Quelques renseignements sur les traductions de la Bible faites pour un peuple de quatre cents millions d’âmes, qui représente un quart de la race humaine, sont bien à leur place dans un livre comme celui-ci.
Pour donner une idée de l’effort accompli, nous parlerons tout d’abord des langues chinoises. On verra que le travail biblique, en Chine, a dû se poursuivre dans des conditions uniques. Ici, la digue qui semblait devoir arrêter le fleuve était plus haute qu’ailleurs. Comme le démon de l’Évangile, l’obstacle à surmonter aurait pu dire : « Je m’appelle légion ».
I) Coup d’œil sur la langue
Il y a en Chine une langue spécialement littéraire, le wenli (ce mot signifie littéraire, classique). Ce n’est pas une langue parlée ; c’est une langue écrite, susceptible de prononciations fort différentes. Deux Chinois, l’un de Canton, l’autre de Ning-po, lisant à haute voix la même page en wenli ne se comprendront pas l’un l’autre, parce qu’ils la liront, l’un dans la langue de Canton, l’autre dans la langue de Ning-po. C’est un peu comme nos chiffres arabes, qui, pour les yeux, sont les mêmes dans toutes les langues européennes, mais qui pour l’oreille s’expriment de manières très différentes et qui parfois n’ont aucun rapport entre elles. Quinze, fünfzehn, fifteen, pymp theg, quindichi, décapenté, piatnadziat, voilà comment on dit 15 en français, en allemand, en anglais, en gallois, en italien, en grec, en russe. C’est la même chose, et ce n’est pas la même chose.
On pourrait encore comparer le wenli à une sténographie très abrégée, qui ne représente pas la langue parlée et n’est un langage que pour les yeux. Supposons les œuvres et la littérature françaises reproduites par un tel système de sténographie : ce serait l’équivalent du wenli.
Le wenli s’écrit au moyen, non de lettres, mais d’idéogrammes. On y représente par un signe différent chaque objet, chaque idée. C’est ainsi qu’on a commencé à écrire partout. Les Chinois ont conservé le mode primitif. Si on écrivait le français de cette manière, comme la langue compte environ 60 000 mots, l’alphabet se composerait de 60 000 signes. Le dictionnaire impérial de Kang-Hsi compte 43 496 caractères, dont 11 000 n’ont plus d’emploi. Le nombre des caractères en usage ne doit pas dépasser de 11 000 à 12 000. Avec 2000 à 3000 on se tire d’affaire fort honnêtement. Ceux qui en connaissent 4600 (c’est le nombre de ceux qu’on trouve dans les classiques) passent déjà pour savants, et nul, probablement, n’en connaît plus de 6000 à 8000. Dans la Bible en wenli, il y a 5150 caractères différents.
Le wenli est extrêmement concis, ce qui se comprend facilement d’une langue qui n’est qu’écrite. C’est une langue à la Tacite. Cette langue littéraire a trois formes : le wenli proprement dit, le wenli ancien, ou ku-wen, et le wenli simplifié, ou siao-wen. C’est le wenli simplifié qui est la langue officielle, la langue de tous les décrets du gouvernement, la langue des affiches.
Le mandarin est, à la différence du wenli, une langue parlée, à prononciation uniforme. C’est la langue de la cour, comme l’indique son nom : Kuan-Ha. Le terme mandarin est un terme portugais. Cette langue est parlée dans toute la partie de la Chine qui se trouve au nord du Yang-tsé, c’est-à-dire par 300 millions de personnes. C’est de beaucoup la langue la plus parlée ici-bas. L’anglais n’est parlé que par 115 millions de personnes. Le mandarin est au wenli à peu près ce que le grec moderne est au grec classique. Le mandarin, s’écrit, comme le wenli, par idéogrammes, et les mêmes caractères sont employés dans le wenli et dans le mandarin. Le mandarin est beaucoup moins concis que le wenli. Tandis que le Nouveau Testament wenli contient 146 708 signes ou idéogrammes, le Nouveau Testament mandarin en contient 222 231.
