Contre Marcion

LIVRE III

Chapitre III

– « Ces précautions n’étaient point nécessaires. A peine descendu dans le monde, notre Christ avait la voix des miracles pour attester sa qualité de fils, d’ambassadeur et de messie divin. »

— Preuve décréditée par lui-même dans la suite des temps, te répondrai-je aussitôt, et insuffisante pour attester sa mission. En effet, nous avertir « qu’il s’élèvera une foule de faux christs qui opéreront des prodiges » capables d’ébranler les élus eux-mêmes, mais qu’il faut nous garder de leurs pièges, n’était-ce pas nous déclarer que la preuve des miracles est équivoque, parce que les merveilles et les prodiges sont faciles aux imposteurs ? Après cet avertissement, quelle inconséquence de sa part à invoquer pour lui-même l’unique preuve des miracles, et à fonder sa notion ainsi que sa reconnaissance sur des bases qu’il récusait pour des novateurs qui devaient, eux aussi, apparaître brusquement et sans avoir été annoncés par aucun prophète ?

Allégueras-tu que, venu le premier, et ayant confirmé sa mission par des miracles qui avaient la priorité, il a surpris la crédulité des hommes à peu près comme ou s’empare de la première place aux bains publics, et que, par cet heureux hasard, il a décrédité tous ceux qui viendraient après lui ? Prends-y garde cependant. Ton christ va être aussi relégué parmi ceux qui viennent les seconds. N’est-il pas postérieur à mon Créateur, qui était déjà en possession du monde, qui déjà avait opéré des merveilles, et avait déclaré, lui aussi, que d’autre Dieu, excepté lui, il n’en existait pas ? Est-il venu le premier ? At-il exclu du rang suprême tons ceux qui viendraient après lui ? Dès-lors, les bornes de la foi sont fixées. Dès-lors, ô Marcion, ton dieu est condamné d’avance par le seul fait de sa postériorité. Au Créateur seul il appartiendra d’effacer d’un mot tous ses compétiteurs présents et à venir, parce que lui seul n’a pu arriver après personne. Sur le point de prouver que, ces mêmes prodiges dont tu réclames l’unique appui pour servir d’introduction à ton christ, ou le Créateur les a opérés dans les siècles précédents par ses serviteurs, ou en a prédit d’avance l’accomplissement par son Christ, je suis autorisé à établir que ton prétendu messie devait d’autant moins se contenter du témoignage des miracles, que ces mêmes miracles, en vertu de leur conformité avec les merveilles du Créateur, opérées par ses mandataires, ou promises dans son Christ, ne pouvaient l’expliquer autrement que comme le fils du Créateur. Apporte-nous, si tu veux, des certificats étrangers à l’appui de ton christ imaginaire. Fussent-ils nouveaux, qu’importe ? Nous nous prêterons plus facilement à une nouveauté appuyée sur l’antiquité, que nous n’ajouterons foi à un dieu chez lequel tout est nouveau, et qui n’a pas pour lui l’expérience ou l’antiquité d’une foi victorieuse.

Il a donc dû entrer dans le monde, fort d’une double autorité, celle des prophéties et celle des miracles. L’obligation lui en était d’autant plus rigoureusement imposée, qu’ayant pour concurrent le Christ du Créateur, prêt à apparaître avec son cortège particulier de miracles et de prédictions, il lui fallait bien témoigner de sa rivalité par des différences de toute nature. Mais, ô illusion ! comment son christ serait-il promulgué par un dieu qui tic l’a jamais été ? Aussi ton dieu et ton christ ne trouveront-ils jamais que des incrédules, parce que Dieu n’a pu demeurer inconnu, et que le Christ a dû être manifesté par Dieu.

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