On se demande souvent quelle est la véritable attitude officielle de l’Église romaine à propos de la lecture de la Bible par les fidèles, et aussi si l’Église romaine, comme telle, fait quelque chose pour répandre les Écritures. Voici la réponse à ces questions.
Les décrets et instructions
L’interdiction portée par l’Église romaine de lire les livres saints remonte, au concile de Toulouse en 1229. Voici les principales décisions ou instructions qui sont intervenues depuis.
Citons d’abord les décrets du concile de Trente. Voici les paragraphes 16 et 17 de la session IV, sur « l’usage des saints livres » :
§ 16. Pour arrêter et contenir les esprits agressifs (petulantia), le Concile ordonne que dans les choses de la foi ou de la conduite en tant que celle-ci concerne le maintien de la doctrine chrétienne, personne, se confiant en son propre jugement, n’ait l’audace de tirer l’Écriture sainte à son sens particulier, ni de lui donner des interprétations, ou contraires à celles que lui donne et lui a données la Sainte Mère l’Église à qui il appartient de juger du véritable sens et de la véritable interprétation des Saintes Écritures, ou opposées au sentiment unanime des Pères, encore que ces interprétations ne dussent jamais être publiées. Les contrevenants seront déclarés par les ordinaires (chefs du diocèse), et soumis aux peines fixées par le droit.
§ 17. Voulant aussi, comme il est juste et raisonnable, mettre des bornes en cette matière à la licence des imprimeurs, qui, maintenant sans règle et sans mesure, c’est-à-dire croyant que tout leur est permis, non seulement impriment sans permission des supérieurs ecclésiastiques les livres mêmes de l’Écriture sainte avec des explications et des notes de toutes mains indifféremment, donnant bien souvent une fausse indication du lieu de l’impression, et souvent même le supprimant tout à fait ainsi que le nom de l’auteur, ce qui est un abus encore plus considérable ; mais se mêlent aussi de débiter au hasard et d’exposer en vente sans distinction toutes sortes de livres imprimés çà et là, de tous côtés ; — le Saint Concile a résolu et ordonné qu’au plus tôt l’Écriture sainte, particulièrement selon cette édition ancienne et vulgate, soit imprimée le plus correctement qu’il sera possible, et qu’à l’avenir il ne soit permis à personne d’imprimer aucuns livres traitant de choses saintes sans le nom de l’auteur, ni même de les vendre ou de les garder chez soi, s’ils n’ont été examinés auparavant et approuvés par l’ordinaire, sous peine d’anathème et de l’amende pécuniaire portée au canon du dernier concile de Latran. Et si ce sont des réguliers, outre cet examen et cette approbation, ils seront encore obligés d’obtenir permission de leurs supérieurs, qui feront la revue de ces livres suivant la forme de leurs statuts. Ceux qui les débiteront ou les feront courir en manuscrits sans avoir été auparavant examinés et approuvés, seront sujets aux mêmes peines que les imprimeurs, et ceux qui les auront chez eux ou les liront, s’ils n’en déclarent les auteurs, seront eux-mêmes traités comme s’ils en étaient les auteurs propres. Cette approbation que nous désirons à tous les livres sera donnée par écrit et sera mise en vue à la tête de chaque livre, qu’il soit imprimé ou écrit à la main ; et le tout, c’est-à-dire tant l’examen que l’approbation, se fera gratuitement, afin qu’on n’approuve que ce qui méritera approbation, et qu’on rejette ce qui devra être rejeté.
Dans la Profession de foi de Trente, que doivent, d’après son titre, accepter tous les ecclésiastiques romains, on lit, article XXI :
Nous confessons que l’Écriture sainte est imparfaite et lettre morte tant que le Souverain Pontife ne l’a pas expliquée et n’en a pas permis la lecture aux laïques.
Le pape Pie IV, en 1564, défendit, par la quatrième règle de l’Index, la lecture de la Bible en langue vulgaire.
Comme l’expérience prouve, dit cette règle de l’Index, que si l’on permet indistinctement la lecture de la Sainte Bible, il en arrivera par la témérité des hommes plus de mal que de bien, il dépendra de la discrétion de l’évêque de pouvoir accorder, sur l’avis du curé ou du confesseur, la lecture d’une version de la Bible en langue vulgaire.