En dehors du wenli et du mandarin, répandus le premier dans la totalité, le second dans les trois quarts de l’empire chinois, il y a neuf langues provinciales qui ne sont pas des dialectes, mais des langues tout à fait distinctes, et dont quelques-unes sont parlées par des millions d’hommes. En dehors de ces neuf langues on compte un grand nombre de dialectes.
Voici, sur les difficultés du chinois, l’opinion d’un des premiers traducteurs, Milne : « Pour apprendre le chinois, disait-il, il faut des hommes qui possèdent un corps d’airain, des poumons d’acier, une tête en chêne, des mains comme un ressort de métal, des yeux d’aigle, un cœur d’apôtre, une mémoire d’ange, et la vie de Mathusalem ». A quelqu’un qui parlait de s’initier au chinois, un missionnaire en Chine disait, en indiquant quelques documents : « Je dois vous prévenir que, si vous commencez cette étude, vous vous embarquez sur un océan sans bord ».
Une difficulté qui n’a pas encore été entièrement surmontée est venue s’ajouter à toutes celles qui sont inhérentes à l’étude même de la langue, la difficulté de trouver un terme chinois qui rende convenablement le nom de Dieu. C’est là un cas extraordinaire, unique, dans l’histoire des traductions de la Bible, et qui dépasse la compréhension de ceux qui ne sont pas initiés.
Cette difficulté n’est pas nouvelle. La controverse à laquelle elle a donné lieu dure depuis plus de deux cents ans. Au dix-septième et au dix-huitième siècle, plusieurs papes intervinrent par des décrets contradictoires. Les missionnaires protestants, à partir de 1850, ne se trouvèrent pas moins divisés sur cette question que les missionnaires catholiques. Voici un trait qui montre combien la controverse a été ardente et compliquée. En février 1901, un missionnaire bien connu commença, sur cette question, dans le Chinese Recorder, une série d’articles mensuels qui se succédèrent jusqu’au mois d’août 1902. Il avait, pendant vingt ans, réuni et catalogué plus de 13 000 passages de la littérature chinoise pour établir son opinion. Et quand il termina ses articles, il estimait n’avoir pas épuisé le sujet ! Cette difficulté n’est pas spéciale au wenli et au mandarin. Elle se reproduit dans toutes les langues provinciales.
En fait, le chinois n’a pas de mot pour désigner la divinité, pas de mot qui réponde à l’Elohim hébreu. Le mot propre manquant, trois termes se sont présentés : Schang-Ti (maître suprême), Shen (esprit), et Tien-Tchéou (Seigneur du ciel). La majorité des missionnaires anglais ont été pour le premier de ces termes, et la majorité des missionnaires américains, pour le second. Le troisième, depuis le décret papal de 1704, a été adopté par les catholiques. La raison pour laquelle la controverse sur ce sujet a été si passionnée, c’est que Shang-Ti est le nom donné à certains dieux chinois et aux empereurs déifiés. Les adversaires de ce terme ne voulaient pas donner au vrai Dieu le nom d’une idole, afin de ne pas risquer de l’abaisser au niveau des images de bois qu’on trouve dans les temples païens des villes chinoises. Les partisans de Shang-Ti répondaient que ce terme appartenait à l’époque primitive, monothéiste, antérieure au bouddhisme et au taoïsme, qu’il désignait le maître suprême du ciel et de la terre, un dieu dont les attributs rappelaient ceux du Jéhovah de l’Ancien Testament, et qu’on pouvait l’adopter comme les apôtres avaient adopté le mot Théos, qui était loin de désigner le vrai Dieu des chrétiens.
L’entente ne pouvant se faire, ni parmi les traducteurs, ni parmi les missionnaires, il fallut imprimer des éditions diverses des mêmes traductions, afin que personne ne fût choqué en trouvant dans sa Bible le nom qu’il désapprouvait.
Actuellement la controverse touche à sa fin. Les missionnaires se sont mis d’accord pour adopter, dans la version en mandarin, Shen, comme terme générique pour Dieu, et Shang-Ti pour désigner le vrai Dieu.
