Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE IV

CHAPITRE VI
Balaam empêché de maudire les Hébreux ; dérèglement des Hébreux.

Séjour des Israélites dans la plaine vis-à-vis de Jéricho.

1.[1] Moïse s'en va installer son camp, après être descendu avec son armée vers le Jourdain, dans la grande plaine en face de Jéricho (Jérichous)[2]. C'est une ville prospère, très fertile en palmiers et riche en baume. Les Israélites commençaient à avoir une haute opinion d'eux-mêmes et leur ardeur guerrière se développait. Moïse, après avoir offert durant plusieurs jours des sacrifices d'actions de grâce à Dieu et donné des festins au peuple, envoie une partie de ses hommes ravager le pays des Madianites et s'emparer de leurs villes en les assiégeant. Mais, s'il leur fit la guerre, ce fut pour la raison suivante.

[1] Nombres, XXI, 1 ; XXXI, 1.

[2] En hébreu : Yeréhô.

Craintes de Balac, roi de Moab ; il mande le devin Balaam pour venir maudire les Hébreux ; Balaam congédie les envoyés.

2.[3] Balac(os), le roi des Moabites, qu'une amitié et une alliance remontant à leurs aïeux unissaient aux Madianites, voyant à quel développement les Israélites étaient parvenus, conçut de vives inquiétudes pour ses intérêts personnels — il ne savait pas, en effet, que les Hébreux n'ambitionneraient pas d'autres pays, Dieu le leur ayant interdit, après avoir conquis celui des Chananéens —, et avec plus de célérité que de discernement, il résolut de s'opposer à eux …….[4] Combattre contre des hommes que leur fortune, succédant à leur misère, rendait plus hardis, il ne le jugea pas opportun ; il songeait seulement à les empêcher, s'il pouvait, de s'agrandir et à envoyer un message aux Madianites à leur sujet. Ceux-ci, comme il existait un certain Balam(os)[5], venu des pays de l'Euphrate, le meilleur devin de l'époque, qui était en relations d'amitié avec eux, envoient avec les messagers de Balac des hommes notables de chez eux pour inviter le devin à venir prononcer des malédictions pour la perte des Israélites. Quand les envoyés arrivent, Balam les reçoit avec hospitalité et bienveillance, et, après le repas, il demande à Dieu ce qu'il pense de l'objet pour lequel les Madianites l'appellent. Comme Dieu marque de l'opposition, il revient vers les envoyés, leur manifeste son désir et son empressement personnels[6] à consentir à leur requête, mais leur révèle que Dieu contrecarre son dessein, ce Dieu qui l'a conduit à sa haute renommée en lui inspirant la vérité et en la lui faisant prédire. C'est qu'en effet, l'armée contre laquelle ils l'invitent à venir prononcer des imprécations est en possession de la faveur de Dieu. Et il leur conseille pour cette raison de s'en retourner chez eux en renonçant à leur haine contre les Israélites. Après ces paroles, il congédie donc les envoyés.

[3] Nombres, XXII, 2.

[4] Nous ne comprenons pas mots qui suivent.

[5] En hébreu : Bile’am.

[6] Le Midrash indique aussi que Balam ne demandait pas mieux que de maudire les Israélites (Nombres Rabba, XX ; Tanhouma sur Nombres, XXII, 20).

Nouveau message ; départ de Balaam ; épisode de l'ânesse.

3.[7] Mais les Madianites, sur les vives instances de Balac et les incessantes sollicitations qu'il leur adressaient, envoient de nouveau vers Balam. Ce dernier, voulant faire quelque plaisir à ces gens, consulte Dieu. Dieu, à qui cette tentative même déplaisait, lui ordonne de ne contredire en rien les envoyés. Et Balam, sans comprendre que c'était par artifice que Dieu lui avait donné cet ordre, s'en va en compagnie des envoyés. Mais, en route, un ange divin se présentant à lui dans un endroit resserré, environné d'une double haie de ronces, l'ânesse qui portait Balam, sentant en face d'elle le souffle divin, entraîne Balam vers l'une des clôtures, insensible aux coups dont la frappait le devin gêné d'être ainsi pressé contre la haie. Mais comme, l'ange étant tout près d'elle, l'ânesse s'était accroupie sous les coups, la volonté divine lui fit prendre une voix humaine et elle reprocha à Balam l'injustice avec laquelle, sans avoir à se plaindre de ses services passés, il l'accablait de coups, faute de comprendre qu'aujourd'hui, c'était le dessein de Dieu qui l'éloignait de ceux auxquels il avait hâte d'aller prêter son ministère. Tandis qu'il est tout troublé d'entendre l'ânesse proférer une voix humaine, l'ange, lui apparaissant soudain en personne, lui reproche ses coups, car la bête n'était pas en faute ; c'était lui-même qui entravait un voyage entrepris contre la volonté divine. Tout tremblant, Balam se montrait disposé à rebrousser chemin, mais Dieu le poussa à marcher droit en avant, lui prescrivant de révéler ce que Dieu lui mettrait dans l'esprit.

