[Après avoir fondé l’utilité de l’exorde sur le besoin de préparer les esprits et de les disposer favorablement pour le sujet spécial qu’on a en vue, il est oiseux de prouver que le sujet doit être annoncé. Disons seulement qu’il doit l’être d’une manière précise, en sorte que l’esprit se dirige tout de suite et sans hésiter vers un point déterminé. On ne saurait, dans cet énoncé du sujet, faire usage d’un langage trop clair et de termes trop propres. Ce moment du discours n’admet ni périphrases, ni figures. Il faut en outre se réduire à un petit nombre de mots sévèrement choisis.
[Faut-il de plus énoncer le plan du discours ? Ici les avis sont partagés. Quelques-uns ont été d’avis de ne pas même annoncer la division générale.
Il faut un ordre, dit Fénelon, mais un ordre qui ne soit point promis et découvert dès le commencement du discours. Cicéron dit que le meilleur, presque toujours, est de le cacher et d’y mener l’auditeur sans qu’il s’en aperçoive. Il dit même en termes formels, car je m’en souviens, qu’il doit cacher jusqu’au nombre de ses preuves, en sorte qu’on ne puisse les compter, quoiqu’elles soient distinctes par elles-mêmes, et qu’il ne doit point y avoir de division du discours clairement marquée. Mais la grossièreté des derniers temps est allée jusqu’à ne point connaître l’ordre d’un discours, à moins que celui qui le fait n’en avertisse dès le commencement, et qu’il ne s’arrête à chaque pointa.
a – Fénelon, Dialogues sur l’Eloquence, deuxième dialogue.
Les harangues de ces grands hommes (Démosthène et Cicéron), dit le même auteur, ne sont pas divisées comme les sermons d’à présent… Les Pères de l’Église n’ont point connu cette règle… Les prédications ont été encore longtemps après sans être divisées, et c’est une invention très moderne qui nous vient de la scolastique.
Gaichiès, sans être aussi absolu, incline vers la même opinion :
Le prédicateur, dit-il, ne pourrait-il pas quelquefois s’affranchir de la servitude des divisions ? Faut-il qu’il promette toujours tout ce qu’il veut donner ? Les Pères ne s’y sont pas assujettis. Ils proposaient leurs sujets et conduisaient leurs discours jusqu’à la fin, sans en distinguer les partiesb.
b – Gaichiès, Maximes sur le ministère de la chaire, liv. II, chap. V
Mais la plupart des maîtres, dont plusieurs sont aussi des modèles et avaient pour eux l’expérience, penchent, ou même se prononcent formellement pour le procédé contraire ; ils n’admettent que comme exception ce dont Fénelon ferait volontiers la règle.
Hüffell, partant du fait, selon lui bien général et bien constaté, que la moitié des auditeurs, surtout à la campagne, se trompent sur le sujet même du discours entendu, et n’en remportent que des points de vue accidentels et particuliers, insiste sur un procédé qui a pour effet de les retenir dès l’entrée dans une certaine ligne, de leur faire prévoir de partie en partie ce qui doit suivre, et de les empêcher de prendre les chemins de traverse pour la grande route.
