Or il estoit tant et plus requis que cestuy qui devoit estre nostre Médiateur, fust vray Dieu et homme. Si on demande dont ceste nécessité est venue, elle n’a pas esté simple et absolue (comme on parle) : mais la cause en a esté fondée sous le décret éternel de Dieu, dont le salut des hommes dépendoit. Or ce Père de toute clémence et bonté a ordonné ce qu’il nous cognoissoit estre le plus utile. Car puis que nos iniquitez ayans jetté une nuée entre luy et nous, pour empescher que nous ne veinssions à luy, nous avoyent du tout aliénez du royaume des cieux : nul ne pouvoit estre moyen pour nous réconcilier qu’il ne luy fust familier. Et qui est-ce qui en fust approché ? se fust-il trouvé quelqu’un des enfans d’Adam ? mais tous avec leur père avoyent ceste haute majesté en horreur. Quelqu’un des Anges y eust-il suffi ? mais tous aussi bien avoyent besoin d’un chef, par la liaison duquel ils fussent affermis pour adhérer à Dieu à jamais. Il ne restoit doncques nul remède, que tout ne fust désespéré, sinon que la majesté mesme de Dieu descendist à nous, puis qu’il n’estoit pas en nostre pouvoir de monter à icelle. Parquoy il a falu que le Fils de Dieu nous fust fait Immanuel : c’est-à-dire, Dieu avec nous : voire à telle condition que sa divinité et la nature des hommes fussent unies ensemble : autrement il n’y eust point eu de voisinage assez prochain, ne d’affinité assez ferme pour nous faire espérer que Dieu habitast avec nous. Car nos ordures et sa pureté faisoyent un trop grand divorce. Encores que l’homme fust demeuré en son intégrité, si est-ce que sa condition estoit trop basse pour parvenir à Dieu : combien moins s’est-il peu eslever en tel degré, après s’estre plongé par sa ruine mortelle en la mort et aux enfers ? après s’estre souillé de tant de macules, voire empunaisi en sa corruption, et abysmé en tout malheur ? Pourtant ce n’est point sans cause que sainct Paul voulant proposer Jésus-Christ pour Médiateur, notamment l’appelle Homme : Il y a, dit-il, un Médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ qui est homme 1Tim. 2.5. Il le pouvoit bien nommer Dieu, ou bien omettre le nom d’homme comme celuy de Dieu : mais pource que le sainct Esprit parlant par sa bouche cognoissoit nostre infirmité, il a usé de ce remède pour venir au-devant : c’est de mettre le Fils de Dieu de nostre rang, afin de nous rendre familiers à luy. Afin doncques que nul ne se tormentast où il faudroit chercher ce Médiateur, ou par quelle voye on le pourroit trouver, en l’appelant Homme, il advertit qu’il nous est prochain, voire qu’il nous attouche de si près que rien plus, estant nostre chair. Brief, il signifie ce qui est expliqué ailleurs plus au long : c’est asçavoir que nous n’avons point un Sacrificateur, qui ne puisse avoir compassion de nos infirmitez, veu qu’il a esté du tout tenté à la manière des hommes, excepté qu’il n’a eu nulle macule de péché Héb. 4.15.