II) Les traductions
Donner la Bible à un peuple où se parlent tant de langues, et de telles langues, quelle entreprise !
[Avant le siècle dernier, plusieurs efforts avaient déjà été faits pour traduire les Écritures en chinois. Il y eut probablement une mission nestorienne en Chine dès 505. Elle dut traduire les Écritures de bonne heure. En tout cas, les Écritures étaient traduites au siècle suivant, car, d’après une inscription retrouvée en 1625, des missionnaires nestoriens arrivèrent de Perse à Changan avec « les véritables livres sacrés ». Les Écritures furent traduites pour la bibliothèque impériale, et des églises furent bâties. On pense qu’il s’agit au moins du Nouveau Testament tout entier. L’imprimerie, alors, n’était pas répandue dans toute la Chine, et il ne nous est rien parvenu de ces traductions. Mais il paraîtrait, par la relation de deux voyageurs arabes qui ont visité la Chine en 851 et en 878, que la connaissance des Écritures s’y perpétua longtemps. Le voyageur Plano Carpini, qui visita la Mongolie, envoyé par Innocent IV, écrivait en 1245 que les Chinois avaient, disait-on, l’Ancien et le Nouveau Testament.
Au quatorzième siècle, quand les Mongols eurent conquis la Chine, un moine franciscain, Jean Monte de Corvini, traduisit en langue mongole le Nouveau Testament et les Psaumes. Il écrivait en janvier 1306 : « Voilà douze ans que je n’ai eu des nouvelles de l’Occident. J’ai vieilli et suis tout grisonnant, mais c’est plutôt l’effet de mes labeurs et de mes tribulations que celui de l’âge, car je n’ai que cinquante-huit ans. Je me suis rendu maître de la langue et de la littérature tartares. J’ai traduit en cette langue le Nouveau Testament tout entier et les psaumes de David, et j’ai fait copier ma traduction avec le plus grand soin ». On ne sait si cette traduction a jamais été imprimée ou publiée. Son histoire ressemble aux rivières de la Mongolie, qui se perdent dans le sable.
Il y eut plusieurs traductions partielles faites par les missionnaires catholiques aux dix-septième et dix-huitième siècles.
La première traduction protestante, chose curieuse, ne fut pas faite en Chine mais en Inde. Elle fut l’œuvre de deux missionnaires baptistes de Sérampore, Marshman et Lassar. Ce dernier était Arménien, et il traduisait le Nouveau Testament d’après le texte arménien. Commencé en 1805, le travail fut achevé pour le Nouveau Testament en 1816. et pour l’Ancien en 1822. Cette traduction paraît n’avoir qu’un intérêt historique. La traduction qui servit de base à toutes les autres fut celle de Morrison.]
Qui donna le branle, au siècle dernier ? Un obscur pasteur non conformiste de l’Angleterre, du nom de Moseley. Moseley écrivit, en 1798, un traité où il plaidait pour la fondation d’une Société qui s’occuperait de faire traduire la Bible dans la langue des nations les plus considérables de l’Orient. « Jusqu’à ce que les Écritures, disait-il, soient traduites en chinois et répandues parmi les Chinois, les 330 millions de Chinois demeureront assis dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort, et continueront à périr, faute de connaissance ». Aussitôt les objections surgirent. On en fit une qui, aujourd’hui, paraît inouïe, surtout lorsqu’on songe qu’elle était formulée par des hommes comme Sir William Jones, savant orientaliste, et par M. Charles Grant, un des directeurs les plus en vue de la Compagnie des Indes orientales : le caractère du chinois, d’après ces personnages, ne permettait pas qu’on fit dans cette langue aucune traduction. Moseley ne se laissa pas intimider par les savants ; il persévéra dans son plaidoyer et dans ses recherches. Bientôt il découvrit au Musée britannique un manuscrit chinois totalement inconnu de