Les premiers missionnaires protestants arrivèrent à Madagascar en 1818. C’étaient David Jones et Thomas Bevan, chacun accompagné de sa femme et d’un enfant. Au bout de quelques mois, sur ces six personnes, cinq étaient mortes de la malaria, et David Jones, seul survivant, était lui-même très malade. Il se rétablit, et en 1821 fut rejoint par David Griffith, gallois comme lui.
A ce moment, il y avait peut-être en tout six Malgaches capables d’écrire leur langue, et cela en empruntant les caractères arabes. Le malgache n’existait pas comme langue écrite. En 1823, Jones et Griffith s’étaient rendu compte des règles de la grammaire et avaient créé une écriture en harmonie avec ces règles. En 1826, la Société missionnaire de Londres leur envoyait une machine à imprimer. En janvier 1827, les missionnaires écrivaient :
Nous avons consacré la journée du 1er janvier à la révision finale et à l’impression du premier chapitre de Luc. Nous voulions, par ce ministère, en ouvrant sur un sol aride et desséché la fontaine des eaux vives, sanctifier cette nouvelle année de labeur missionnaire. Puissent les eaux de guérison couler bientôt en mille canaux et transformer ce pays en un jardin de l’Éternel !
Avant la fin de l’année, les missionnaires avaient imprimé l’Évangile de Luc à 1500 exemplaires. En 1830, le Nouveau Testament était imprimé à 3000 exemplaires.
Je ne veux pas prophétiser, écrivait le missionnaire-imprimeur, mais je ne puis pas croire que la Parole de Dieu soit jamais exterminée de ce pays, ou que le nom de Jésus y soit jamais oublié.
La publication du Nouveau Testament excita chez les indigènes un esprit de saine curiosité. Leur Nouveau Testament à la main, ils entouraient en grand nombre la demeure des missionnaires pour se faire expliquer les passages qu’ils avaient marqués. On était étonné de voir la Parole de Dieu trouver chez eux tant d’écho. Ils comprenaient très bien tous les passages qui condamnaient l’idolâtrie et la sorcellerie. A propos du passage : Vous observez les jours et les mois, un jeune garçon fit cette remarque : « Voilà qui condamne les gens qui tuent leurs enfants parce que le jour ou le mois de leur naissance est réputé mauvais, et ceux qui s’abstiennent de faire quelque chose aux temps dits néfastes. »
En mars 1835, comme l’impression de l’Ancien Testament touchait à son terme, la persécution éclata. La reine Ranavalona fit réunir tous les exemplaires des Écritures qu’on put trouver, et les fit remettre aux missionnaires comme objets prohibés. La lecture des Écritures, comme la prière, fut interdite sous peine de condamnation à la mort ou à l’esclavage. A ce moment, il restait à imprimer les livres d’Ézéchiel à Malachie, et une partie du livre de Job. Aucun indigène n’osait prêter la main à ce travail. Tout ce qui restait fut composé par le missionnaire Baker et imprimé par un artisan missionnaire, M. Kitching. Le 21 juin, la première Bible malgache était imprimée et reliée. Jamais ministère ne fut plus fécond et plus glorieux que celui qu’accomplirent ces deux hommes pendant ces trois mois. Il se prépara là bien des palmes et bien des couronnes !
Des exemplaires de la Bible furent remis aux indigènes. Ceux qui les recevaient savaient fort bien qu’en les recevant ils risquaient leur vie. Quand les missionnaires, expulsés, quittèrent l’île, en juillet 1836, il restait encore un stock de soixante-dix Bibles. Les missionnaires enterrèrent ces soixante-dix Bibles et en indiquèrent la cachette à quelques-uns de leurs convertis. Ce fut là, pour de longues années, le dépôt biblique des chrétiens malgaches. Ces Bibles, comme on l’a dit, furent le combustible qui, pendant plus d’un quart de siècle de persécution, alimenta le feu sacré à Madagascar. Plusieurs de ces Bibles existent encore. On en voit une à la bibliothèque de la Société biblique britannique.
Le souvenir de la persécution le plus émouvant que j’aie rapporté, racontait plus tard un missionnaire, consiste en quelques fragments des Écritures, usés, déchirés, portant des taches de terre ou de fumée qui sont les marques de leur cachette, mais soigneusement réparées : ces feuilles sont cousues entre elles par des fibres d’écorce, et leurs marges sont recouvertes de papier plus fort.
