Cette version a des titres spéciaux à notre intérêt. Antérieure de plus de deux siècles à Jésus-Christ, elle est la première traduction des Écritures qui ait jamais été faite. C’est par elle que la connaissance de la vérité put se répandre parmi les cœurs droits dans les principaux centres du monde païen. C’est elle qui, un peu partout, a frayé les voies à la prédication de l’Évangile. Son rôle missionnaire a été immense. C’est elle, plutôt que l’original hébreu, qui a servi aux apôtres et aux évangélistes. C’est elle qui a été la Bible des juifs comme des gentils dans les premiers âges du christianisme. C’est d’elle que dérivent les plus anciennes traductions de l’Ancien Testament. C’est elle qui a fourni au Nouveau Testament la plupart des termes de la langue religieuse. Dans l’Église d’Orient, c’est elle qui est la version autorisée. L’Église orthodoxe russe, entre autres, ne sanctionne que les traductions faites sur le texte des Septante. Enfin, elle peut rendre de grands services, au point de vue du texte, car elle a été traduite de l’hébreu de longs siècles avant que les Massorètes eussent fixé le texte que nous avons aujourd’hui. Toutefois, elle a subi de nombreuses altérations, qui doivent nous rendre prudents dans son emploi.
Quelle est l’origine de la version des Septante ? Voici d’abord la réponse de la légende.
Au troisième siècle avant notre ère, Ptolémée Philadelphe, roi d’Égypte, voulut ajouter aux trésors de la bibliothèque d’Alexandrie une traduction du Pentateuque hébreu. Un des principaux personnages de sa cour, Aristée, lui fit entendre que ce serait une entreprise bien ardue, et qu’il n’obtiendrait certainement pas cette traduction tant que des milliers d’esclaves juifs souffriraient dans son pays. Mais Ptolémée ne se laissa pas déconcerter. Il commença par consacrer d’énormes capitaux à la libération de 198 000 esclaves. Puis il organisa une magnifique procession d’Alexandrie à Jérusalem, dont ces esclaves libérés formaient la partie principale. Ils portaient au souverain sacrificateur Éléazar, avec de magnifiques présents, — 50 talents d’or, 70 talents d’argent, des tables d’or, des cuves d’or, des coupes d’or en abondance, — une lettre pour lui demander d’envoyer un exemplaire de la Loi en même temps que des savants juifs capables de la traduire.
Éléazar, agréant la demande, envoya soixante-douze savants juifs, six de chaque tribu, avec de magnifiques manuscrits de la Loi sur parchemin, écrits en lettres d’or. Ptolémée fit aux savants une réception royale, organisa en leur honneur une fête de sept jours, leur posa soixante-dix questions pour éprouver leur sagesse, et leur fit aménager près de la mer, loin du bruit de la ville, une splendide salle de travail, où, en soixante-douze jours, les soixante-douze savants, collaborant ensemble, achevèrent leur traduction.
(Au commencement de l’ère chrétienne, la salle commune de travail s’était transformée en soixante-douze cellules, établies sur le rivage de l’ile Pharos, dans chacune desquelles chacun des traducteurs avait poursuivi son travail indépendamment de tous les autres. Une fois achevées, les soixante-douze traductions s’étaient trouvées identiques, preuve certaine de leur inspiration divine. Justin martyr, au second siècle, raconte que son guide lui a montré à Alexandrie les ruines des soixante-douze cellules).
La traduction achevée, Démétrius, le bibliothécaire, assembla les juifs de la ville, et leur lut la traduction, qu’ils approuvèrent sans réserve. On prononça des malédictions contre quiconque oserait y ajouter ou y retrancher quoi que ce fût. Les juifs furent autorisés à la copier. Le roi se réjouit grandement de ce résultat, et ordonna de conserver soigneusement les parchemins. Il fit présent à chaque traducteur de trois robes de rechange et de deux talents d’or, et d’autres cadeaux. A Éléazar il envoya dix tables à pied d’argent, et une coupe de 30 talents.
Cette histoire, qui se retrouve dans Josèphe, dans Philon, dans plusieurs des Pères de l’Église, a été admise comme véridique pendant de longs siècles. Aujourd’hui son caractère légendaire ne fait doute pour personne. Mais on ne prête qu’aux riches, et cette légende même est une preuve du crédit extraordinaire dont a joui cette traduction. A ce titre, toute légende qu’elle est, elle présente un intérêt historique réel.
Et puis, dans cette légende même, il y a une part de vérité.
Il est certain que cette version a vu le jour à Alexandrie vers l’an 280 avant Jésus-Christ. Que les goûts littéraires du roi égyptien aient eu quelque chose à faire avec sa production, cela est possible, mais on sait qu’elle fut élaborée avant tout pour répondre aux besoins des juifs de la dispersion, qui ne connaissaient pas l’hébreu, et dont la langue usuelle était le grec. Quant à ses auteurs, ce furent certainement, non pas des savants de Jérusalem, mais des savants d’Alexandrie, ce qui ressort avec évidence, entre autres indices, de leur connaissance imparfaite de l’hébreu, de leurs erreurs au sujet des noms de lieux en Palestine, enfin de leur traduction libre, que des juifs, plus respectueux de la lettre, ne se seraient jamais permise.
Les Septante ont introduit les livres apocryphes dans leur traduction.
Quant à l’ordre des livres de l’Ancien Testament, ils les ont classés, non selon l’ordre chronologique, ainsi que fait le canon hébreu, mais par ordre de sujets, les livres historiques ensemble, les prophètes ensemble. C’est ainsi que Daniel, qui se trouve dans le canon hébreu parmi les « écrits sacrés », après Job et les Psaumes, se trouve dans les Septante à la suite des trois premiers prophètes. Nos Bibles protestantes, qui suivent le canon hébreu pour le choix et le nombre des livres, suivent, par une étrange inconséquence, la version des Septante pour leur classification.
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