[7] Nombres, XXII, 15.

Balaam prédit la grandeur future des Hébreux.

4.[8] Après ces recommandations de Dieu, il arrive chez Balac, et, le roi l'ayant reçu magnifiquement, il demande qu'on le mène sur quelque hauteur afin de voir la disposition du camp des Hébreux. Balac s'en va lui-même conduire le devin, au milieu de tous les honneurs, avec l'escorte royale sur une colline qui se trouvait au-dessus d'eux et à soixante stades de distance du camp. Quand il vit les Hébreux, il invita le roi à construire sept autels et à faire amener autant de taureaux ainsi que de béliers. Le roi s’en étant acquitté sur-le-champ, il brûle en holocauste les victimes égorgées. Comme il y vit le signe d'une fuite : « Ce peuple, dit-il, est bien heureux, lui que Dieu va mettre en possession de biens innombrables et à qui il accorde pour toujours comme alliée et comme guide sa providence. Certes, il n'est pas de race humaine sur laquelle votre vertu et votre passion pour les occupations les plus nobles et les plus pures de crime ne vous donnent la précellence, et c'est à des enfants supérieurs encore que vous laisserez cet héritage, Dieu n'ayant de regards que pour vous parmi les hommes et vous donnant largement de quoi devenir le peuple le plus fortuné sous le soleil. Ainsi ce pays vers lequel il vous envoie lui-même, vous l'occuperez ; il sera toujours soumis à vos enfants et de leur renommée se rempliront toute la terre et la mer. Vous suffirez au monde en fournissant chaque pays des habitants issus de votre race. Admirez donc[9], armée bienheureuse, d'être cette grande progéniture d'un unique ancêtre. Mais c'est la petite partie d'entre vous que contiendra maintenant la terre chananéenne ; le monde entier, sachez-le, s'étend devant vous comme une habitation éternelle. La plupart, vous irez vivre dans les îles comme sur le continent, plus nombreux même que les astres au ciel. Mais, si nombreux que vous soyez, la divinité ne se lassera pas de vous donner en abondance les biens les plus variés pendant la paix, la victoire et le triomphe dans la guerre. Que les enfants de vos ennemis soient saisis[10] du désir de vous faire la guerre, qu'ils s'enhardissent à prendre les armes et à en venir aux mains avec vous. Car nul ne s'en retournera vainqueur ou en mesure de réjouir ses enfants et ses femmes. Tel est le degré de valeur où vous élèvera la providence divine, qui a le pouvoir d'amoindrir ce qui est de trop et de suppléer à ce qui manque. »

[8] Nombres, XXII, 35.

[9] Nombres, XXIII, 10.

[10] On s’attendrait plutôt à la négative.

Explications de Balaam à Balac ; nouvelles bénédictions.