On comprend que ces Bibles se soient usées ! Elles circulaient par fragments ; on échangeait des moitiés, des quarts de Bible. Comme les exemplaires étaient rares, il circulait aussi des fragments copiés à la main. Des chrétiens se réunissaient pour méditer la Bible et prier, en particulier sur une montagne, à quelque distance de la capitale. Quand on les découvrait, ou quand on découvrait leur Bible, c’était l’esclavage ou la torture, ou une mort cruelle.
Voici une lettre écrite au milieu de cette fournaise. La persécution durait déjà depuis vingt-quatre ans. Ce sont les chrétiens persécutés de Madagascar qui écrivent à leurs frères réfugiés à l’ile Maurice.
Antananarivo, 17 janvier 1859.
A David Andrianado et à nos nombreux frères.
Nous venons vous voir, puisque, par la bonté de Dieu, nous pouvons nous visiter les uns les autres par lettre. Dieu veuille que cette lettre vous parvienne !
Car ici, en ce moment, nous endurons les plus lourdes afflictions. Les prisonniers déportés au désert y ont été conduits de telle façon que plusieurs ont succombé. Quant aux survivants, ils doivent continuer de porter les chaînes des morts. Les membres de ceux-ci sont coupés, et leurs fers restent suspendus aux vivants, qui seraient dans l’impossibilité d’avancer si des amis ne venaient les aider à porter leurs chaînes. Jour et nuit, on les soutient ainsi. Tel est le sort de ceux qui survivent.
Quant aux morts, ils sont heureux, parce qu’ils ont du relâche de leurs lourds fardeaux, et de beaux anges sont venus les consoler. Tandis qu’ils mouraient, ils exhortaient ceux qui restaient à s’appuyer entièrement sur Jésus. Et ils disaient : « Ne défaillez pas sous ces lourdes chaînes, car voici, la cité d’or est préparée pour nous, et Jésus, notre Frère, nous a précédés dans le chemin ». Et les survivants se réjouissaient en entendant ces paroles.
Et quand les prisonniers sont allés au désert où on les chassait, cinquante fonctionnaires les conduisaient et les surveillaient. La distance qu’ils avaient à franchir était de trois journées de marche, mais leur voyage dura deux mois, à cause du grand poids de leurs chaînes. Et voici le cantique qu’ils chantaient tout en allant :
Ô vous qui êtes aujourd’hui en chemin,
Nous sommes pèlerins vers Sion.
Réjouissez-vous, réjouissez-vous à jamais,
Christ notre Sauveur nous donne de la joie.
Bientôt, nous l’entendrons nous souhaiter la bienvenue et nous dire
« Venez, vous les bénis de mon Père,
Héritiers d’un royaume glorieux,
A vous est acquise à jamais une maison céleste »
Là, à jamais, nous rendrons joyeusement
Des hommages toujours nouveaux à son nom de Sauveur,
Et, avec des voix mélodieuses, nous nous unirons au chant
Du cantique de Moïse et de l’Agneau.
Sauveur bien-aimé, daigne
Bénir maintenant ton peuple,
Et envoie dans nos cœurs qui attendent ta grâce
Ta faveur et ta paix.
Si le cœur de la reine est dur et enflammé contre nous, la compassion de Christ brûle d’une flamme bien plus ardente encore. Que chacun donc soit fort pour prier Christ de faire qu’il porte dignement son nom dans cette affliction. Béni soit le nom de Dieu, qui nous a montré le chemin par lequel on peut s’approcher de Lui (Matthieu 11.28-30).
Quant aux chrétiens, beaucoup font des progrès réjouissants, parce qu’ils ne sont pas abandonnés du Dieu qui est leur force, et un grand nombre prennent part aux souffrances des persécutés. C’est Dieu qu’ils aiment, et, par conséquent, ils ne craignent pas la colère de la reine. Quand on songe à la persécution ordonnée par la reine, il semble que les chrétiens de Madagascar sont abandonnés de Dieu. Mais quand, d’un autre côté, on songe aux progrès qu’ils font, et qu’on se rappelle que Dieu ne laisse pas ses quelques agneaux devenir la proie du découragement, alors on se dit qu’il est merveilleux qu’il n’abandonne pas les siens, et il semble bien qu’il n’abandonne pas Madagascar. De plus, sa Parole nous dit : « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point ». Et nous savons que sa Parole est ici à Madagascar, de sorte que nous pécheurs, nous qui souffrons, nous devons nous le rappeler. Que chacun donc demande à Dieu de nous sauver (2 Thessaloniciens 3.1-2 ; Jacques.5.15-16).