Sixte V et Clément VIII agirent de même. Le pape Benoît XIV, en 1757, spécifia quelles étaient les versions permises. Les versions de la Bible vulgaire, dit-il, ne doivent être permises que lorsqu’elles sont publiées avec des notes tirées des Saints Pères ou d’autres auteurs savants et catholiques.
Pie VII adressa, le 28 juin 1816, à l’archevêque de Gnesne, métropolite de Pologne, la bulle suivante :
Je déclare que les associations formées dans la plus grande partie de l’Europe, pour traduire en langue vulgaire et répandre la loi de Dieu, me font horreur, et qu’elles tendent à renverser la religion chrétienne jusque dans ses fondements, qu’il faut détruire cette peste par tous les moyens possibles, et dévoiler les machinations impies de ces novateurs, en prévenant le peuple contre de telles embûches, dressées pour les précipiter dans une ruine éternelle.
Léon XII, dans son Encyclique de 1824, s’exprime ainsi :
L’iniquité de nos ennemis a fait de tels progrès, qu’outre le déluge de livres pernicieux et par eux-mêmes funestes à la religion, ils s’efforcent de faire tourner au détriment de la religion même les saintes lettres qui nous ont été données pour son affermissement.
Vous n’ignorez pas, vénérés frères, qu’une Société généralement dite biblique, s’en va audacieusement de par le monde entier, et au mépris des Saints Pères, en opposition au décret si connu du Concile de Trente, s’efforce, de toutes manières, et en concentrant toutes ses forces, de traduire ou plutôt de pervertir les livres sacrés dans la langue vulgaire de tous les peuples. Il faut donc vivement redouter de voir, comme on l’a déjà vu, … une interprétation perverse faire de l’Évangile de Christ l’Évangile de l’homme ou plutôt du démon.
Pour écarter cette peste, plusieurs de nos prédécesseurs ont déjà promulgué des décrets. On y voit, par beaucoup d’emprunts soigneusement et sagement faits aux divines Écritures et à la tradition, combien cette invention pleine de ruse (vaferrimum) est nuisible à la foi et aux mœurs. Et nous aussi, en vertu de notre charge apostolique, nous vous exhortons, vénérés frères, à vous donner toute la peine possible pour détourner votre troupeau de ces pâturages meurtriers. Persuadez, suppliez, insistez en temps et hors de temps, multipliez la patience et l’instruction pour que vos fidèles, s’en tenant exactement aux règles de notre congrégation de l’Index, se persuadent bien que si on laisse les écrits sacrés se répandre indifféremment de côté et d’autre, il en résultera, à cause de la témérité des hommes, plus de mal que de bien.
Pie IX, en 1846, accusa les Sociétés bibliques d’expliquer les Écritures dans un sens pervers. En 1864, il les condamna dans le Syllabus, et les rangea parmi les « principales erreurs de notre temps ». L’article IV du Syllabus a pour titre : Socialisme, Communisme, Sociétés secrètes, Sociétés bibliques, Sociétés clérico-libérales, et débute ainsi :
Les fléaux (pestes) de ce genre ont été condamnés souvent et dans les termes les plus sévères dans l’Encyclique du 9 novembre 1846, dans l’Allocution du 20 avril 1849, dans l’Allocution du 9 décembre 1854, dans l’Encyclique du 10 août 1863.
Pie IX a donc condamné les Sociétés bibliques au moins cinq fois pendant son pontificat. Le pape Léon XIII a renouvelé à ce sujet les prohibitions faites par ses prédécesseurs dans sa Constitution « Officiorum » du 6 février 1897, sous peine d’excommunication encourue ipso facto.