Cecy sera encores mieux entendu, si nous réputons de quelle importance a esté l’office du Médiateur : asçavoir de nous restituer tellement en la grâce de Dieu, que nous soyons faits ses enfans, et héritiers de son royaume : au lieu qu’estans lignée maudite d’Adam, nous estions héritiers de la géhenne d’enfer. Qui eust peu faire cela, si le Fils de Dieu mesme n’eust esté fait homme, et qu’il prinst tellement du nostre, qu’il communiquast ce qui estoit sien, voire faisant nostre par grâce ce qui estoit sien de nature ? Ayans doncques ceste arre, que le Fils naturel de Dieu a prins un corps commun avec nous, et a esté fait chair de nostre chair, et os de nos os, nous avons certaine confiance que nous sommes enfans de Dieu son Père, veu que luy n’a point desdaigné de prendre ce qui nous estoit propre, pour estre fait un avec nous, et nous faire compagnons avec soy de ce qui luy estoit propre : et par ce moyen d’estre pareillement avec nous Fils de Dieu et Fils d’homme. De là vient ceste saincte fraternité, de laquelle il nous enseigne disant, Je monte à mon Père et à vostre Père, mon Dieu et vostre Dieu Jean 20.17. Voylà comment nous sommes asseurez de l’héritage céleste : c’est que le Fils unique de Dieu, auquel l’héritage universel appartient, nous a adoptez pour ses frères, et par conséquent faits héritiers avec luy Rom. 8.17. D’avantage, il estoit tant et plus utile, que celuy qui devoit estre nostre Rédempteur, fust vray Dieu et homme, pource qu’il faloit qu’il engloutist la mort : et qui en fust venu à bout, sinon la vie ? C’estoit à luy de vaincre le péché : et qui est-ce qui le pouvoit faire sinon la justice ? C’estoit à luy de destruire les puissances du monde et de l’air : et qui eust peu acquérir telle victoire, sinon celuy qui est la vertu surmontant toute hautesse ? Or où gist la vie, la justice, et l’empire du ciel, sinon en Dieu ? C’est luy doncques, qui selon sa clémence infinie s’est fait nostre en la personne de son Fils unique, en nous voulant racheter.
L’autre partie de nostre réconciliation avec Dieu, estoit que l’homme qui s’estoit ruiné et perdu par sa désobéissance, apportast à l’opposite pour remède une obéissance, laquelle satisfist au jugement de Dieu, en payant ce qui estoit deu pour son péché. Ainsi nostre Seigneur Jésus est apparu ayant vestu la personne d’Adam, et prins son nom pour se mettre en son lieu, afin d’obéir au Père, et présenter au juste jugement d’iceluy son corps pour pris de satisfaction, et souffrir la peine que nous avions méritée, en la chair en laquelle la faute avoit esté commise. En somme, d’autant que Dieu seul ne pouvoit sentir la mort, et l’homme ne la pouvoit vaincre, il a conjoinct la nature humaine avec la siene, pour assujetir l’infirmité de la première à la mort, et ainsi nous purger et acquitter de nos forfaits : et pour nous acquérir victoire en vertu de la seconde, en soustenant les combats de la mort pour nous. Parquoy ceux qui despouillent Jésus-Christ ou de sa divinité, ou de son humanité, diminuent bien sa majesté et gloire, et obscurcissent sa bonté et grâce : mais d’autre part ils ne font pas moins d’injure aux hommes, desquels ils renversent la foy, laquelle ne peut consister, qu’estant appuyée sur ce fondement. Il y a aussi d’avantage, qu’il a falu que les fidèles attendissent pour leur Rédempteur ce fils d’Abraham, et de David, que Dieu leur avoit promis en sa Loy, et aux Prophètes. Dont les âmes fidèles recueillent un autre fruit : c’est que par le discours de l’origine estans conduits jusques à David et à Abraham, elles cognoissent mieux et plus certainement que nostre Seigneur Jésus est ce Christ, qui avoit esté tant renommé et célébré entre les Prophètes. Mais surtout il nous convient retenir ce que j’ay dit n’aguères, que le Fils de Dieu nous a donné un bon gage de la société que nous avons avec luy par la nature qu’il a commune avec nous : et qu’estant vestu de nostre chair, il a desconfit la mort avec le péché, afin que la victoire et le triomphe fust nostre, et qu’il a offert en sacrifice ceste chair qu’il avoit prinse de nous, afin qu’ayant purgé les péchez, il effaçast nostre condamnation, et appaisast l’ire de Dieu son Père.