Et que dirai-je de la manière dont des frères affligés et persécutés ont échappé ? Car jusqu’à présent on recherche très vivement les chrétiens. Chaque quinzaine on fait, dans les marchés, une proclamation qui ordonne de les découvrir. Une bonne partie de leurs biens, de leurs Nouveaux Testaments, de leurs traités, de leurs cantiques, ont été brûlés par leurs amis, à cause de la sévérité des ordres de la reine et à cause des souffrances endurées par les chrétiens. Aussi, envoyez-nous une réponse à cette lettre.
Recevez nos plus chaleureuses salutations, ô vous tous, amis et frères. Que Dieu vous bénisse !
Voilà ce que disent tous les pèlerins, tous les prisonniers, tous les frères.
Charles-Frédéric Moss.
Plusieurs réussirent à cacher leurs Bibles. Les uns les dissimulaient adroitement dans des troncs d’arbres, d’autres les confiaient à des cachettes pratiquées dans des endroits réputés inaccessibles, d’autres, après les avoir enveloppées, les enterraient soigneusement. Voici à quel moyen on eut recours dans le Vonizongo.
Quand la reine Ranavalona ordonna des perquisitions sévères pour faire saisir toutes les Bibles qu’il y avait à Madagascar, les chrétiens du Vonizongo se dirent : « Si nous perdons notre Bible, que deviendrons-nous ? » Et ils décidèrent de cacher leur Bible dans une caverne creusée, au temps jadis, près du village de Fihaonana, pour servir d’hôpital aux varioleux. Les chrétiens malgaches bravaient, pour l’amour de leur Bible, le danger de la contamination, bien assurés que les émissaires de la reine n’auraient pas le même courage.
Les émissaires vinrent dans le village et y firent une recherche acharnée, sans rien trouver. Ils se dirigèrent ensuite vers la caverne. « Vous savez sans doute, leur dit quelqu’un, que cette caverne est l’hôpital des varioleux ? — Non ! répondit, sursautant avec horreur, l’un des émissaires. Pourquoi ne nous l’avez-vous pas dit plus tôt, malheureux ? » Les émissaires opérèrent une prompte retraite, et la Bible fut sauvée.
Ces Bibles, on allait, aussi souvent que possible, les retirer de leur cachette, les lire en secret ou en public, selon le degré qu’atteignait la persécution, et on les replaçait bien vite en lieu sûr.
Pendant un quart de siècle, les chrétiens malgaches persécutés n’eurent d’autre missionnaire que la Bible. Et lorsque, en 1861, après la mort de Ranavalona, les missionnaires anglais revinrent, au lieu de mille adhérents et de deux cents chrétiens déclarés qu’il y avait en 1835 à Madagascar, ils trouvèrent cinq mille chrétiens déclarés. Voilà ce qu’avait fait la lecture de la Bible. La Bible est un bon missionnaire.
Le premier désir des chrétiens malgaches, dès qu’ils eurent retrouvé la liberté de lire la Bible, ce fut de la posséder tous. Les Bibles désirées arrivèrent la veille du couronnement du roi Radama II, d’où il résulta qu’il n’y avait pas, à ce moment, de porteurs disponibles, et que les caisses de Bibles furent immobilisées à la côte pendant quelques semaines. Quel exercice de patience pour les chrétiens malgaches ! Certes, ils étaient heureux de voir auprès d’eux les missionnaires, mais ils ne cessaient de demander : « Où sont donc les Bibles ? » Lorsque, à la fin, les caisses arrivèrent, trois journées furent fixées pour la distribution (une pour chaque église de la capitale).