tous, qui comprenait une harmonie des Évangiles, les Actes, et les épîtres de Paul. C’était une réponse typique aux objections des savants ! Ce qui était impossible à traduire était déjà traduit ! La Société biblique britannique eut un moment l’idée d’imprimer ce manuscrit, mais, ne pouvant en contrôler la valeur, elle y renonça. Cependant, influencée par les appels de Moseley, la Société des missions de Londres nomma Morrison comme missionnaire pour la Chine, spécialement en vue de la traduction de la Bible. Morrison, avant de quitter l’Angleterre, étudia le chinois avec l’aide d’un Chinois. Il copia de sa main le manuscrit du Musée britannique qui, ainsi, rendit tout de même des services, quoique non imprimé, et emporta cette copie en Chine, où il arriva en septembre 1807. Il s’efforça de vivre au milieu des Chinois, adopta leur costume et porta même la queue. Néanmoins, il rencontra de grandes difficultés. Même après avoir été, au bout de deux ans, nommé traducteur de la Compagnie des Indes, il écrivait ceci : « Nous devons étudier en secret, nous avons souvent dû cacher nos livres et nos papiers. Nos aides, par peur, m’ont abandonné à réitérées fois. Les Chinois ne permettent pas qu’on apprenne leur langue. De là nos difficultés[a]. »
[a] Un Chinois qui aidait Morrison dans son travail de traduction portait toujours sur lui du poison, afin de mettre fin à ses jours, s’il venait à être découvert, et d’échapper ainsi aux tortures qui lui aurait été infligées pour le concours prêté par lui à l’étranger.
Malgré les obstacles, Morrison publiait en 1810, trois ans après son arrivée, une traduction des Actes, et, en 1814, du Nouveau Testament. Pour la traduction de l’Ancien Testament, il fut aidé par un collègue du nom de Milne. Terminé en 1819, le manuscrit fut soumis à une révision et parut en 1823, imprimé à Malacca, où Milne résidait, à cause de l’hostilité des Chinois. L’Ancien Testament, à lui seul, formait vingt et un volumes in-12. Cette œuvre colossale, qui semblait à elle seule au-dessus des forces d’un homme, fut cependant accompagnée d’autres travaux gigantesques. Morrison publia une grammaire chinoise de 300 pages in-4, et en 1823, la même année que la traduction de l’Ancien Testament, il publia un dictionnaire chinois dont l’impression coûta 125 000 francs à la Compagnie des Indes. On peut dire avec le Dr Pierson : « En vérité, il y a eu des géants, même dans nos temps modernes, et ils ont fait face, intrépidement, à des ennemis plus formidables que les Anakim avec leurs chariots de fer ». Morrison, par ses travaux, a jeté les bases de toute l’œuvre de mission et de civilisation qui depuis lui s’est poursuivie en Chine. C’est un Atlas qui porte un monde.
Cette première traduction ne pouvait pas être définitive. Une révision du Nouveau Testament parut en 1837, puis une révision de la Bible entière par Gutzlaff, dont plus de dix éditions se succédèrent. Elle fut réimprimée en 1853 par les Taïpings. Sur la page de titre était imprimé le blason des armes impériales de cette dynastie.
Note sur la révolte des Taïpings
Qui n’a entendu parler de la révolte des Taïpings, vaincue par le général Gordon ? On se doute peu de son origine, et du rôle que la Bible y a joué.
Jusqu’à ces dernières années, toutes les places des fonctionnaires, en Chine, étaient mises au concours. Les examens avaient lieu dans divers centres. A Canton, 30 000 étudiants subissaient les examens au même moment. 300 seulement étaient reçus. Celui qui sortait le premier était invité à dîner chez l’empereur, qui lui remettait lui-même son diplôme. Le succès assurait de hautes places et de beaux traitements. L’aristocratie de Chine n’est pas une aristocratie d’argent, mais de lettres.
