner au profit de sa cause personnelle les inquiétudes du parti calviniste, en invoquant la mémoire de son père et de son aïeul. Il publia en 1615 un manifeste où il disait aux réformés que l’édit de Nantes serait aboli, et que le roi ne rassemblait des troupes que pour les exterminer. Ces provocations entraînèrent quelques gentilshommes dans les assemblées politiques de Grenoble et de Nîmes. Le duc de Rohan se mit en campagne du côté de la Saintonge ; mais le gros des calvinistes ne se leva point, non plus que Lesdiguières, Châtillon, Sully et Mornay. Celui-ci écrivit à cette occasion : « Une négociation se renouera, moyennant quoi monsieur le prince sera content : nos Eglises demeureront en croupe, chargées de toute la haine, et peut-être ensuite de la guerre même. » C’est ce qui arriva en effet. Condé fit sa paix avec la cour, sans se mettre en peine de la position ni des intérêts de ses alliés.
Un événement plus grave, l’oppression de la Réforme dans le Béarn, vint leur fournir de plus sérieux motifs pour recommencer les guerres de religion.
La principauté de la basse Navarre et du Béarn, annexée à la France par Henri IV, y fut plus étroitement réunie en 1617. Les trois quarts de la population, d’autres disent les neuf dixièmes étaient de la communion réformée. On leur enjoignit néanmoins de restituer aux prêtres tous les biens ecclésiastiques qui avaient été affectés, depuis l’an 1569, au service des temples, des écoles, des hôpitaux et des pauvres. Le Jésuite Arnoux disait que ces biens appartenaient à Dieu, qui en était le propriétaire, et que nul par conséquent n’avait eu pouvoir ni droit de les saisir.
Les Etats du Béarn, la noblesse, les magistrats des villes, le peuple, tous firent d’énergiques et inutiles représentations. Le roi se mit en route à la tête d’une armée et les Béarnais n’ayant pu lui opposer qu’une courte résistance, il entra dans la ville de Pau, le 15 octobre 1620. Il ne s’y arrêta que deux jours, parce qu’il n’y avait pas là d’église, dit un historien du temps, où il pût remercier Dieu duquel il tenait cet héritage, et il s’en alla faire chanter la messe devant ses soldats à Navarreins, où elle n’avait pas été célébrée depuis cinquante ans, jour pour jour. Evêques, abbés, curés se remirent en possession des biens de l’Église, et les Jésuites en prirent pour eux une bonne part.
De cruelles violences marquèrent le passage des troupes royales. « On n’entendait sortir de la bouche des plus modérés, dit Elie Benoît, que des menaces de punition exemplaire, de pendre, de trancher la tête, d’abolir dans tout le royaume la religion réformée qu’ils appelaient maudite religion ; de chasser tous ceux qui en feraient profession, ou de leur faire porter quelque marque d’infamie. Les soldats rompaient les portes des temples, démolissaient les murailles, déchiraient les livres et les tableaux où les commandements de Dieu étaient écrits. Ils volaient et frappaient à coups de bâton et d’épée les paysans qui venaient au marché de Pau, présupposant qu’ils étaient tous huguenots. Ils forçaient les réformés qui leur tombaient entre les mains à faire le signe de la croix, et à se mettre à genoux quand la procession passait. Les femmes n’osaient paraître dans les rues… Il y en eut quelques-unes qu’on faisait jurer, parce qu’elles étaient grosses, de faire baptiser leurs enfants à l’Église romaine quand elles seraient accouchées. On enlevait les enfants sans qu’il fût possible aux pères de les recouvrer ; et tout cela se faisait sous les yeux du roi, sans qu’on pût obtenir même qu’il en écoutât les plaintes. Dans le reste du pays les soldats vivaient à discrétion, publiaient que le roi leur avait donné le pillage des huguenots, chassaient les ministres, outrageaient leurs femmes, et menaient hommes et femmes à la messe à coups de bâton (t. II, p. 295).
Tel fut le premier essai des dragonnades : elles devaient se perfectionner et s’étendre sous le règne de Louis XIV.
On peut se figurer l’indignation des Églises à la nouvelle des persécutions du Béarn. Ce ne furent pas les grands seigneurs du parti, pour cette fois qui poussèrent aux entreprises militaires. Ils voyaient trop bien que les calvinistes, doublement affaiblis par les défections et par leurs dissentiments intérieurs, ne seraient pas en état de tenir tête aux troupes du roi.
Quelques pasteurs aussi conseillaient de rester en repos. Pierre Dumoulin, qui jouissait d’une grande autorité parmi les réformés consistoriaux, écrivit après le synode national d’Alais, dont il avait été le modérateur, que chacun devait souffrir avec patience les nouveaux coups des ennemis. « S’il faut que nous soyons persécutés, disait-il, tous ceux qui craignent Dieu désirent que ce soit pour la profession de l’Évangile, et que notre persécution soit véritablement la croix de Christ. »
Mais le peuple des huguenots, secondé par des gentilshommes de second rang et par les bourgeois de La Rochelle, ne voulait rien entendre aux avis pacifiques. Le roi n’avait-il pas manqué dans le Béarn aux promesses qu’il avait faites à l’assemblée de Loudun ? La cause des Béarnais n’était-elle pas celle de tous ? Ne leur ferait-on pas subir le même sort à la première occasion ? Les conseillers de Louis XIII ne l’engageaient-ils pas à en finir sans délai avec les huguenots ? Ne prêchait-on pas leur extermination dans toutes les chaires catholiques ? Et ne leur valait-il pas mieux prendre conseil du désespoir que d’attendre, dans une fatale sécurité, le dernier coup ?