Celuy qui sera attentif à considérer ces choses selon qu’elles en sont dignes, mesprisera aisément les spéculations extravagantes, lesquelles transportent beaucoup d’esprits volages et trop convoiteux de nouveauté. Telle est la question qu’aucuns esmeuvent : c’est, Encores que le genre humain n’eust point eu besoin d’estre racheté, que Jésus- Christ n’eust point laissé d’estre fait homme. Je confesse bien qu’en l’estat premier de la création, et en l’intégrité de nature desjà il estoit ordonné chef sur les hommes et les Anges : pour laquelle raison sainct Paul l’appelle Premier-nay entre toutes créatures Col. 1.15. Mais puis que l’Escriture prononce haut et clair qu’il a esté vestu de nostre chair, pour estre fait Rédempteur, c’est une témérité trop grande d’imaginer autre cause ou autre fin. C’est chose toute notoire pourquoy il a esté promis, dés le commencement : asçavoir pour restaurer le monde qui estoit cheut en ruine, et secourir aux hommes qui estoyent perdus. Et pourtant son image a esté proposée sous la Loy aux sacrifices, afin que les fidèles espérassent que Dieu leur seroit propice, estant réconcilié par la purgation des péchez. Certes puis qu’en tous siècles, mesmes devant que la Loy fust publiée, jamais le Médiateur n’a esté promis qu’avec sang, nous avons à recueillir de là, qu’il estoit destiné par le conseil éternel de Dieu à nettoyer les macules des hommes, d’autant que c’est un signe de réparation d’offense, qu’espandre le sang. Et les Prophètes n’ont pas autrement parlé de luy, qu’en promettant qu’il viendroit pour réconcilier Dieu et les hommes. Ce qui nous suffira de prouver pour ceste heure, par ce tesmoignage d’Isaïe, qui est solennel entre les autres : où il est dit, qu’il sera frappé de la main de Dieu pour les crimes du peuple : que le chastiement de nostre paix sera sur luy : qu’il sera Sacrificateur pour s’offrir en hostie : qu’il nous guairira par ses playes : que tous ont erré et se sont esgarez comme brebis errantes : et qu’il a pleu à Dieu de l’affliger, afin qu’il portast les iniquitez de tous Esaïe 53.4-6. Quand nous oyons que Jésus-Christ est proprement ordonné par décret inviolable du ciel pour secourir aux povres pécheurs, concluons que tous ceux qui passent ces bornes, laschent par trop la bride à leur folle curiosité. Luy aussi estant apparu au monde, a déclairé que la cause de son advénement estoit de nous recueillir de mort à vie, nous ayant appointez avec Dieu. Les Apostres ont testifié le mesme. Voylà pourquoy sainct Jehan devant que de dire que la Parole a esté faite chair Jean 1.14, parle de la révolte et cheute de l’homme. Mais il n’y a rien meilleur que d’ouyr Jésus-Christ luy-mesme traittant de son office, comme quand il dit, Dieu a tant aimé le monde, qu’il n’a point espargné son Fils unique mais l’a livré à la mort, afin que tous ceux qui croiront en luy, ne périssent point, mais ayent la vie éternelle Jean 3.16. Item, L’heure est venue que les morts orront la voix du Fils de Dieu : et ceux qui l’auront ouye, vivront Jean 5.25. Item, Je suis la résurrection et la vie : qui croit en moy, estant mort vivra Jean 11.25. Item, Le Fils de l’homme est venu pour sauver ce qui estoit péri Matt. 18.11. Item, Ceux qui sont sains, n’ont que faire de médecin Matt. 9.12. Ce ne seroit jamais fait, si je vouloye recueillir tous les passages servans à ce propos. Certes les Apostres d’un commun accord nous ameinent tous à ce principe. Et de faict, s’il n’estoit venu pour nous réconcilier à Dieu, sa dignité sacerdotale tomberoit bas, veu que le Sacrificateur est interposé entre Dieu et les hommes, pour obtenir pardon des péchez Héb. 5.1. Il ne seroit point nostre justice, veu qu’il a esté fait hostie pour nous, afin que Dieu ne nous impute point nos fautes 2Cor. 5.19 : brief, il seroit desnué de tous les tiltres dont l’Escriture l’honore. Le dire de sainct Paul aussi seroit renversé, que Dieu a envoyé son Fils, pour faire ce qui estoit impossible à la Loy : c’est, qu’en similitude de chair pécheresse il portast nos péchez Rom. 8.3. Ce qu’il dit aussi en un autre passage n’auroit point de lieu : c’est que la grande bonté de Dieu et amour envers les hommes a esté