Vainement, on reporterait de l’homme au démon l’œuvre du mal, comme ayant été l’instigateur de la prévarication, afin de renvoyer la faute au Créateur, parce que le Tout-puissant, qui créa les esprits « pour être ses messagers, » est l’auteur du démon. La substance angélique, sortie pure des mains divines, voilà ce qui appartient au Créateur. Mais ce que Dieu n’a pas fait, c’est le diable ; reste donc qu’il se soit fait lui-même le délateur qui rejette sur Dieu cette fausse accusation : « Dieu vous a défendu de toucher à tous ces arbres ; vous pouvez en manger sans mourir. Il ne vous a imposé ces défenses que parce qu’il vous envie la divinité. » Fourberie envers les hommes ! blasphème envers la divinité ! Une malice si profonde peut-elle venir de Dieu ? non, sans doute. Il avait marqué l’ange de la même bonté qui éclatait dans tout le reste de ses œuvres. Que dis-je ? il l’avait déclaré le plus sage de tous avant sa chute, à moins que Marcion ne prenne la sagesse pour un mal. Parcours les prophéties d’Ezéchiel ; tu remarqueras sans peine que cet ange, bon dans son origine, ne se corrompit que par les mouvements de sa volonté. Il s’adresse ainsi au démon dans la personne du roi de Tyr : « La parole divine retentit à mes oreilles en ces mots : Fils de l’homme, commence un chant lugubre, sur le roi de Tyr, et dis-lui : Voici comment parle le Seigneur : Tu es le sceau de la ressemblance. » (Qu’est-ce à dire ? Tu reproduis l’intégrité de l’image et de la ressemblance.) « Tu es plein de sagesse ; à toi la couronne de la beauté. » (Ces paroles le déclarent le plus élevé parmi les anges, archange, supérieur à tous en sagesse.) « Tu es né dans l’Eden, dans les jardins de délices du Seigneur. » (C’est là, en effet, que Dieu avait créé les anges lorsqu’il enfanta des êtres d’une seconde nature.) « Les pierres précieuses formaient ton diadème ; le rubis, la topaze, le jaspe, la chrysolithe, l’onyx, le bérylle, l’escarboucle, l’émeraude, la sardoine, l’améthyste, brillaient sur tes vêtements. L’or regorge dans les greniers et dans tes trésors. Depuis le jour de ta naissance, où je t’ai établi chérubin sur la montagne sainte, tu marches au milieu des pierres éblouissantes. Tu fus irréprochable dans ta formation jusqu’au moment où les offenses ont été dévoilées. En multipliant les odieux profits de tes trafics, tu as péché, etc. » Reproches qui s’appliquent manifestement à l’ange déchu et non au souverain des mers. En effet, de tous les hommes, il n’en est pas un qui ait reçu le jour dans le jardin des délices ; je n’en excepte pas même Adam, qui n’y fut que transporté ; pas un qui ait été établi chérubin sur la montagne sainte de Dieu, c’est-à-dire dans les hauteurs célestes, d’où Satan est tombé, suivant le témoignage même du Très-Haut ; pas un qui ait résidé au milieu des pierres éblouissantes, c’est-à-dire parmi les rayons enflammés des étoiles qui étincellent comme autant de diamants, d’où Satan encore a été, précipité avec la rapidité de la foudre.
C’est donc l’auteur du péché lui-même qui était désigné dans la personne du roi prévaricateur. « Irréprochable autrefois depuis le jour de sa naissance, » l’esprit malfaisant avait été formé pour le bien, émanation d’un Créateur qui produisait hors de son éternité des œuvres irréprochables, créature parée de toute la gloire angélique, et placée auprès du trône de Dieu, la bonté par communication auprès de la bonté par essence. Mais dans la suite il pervertit volontairement sa nature. « Depuis que tes offenses ont été mises à nu. » Quelles offenses lui sont donc imputées ? « Il a détourné l’homme de la soumission qu’il devait à Dieu. » Il a péché, depuis qu’il a semé le péché, A dater de ce jour, « il multiplia ainsi son trafic, » c’est-à-dire la somme de ses prévarications. Mais substance spirituelle, il n’en avait pas moins reçu la liberté du bien ou du mal. Dieu eût-il refusé ce privilège à un être voisin de lui ?
Toutefois en le condamnant d’avance, il nous donna un témoignage formel que c’était par une dépravation personnelle et toute volontaire que l’ange avait failli. De plus, en mesurant le sursis à ses œuvres, il demeura fidèle aux calculs de sa sagesse, qui ajournait l’anéantissement du démon dans le même but qu’elle ajournait le rétablissement de l’homme. Il ouvrit à ce combat de tous les jours une carrière suffisante, afin que l’homme écrasât son ennemi avec cette même liberté qui avait succombé aux assauts du démon : nouvelle preuve que la faute était à lui et non à Dieu ; afin qu’il reconquît dignement le salut par la victoire ; que le diable fût plus amèrement châtié, quand il serait vaincu par celui qu’il avait terrassé auparavant, et enfin que la bonté divine se manifestât dans sa plus haute évidence, en transportant au paradis l’homme couronné de gloire, l’homme qui devait sortir de la vie pour cueillir le fruit de l’arbre de vie.