Ces pensées dominaient dans l’assemblée politique convoquée à La Rochelle au mois de décembre 1620. Le roi avait envoyé un huissier pour défendre aux députés des Églises de se réunir, et aux habitants de La Rochelle de les recevoir. Lorsque l’huissier se fût acquitté de sa commission, les magistrats de la ville lui répondirent : « Puisque vous avez fait votre charge, vous vous en irez quand vous voudrez. »
Les seigneurs du parti essayèrent encore de se porter comme médiateurs entre la cour’et l’assemblée. Les ducs de Rohan, de Soubise, de la Trémoille, eurent une entrevue à Niort avec quelques députés. Duplessis-Mornay employa dans ces négociations tout ce qu’il lui restait de force et de crédit. Mais les difficultés paraissaient insurmontables. Le conseil du roi ordonnait à l’assemblée de se séparer sans retard, et l’assemblée ne consentait à se dissoudre qu’après avoir obtenu le redressement de ses griefs et de solides garanties pour le libre exercice de la religion. D’un côté on disait : « Retournez chez vous et vous aurez satisfaction ; » de l’autre on répondait : « Donnez-nous satisfaction, et nous retournerons chez nous. » Mornay avait très bien résumé, en parlant de l’assemblée de Loudun, cette double position : « Le roi ordonne de se séparer, et promet de faire ; nous le supplions de faire, prêts alors à nous séparer. »
Le débat était sans issue, parce qu’il y avait de l’une et de l’autre part des arrière-pensées. Le conseil voulait briser tout au moins l’organisation politique des réformés, et ceux-ci la soutenaient avec une opiniâtre constance, étant persuadés, non sans motif, que de leur organisation politique dépendait leur liberté en matière de religion.
L’assemblée de La Rochelle, fatiguée d’envoyer à la cour des justifications et des plaintes inutiles, prit enfin, le 10 mai 1621, à la majorité de six à sept voix, une décision hardie, téméraire même, et qui témoignait de l’esprit républicain des Rochelois. La mesure dépassait les droits accordés par l’édit de Nantes, et quels que fussent les mauvais desseins du conseil, on ne saurait l’approuver.
La France réformée fut divisée en huit départements ou cercles, expression empruntée à l’établissement politique de l’Allemagne, et chaque cercle devait être sous le gouvernement de l’un des chefs du parti. L’autorité supérieure était confiée au duc de Bouillon. Les gouverneurs pouvaient lever des deniers, organiser des armées, livrer des batailles, nommer aux charges. Trois députés de l’assemblée devaient assister aux conseils tenus par le général en chef et par les commandants militaires. Enfin l’assemblée se réservait le pouvoir de conclure les traités de paix.
Cette organisation, du reste, avait plus d’apparence que de réalité. Le duc de Bouillon resta neutre. Le maréchal de Lesdiguières était à la veille d’embrasser le catholicisme. Le duc de la Trémoille et le marquis de Châtillon, petit-fils de Coligny, étaient chancelants, et devaient bientôt échanger le commandement des huguenots pour le bâton de maréchal. Le marquis de La Force craignait de se brouiller entièrement avec la cour. Le duc de Sully ne demandait que du repos. Mornay refusait de mettre la main à cette levée de boucliers. Il n’y eut entre tous les chefs que le duc de Rohan, et son frère le duc de Soubise, qui se montrèrent disposés à jeter toute leur fortune dans les nouvelles guerres de religion.
Les provinces qu’on avait partagées en cercles ne répondirent pas non plus d’une voix unanime à l’appel de l’assemblée. La Picardie, la Normandie, l’Orléanais, l’Ile-de-France, où il n’y avait qu’un petit nombre de réformés, le Poitou même et le Dauphiné où ils étaient plus nombreux, refusèrent de prendre les armes. Tout l’effort de la résistance fut concentré dans la Saintonge, la Guyenne, le Quercy et les deux provinces du Languedoc.
On doit signaler, comme un intéressant trait de mœurs, les règlements adoptés par l’assemblée de La Rochelle pour le maintien de la religion et du bon ordre dans les armées. Des pasteurs devaient faire journellement les prières et le prêche aux soldats. Il était défendu aux gens de guerre de jurer, sous peine d’une amende proportionnée au grade du délinquant : un teston pour le soldat, un écu pour le gentilhomme. Des peines plus graves étaient portées contre ceux qui mèneraient des femmes dans les campements militaires. On recommandait la conversation du labourage et du commerce. Les prisonniers étaient placés sous la sauvegarde du conseil. Ces règlements prouvaient que l’assemblée de La Rochelle voulait honorer cette nouvelle guerre ; mais ils ne pouvaient être exécutés que par une piété forte, devenue très rare en ce temps-là.