cognue, quand il nous a donné son Fils pour Rédempteur. En somme l’Escriture n’assigne autre fin pour laquelle Jésus-Christ ait voulu prendre nostre chair, et ait esté envoyé du Père sinon afin d’estre fait sacrifice d’appointement Tite 2.14. Il a esté ainsi escrit, et a falu que Christ souffrist, et qu’on preschast repentance en son Nom Luc 24.26, dit-il en sainct Luc : et sainct Jehan de mesme, Le père m’aime, d’autant que je mets ma vie pour mes brebis, Le Père le m’a ainsi commandé. Item, Comme Moyse a eslevé le serpent au désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit exalté. Item, Père, sauve-moy de ceste heure : mais pour ceste cause y suis-je venu. Père, glorifie ton Fils Jean 10.17 ; 3.14 ; 12.27-28. Or en ces passages il marque notamment pour quelle fin il a prins chair humaine : c’est d’estre fait sacrifice et satisfaction pour abolir les péchez. Par mesme raison Zacharie dit en son cantique, qu’il est venu suyvant la promesse donnée aux Pères, pour esclairer ceux qui estoyent assis en ténèbres de mort Luc 1.79. Qu’il nous souviene que toutes ces choses sont preschées du Fils de Dieu, auquel sainct Paul dit que tous thrésors de sagesse et intelligence sont cachez : et outre lequel il se glorifie ne rien sçavoir Col. 2.3 ; 2Cor. 2.2.
Si quelqu’un réplique que tout cela n’empesche point que Jésus-Christ, qui a racheté ceux qui estoyent damnez n’ait peu aussi testifier son amour envers ceux qui fussent demeurez sains et entiers en vestant leur nature : la response est briefve, puis que le sainct Esprit prononce que par le conseil éternel de Dieu ces deux choses ont esté conjoinctes ensemble, qu’il fust fait nostre Rédempteur et participant de nostre nature, qu’il n’est licite de nous enquérir plus outre : Car si quelqu’un ne se contentant point du décret immuable de Dieu, est chatouillé de convoitise d’en sçavoir plus outre, il monstre par cela qu’il ne se contente non plus de Jésus-Christ, en ce qu’il nous a esté donné pour pris de rédemption. Mesmes sainct Paul ne récite pas seulement pourquoy il nous a esté envoyé : mais en traittant de ce haut mystère de la prédestination, il bride en cest endroict tous fols appétis, et toute outrecuidance de l’esprit humain, en disant que le Père nous a esleus devant la création du monde, pour nous adopter au nombre de ses enfans, selon le propos de sa volonté, et qu’il nous a eus agréables au nom de son Fils bien-aimé, auquel nous avons rédemption par son sang Ephés. 1.4-7. Certes il ne présuppose point yci la cheute d’Adam comme ayant précédé en temps, mais il monstre ce que Dieu a déterminé devant tous siècles, en voulant remédier à la misère du genre humain. Si quelqu’un derechef objecte qu’un tel conseil de Dieu est provenu de la ruine de l’homme, laquelle il prévoyoit, ce m’est bien assez que tous ceux qui se donnent congé de chercher en Christ, ou appètent de sçavoir de luy plus que Dieu n’en a prédestiné en son conseil secret, s’avancent et se desbordent d’une audace trop énorme à forger un nouveau Christ. Et c’est à non droict que sainct Paul, après avoir parlé du vray office de Jésus-Christ, prie qu’il donne Esprit d’intelligence aux siens pour leur faire comprendre quelle est la longueur, hautesse, largeur et profondeur : asçavoir la charité de Christ, laquelle est par-dessus toute science Ephés. 3.16-19 : comme si de propos délibéré il barroit nos esprits entre des treillis, pour les empescher de décliner tant peu que ce soit çà ne là quand il est fait mention de Christ : mais les exhorter à se tenir, à la grâce de réconciliation qu’il nous a apportée. Et puis que le mesme Apostre testifie ailleurs que c’est une parole fidèle et arrestée, que Jésus-Christ est venu pour sauver les pécheurs 1Tim. 1.15, je m’y repose volontiers. Puis aussi qu’il enseigne que la grâce laquelle nous est manifestée en l’Evangile nous a esté donnée en Jésus-Christ devant tous temps et siècles 2Tim. 1.9, je conclu qu’il nous convient demeurer constamment en icelle jusques à la fin. Osiander sans raison renverse ceste modestie ; car combien que ceste question eust esté esmeue jadis de quelques-uns, il s’y est tellement escarmouché, qu’il en a