La Légende dorée

XLIV
LA CHAIRE DE SAINT PIERRE À ANTIOCHE

(22 février)

L’église célèbre en ce jour la Chaire de saint Pierre parce que c’est en ce jour que ce saint, à Antioche, s’assit pour la première fois dans le siège pontifical. Et l’institution de cette fête est due à quatre causes.

1° Comme saint Pierre prêchait à Antioche, le préfet Théophile lui dit : « Pierre, pourquoi corromps-tu mon peuple ? » Et comme Pierre lui prêchait la foi du Christ, il le fit enchaîner et jeter en prison, où il ordonna qu’on le laissât sans boire et sans manger. Mais Pierre, déjà défaillant, reprit assez de forces pour lever les yeux au ciel et pour dire : « Jésus-Christ, soutien des malheureux, sois mon soutien dans ces tribulations ! » Et le Seigneur lui répondit : « Crois-tu donc que je t’aie abandonné ? Bientôt viendra quelqu’un qui secourra ta misère ! » En effet, saint Paul, en apprenant l’incarcération de Pierre, vint trouver Théophile, et se présenta à lui comme un artiste d’une habileté extrême, sachant sculpter le bois et le marbre, peindre sur la toile, etc. Théophile le pria d’habiter chez lui. Et, peu de jours après, Paul pénétra secrètement dans le cachot de Pierre. Voyant celui-ci presque mort d’épuisement, il pleura des larmes amères ; puis, se jetant dans ses bras, il lui dit : « Ô Pierre, mon frère, ma gloire, ma joie, moitié de mon âme, reprends tes forces ! » Alors Pierre, ouvrant les yeux et le reconnaissant, se mit à pleurer, mais sans pouvoir parler. Paul lui ouvrit la bouche et y versa de la nourriture, qui ne tarda pas à le réconforter. Puis, se rendant auprès de Théophile, saint Paul lui dit : « Ô bon Théophile, homme aimable et hospitalier, rappelle-toi qu’un petit mal suffit pour détruire un grand bien ! Qu’as-tu fait de ce serviteur de Dieu qui s’appelle Pierre ? Faible et pauvre, il ne vit que par la parole : et c’est un tel homme que tu as pu mettre en prison ! Sans compter que, si tu l’avais laissé en liberté, il aurait pu t’être utile ; car on dit qu’il guérit les malades et ressuscite les morts ! » Et Théophile : « Ce sont là des fables, mon cher Paul, car si cet homme pouvait ressusciter des morts, il pourrait bien se délivrer lui-même de sa prison ! » Et Paul : « On m’a dit que, de même que le Christ, qui ensuite est ressuscité, n’a pas voulu descendre de sa croix, de même ce Pierre, pour suivre l’exemple de son maître, refuse de se délivrer, préférant souffrir pour le Christ. » Alors Théophile : « Eh bien, va lui dire que je lui rendrai sa liberté s’il ressuscite mon fils, mort depuis quatorze ans ! » Paul rapporta cette condition à Pierre, qui lui dit : « C’est là un bien grand miracle qu’on exige de moi : mais la grâce de Dieu le fera par moi ! » Puis, conduit au sépulcre du fils de Théophile, il ordonna qu’on ouvrît la porte, et le mort ressuscita. – Mais nous devons avouer que ce miracle ne nous paraît pas très vraisemblable : d’abord à cause des quatorze ans que Dieu aurait permis que le mort passât dans son tombeau ; et puis, surtout, à cause de la ruse et du mensonge que l’histoire prête à saint Paul. Toujours est-il que Théophile et tout le peuple d’Antioche finirent par se convertir au Seigneur, et construisirent une magnifique église au milieu de laquelle ils mirent une chaire très élevée pour Pierre, d’où il put être vu et entendu par tous. Il y siégea pendant sept ans avant de se rendre à Rome, où il siégea ensuite dans la chaire romaine pendant vingt-cinq ans. Et c’est en souvenir de cet événement que l’Église célèbre cette fête, parce que, ce jour-là, pour la première fois, les chefs de l’Église commencèrent à être élevés en nom et en puissance.

Cette fête est, comme l’on sait, la troisième de celles où l’Église célèbre le glorieux successeur du Christ. Saint Pierre a, en effet, mérité d’avoir trois fêtes, d’abord parce qu’il a été privilégié, parmi les apôtres, en trois choses : en autorité, en amour du Christ, et en pouvoir d’opérer des miracles. De plus, saint Pierre a été le prince de toute l’Église, qui est répandue dans les trois parties du monde, l’Asie, l’Afrique et l’Europe : de là les trois fêtes où l’Église l’honore. Enfin, saint Pierre, depuis qu’il a reçu la faculté de lier ou de délier, nous délivre des trois genres de péchés, ceux de la pensée, de la parole et de l’acte, comme aussi de ceux que nous commettons envers Dieu, envers le prochain et envers nous-mêmes.

2° La seconde cause de l’institution de cette fête se trouve indiquée dans l’Itinéraire de Clément. Comme saint Pierre s’approchait d’Antioche, tous les habitants vinrent au-devant de lui revêtus de cilices, les pieds nus et la tête couverte de cendres, en signe de leur repentir, car ils avaient cru aux mensonges de Simon le Magicien. Et Pierre, heureux de ce repentir, fit placer devant lui tous les malades et les possédés ; et dès qu’il eut invoqué sur eux le nom de Dieu, une immense lumière apparut et tous furent guéris. Pendant la semaine qui suivit, plus de dix mille hommes reçurent le baptême. Ce que voyant, le préfet Théophile transforma son palais en basilique, et y fit placer pour l’apôtre une chaire très élevée d’où il pût être vu et entendu par tous. Et la contradiction n’est qu’apparente entre cette histoire et celle que nous venons de raconter : car rien n’empêche que Pierre ait été mis en prison par Théophile et délivré par l’entremise de saint Paul, puis que, pendant un de ses voyages, les habitants d’Antioche se soient laissés prendre aux mensonges de Simon le Magicien, et s’en soient enfin repentis.

3° En troisième lieu cette fête, – qu’on appelle aussi le Banquet de saint Pierre, – doit son institution à une coutume ancienne que l’Église a transformée en une fête chrétienne. En effet, maître Jean Beleth raconte que c’était l’usage chez les païens, au mois de février, d’aller porter un repas sur la tombe des morts. Les païens croyaient que ces repas étaient mangés par les âmes de leurs parents défunts, tandis qu’en réalité c’étaient les démons qui s’en régalaient. Et comme les premiers convertis au christianisme avaient peine à se départir de cette coutume, on résolut de substituer au banquet des morts, le jour de la Chaire de saint Pierre, un banquet célébré en l’honneur du saint.

4° Et cette fête a aussi pour objet de célébrer l’institution de la tonsure des prêtres. Car, pendant que Pierre prêchait à Antioche, on lui fit raser la tête en signe d’infamie ; et ce signe d’infamie fut ensuite adopté par tout le clergé, en signe d’honneur. Au point de vue symbolique, la tonsure signifie la conservation de la pureté, l’abandon des ornements extérieurs et le renoncement aux biens temporels. Et si la tonsure est de forme circulaire, c’est pour donner à entendre que, le cercle étant la plus parfaite des figures, les prêtres doivent veiller à représenter sur terre la perfection chrétienne.

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