Θυμός et ὀργή se trouvent plusieurs fois réunis dans le N. T. (comme dans Romains 2.8 ; Éphésiens 4.31 ; Colossiens 3.8 ; Apocalypse 19.15) ; souvent aussi dans les Septante (Psaumes 77.49 ; Daniel 3.13 ; Michée 5.15), et souvent encore dans les auteurs grecs (Platon, Philebus 47 e ; Polyb. 6.56.11 ; Joseph., Ant. 20.5,3 ; Plutarch., De Coh. Ira, 2 ; Lucian., De Cal. 23). On ne les rencontre pas seulement dans un rapport de juxtaposition, mais de dépendance l’un à l’égard de l’autre ; ainsi θυμὸς τῆς ὀργῆς (Apocalypse 16.19 ; cf. Job 3.17 ; Josué 7.26) ; tandis que ὀργὴ θυμοῦ, qui ne se trouve pas dans le N. T., est fréquemment employé dans l’Ancien (2 Chroniques 29.10 ; Lamentations 1.12 ; Ésaïe 30.27 ; Osée 11.9).
Quand ces mots, après de longues années d’existence, vinrent à représenter la colère comme étant la plus vive de toutes les passions, de toutes les impulsions et de tous les désirs (voir Donaldson, New Cratylus, 3e éd., pp. 675-679), les grammairiens et les philologues s’en occupèrent beaucoup à l’endroit des distinctions à établir entre eux. Ils sentirent, et avec raison, que l’existence d’une multitude de passages dans lesquels ces deux mots sont employés indifféremment l’un pour l’autre (comme dans Plato, Leg. 9.867), ne prouve rien contre le fait d’une telle distinction ; car, en cherchant à établir une différence entre eux, tout ce qu’ils affirmèrent, c’était que les mots ne pouvaient pas être employés indifféremment dans tous les cas. Le résultat général auquel ils arrivèrent fut celui-ci : dans θυμός (lié à θύω et dérivé, selon Platon, ἀπὸ τῆς θύσεως, Crat. 419 e) il y a plus de cette émotion qui bouleverse, de ces sentiments qui bouillonnentb, de cette μέθη τῆς ψμχῆς, comme l’appelle St. Basile, qui doit ou se calmer et disparaître, — comme en latin « excandescentia » que Cicéron définit (Tuscul. 4.9), « ira nascens et modo desistens », — ou bien se changer en ὀργή où règne plutôt une certaine habitude de l’esprit (« ira inveterata ») avec intention de se venger ; « cupiditas doloris reponendi » (Senec, De Ira 1.5) ; ὁρμὴ ψυχῆς ἐν μελέτῃ κακώσεως κατὰ τοῦ παροξύναντος (Basil., Reg. Int. 68) ; l’allemand « Zorn ».
b – La Vulgate traduit communément θυμός par « furor ». Augustin (Enarr. in Psaumes 87.8) n’aime pas qu’on applique ce mot à Dieu, vu qu’on applique généralement « furor » à ceux qui n’ont pas un esprit sain, et il propose à sa place « indignatio ». Pour une autre distinction qui attribue les deux mots à Dieu, voir Bernard, Serm. in Cant. 69, § 3.
Ce caractère de θυμός, qui exprime une passion plus grande mais moins durable (θυμοί, selon Jeremy Taylor, ce sont de « grandes colères mais qui passent vite », cf. Luc 4.28 ; Daniel 3.19) peut expliquer une distinction de Xénophon, à savoir que θυμός, est au cheval ce qu’ὀργή est à l’homme (De Re Eq. 9.2 ; cf. Sagesse 7.20, θυμοὶ θηρίων : Plutarch., Gryll. 4, in fine ; et Pyrrh. 16, πνεύματος μεστὸς καὶ θυμοῦ, plein d’animosité et de rage). Ainsi les Stoïciens, qui s’occupaient beaucoup de définitions et de distinctions, définirent θυμός une ὀργὴ ἀρχομένη (Diog. Laërt., 7.1,63,114) ; et Ammonius : θυμὸς μέν ἐστι πρόσκαιρος. ὀργὴ δὲ πολυχρόνιος μνησικακία. Aristote aussi, dans son admirable comparaison de la vieillesse et de la jeunesse, caractérise ainsi les colères du vieil âge (Rhet. 2.11) : καὶ οἱ θυμοὶ ὀξεῖς μέν εἰσιν ἀσθενεῖς δέ — elles sont comme le feu dans la paille ; ce feu s’enflamme vite, mais il s’éteint également vite (cf. Eurip., Androm. 728, 729) ; Origène (in Psaumes 2.5, Op., vol. 2, p. 541) nous a laissé une discussion sur nos vocables dans laquelle il arrive au même résultat διαφέρει δὲ θυμὸς ὀργῆς τῷ θυμὸν μὲν εἶναι ὀργὴν ἀναθυμιωμένην καὶ ἔτι ἐκκαιομένην. ὀργὴν δὲ ὄρεξιν ἀντιτιμωρήσεως cf. in Ep. ad Romains 2.8, ce document, comme c’est bien connu, n’existe qu’en latin : « Ut si, verbi gratia, vulnus aliquod pessimum iram ponamus, hujus autem tumor et distentio indignatio vulneris appelletur » : de même Jérôme in Ephes.4.31) : « Furor incipiens ira est, et fervescens in animo indignatio. Ira autem est, quæ furore extincto desiderat ultionem, et eum quem nocuisse putat vult lædere ». Ceci s’accorde avec la définition stoïcienne d’ὀργή, que c’est une τιμωρίας ἐπιθυμία. Ainsi Grégoire de Naziance (Carm. 2.34,43,44) :
Μῆνις et κότος, qu’on rend le premier par « ira inveterata » et le second par « ira inveteratissima » (Jean Damascène, De Fid. orthod. 2.16), ne se trouvent pas dans le N. T.