5.[11] Voilà ce qu'il prédit dans une inspiration divine ; il n'était plus maître de lui, c'était le souffle divin qui lui dictait ses paroles. Mais comme Balac s'indignait et l'accusait de transgresser les conventions en vertu desquelles il l'avait fait venir de chez ses alliés en échange de grands présents, — venu, en effet, pour maudire ses ennemis, voilà qu'il les célébrait et les désignait comme les plus heureux des hommes — : « Balac, dit-il, as-tu réfléchi sur toutes choses et crois-tu qu'il nous appartienne de taire ou de dire quoi que ce soit sur de tels sujets, quand nous sommes envahis par l'esprit de Dieu ? Mais cet esprit fait entendre les mots et les paroles qu'il lui plait et nous n'en savons rien. Pour moi, je me souviens bien sous l'empire de quel besoin vous m'avez fait venir ici, toi et les Madianites avec tant d'empressement, et pourquoi aussi je vous ai fait cette visite, et mon vœu était de ne mécontenter en rien ton désir. Mais Dieu est plus fort que ma résolution de t'être agréable. Ceux-là, en effet, sont tout à fait impuissants qui prétendent prédire les affaires humaines en ne prenant conseil que d'eux-mêmes, au point de ne pas exprimer ce que la divinité leur suggère, et de violer son dessein. Car rien en nous, une fois qu'elle commence à nous inspirer, ne nous appartient plus. Ainsi moi, je n’avais pas l'intention de faire l'éloge de cette armée ou de raconter quels bienfaits Dieu ménage à leur race ; c'est parce qu'il leur est propice et s'empresse de leur procurer une vie de félicité et une gloire éternelle qu'il m'a inspiré et m'a fait prononcer ces paroles. Mais à présent, comme j'ai à cœur d'être agréable à toi et aux Madianites, dont il ne convient pas de repousser la requête, allons édifier encore d'autres autels et offrons des sacrifices pareils aux précédents ; peut-être pourrai-je persuader Dieu de me laisser vouer ces hommes aux malédictions ». Comme Balac y consent, il sacrifie pour la seconde fois[12], mais sans que la divinité lui accorde de proférer des malédictions contre les Israélites ; et il eut beau sacrifier une troisième fois[13], après avoir fait dresser encore d’autres autels, même alors, il ne prononça pas d'imprécations contre les Israélites ; mais, étant tombé sur sa face, il prédit[14] les malheurs qu'éprouveraient les rois et les villes les plus célèbres, dont quelques-unes n’avaient pas seulement commencé encore d'être habitées, et tout ce qui devait arriver aux hommes dans la suite des temps sur terre et sur mer jusqu'à l’époque où je vis ; et, parce que tout s'est effectué comme il l'annonçait, on pourrait conjecturer qu'il en sera de même à l'avenir.

[11] Nombres, XXIII, 13.

[12] Nombres, XXIII, 14.

[13] Ibid., 30.

[14] Ibid., XXIV, 14.

Fureur de Balac ; conseil de Balaam.

6. Balac, furieux que les Israélites n'eussent pas été maudits, congédia Balam sans lui témoigner aucun honneur. Celui-ci s'en allait déjà et il était sur le point de franchir l'Euphrate, quand faisant venir Balac et les chefs des Madianites : « Balac, dit-il, et vous, Madianites ici présents — car il faut qu'en dépit de la volonté divine je vous donne satisfaction —, sans doute, la race des Hébreux ne périra jamais complètement, ni par la guerre, ni par la peste, ni par la disette des fruits de la terre, et aucune autre cause imprévue ne l'anéantira. Dieu, en effet, prend soin d'eux pour les préserver de tout mal et ne jamais laisser s'abattre sur eux une catastrophe qui les fasse tous périr. Il pourra bien leur arriver quelques désastres de moindre importance et de moindre durée, mais ils ne paraîtront abaissés ainsi que pour refleurir ensuite à la terreur de ceux qui leur auront causé ces dommages. Quant à vous, si vous désirez gagner pendant quelque temps un peu d'avantage sur eux, voici, pour y arriver, ce qu'il vous faudra faire[15]. Celles de vos filles qui ont le plus d'attraits extérieurs et sont le plus capables par leur beauté de contraindre et de vaincre la chasteté de ceux qui les regardent, après avoir paré leurs charmes pour leur ajouter le plus d'agrément possible, envoyez les à proximité du campement des Hébreux, et donnez-leur l'ordre de s'offrir aux jeunes gens qui les désireront. Lorsqu'elles les verront sous l'empire de leurs passions, qu'elles les quittent et, s'ils les supplient de rester, qu'elles ne consentent pas avant de les avoir persuadés de renoncer aux lois de leurs pères et au Dieu qui les leur a imposées, et d'aller servir les dieux des Madianites et des Moabites. C'est ainsi que Dieu s'enflammera de courroux contre eux[16]. »

[15] Nombres, XXV, 1.

