En novembre 1831, une jonque de cabotage, chargée de riz, quittait le port de Toba, au Japon, pour se rendre à Yeddo. Une tempête la démâta et la jeta errante en plein Pacifique. Elle était construite en sapin, très légèrement. C’est à dessein que le gouvernement japonais ne tolérait que des vaisseaux incapables de tenir la mer. Il voulait par là empêcher les Japonais de s’aventurer dans les pays étrangers. Si notre jonque ne sombra pas, ce fut comme par miracle. Pendant quatorze mois, elle flotta à la dérive, jouet des vents et des courants. L’équipage se nourrit du riz de la cargaison, et du poisson qu’on pêchait. Onze marins moururent du scorbut, et les trois survivants, « Heureux Rocher », âgé de vingt-huit ans, « Bonheur durable », âgé de quinze ans, et « Heureux Son », âgé de quatorze ans, étaient dans un véritable épuisement lorsque la jonque vint échouer près de l’embouchure du fleuve Colombia, sur la côte de l’Orégon, aux États-Unis. Elle fut pillée par les Indiens, et les trois marins furent retenus prisonniers. Le représentant de la Compagnie de Hudson Bay les fit relâcher et rapatrier par les îles Sandwich, le cap Horn, et l’Angleterre. En décembre 1835, ils arrivaient à Macao, où ils furent confiés aux soins du célèbre missionnaire Gutzlaff.
Celui-ci profita de la présence des trois naufragés japonais pour apprendre le japonais, et, si incroyable que cela paraisse, il l’apprit assez bien pour pouvoir traduire dans cette langue une partie du Nouveau Testament, l’Évangile et les épîtres de Jean, et les Actes des apôtres, qui furent imprimés aux frais de la Société britannique. Toutefois, on n’imprima rien de plus, car ce travail manquait de l’exactitude et de l’élégance nécessaires au succès d’une traduction des livres saints. Ce qui est étonnant d’ailleurs, ce n’est pas que, avec les moyens d’étude dont il disposait, Gutzlaff n’ait pas fait mieux, c’est qu’il ait fait aussi bien. Trente ans devaient s’écouler avant que le Nouveau Testament complet parût en japonais. Mais qui dira le bien que purent accomplir pendant ces trente ans les fragments imparfaitement traduits par Gutzlaff ? Comme Néhémie, ne pouvant faire mieux, il avait « bâti la muraille jusqu’à la moitié de sa hauteur » (Néhémie 4.6).
Et les naufragés japonais ? demandera-t-on. La fin de leur histoire est mélancolique, et montre combien, il y a trois quarts de siècle, le Japon était fermé à l’Évangile et à la civilisation. En 1837, Gutzlaff essaya de rendre les trois marins à leur patrie. Il les accompagna lui-même, à bord du Morrison. Quand ils arrivèrent dans la baie de Yeddo, ils furent accueillis par les canons des forts. Une lettre fut envoyée au gouverneur pour l’informer dans quel but on était venu. Pour toute réponse, on essuya le lendemain matin de nouveaux coups de canon. On essaya alors le port de Kagosima. Là, deux des marins débarquèrent. Les mandarins parurent touchés par leur histoire, et consultèrent le prince Satsuma. Une provision d’eau douce fut envoyée au Morrison. Mais, au bout de trois jours d’attente, la permission de rentrer dans leurs foyers fut refusée aux trois malheureux. Le Morrison reçut l’injonction de disparaître, et les forts commencèrent à tirer. Ainsi, après six ans d’absence, « Heureux Son », « Bonheur durable » et « Heureux Rocher », — ce dernier avait femme et enfants, — n’eurent d’autre ressource que de reprendre, avec leur protecteur, le chemin de Macao.
La traduction actuelle du Nouveau Testament japonais, qui est l’œuvre d’un comité de missionnaires et de chrétiens japonais, a paru en 1878, après six ans de travail. La traduction de l’Ancien Testament est l’œuvre d’un autre comité qui l’a achevée en 1888, après dix ans de travail. Les Sociétés bibliques britannique, américaine et écossaise, ont collaboré à la publication de la Bible japonaise.
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