En 1850, un missionnaire baptiste américain, Assachar Roberts, offrit l’hospitalité, pendant les examens, à plusieurs de ces concurrents. Comme un grand nombre étaient déjà d’un certain âge, il y en avait de très pauvres, et l’offre de l’étranger fut accueillie avec joie. M. Roberts prévint ses hôtes que les chrétiens avaient l’habitude de lire leurs livres saints et de prier le vrai Dieu le matin et le soir. Il les invita à assister au culte, tout en les laissant parfaitement libres. Il savait toutefois que l’étiquette chinoise les amènerait à accepter son invitation. Un des étudiants, du nom de Hung, fut profondément impressionné par la lecture des Écritures. Il réussit à obtenir un diplôme. Avant de partir, il demanda à emporter un certain nombre de livres saints pour les distribuer à ses amis, afin d’arriver à une décision au sujet de leurs doctrines. Le résultat fut la conversion de Hung et de plusieurs lauréats du concours. Ces nouveaux convertis s’employèrent avec zèle à répandre la connaissance de la vérité, chacun dans son district, et le résultat fut que les temples se vidèrent. Les autorités prirent peur, craignant d’être en présence de quelque société secrète, et interdirent les réunions des chrétiens. Hung exposa la vérité, déclarant qu’ils étaient bons citoyens, qu’ils avaient simplement embrassé le christianisme. Les autorités refusèrent de le croire : il est certain que si une société secrète avait été fondée, elle n’aurait pas pu mieux s’y prendre pour se cacher que de se prétendre une société de chrétiens. Là-dessus le vice-roi de la province les menaça de s’emparer d’eux, s’ils ne renonçaient pas à leurs réunions, et envoya un régiment pour les faire prisonniers.
Les nouveaux convertis et leurs amis — ils étaient plusieurs centaines — montèrent au sommet d’une colline qui avait la forme d’un cône. Les soldats entourèrent la colline et commencèrent à gravir ses pentes. Alors l’un des assiégés s’ouvrit les veines et écrivit avec son sang un exposé clair et complet de leurs intentions (les Chinois se servent pour écrire d’une brosse en poil de chameau). Ces hommes s’agenouillèrent, demandèrent à Dieu de les guider, puis par une impulsion soudaine, ils s’ébranlèrent pour descendre avec de grands cris les pentes de la colline. Effrayés, les soldats jetèrent leurs armes et s’enfuirent pour sauver leur vie. Les nouveaux convertis s’emparèrent de ces armes, et aussitôt prêtèrent serment de renverser le gouvernement, uniquement pour établir la liberté religieuse. Ils franchirent une distance égale à celle qui sépare Paris de Moscou, incorporant en route ceux qui sympathisaient à leur dessein et les soldats impériaux qu’ils rencontraient. Hung, le chef, établit des règles parmi lesquelles celles-ci : Pas de pillage. On pouvait seulement accepter des dons volontaires. Pas d’opium. Quiconque profanerait la sainteté du foyer serait fusillé sur le champ. Et pour éclairer ceux qui le suivaient, il publia une édition spéciale des Écritures, celle dont nous parlons plus haut. Le nom de Taïping signifie grande paix. C’est le nom qui eût été donné à la nouvelle dynastie si Hung avait réussi. En 1851, il commandait 300 000 hommes. Ville sur ville était emportée d’assaut. Mais le mouvement dégénéra. Le pouvoir grisa Hung. Il y avait en lui du fanatique et du visionnaire. Il y eut des excès. On a calculé que vingt millions d’hommes périrent sous les coups de son armée. En 1864, le général Gordon triompha de la rébellion des Taïpings.
En 1843, après la signature du traité de Nanking, une conférence missionnaire confia la révision de la Bible à quelques délégués. Le Nouveau Testament parut en 1852 et l’Ancien en 1854. Cette Bible, traduction d’une beauté classique et savante, parut aux frais de la Société biblique britannique. La Société biblique américaine publia une autre version (Nouveau Testament 1859, Ancien Testament 1863). Les baptistes, de leur côté, en publièrent une autre (Nouveau Testament 1853, Ancien Testament 1868). Cette version, où le mot baptême est rendu par immersion, est toujours en usage.