[16] Cet épisode est étranger à l'Écriture, mais il rappelle certains traits du Midrash (Sanhédrin, 106 a ; Tanhouma sur Nombres, XXIV, 25, Nombres Rabba, XX). C'est ainsi que le Midrash s'appuie sur Nombres, XXIV, 14, pour raire de Balaam l'instigateur de la séduction tentée par les femmes moabites sur les Hébreux. Balaam dit, en effet, dans ce verset : « Voici que je vais retourner chez mon peuple ; viens, que je t’indique ce que ce peuple fera à ton peuple dans l'avenir » : les mots soulignés ne traduisent pas exactement l'hébreu qui, proprement, signifie « je veux te donner un conseil ». Le Midrash a voulu justifier l'emploi de ce terme, inattendu dans la phrase. Quant au plan de la séduction, le Talmud a des détails assez analogues à ceux de Josèphe. Les femmes sont chargées d'attirer les Israélites au marché, de les faire boire du vin et s'enivrer, de les engager à adorer leurs idoles et à renoncer à la loi de Moïse.

Séduction des jeunes gens hébreux par les femmes madianites.

7. Après leur avoir suggéré ce plan, il s'en va. Les Madianites ayant envoyé leurs filles selon ses conseils, les jeunes Hébreux se laissent prendre aux charmes de leurs traits et, liant conversation avec elles, les prient de ne pas leur refuser de jouir de leur beauté et d'avoir commerce avec elles. Celles-ci, ayant accueilli avec joie leurs paroles, se prêtent à leur désir. Mais, après les avoir enchaînés par l'amour qu'elles leur inspirent, au moment où leur désir atteignait toute sa force, elles se disposent à se séparer d'eux. Une profonde tristesse les envahit à cause du départ de ces femmes ; ils les supplient instamment de ne pas les abandonner, mais de demeurer là pour devenir leurs épouses et être désignées comme les maîtresses de tout ce qu’ils possédaient. Et cela, ils le déclarent avec serments, prenant Dieu pour arbitre de leurs promesses, et s'efforçant par leurs larmes et de toutes les manières d'exciter la pitié de ces femmes. Celles-ci, quand elles les jugèrent bien subjugués et complètement liés par cette intimité, commencèrent à leur parler ainsi :

Conditions imposées par elles.

8. « Nous avons, ô les plus nobles des jeunes gens, des maisons paternelles, des biens en abondance, la bienveillance et l'affection de nos parents et des nôtres. Et ce n'est faute de rien de tout cela que nous sommes venues ici nous mettre en relations avec vous, ce n'est pas pour trafiquer du printemps de notre corps que nous nous sommes laissé adresser vos vœux ; c'est parce que nous vous croyons honnêtes et justes que nous avons consenti à honorer vos prières de cet accueil hospitalier. Et maintenant, puisque vous dites avoir des sentiments d'amitié pour nous et être chagrinés de notre prochain départ, nous ne repoussons pas, quant à nous, votre requête. Mais c'est après avoir reçu de vous le seul gage d'affection qui nous paraisse avoir de la valeur, que nous consentirons à achever notre vie avec vous en qualité d'épouses. Car il est à craindre qu'ayant pris le dégoût de notre commerce, vous ne nous fassiez ensuite outrage et ne nous renvoyiez déshonorées chez nos parents ». Ils croient devoir acquiescer à ces réserves. Et, comme ils consentent à leur donner ce gage qu'elles exigent, sans élever aucune objection, tant ils ont de passion pour elles : « Puisque, disent-elles, ces conditions vous agréent, mais que vous avez des coutumes et un genre de vie absolument étrangers à tout le monde, au point de vous nourrir d'une façon spéciale et de ne pas boire comme les autres, il est nécessaire, si vous voulez demeurer avec nous, de révérer aussi nos dieux[17] ; il ne saurait y avoir d'autre preuve de cette affection que vous dites avoir actuellement pour nous et que vous aurez par la suite, sinon d'adorer les mêmes dieux que nous. Nul ne saurait vous faire un grief d'adopter les dieux particuliers au pays où vous venez, surtout quand nos dieux sont communs à tous les hommes, tandis que le vôtre est étranger à tous ». Il leur fallait donc, disaient-elles, ou avoir les mêmes opinions que tous les hommes ou chercher un autre monde, où ils pussent vivre seuls, selon leurs propres lois.