Παροργισμός, vocable qu’on ne rencontre pas chez les auteurs classiques, mais qui se présente plusieurs fois dans les Septante (comme 1 Rois 15.30 ; 2 Rois 19.3), n’est point égal à ὀργή, quoiqu’on l’ait traduit par « colère ». Mais le παροργισμός ne peut être la colère, car dans Ephés.4.20, seul endroit du N. T. où ce mot se rencontre, il désigne quelque chose d’absolument défendu ; le soleil ne doit pas se coucher tant qu’il dure, tandis que, sous certaines conditions, l’ὀργή est une juste passion qu’il faut cultiver. L’Écriture ne confirme point la condamnation sommaire dont le stoïcisme frappe la colère. Elle n’inculque point l’ἀπάθεια, mais seulement la μετριοπάθεια, la modération ; non une suppression absolue des passions qui furent données à l’homme comme des vents pour remplir les voiles de son âme, ainsi que le dit excellemment Plutarque (De Virt. Mor. 12). L’Écriture ne porte pas sur les péchés des autres un jugement si peu charitable que l’homme qui a dit : « σεαυτὸν μὴ τάρασσε. ἁμαρτάνει τις ἑαυτῷ ἁμαρτάνει (Marc-Antonin, 4.46). Mais comme Aristote, d’accord avec tous les écrivains moraux plus profonds de l’antiquité (ainsi voyez Plato, Leg. 5.731, b : θυμοειδὴ μὲν χρὴ πάντα ἄνδρα εἶναι, κ. τ. λ., avait lui-même affirmé que la colère, alors que la raison la dirige, est une légitime affection, aussi l’Écriture la tolère, et non seulement la tolère, mais, à certains moments, l’exige. Tous les plus grands docteurs de l’Église permettent la colère ; ainsi Grégoire de Nysse : ἀγαθὸν κτῆνός ἐστιν ὁ θυμὸς ὅταν τοῦ λογισμοῦ ὑποζύγιον γένηται ; et St. Augustin (De Civ. Dei, 9.5) : « In disciplina nostra non tam quæritur utrum pius animas irascatur, sed quare irascatur ». Il y a « une colère de Dieu ». Dieu n’aimerait pas le bien, s’il ne haïssait le mal, car les deux choses sont inséparables, en sorte qu’il doit faire les deux ou aucunec. Il y a également une colère du débonnaire Fils de l’Homme (Marc 3.5), et une colère que les hommes droits non seulement peuvent, mais doivent sentir, parce qu’ils sont droits ; aussi ne peut-il y avoir de preuve plus certaine et plus triste d’une entière décadence morale que l’impossibilité de ne pas se mettre en colère contre le péché et les pécheursd. St. Paul donc ne s’incline point ici, comme plusieurs le croient, devant l’infirmité humaine en disant : « Votre colère ne vous sera pas imputée à péché si vous la déposez avant la tombée de la nuit » (V. Suicer, Thés., s. v. ὀργή) ; mais il dit plutôt : « Mettez-vous en colère, mais dans cette colère ne laissez s’introduire aucun élément de péché ; il est tel sentiment coupable qui peut s’attacher même à une juste colère, le παροργισμός, l’irritation, l’exaspération (« exacerbatio »), qu’il faut bannir sur-le-champ ; en sorte que, débarrassé de cet élément impur qui s’y mêle, vous ne reteniez que ce qui peut être retenu ».
c – Voir sur la colère de Dieu, comme complément nécessaire de son amour, les excellentes paroles de Lactance (De Ira Dei, c. 4) : « Nam si Deus non irascitur impiis et injustis, nec pios utique justosque diligit. In rebus enim diversis aut in utramque partem moveri necesse est, aut in nullam. »
d – « La colère, dit Fuller (Holy State, 3.8), est un des nerfs de l’âme ; celui qui ne la connaît pas a un esprit mutilé, et avec Jacob (dont « le muscle se retira à l’endroit de l’emboîture de la hanche »), il faut qu’il boite. Il ne fait pas bon non plus lier conversation avec qui ne sait pas se fâcher. »