malheureusement troublé l’Eglise. Il argue de présomption ceux qui disent, que si Adam ne fust trébusché, le Fils de Dieu ne fust point apparu en chair : pource qu’il n’y a point certain tesmoignage de l’Escriture qui réprouve une telle fantasie. Voire, comme si sainct Paul n’eust point bridé ceste perverse curiosité, quand après avoir parlé de la rédemption acquise par Jésus-Christ, incontinent il commande de fuir toutes folles questions Tite. 3.8-9. La rage d’aucuns s’est desbordée jusques-là, qu’estans poussez d’un appétit pervers d’estre réputez pour gens aigus, ils ont disputé si le Fils de Dieu pouvoit prendre la nature d’un asne. Si Osiander veut excuser ceste question (laquelle toutes gens craignans Dieu à bon droict ont en horreur comme un monstre détestable) et la veut excuser sous ceste couverture, qu’elle n’est point condamnée notamment : je respon que sainct Paul, n’estimant rien digne d’estre cognu outre Jésus-Christ crucifié 1Cor. 2.2, n’auroit garde de recevoir un asne pour autheur de salut. Parquoy, d’autant qu’ailleurs il enseigne que Jésus-Christ a esté par le conseil éternel du Père ordonné chef pour recueillir toutes choses Ephés. 1.22 : par mesme raison jamais ne recognoistra un Christ, qui n’ait eu charge ni office de racheter.
Le principe duquel il fait ses triomphes est du tout, frivole : c’est que l’homme a esté créé à l’image de Dieu, d’autant qu’il a esté formé au patron de Christ, afin de le représenter en la nature humaine, de laquelle desjà le Père avoit décrété le revestir. Osiander conclud de là, qu’encores que jamais Adam ne fust tombé et décheu de sa première origine, le Christ n’eust pas toutesfois laissé d’estre homme. Toutes gens de sain jugement cognoissent d’eux-mesmes combien cela est froid et contraint, et tiré par les cheveux, comme l’on dit. Cependant cest homme farci d’orgueil cuide avoir cognu le premier que c’est que l’image de Dieu, asçavoir que la gloire de Dieu reluisoit en Adam, non-seulement es dons excellens, desquels il estoit orné, mais aussi que Dieu habitoit essenciellement en luy. Or combien que je luy accorde qu’Adam ait porté l’image de Dieu, entant qu’il estoit conjoinct avec luy (qui est la vraye et souveraine perfection de dignité) toutesfois je dy que l’image de Dieu ne se doit chercher sinon aux marques d’excellence, dont Adam a esté anobli par-dessus tous animaux. Tous confessent bien d’un accord que Jésus-Christ estoit desjà lors l’image de Dieu : et par ainsi que tout ce qui a esté imprimé d’excellence en Adam, est procédé de ceste source qu’il approchoit de la gloire de son Créateur par le moyen du Fils unique. Pourtant l’homme a esté créé à l’image de celuy qui l’a formé Gen. 1.27, et par conséquent a esté comme un miroir auquel la gloire de Dieu resplendissoit : et a esté eslevé en tel degré d’honneur par la grâce du Fils unique. Mais il convient adjouster quant et quant, que ce Fils a esté chef en commun tant aux Anges qu’aux hommes : tellement que la dignité donnée à l’homme appartenoit aussi bien aux Anges. Car quand nous oyons que l’Escriture les nomme fils de Dieu, il ne seroit pas convenable de nier qu’ils n’ayent des marques imprimées pour représenter leur Père. Or si Dieu a voulu démonstrer sa gloire tant aux Anges qu’aux hommes, et a voulu qu’elle fust évidente en toutes les deux natures, Osiander badine trop sottement, laissant les Anges derrière, comme s’ils ne portoyent point la figure de Jésus-Christ : car ils ne jouiroyent pas continuellement de sa présence et de son regard, s’ils ne luy estoyent semblables. Et de faict saint Paul n’enseigne que les hommes soyent autrement renouvelez à l’image de Dieu, que pour estre compagnons des Anges, afin d’adhérer les uns aux autres sous un mesme chef. Brief, si nous adjoustons foy à Jésus-Christ, nostre dernière félicité sera, après estre recueillis au ciel, d’estre conformes aux Anges. Que si on permet à Osiander de dire que le premier et principal patron de l’image de Dieu a esté en ceste nature humaine que devoit prendre Jésus-Christ, on pourra aussi conclurre à l’opposite, qu’il devoit aussi bien prendre la forme des Anges, puis que l’image de Dieu leur appartient.