L’affluence fut telle qu’on jugea plus prudent de fermer à clef les portes de la maison qui servait de dépôt, et de distribuer les volumes par la fenêtre. Mais combien de chrétiens, dans les régions éloignées, ne purent pas avoir part à la distribution ! Un soir, deux malgaches se présentèrent à une station missionnaire. Ils avaient fait plus de quarante lieues. « Avez-vous une Bible ? » leur demanda le missionnaire, après un moment de conversation. « Nous l’avons entendu lire, répondirent-ils, mais nous ne possédons que quelques-unes des paroles de David, et encore ne sont-elles pas à nous. Elles appartiennent à toute la famille. — Les avez-vous avec vous, ces paroles de David ? » Les deux visiteurs se regardèrent, craignant qu’on ne leur ravit leur trésor. Puis, rassuré par le missionnaire, l’un d’eux tira des plis de sa tunique quelque chose qui ressemblait à un vieux chiffon roulé. C’étaient de vieilles feuilles du livre des psaumes déchirées, noircies par l’usage. Elles avaient passé de main en main, et avaient fini par tomber en morceaux.
« Avez-vous jamais vu les paroles de Jésus, ou de Jean, ou de Pierre ? » demanda le missionnaire. « Nous les avons vues et entendues, mais nous ne les avons jamais possédées ». Le missionnaire alla chercher un exemplaire du Nouveau Testament et des psaumes. « Si vous voulez, leur dit-il, me donner ces quelques paroles de David, je vous donnerai toutes les paroles de David, et par dessus le marché toutes celles de Jésus, et de Jean, et de Paul et de Pierre ». Ces hommes n’en revenaient pas. Mais tout d’abord, ils voulurent voir si les paroles de David étaient bien les mêmes. Quand ils s’en furent assurés, leur joie ne connut plus de bornes. Ils laissèrent leurs pages déchirées, prirent congé du missionnaire, et partirent pour refaire leur quarante lieues, rapportant ces merveilleuses paroles aux habitants de leur lointain village.
En 1872, les missionnaires commencèrent à procéder à la révision de la Bible malgache. La Bible révisée fut imprimée en 1888 par la Société britannique.
« Nous voici en septembre 1897, écrit le missionnaire Élisée Escande en 1906, dans cette province d’Ambositra connue par un récent et magnifique réveil. Le missionnaire qui s’y installe est en proie à la plus profonde détresse. Un vent de persécution a passé sur ce district. La population presque tout entière est passée au catholicisme. Qu’est-ce qui va empêcher le missionnaire de se sentir vaincu avant d’entreprendre la lutte ? C’est ce qu’il apprend de l’amour des Malgaches pour leur Bible.
Lorsque les habitants du district d’Ambositra crurent qu’ils n’avaient qu’un moyen de montrer leur soumission à la France, celui de « devenir catholiques », ils furent sollicités par le père jésuite de lui remettre leurs Bibles. Les plus peureux le firent, et quelle ne fut pas leur consternation quand ils virent le père jésuite faire brûler toutes ces Bibles ! Dès ce moment, aucune Bible ne lui fut plus apportée. A l’exemple de leurs pères, ces Malgaches cachèrent leurs Bibles dans des endroits où les émissaires du père jésuite ne pouvaient les trouver. Eux aussi lisaient en secret, en cachette des voisins et de certains membres de leur famille, leur chère Bible. Ils sont venus dire au premier missionnaire protestant d’Ambositra leur honte d’avoir abandonné le protestantisme, et, comme s’ils devinaient ce qui leur concilierait le plus l’affection de celui qui venait leur montrer leur faute et les exhorter à revenir au Christ de l’Évangile, ils lui disaient : « Mais nous avons conservé nos Bibles, nous continuons à les lire en cachette, et dès que vous serez venu rouvrir la lutte dans notre village, nous tirerons nos Bibles de leur cachette, et nous nous en servirons ouvertement comme par le passé ». Et l’une des joies les plus pures que ce missionnaire a éprouvées pendant les premiers mois de son ministère a été de voir ces Malgaches venant assister au culte, dans une case basse et enfumée, se tassant comme des harengs, la joie peinte sur leur figure, et leur Bible, leur chère Bible à la main. Avec quelle promptitude les passages indiqués étaient trouvés, avec quelle émotion ils étaient relus en public à haute voix, avec quel entrain parfois ils étaient commentés ! »
En 1900 et 1901 éclata dans le Betsiléo un puissant réveil religieux au sujet duquel le missionnaire norvégien Borchgrevink a écrit ceci : « Ce qu’il y a de plus remarquable dans ce réveil, c’est qu’il faut l’attribuer non à la prédication de l’Évangile, mais à la lecture de la Bible. La Bible en a été le seul instrument. »
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