Ce motk, pris dans son étymologie et dans son acception primitive, ne désigne aucune qualité spéciale de la prédication, mais plutôt la grâce et l’efficace qui y sont attachés par l’Esprit de Dieu, une espèce de sceau et de sanction qui se constate moins par des signes extérieurs que par l’impression que reçoivent les âmes. Mais comme, en remontant à la cause de cet effet, on distingue particulièrement certains caractères, c’est à la réunion de ces caractères qu’on a donné le nom d’onction. L’onction me semble être le caractère total de l’Évangile, reconnaissable sans doute dans chacune de ses parties, mais sensible surtout dans son ensemble ; c’est la saveur générale du christianisme ; c’est une gravité accompagnée de tendresse, une sévérité trempée de douceur, la majesté unie à l’intimité : vrai tempérament de la dispensation chrétienne, dans laquelle, selon l’expression du psalmiste, la bonté et la vérité se sont rencontrées, la justice et la paix se sont entre-baisées (Psaume 85.11). C’est tellement une chose propre au christianisme et aux choses chrétiennes, qu’on ne s’avise guère de transporter ce terme dans d’autres sphères, et que, quand nous le rencontrons appliqué à d’autres choses qu’à des discours ou des actions chrétiennes, nous sommes étonnés, et n’y pouvons voir qu’une analogie ou une métaphore. [Par le fait que le monde moderne a été plongé tout entier dans le christianisme,] bien des ouvrages modernes, qui ne sont ni chrétiens ni même religieux, ont un caractère qu’on ne saurait désigner autrement que par le mot d’onction ; tandis qu’aucun ouvrage de l’antiquité n’éveille cette idée.
k – Les remarques sur l’onction, annoncées dans le paragraphe précédent, ne se sont pas trouvées dans les manuscrits de M. Vinet relatifs à l’Homilétique. Pour remplir cette lacune, nous reproduisons ici le chapitre de la Théologie pastorale sur l’onction. Nous nous y croyons d’autant plus autorisés qu’un résumé fort court de quelques-unes des idées de ce chapitre, dans l’un des cahiers de l’auteur, semble indiquer qu’appelé à s’occuper deux fois de ce sujet, il s’est servi des mêmes notes pour les deux cours. (Editeurs.)
L’idée que Mauryl donne de l’onction n’est autre que celle du pathétique chrétien. La définition de Blair est plus distinctement identique à la nôtre : La gravité et la chaleur réunies forment, selon cet auteur, ce caractère de prédication que les Français appellent onction ; manière touchante et pleine d’intérêt, qui procède d’un cœur ému et profondément pénétré de l’importance des vérités qu’il annonce, uniquement occupé du désir de voir ces vérités faire sur ses auditeurs toute l’impression qu’on en doit attendrem.
l – Maury, Essai sur l’éloquence de la chaire.
m – Blair, Cours de Rhétorique et de Belles-Lettres, traduit de l’anglais par P. Prévost. Leçon XXIX. Eloquence de la chaire.
M. Dutoit-Membrini a cru que pour définir l’onction, qualité intime et mystérieuse, il fallait se garder de la définition en forme et de l’analyse. C’est par les effets de l’onction et par des analogies qu’il cherche à la faire connaître, ou, pour mieux dire, à la faire goûter :
L’onction est une chaleur douce qui se fait sentir dans les puissances de l’âme. Elle fait dans le spirituel les mêmes effets que le soleil dans le physique : elle éclaire et elle échauffe. Elle met la lumière dans l’âme, elle met la chaleur dans le cœur. Elle fait connaître et aimer, elle intéresse.
Je dirais volontiers que c’est une lumière qui réchauffe et une chaleur qui éclaire. Et je rappellerais à ce sujet les paroles de saint Jean : L’onction que vous avez reçue de lui demeure en vous, et cette onction vous enseigne toutes choses. (1 Jean 2.27)
Son unique source, c’est l’esprit de régénération et de grâce. C’est un don qui s’use et se perd, si on ne renouvelle ce feu sacré, qu’il faut toujours tenir allumé ; et ce qui l’entretient, c’est la croix intérieure, les renoncements, l’oraison et la pénitence.