Il ne faut point doncques qu’Osiander craigne, comme il prétend, que Dieu soit trouvé menteur, si desjà il n’eust eu en son Esprit le décret immuable de faire son Fils homme. Car encores que l’estat de l’homme n’eust pas esté ruiné, il n’eust pas laissé d’estre semblable à Dieu avec les Anges : et toutesfois il n’eust pas esté nécessaire que le Fils de Dieu deveinst homme ou Ange. C’est aussi en vain qu’il craind ceste absurdité, s’il n’eust point esté déterminé par le conseil immuable de Dieu devant qu’Adam fust créé, que Jésus-Christ deust naistre homme, non pas comme Rédempteur, mais comme le premier des hommes, que son honneur en cela ne soit amoindri, veu qu’il ne seroit nay que par accident pour restaurer le genre humain qui estoit perdu : et ainsi qu’il auroit esté créé à l’image d’Adam. Car pour quoy aura-il en horreur ce que l’Escriture enseigne tant ouvertement, c’est qu’il a esté fait du tout semblable à nous, excepté péché Héb. 4.15 ? Dont sainct Luc ne fait nulle difficulté de le nommer en la généalogie qu’il récite, Fils d’Adam Luc 3.38. Je voudroye bien aussi sçavoir pourquoy il est appelé le second Adam en sainct Paul 1Cor. 15.45, sinon d’autant que le Père céleste l’a assujeti à la condition des hommes pour retirer les successeurs d’Adam de la ruine où ils estoyent plongez. Car si le conseil de Dieu, de luy donner forme humaine avoit précédé en ordre la création, il devroit estre appelé le premier Adam. Il ne couste rien à Osiander d’affermer en tant que Jésus-Christ estoit prédestiné en l’Esprit de Dieu d’estre fait homme, que tous ont esté formez en ce patron. Sainct Paul au contraire, nommant Jésus-Christ, Second Adam, met au milieu de l’origine première et de la restitution que nous obtenons par Christ, la ruine et confusion qui est entrevenue, fondant la venue de Jésus-Christ sur la nécessité de nous réduire en nostre estat. Dont il s’ensuit que c’a esté la cause de faire prendre chair humaine au Fils de Dieu. Osiander argue aussi mal et sottement, en disant que si Adam eust persisté en son intégrité, il eust esté image de soy-mesme, et non pas de Jésus-Christ. Car combien que le Fils de Dieu n’eust jamais prins chair, l’image de Dieu n’eust pas laissé de reluire en nos corps et en nos âmes : et comme par les rayons d’icelle il eust tousjours apparu que Jésus-Christ estoit vrayement chef, ayant la primauté entre les hommes. Par ce moyen sa subtilité frivole est solue : c’est que les Anges eussent esté privez de ce chef, si Dieu n’eust déterminé en soy de faire son Fils homme, mesmes sans que le péché d’Adam l’eust requis. Car il prend trop inconsidérément ce que nul de sens rassis ne luy ottroyera : asçavoir que Jésus-Christ n’ait point de prééminence sur les Anges sinon d’autant qu’il est homme : veu qu’au contraire il est facile de tirer des paroles de sainct Paul, qu’entant qu’il est la Parole éternelle de Dieu, il est aussi premier-nay de toutes créatures Col. 1.15 : non pas qu’il ait esté créé ne qu’il doive estre nombre entre les créatures, mais pource que l’estat du monde, en ceste beauté qu’il a eue tant excellente, n’a pas eu d’autre principe. Or entant qu’il a esté fait homme, il est appelé premier-nay des morts Col. 1.18. L’Apostre comprend l’un et l’autre en brief, et le nous donne à considérer, quand il dit que toutes choses ont esté créées par le Fils, afin qu’il dominast sur les Anges : et qu’il a esté fait homme, afin