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Il a donc paru en Chine et dans les pays qui dépendent de la Chine, en moins d’un siècle, 19 traductions de la Bible (dont 7 encore incomplètes en 1905, en ce qui concerne l’Ancien Testament), 16 du Nouveau Testament, 13 de fragments divers, soit 48 en tout, en 32 langues. Plusieurs de ces Bibles ou Nouveaux Testaments ont été révisés, une ou plusieurs fois. Nous n’avons noté que les premières éditions. Plusieurs sont pourvues de parallèles, de notes et de cartes.
Trouve qui voudra cette énumération monotone. Monotonie sublime, comme celle des vagues de l’Océan, quand la marée monte. Chacune de ces traductions, en effet, est comme une vague qui se lève, et qui hâte pour sa part le jour où « la terre sera remplie de la connaissance de la gloire de l’Éternel comme le fond de la mer par les eaux qui le couvrent ».
Nous relevons le nom de cent trente-huit missionnaires, dont onze dames ou demoiselles, qui se sont occupés de la traduction de la Bible dans les différentes langues de la Chine. Parmi eux, il y en a un qui mérite une mention spéciale, c’est l’évêque Schereschewsky. Cette notice se terminera, comme elle a commencé, par la biographie d’un géant.
Né en 1831, en Lithuanie, de parents israélites, Schereschewsky fut élevé dans toute la sagesse des juifs, et prit ses grades à l’Université de Breslau. La lecture du Nouveau Testament traduit en hébreu le convainquit de la vérité de l’Évangile. Il se rendit aux États-Unis, y fut baptisé, y fit des études théologiques, et en 1859 il était missionnaire à Changhaï. En 1862, il s’établit à Pékin, et en 1877 fut nommé évêque à Changhaï. Supérieurement doué, connaissant l’hébreu mieux que toute autre langue, il fut promptement appelé à s’occuper de la traduction de la Bible. En collaboration avec quatre collègues, il traduisit le Nouveau Testament en mandarin. Ensuite, à partir de 1865, il traduisit seul l’Ancien Testament dans cette même langue. Cette traduction remarquable parut en 1875 et eut plusieurs éditions, dont la dernière, révisée, est de 1899. C’était déjà beaucoup. Il fit plus encore. Il traduisit la Bible entière en wenli populaire. Cette version parut, le Nouveau Testament en 1898, la Bible entière en 1902. Alors il revit ses deux traductions, les corrigeant, les améliorant. Ce n’était pas encore assez : il revit encore ses deux traductions d’un bout à l’autre pour en faire des Bibles à parallèles.
Mais le plus extraordinaire, c’est qu’il accomplit ces travaux en état d’infirmité. En 1865, six ans après son arrivée en Chine, il fut frappé d’une paralysie qui alla s’aggravant jusqu’à ce qu’elle ne lui laissât plus que l’usage du doigt du milieu de chaque main. C’est avec ces deux doigts qu’il rédigea, au moyen d’une machine à écrire, ses deux traductions. Un secrétaire les recopiait en caractères chinois. Il faut noter qu’il accomplit presque tout ce labeur hors de Chine. Quelques années après être tombé malade, il retourna en Amérique et y vécut vingt ans, après quoi il se rendit au Japon, où il termina sa carrière. Il mourut en 1906, à Kyoto, après avoir passé les vingt-cinq dernières années de sa vie immobilisé dans un fauteuil.
Le mal dont il fut frappé, tout en le mettant à une rude épreuve, servit les intérêts du règne de Dieu. Il put consacrer tout son temps à la traduction de la Bible, et exerça certainement, comme traducteur, une influence plus vaste et plus profonde que celle qu’il aurait eue comme évêque. Sa paralysie lui donna la Chine pour diocèse. Plus que beaucoup d’autres, il put dire : « Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort. »
La Bible deux fois traduite, en deux formes différentes d’une même langue, ces deux Bibles pourvues de parallèles, la parole de Dieu ainsi donnée, avec le secours des renvois, à un quart de la race humaine, voilà le bilan de cette vie d’un infirme. Peu d’hommes, assurément, auront exercé sur l’humanité une action plus étendue et plus profonde que ce fils d’Israël, amené à Jésus Christ par la lecture d’un Nouveau Testament hébreu.
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