[17] Nombres, XXV, 2.

Dérèglement des Hébreux.

9. Ceux-ci, sous l'empire de leur amour pour elles, tenant ces discours pour excellents et s'étant soumis à leurs avis, transgressèrent les lois paternelles, acceptant la croyance qu'il est plusieurs dieux, et, s'étant décidés à leur sacrifier selon le rite des gens du pays, ils prirent plaisir aux mets étrangers et ne cessèrent, pour être agréables à ces femmes, de faire le contraire de ce que la loi leur ordonnait ; bientôt dans toute l'armée se propage[18] cette désobéissance des jeunes gens et une sédition bien plus grave que la précédente s'abat sur eux, avec le danger d'une ruine complète de leurs institutions propres. Car la jeunesse, une fois qu'elle avait goûté aux mœurs étrangères, s'en grisait avec une ardeur insatiable. Et même ceux des grands, que les vertus de leurs ancêtres mettaient en vue, succombaient à la contagion.

[18] Ibid., 4.

Apostasie de Zambrias ; remontrances de Moïse.

10.[19] Zambrias[20], le chef de la tribu de Siméon, qui eut commerce avec Chosbie[21] la Madianite, fille de Sour(os), un des princes de ce pays, invité par cette femme à préférer aux décrets de Moïse son bon plaisir à elle, se mit à sa dévotion, en cessant de sacrifier selon les lois paternelles et en contractant un mariage étranger. Les choses en étaient là, quand Moïse, de crainte de pires événements, réunit le peuple en assemblée ; il s'abstint d'accuser personne nommément pour ne pas réduire au désespoir ceux qui, à la faveur du mystère, pouvaient revenir à d'autres sentiments, mais il leur dit[22] qu'ils avaient agi d'une manière indigne d'eux et de leurs parents en préférant la volupté à Dieu et à une vie conforme à sa loi, qu'il convenait, pour que tout allât de nouveau bien, qu'ils se repentissent, en se persuadant que le courage ne consiste pas à violer les lois, mais à résister à ses passions. En outre, il déclara qu'il n'était pas raisonnable, après avoir montré de la retenue pendant qu'ils étaient dans le désert, de se livrer maintenant, dans la prospérité, au dérèglement, et ainsi de perdre par l'abondance ce qu'ils avaient acquis par la misère. Moïse, en leur tenant ce langage, tentait de redresser les jeunes gens et de les amener à se repentir de leur conduite.

[19] Ibid., 6, 14.

[20] En hébreu : Zimri.

[21] En hébreu : Khosbi.

[22] Tout ce discours, ainsi que celui de Zimri est imaginé par Josèphe. On trouve cependant quelques propos du même genre dans les passages midrashiques cités plus haut.

Réplique de Zambrias.

11. Mais Zambrias s'étant levé après lui : « Moïse, dit-il, pour ta part, observe ces lois auxquelles tu as donné tes soins, et dont tu as assuré la stabilité en les fondant sur la naïveté de ces hommes, car, s'ils n'avaient pas ce caractère, tu aurais déjà éprouvé par maints châtiments qu'il n'est pas facile d'en imposer aux Hébreux. Mais, quant à moi, tu ne me feras pas suivre tes ordonnances tyranniques ; car tu n'as fait autre chose jusque maintenant, sous prétexte de lois et de culte divin, que de nous asservir et de te donner le pouvoir par tes méchants artifices, en nous privant des agréments et des franchises de la vie qui appartiennent aux hommes libres et sans maître. Ce serait, de ta part, montrer plus de dureté pour les Hébreux que les Égyptiens, que de prétendre châtier au nom des lois ce que chacun entend faire pour son agrément personnel. C'est bien plutôt toi qui mériterais une punition, pour avoir projeté d'annuler ce que, d'un commun accord, tout le monde a trouvé excellent et pour avoir essayé de faire prévaloir contre l'avis général tes propres extravagances. Pour moi, on m'arracherait à bon droit à ma condition actuelle, si, après avoir jugé ma conduite honnête, j'hésitais néanmoins, ensuite, à dire publiquement mon sentiment à ce sujet. Oui, c'est une femme étrangère, comme tu dis, que j'ai épousée — c'est de moi que tu apprends mes actes, c'est d'un homme libre ; aussi bien ne pensé-je point m'en cacher —, et je sacrifie aux dieux à qui je crois devoir sacrifier, croyant bien faire en empruntant au grand nombre les éléments de la vérité et en ne vivant pas comme dans une tyrannie, en faisant dépendre d'un seul tout l'espoir de ma vie entière. Et nul ne pourra se vanter de se montrer plus maître de mes actions que ma propre volonté. »

Phinéès le met à mort ; châtiment des coupables.

