Histoire de la Bible en France

18. La Bible au Lessouto

Les missionnaires français arrivèrent au Lessouto en 1833. Le sessouto n’avait jamais été qu’une langue orale. MM. Eugène Casalis et Émile Roland durent en faire, en vue de la traduction de la Bible, une langue écrite. En 1839, ils faisaient imprimer au Cap, à mille exemplaires, les Évangiles selon saint Marc et selon saint Luc, dont ils venaient d’achever la traduction, ainsi qu’une centaine de chapitres de l’Ancien Testament traduits par M. Arbousset, et réunis sous le titre de Seyo sa Lipelu (nourriture du cœur).

Les missionnaires présentèrent ces volumes au roi Moshesh. En les recevant, celui-ci s’écria avec émotion et bonheur : « Voilà la langue de nos pères ; elle est désormais indestructible ! »

En 1844, les missionnaires établirent une imprimerie à Béerséba et commencèrent l’impression du Nouveau Testament. En 1848 fut achevée, après beaucoup de difficultés, d’arrêts, d’accidents, l’impression et la reliure de 1000 exemplaires des quatre Évangiles et des Actes des apôtres. Là-dessus l’imprimeur quitta la mission et ne put être remplacé qu’au bout de quatre ans. Ce n’est qu’en décembre 1855 que fut achevée l’impression du Nouveau Testament, traduit par MM. Casalis et Roland. Cette première édition fut de 6000 exemplaires in-8.

« En feuilletant ces volumes, dit le missionnaire Duby, on ne peut se défendre d’une certaine émotion en songeant à la somme d’efforts et de persévérance qu’ils coûtèrent à nos devanciers et à la joie des Bassoutos de posséder enfin dans leur langue le Nouveau Testament complet qu’on leur promettait depuis de longues années. »

Ce travail était à peine achevé quand éclata la guerre entre Bassoutos et Boers. La station de Beerseba, attaquée et saccagée par un détachement boer, dut être abandonnée hâtivement par les missionnaires. Les caractères d’imprimerie furent versés pêle-mêle dans un morceau de calicot et transportés à Smithfield, où M. Rolland était interné, puis à Béthesda.

En 1861 arrivait M. D. F. Ellenberger, qui avait en typographie des connaissances techniques. Il réorganisa l’imprimerie. Il fallut d’abord trier les caractères, tâche ingrate entre toutes, et remettre en état tout le matériel, qui avait énormément souffert de son brusque déménagement. Cette même année, M. Mabille put commencer l’impression de quelques livres de l’Ancien Testament au moyen d’une presse donnée par un ami. En 1863, M. Ellenberger entreprenait la composition de la Genèse.

En 1865, le travail était peu avancé, lorsque la guerre éclata à nouveau entre Bassoutos et Boers. Les missionnaires furent expulsés. Ils chargèrent sur un wagon la presse et le matériel d’imprimerie, et partirent. Le wagon était conduit par des indigènes. Ils avaient fait peu de chemin, lorsque le wagon versa, et les caisses qui contenaient les caractères furent éventrées. Effrayés par le commando boer qui passait à quelque distance, les conducteurs indigènes s’enfuirent, emmenant les boeufs, et le matériel d’imprimerie resta en détresse. Arrivèrent les soldats bassoutos. Jugeant l’occasion bonne de refaire leur provision de plomb, ils emportèrent bon nombre de paquets de caractères. Heureusement, M. Ellenberger put obtenir tôt après qu’une partie au moins de ce butin lui fût restitué. Mais quelle émotion !

Expulsé, M. Ellenberger fonda la station de Massitissi, mais, ébranlé dans sa santé, manquant d’ouvriers, il se trouva hors d’état de rien imprimer.

L’impression put recommencer en 1872. A partir de ce moment, les livres de l’Ancien Testament furent imprimés successivement et publiés séparément. En 1874, l’imprimerie fut transférée à Morija. En 1879, les Bassoutos possédaient la Bible complète dans leur langue.

Au fur et à mesure qu’ils paraissaient, les livres de l’Ancien Testament firent une grande impression sur de nombreux lecteurs et auditeurs. On les lisait partout, dans les maisons, dans les champs, dans des réunions et à l’église. Les gens étaient dans l’admiration en présence des choses merveilleuses qu’ils leur révélaient. Ils prenaient plaisir à entendre l’histoire du Déluge, d’Abraham, de Moïse, de Josué, de Gédéon, de Samson, de David, de Jérémie, de Daniel, etc. On était heureux de les voir lire avec une telle ardeur, et de les voir s’entretenir de ce qui les frappait les uns et les autres dans l’histoire du peuple d’Israël ; beaucoup même venaient fréquemment demander à leurs missionnaires des explications sur tel fait ou sur tel personnage.

Aussitôt parus, les livres de l’Ancien Testament furent révisés. souvent au prix d’un grand labeur. M. Rolland était tellement désireux de terminer une nouvelle traduction des Psaumes, qu’il portait jusqu’à trois paires de lunettes pour pouvoir l’achever, car une cataracte affaiblissait considérablement sa vue…

En 1880, sur la demande de M. Mabille, présentée au nom de la Conférence du Lessouto, la Société biblique britannique et étrangère entreprit la réimpression de la Bible en sessouto. Cette réimpression fut achevée au bout de deux ans. L’édition fut de 10.000 exemplaires et coûta environ 100.000 francs. Le 7 janvier 1882, le premier exemplaire de la Bible en sessouto était présenté dans une grande réunion de missions, à Paris.

