Les hérétiques qui, par les dehors d’une spécieuse continence, s’interdisent l’usage des créatures de Dieu, invoquent à leur appui les paroles qui furent adressées à Salomé, et que nous avons citées plus haut. Elles se trouvent, si je ne me trompe, dans l’Évangile selon les Égyptiens. Ils veulent, en effet, que le Sauveur lui-même ait prononcé cet oracle :
« Je suis venu pour détruire les œuvres de la femme ; »
de la femme, c’est-à-dire du désir ; les œuvres, c’est-à-dire la naissance et la mort. Que diront-ils donc ? Que cet ordre a été détruit ? Ils n’oseront l’affirmer ; le monde obéit toujours aux mêmes lois. Mais le Seigneur ne nous a point trompés ; car, en vérité, il a détruit les œuvres de la concupiscence, l’amour de l’argent, des querelles, de la gloire, la passion effrénée des femmes, la pédérastie, la gourmandise, la prodigalité et les autres abominations semblables. Or, la naissance de ces vices est la mort de l’âme, puisque nous mourons véritablement par nos péchés. Par la femme, il entend l’intempérance. Mais il est nécessaire que la naissance et la mort des créatures aient lieu conformément aux lois établies, jusqu’au jour de la séparation définitive, et du rétablissement de l’élection par laquelle les substances mêlées au monde seront rendues à leur état naturel. Il n’est donc pas étonnant que le Verbe, ayant parlé de la consommation des temps, Salomé ait dit :
« Jusques à quand les hommes mourront-ils ? »
Or, l’Écriture donne à l’homme un double nom ; l’homme extérieur et l’âme ; et encore, celui qui est sauvé et celui qui ne l’est pas. Quant au péché, il est appelé la mort de l’âme. C’est pour cela que le Seigneur répond avec circonspection et sagesse :
« Tant que les femmes enfanteront ; »
c’est-à-dire, aussi longtemps que durera l’action des désirs. Aussi, écoutez l’apôtre :
« Comme le péché est entré dans ce monde par un seul homme, et la mort par le péché ; ainsi la mort a passé à tous les hommes par ce seul homme en qui tous ont péché. »
Et :
« La mort a régné depuis Adam jusqu’à Moïse. »
Par une nécessité naturelle de l’ordre que Dieu a établi, la mort suit la naissance ; et la séparation du corps et de l’âme est amenée par leur réunion. Mais si la naissance a lieu pour la discipline et la connaissance, la séparation a lieu dans un but de rétablissement. De même que la femme est regardée comme la cause de la mort, parce qu’elle enfante ; ainsi, par le même motif, elle sera nommée le chef de la vie. La femme qui donna le premier exemple de la désobéissance fut nommée la vie, (Ève, en grec, Zoe), à cause de la succession d’êtres qui devaient descendre d’elle ; mère également de ceux qui naissent et de ceux qui sont morts, justes ou injustes ; selon que chacun de nous travaille à sa justification, ou, au contraire, se révolte volontairement contre la loi. J’en conclus que l’apôtre n’a aucune horreur de la vie qui anime la chair, lorsqu’il dit :
« Mais, parlant avec toute liberté, Jésus-Christ sera encore glorifié dans mon corps, soit par ma vie, soit par ma mort, comme il l’a toujours été ; car Jésus-Christ est ma vie, et la mort m’est un gain. Mais si, en demeurant plus longtemps dans ce corps mortel, je dois être utile, je ne sais que choisir. Je me sens pressé des deux côtés ; j’ai, d’une part, un ardent désir d’être dégagé des liens du corps et d’être avec Jésus-Christ, ce qui vaudrait beaucoup mieux pour moi ; de l’autre, il est plus avantageux pour vous que je demeure en cette vie. »
Ne montre-t-il pas ouvertement par ces paroles, que la mort, en brisant la prison de l’âme, nous consomme dans l’amour de Dieu, et que la perfection de la vie, tant que nous sommes retenus dans la chair, est une attente et une patience pleine de gratitude, à cause de ceux qui ont besoin d’être sauvés ? Mais pourquoi les téméraires qui prennent pour guide leur liberté naturelle plutôt que la règle évangélique dont la vérité est le fondement, n’ajoutent-ils pas à leurs citations précédentes les paroles qui suivent et qui sont empruntées à celles que le Seigneur adresse à Salomé ? Cette femme venait de dire :
« J’ai donc bien fait, moi qui n’ai pas enfanté ; »
se louant ainsi de n’avoir pas été mère. Le Seigneur lui réplique :
« Nourrissez-vous de toute herbe, mais non de celle qui est amère. »
Il indique par là que la continence et le mariage sont laissés à notre choix, sans qu’il y ait nécessité ni commandement de l’un ou de l’autre ; il prouve, de plus, que le mariage continue l’œuvre de la création. Qu’où cesse donc de regarder comme une prévarication, l’union contractée selon le Verbe, à moins qu’on ne juge comme trop pénible le soin d’élever des enfants, dont la privation est si douloureuse pour d’autres. En outre, que la paternité ne paraisse amère à personne, en tant qu’elle détourne des œuvres divines par les mille occupations qu’elle entraine avec elle. Cet homme, incapable de porter facilement la vie solitaire, désire une famille, puisque la jouissance tempérante des choses qui plaisent n’encourt point de reproche, et que chacun de nous peut à son choix désirer des enfants. Mais, j’en ai fait la remarque, plusieurs de ceux qui se sont abstenus du mariage, sous prétexte de ses embarras et de ses soucis, sont tombés dans une dure misanthropie, opposée à la sainte connaissance, et le feu de la charité s’est éteint dans leurs cœurs. D’autres, au contraire, enchaînés au mariage et menant une vie toute charnelle au milieu des condescendances de la loi, sont devenus, selon le langage du prophète, semblables aux animaux.