12. Quand Zambrias eut ainsi parlé au sujet de sa faute et de celle de quelques autres, le peuple garda le silence, anxieux de ce qui allait se passer et voyant que le législateur ne voulait pas exciter outre mesure la folle témérité de cet homme par une discussion violente. Il craignait, en effet, que l'insolence de son langage ne trouvât beaucoup d'imitateurs qui jetteraient le trouble parmi le peuple. Là-dessus l'assemblée prit fin. Et peut-être que ces coupables tentatives se fussent propagées davantage, si Zambrias n'eût péri promptement dans les circonstances suivantes[23]. Phinéès(ès)[24], un homme qui, par toutes sortes de mérites, surpassait les autres jeunes gens et qui, grâce au rang de son père, l'emportait de beaucoup sur ceux de son âge — car il était fils du grand-prêtre Eléazar et avait Moïse pour grand-oncle paternel —, dans la douleur que lui causaient les forfaits de Zambrias et avant que son insolence ne se fortifiât grâce à l'impunité, décidé à lui faire subir de ses mains le châtiment et à empêcher que la rébellion ne gagnât plus de gens encore si les premiers n'étaient frappés, doué d'ailleurs d'une hardiesse d'âme et d'une valeur corporelles si éminentes qu'aux prises avec quelque danger, il ne s'en allait pas avant d'avoir gagné l'avantage et remporté la victoire, Phinéès se rendit dans la tente de Zambrias, et le tua d'un coup de lance ainsi que Chosbie. Et tous les jeunes gens qui voulaient faire preuve de vertu et d'amour du bien, imitant l'acte hardi de Phinéès, mirent à mort tous ceux qui s'étaient rendus coupables des mêmes crimes que Zambrias. Il périt ainsi, grâce à leur virile énergie, beaucoup de ceux qui avaient enfreint les lois, le reste fut détruit par la peste, car Dieu leur envoya cette maladie. Et tous ceux de leurs parents, qui, au lieu de les retenir, les avaient poussés à ces actes, considérés par Dieu comme leurs complices, périrent. Ainsi les hommes qui moururent dans leurs rangs ne furent pas moins de vingt-quatre mille[25].

[23] Nombres, XXV, 7, 5.

[24] En hébreu : Pinehass.

[25] Nombres, XXV, 9.

Conservation par Moïse des prophéties de Balaam.

13. Irrité par cet événement, Moïse envoya l'armée pour exterminer les Madianites ; nous reviendrons bientôt à cette expédition quand nous aurons raconté, au préalable, un fait que nous avions omis. Car il convient en cette circonstance de ne pas laisser sans éloges l'attitude du législateur. Ce Balam, en effet, qui avait été invité par les Madianites à prononcer des malédictions contre les Hébreux et qui en avait été empêché par la providence divine, mais qui suggéra un avis tel que, les ennemis s'y étant conformés, peu s'en fallut que le peuple des Hébreux ne fut corrompu dans ses mœurs et qu'un fléau se répandit parmi quelques-uns, Moïse lui fit le grand honneur de consigner par écrit ses prophéties[26]. Et, alors qu'il lui était loisible de s'en attribuer la gloire et de la revendiquer pour lui, aucun témoin ne pouvant se produire pour l'en reprendre, c’est à Balam qu'il a laissé ce témoignage et il a daigné perpétuer son souvenir.

On peut d'ailleurs considérer tout cela comme on voudra.

[26] Cf. la baraïta de Baba Batra, 14 b : « Moïse a écrit son livre et la Parascha de Bileam ». Il parait en résulter que les prophéties de Balam formaient primitivement un opuscule séparé.

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