de venir faire office de Rédempteur. C’est une pareille sottise à Osiander, de dire que les hommes n’eussent point eu Jésus-Christ pour Roy, s’il n’eust esté homme ? Voire, comme s’il n’y eust eu nul Règne ni Empire de Dieu, quand le Fils unique, combien qu’il ne fust point vestu de chair humaine, ayant recueilli les hommes et les Anges sous soy, eust présidé sur eux en sa gloire. Mais il se trompe tousjours ou plustost s’ensorcelle en ceste resverie : c’est que l’Eglise eust esté sans teste, si Jésus-Christ ne fust apparu en chair. Voire, comme s’il n’eust peu avoir sa prééminence sur les hommes pour les gouverner par sa vertu divine, et leur donner vigueur par la force secrète de son Esprit : voire les nourrir comme son corps, tout ainsi qu’il s’est fait sentir chef aux Anges, jusques à ce qu’il les amenast à la jouissance d’une mesme vie que les Anges ont. Osiander estime que ses badinages que j’ay réfutez jusques yci, sont comme oracles infaillibles, selon qu’il a accoustumé, estant enyvré de ses spéculations, de faire ses triomphes d’un rien : mais en la fin il se vante d’avoir un argument insoluble et ferme par-dessus tous les autres, asçavoir la prophétie d’Adam, lequel ayant veu Eve sa femme dit, Voyci maintenant os de mes os, et chair de ma chair Gen. 2.23. Mais d’où prouvera-il que c’est une prophétie ? Il respondra possible, que Jésus-Christ en sainct Matthieu attribue ceste sentence à Dieu. Voire, comme si tout ce que Dieu prononce par les hommes contenoit quelque prophétie pour l’advenir. Par ce moyen il faudroit qu’en chacun précepte de la Loy il y eust prophétie, veu que tous ont esté donnez de Dieu. Mais il y auroit bien pis, si nous voulions croire ce fantastique : car Jésus-Christ eust esté un expositeur terrestre, s’amusant au sens litéral, veu qu’il ne traitte point de l’union mystique qu’il a avec son Eglise, mais allègue le passage pour monstrer quelle foy et loyauté doit le mari à sa femme, puis que Dieu a prononcé que l’homme et la femme ne seroyent qu’un : et par ce moyen il monstre qu’il n’est licite à nul d’attenter de rompre par divorce ce lien indissoluble. Si Osiander mesprise ceste simplicité, qu’il reprene Jésus-Christ, de ce qu’il n’a point abruvé ses disciples de ceste belle allégorie que luy nous met en avant : et par ainsi n’a pas interprété assez subtilement le dire de son Père. Ce qu’il ameine de sainct Paul ne sert de rien à sa fantasie. Car sainct Paul après avoir dit que nous sommes chair de la chair de Christ, s’escrie que c’est un grand mystère Ephés. 5.32. Et ainsi il ne veut point réciter en quel sens Adam a proféré ceste sentence : mais sous la similitude du mariage il nous veut induire à considérer ceste conjonction sacrée, laquelle nous fait estre un avec Jésus-Christ : mesmes les mots expriment cela. Car l’Apostre en protestant qu’il parle de Christ et de l’Eglise, met une espèce de correction, pour discerner le mariage d’avec l’union spirituelle de Jésus-Christ avec son Eglise, et ainsi tout le babil d’Osiander s’esvanouit de soy-mesme. Parquoy il ne sera point nécessaire de remuer plus tel bagage, veu que la vanité en est assez descouverte par ceste briefve réfutation. Quoy qu’il en soit, ceste sobriété suffira à contenter les enfans de Dieu : c’est que quand la plénitude des temps est venue, Dieu a envoyé son Fils nay de femme, assujeti à la Loy, afin de racheter ceux qui estoyent sous la Loy Gal. 4.4.