Quelques mois après le retour de M. Mabille au Lessouto en 1882, le premier envoi de Bibles étant arrivé, on fit, le 3 septembre de la même année, une fête spéciale sur toutes les stations pour souhaiter au saint volume la bienvenue. Ce fut une joie générale parmi les chrétiens, qui étaient vraiment fiers et reconnaissants de ce qu’eux, Bassoutos, avaient maintenant, comme les grandes nations, le privilège de posséder la Bible entière en leur propre langue. En ce jour-là les missionnaires, les évangélistes et les églises reçurent un exemplaire de la Bible. La joie était telle que, dans la réunion présidée à Morija par M. Dyke père, le vieux Siméone Fekon s’écria qu’il était un de ceux qui, en 1839, avaient apporté au Lessouto les premiers Évangiles imprimés au Cap, que lui et sa femme devaient tout à la Parole de Dieu, et qu’en un jour comme celui-là ils ne pouvaient pas ne pas donner une preuve tangible de leur reconnaissance. Sur ce, le vieux Mossouto et sa femme vinrent déposer sur la table de communion chacun une pièce d’or de 10 schellings. D’autres firent plusieurs journées de voyage pour venir acheter le Buka en Molimo (le Livre de Dieu).

Lorsque l’édition de 1882 eut été épuisée, la Bible fut révisée de nouveau, et réimprimée en 1898, avec la nouvelle orthographe sessouto, aux frais de la Société britannique, sous la direction du missionnaire E. Jaccottet.

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Lettre d’un Mossouto (1878)

Mon missionnaire. Ce que j’ai à t’adresser par lettre, ce sont des remerciements. Oui, je te remercie pour les livres de la Bible que tu nous imprimes ; je t’en suis reconnaissant. Et vous, imprimeurs de Morija, je vous salue et je vous remercie !

Il en est de ces petits livres de la Bible qu’on imprime ainsi pour nous, comme d’un ban levé par le Seigneur sur de nouveaux pâturages. Là où nous avions l’habitude de paître (comme des brebis et des agneaux) il y a encore de la pâture en abondance, car qui peut dire qu’il n’a plus à lire son Nouveau Testament, sous prétexte qu’il sait déjà ce qu’il contient ? Néanmoins, les feuilles de maïs récoltées sont bonnes, et l’herbe des nouveaux pâturages est délicieuse. La nouvelle nourriture n’est rien moins qu’excellente. C’est ce qui me porte à dire : le livre des Prophètes, ainsi que celui de Job, de l’Exode, et tous les autres, sont des livres qui nous parlent des merveilles de Dieu.

Maintenant, cher imprimeur, j’en viens à une autre chose. Il vient de paraître, enfin, le livre que depuis longtemps j’attendais, celui que je désirais grandement lire dans notre langue, en sessouto. Je me demandais : mais quand donc apparaîtra-t-il ? Pourquoi d’autres le devancent-ils ? Et cependant y a-t-il un livre plus attrayant, plus instructif, et plus d’accord avec l’Évangile, que celui dont je parle ? Le titre de Proverbes qu’on lui a donné dépasse mon savoir, je ne le comprends pas, mais son contenu me surprend par sa beauté.

On dit que ce livre a été écrit dans l’ancien temps par le roi Salomon, au pays d’Israël, fort loin de notre Lessouto. Et cependant on y trouve une foule de paroles qui décrivent ce que nous sommes, nous Bassoutos, qui montrent nos coutumes, qui font allusion à tout ce qui nous concerne, et qui nous conseillent comme il convient. Oh ! livre admirable de Dieu, qui ne vieillit point, qui s’adapte aux hommes de toute nation, Bassoutos, Français, Anglais, et autres ! Cette sagesse extraordinaire du roi Salomon, d’où lui venait-elle, si ce n’est de Dieu seul ?

Permets-moi, mon missionnaire, de te parler encore d’une autre chose. Mais vraiment, je crains de prolonger. Je veux dire que ce qui est remarquable dans les sentences du livre, c’est qu’elles sont courtes. Elles se suivent comme les bœufs d’un troupeau qui rentrent à la file les uns des autres ; ils diffèrent de pelage et de forme, il n’y en a pas deux qui se ressemblent. Ainsi m’apparaissent les Proverbes, ils se succèdent les uns aux autres, et chacun diffère des autres dans sa teneur ; les paroles d’un verset diffèrent entièrement de celles de l’autre.

Puis chaque verset de ce livre est pareil au pis d’une vache, qui donne tant de lait que la main se lasse de traire et n’achève pas de le tirer. J’ai cherché à comprendre chaque verset. Ainsi, j’en lis un, et cherche à m’en rendre compte. J’y réfléchis beaucoup, et néanmoins je ne puis arriver d’une manière satisfaisante à comprendre tout ce qu’il contient. Lorsque je réfléchis au sens, je suis réjoui, étonné même de découvrir combien ce peu de paroles contient de choses profondes, pleines d’une grande sagesse, capables d’instruire un sot comme moi.

J’en suis émerveillé, mes amis, aussi je m’empresse de dire : Lisez ce livre admirable des Proverbes, couvez-le ; c’est un grand trésor, un ensemble de choses qu’on n’oublie pas, qu’on garde même facilement ; car il suffit de lire une ou deux fois ces courtes sentences pour les savoir de manière à ne pas les oublier. Ne vous en privez pas. Que ce livre soit lu dans les maisons ; qu’il soit lu aussi par les enfants à l’école !

Mon missionnaire, reçois mes remerciements. J’apprécie grandement ce livre des Proverbes. Je termine en te saluant ainsi que les tiens et les jeunes imprimeurs.

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