L’onction est dans les sujets religieux ce qu’est dans les poètes ce qu’ils nomment enthousiasme. Ainsi l’onction, c’est le cœur et les puissances de l’âme, nourris, embrasés des suavités de la grâce. C’est un sentiment doux, délicieux, vif, intime, profond, melliflue.
L’onction sera donc cette chaleur moelleuse, douce, nourrissante, et tout à la fois lumineuse, qui éclaire l’esprit, pénètre le cœur, l’intéresse, le transporte, et que celui qui l’a reçue envoie sur les âmes et sur les cœurs destinés à la recevoir.
L’onction se sent, s’expérimente ; on ne saurait l’analyser. Elle fait son impression sourdement, et sans le secours de la réflexion. Elle est envoyée en simplicité et reçue de même par le cœur en qui la chaleur du prédicateur passe. Pour l’ordinaire, elle produit son effet sans qu’on en ait le goût développé, sans qu’on puisse se rendre raison à soi-même de ce qui a fait l’impression. On sent, on éprouve, on est ému, on ne saurait presque assigner de cause.
On peut appliquer à celui qui l’a reçue ces paroles du prophète Esaïe : Voici, je te ferai être comme une herse pointue toute neuve. (Esaïe 41.15)
Cet homme sillonne dans les cœursn.
n – Dutoit-Membrini, La Philosophie chrétienne. Lausanne, 1800, Tome I, pages 92 et suivantes.
De tout ce qui a été dit, il ne faudrait pas conclure que l’onction, qui a bien le même principe que la piété, se proportionne exactement à la piété. L’onction peut être fort inégale entre deux prédicateurs égaux en piété ; mais elle est trop intimement unie au christianisme pour pouvoir manquer absolument à une prédication vraiment chrétienne.
Certains obstacles, les uns naturels, les autres d’erreur ou d’habitude, peuvent nuire à l’onction et obstruer, pour ainsi dire, le passage de cette huile douce et sainte, qui devait couler partout, lubrifier toutes les articulations de la pensée, rendre tous les mouvements du discours faciles et justes, pénétrer, nourrir la parole. Il n’y a aucun moyen artificiel de se donner de l’onction ; l’huile coule d’elle-même de l’olive ; la plus violente pression n’en ferait pas sortir une goutte de la terre ou du caillou ; mais il y a des moyens, si je puis parler ainsi, de n’être pas onctueux, même avec un fonds précieux de piété, ou de dissimuler l’onction qui est en nous, et de l’empêcher de couler au dehors. Il y a des choses incompatibles avec l’onction : c’est l’esprito, c’est l’analyse trop rigoureuse, c’est le ton trop dogmatique, c’est la dialectique trop formelle, c’est l’ironie, c’est l’emploi d’un vocabulaire mondain ou trop abstrait, c’est la forme trop littéraire, c’est enfin le style trop compact et trop serré ; car l’onction suppose l’abondance, l’épanchement, le coulant, le liant.
o – Cependant saint Bernard et Augustin ont de l’esprit et de l’onction.
L’idée de l’onction est plutôt excitée par son absence que par sa présence. Ce sont ses contraires qui rendent sa notion distincte, bien qu’elle ne soit pas une qualité négative, mais au contraire la plus positive ; mais positive dans le sens d’une odeur, d’une couleur, d’une saveur.
Mais ne rétrécissons pas l’idée de l’onction en la réduisant à une douceur molle, à une abondance verbeuse, à un pathétique larmoyant. Gardons-nous de croire qu’on ne puisse être onctueux qu’à la condition de s’interdire la rigueur et la suite dans le raisonnement, et cette fierté d’accent, cette sainte véhémence, que certains sujets réclament, et sans laquelle, en les traitant, on serait dans le faux. Massillon est onctueux, au jugement de Maury, dans un morceau qui est tout de reprochep. [Nous citerons aussi, comme exemple, Bossuet, à la fin du sermon sur l’Impénitence finale]
p – Maury, Eloquence de la chaire. LXXII. De l’onction – Voir Massillon, Fin de la première partie du sermon sur l’Aumône.