Théremin s’exprime ainsi :
On peut, à la fin de l’exorde, annoncer les deux ou les trois parties qui renferment tout le développement du sujet ; car pourquoi ne pas profiter de cette occasion comme de toute autre, de venir au secours de l’attention de l’auditeur, et de lui faciliter la conception de l’ensemble ? Si son attention est appelée à de trop grands efforts, ou bien elle se relâche tout à fait, ou bien il n’y a d’effet que sur l’intelligence et non sur la volonté, ce qui est aussi fâcheux que si aucun effet n’avait été produit. – Si cet usage n’est pas observé par les anciens, s’ils n’annoncent pas, en général, la division de leur discours, cela peut provenir de deux causes. D’abord, leur marche leur était plus ou moins prescrite par l’occasion même de leur discours, circonstance qui n’existe guère pour l’orateur de la chaire ; et comme cette marche était à peu près la même dans toutes les causes, il semblait inutile de l’annoncer. En second lieu, et cette raison me paraît capitale, une telle déclaration du plan que l’orateur se proposait de suivre, aurait trahi une étude et une préparation, dont ils évitaient l’apparence avec autant de soin qu’ils en mettaient à se donner l’apparence de l’improvisation ; car ils avaient à faire à un public soupçonneux, qui n’aurait attribué une préparation de ce genre qu’à l’intention de le tromper. Il en est autrement de l’orateur chrétien, qui peut toujours laisser pénétrer son loyal dessein, de la découverte duquel il ne peut rien résulter dans l’esprit de l’auditeur que l’attente d’une instruction d’autant plus approfondie. L’orateur de la chaire peut néanmoins, dans certains cas, avoir ses raisons de taire son plan ; qu’il le taise alors librement ; car sans doute il est toujours nécessaire de disposer ses pensées de la manière la plus lumineuse et la plus convenable au but, mais il n’est pas toujours nécessaire d’annoncer comment on les a disposées.]
Ecoutons Ammon :
Après l’exorde vient l’énoncé de la proposition et de ses principales parties. C’est ce qu’on appelle la partition. Cette règle souffre quelque restriction dans les sermons analytiques… Mais dans les sermons synthétiques on ne devrait point s’en écarter : d’abord, parce que la partition détermine le point de vue d’où l’orateur se propose d’envisager la proposition ; ensuite, parce que c’est la meilleure manière de constater la justesse de sa division ; enfin, parce que, à la faveur de la partition, l’auditeur, en possession d’une vue d’ensemble, suit plus facilement le développement des idées, et retrouve plus vite le fil du discours lorsqu’un moment de distraction le lui a fait perdre. L’orateur qui énonce avec clarté et précision le thème de son discours ; qui, en tête de chacune des parties, énonce encore les propositions secondaires qu’il veut en faire sortir ; qui, ensuite, les développe avec soin et les accentue avec justesse ; cet orateur est sûr d’être parfaitement clair pour son auditoire, sans numéroter, comme le font quelques-uns, chacune des sections de son discours.
Nous essayerons de résumer la discussion en la complétant par quelques considérations qui ne se trouvent pas indiquées dans les passages que nous avons cités.
On allègue en faveur de la partition :
On prétend, de l’autre côté :
c – On peut retenir fort bien la division et n’en être pas beaucoup plus avancé. … Si le peuple, dit Fénelon, retient mieux la division que le reste, c’est qu’elle a été plus souvent répétée. Généralement parlant, les choses sensibles et de pratique sont celles qu’il retient le mieux. (Dialogues sur l’Eloquence, deuxième dialogue.)
Il me semble qu’en accordant à ces considérations tout ce qu’on peut leur accorder, elles ne vont pas à commander absolument de supprimer la partition. La partition ne saurait suppléer l’ordre intérieur et l’exact enchaînement des parties ; mais elle peut, en certains cas, aider à l’effet qu’on attend d’une bonne construction du discours oratoire. Je crois cette pratique moins préjudiciable à l’auditeur directement qu’elle n’est dangereuse à l’orateur lui-même. Je voudrais qu’en la conservant, il fit tout pour pouvoir s’en passer, et que la construction de ses discours la fit juger inutile. Du reste, quant à l’emploi de la partition, qu’on distingue entre les différents sujets et entre les différents auditoires. – Et peut-être qu’on attende, pour s’affranchir de cette forme, l’âge de la maturité et de la force.
Il est sans doute remarquable que, depuis et malgré Fénelon, presque tous les orateurs l’aient conservée.
Quand on fait une partition, je pense qu’il faut la borner à l’énoncé du plan général, rejetant un programme plus détaillé.
Je demanderais que cette partition fût claire et simple dans l’expression. – Il peut être utile de présenter sous plusieurs formes successives les articles de la division ; mais il y aurait une vraie puérilité à multiplier sans nécessité ces variantes d’une même idée.