« En résumé, nous a écrit M. l’abbé Hutin, la lecture des livres saints est interdite à tous, prêtres et fidèles, sous les peines les plus sévères (excommunication), à moins que la traduction en langue vulgaire ne soit accompagnée de notes empruntées aux Pères et commentateurs catholiques et approuvée par le Saint-Siège. Néanmoins il est permis aux prêtres et laïques studieux de lire la Bible même dans des versions non approuvées, à la condition qu’ils aient obtenu une permission de l’Index. Cette permission ne s’accorde que contre espèces sonnantes et trébuchantes et n’est valable que pour cinq ans… Il n’y a pas, en France, d’effort organisé au sein de l’Église romaine pour la diffusion des Écritures. Sans doute de nombreux prêtres intelligents et vraiment pieux voudraient qu’on fit quelque chose en ce sens, mais leurs efforts ont été toujours paralysés par Rome et par les évêques ultramontains. Toutes les tentatives faites par les catholiques romains pour répandre les Écritures se sont bornées à l’Évangile harmonisé le plus souvent en un seul récit, mais quant aux épîtres de saint Paul et des autres, quant à l’Ancien Testament, il n’en faut pas parler, car saint Paul condamne Rome, et voilà pourquoi la tactique de cette dernière est de le faire ignorer par le peuple ».
La Bible dans l’enfer
enfer : Endroit fermé d’une bibliothèque où l’on tient les livres dont on pense que la lecture est dangereuse. L’enfer de la Bibliothèque nationale. Les Feuillants, qui avaient une bibliothèque curieuse, avaient pour enfer un galetas où ils reléguaient tous les livres hérétiques tombés en leur possession.
A la Bibliothèque royale de Paris, il y avait un enfer où l’on reléguait les ouvrages saisis par l’autorité. L’enfer actuel de la Bibliothèque nationale est une armoire où l’on renferme les publications obscènes.
C’est évidemment dans l’Église romaine qu’est née cette acception du mot enfer. Mettre des livres dans l’enfer, c’était les traiter comme irrémissiblement condamnés. Toutes les bibliothèques ecclésiastiques avaient ainsi leur enfer, destiné aux livres condamnés par l’Index. Il y avait un enfer dans la bibliothèque des jésuites de Louvain. Jusqu’en 1821, il y eut à l’hôtel de ville de Mons un enfer où se trouvaient les ouvrages à l’index. L’enfer s’appelait aussi le secret. Il y avait même un notaire du secret.
En 1751, le procureur de Tournai, apprenant qu’un maître filetier détenait trois livres de Calvin, l’obligea par la force à les livrer et les fit mettre dans l’enfer de la bibliothèque de Tournai.
En 1756, le procureur de Bettignies fit saisir une caisse de livres (vingt Bibles de poche), qui avait été déposée dans un cabaret du village de Rumes, sur la frontière de France. Elle contenait 50 Nouveaux Testaments et psaumes, 30 psaumes, 30 prières pour tous les jours, 20 consolations, 12 sermons par Daillé (pour une valeur de 300 florins). Ces livres furent en vain réclamés par le pasteur De Lignon, de Tournai. Ils subirent probablement le même sort que les volumes de Calvin saisis cinq ans auparavant. Les versions de la Bible mises à l’Index avaient précédé dans l’enfer des bibliothèques ecclésiastiques les livres hérétiques qu’elles inspiraient.
On sait qu’en 1565, les Évangiles et les épîtres de Paul traduits en latin par Lefèvre d’Étaples se trouvaient dans le secret (ou enfer) du Saint Office de l’Inquisition de Séville. On se représente facilement dans l’enfer des bibliothèques catholiques la Bible de Lefèvre d’Étaples de 1534 (ajoutée à la liste des ouvrages condamnés par le concile de Trente), de même les épîtres de Paul traduites en français et glosées par un docteur en théologie, Claude Guillaud, que l’Inquisition de Séville fit saisir, en 1557, chez un des chefs de la Réforme espagnole, Constantin Ponce de la Fuente, et qui figurent aussi à l’Index, et mainte autre édition des Écritures !
Comme M. le pasteur Paul Besson, auquel nous devons les détails qui précèdent, visitait la bibliothèque de Valence (Espagne), le directeur lui demanda s’il ne craignait pas le poison. « Non, répondit M. Besson, je suis vacciné ». Le directeur le conduisit alors dans le galetas secret où étaient jetés pêle-mêle des livres hérétiques, et même des livres catholiques condamnés.
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