Il ne faut pas oublier que parmi les démons il en est qui habitent les régions voisines de la terre ou les régions souterraines, et qui se meuvent dans cette atmosphère épaisse et ténébreuse qui environne la terre, condamnés, pour des raisons que nous dirons plus tard, à habiter ce terrestre et obscur séjour ; ils ne cherchent que les tombeaux et les cadavres, ils n’aiment que cette corruption fétide et impure, le sang, la putréfaction, les chairs corrompues des animaux, l’odeur des victimes, les exhalaisons de la terre. Ils ont pour chefs certaines puissances aériennes ou terrestres. Or ceux-ci voyant le genre humain abruti jusqu’à diviniser des morts, et livré tout entier à offrir des sacrifices, à brûler des victimes dont l’odeur faisait les délices de ces esprits immondes, se hâtèrent de profiter de cette disposition des hommes et de favoriser cette erreur. Dans le cruel plaisir qu’ils trouvaient aux misères humaines, ils ne négligèrent rien pour en imposer aux âmes simples et crédules : c’était quelquefois en agitant les statues que les anciens avaient élevées en l’honneur des morts ; d’autres fois c’était par le prestige des oracles ou bien par la guérison de certaines maladies, où il leur était facile de réussir. Car, comme c’était leur propre puissance qui tourmentait invisiblement ces malades, ils n’avaient, pour guérir, qu’à se retirer de leurs corps. Ou encore, ils transportaient les hommes voués à la superstition au travers des précipices, et leur faisaient croire ainsi qu’ils étaient ou des puissances célestes ou même des dieux véritables ou bien les âmes des héros qui avaient été placés au rang des dieux. C’est là ce qui accrédita et rendit vénérables aux yeux des peuples les erreurs du polythéisme : la vue des choses sensibles fit soupçonner une puissance invisible et inconnue, résidant dans les idoles, erreur qui acquit bientôt une force insurmontable. De là il résulta que les démons terrestres, ces princes du monde, qui peuplent l’atmosphère, ces esprits de malice, ceux surtout qui se distinguèrent au-dessus de tous les autres par leur méchanceté, devinrent aux yeux des peuples les dieux du premier ordre. Une autre suite de cette erreur, c’est que le culte qu’on rendait à la mémoire des morts acquit une bien autre importance, parce que leurs images consacrées dans les villes semblaient reproduire leurs formes corporelles ; puis les démons, par une sorte de prestiges, les faisaient paraître animées d’une puissance incorporelle et divine. Si vous ajoutez à cela que les ministres et les prêtres des démons ne manquèrent pas d’augmenter encore par leurs prestiges cette fantasmagorie, qu’il n’y eut pas d’artifice qu’ils ne missent en œuvre, fidèles en cela aux inspirations que leur suggéraient les démons eux-mêmes, vous vous convaincrez aisément que toute cette déplorable fascination à laquelle fut soumis le genre humain était l’ouvrage de ces malins esprits, comme nous l’avons prouvé au livre précédent.