Or ce que l’alliance de vie n’est pas égualement preschée à tout le monde : et mesmes où elle est preschée, n’est pas également receue de tous, en ceste diversité il apparoist un secret admirable du jugement de Dieu : car il n’y a nulle doute que ceste variété ne serve à son bon plaisir. Or si c’est chose évidente que cela se fait par le vouloir de Dieu, que le salut soit offert aux uns, et les autres en soyent forclos : de cela sortent grandes et hautes questions, lesquelles ne se peuvent autrement résoudre, qu’en enseignant les fidèles de ce qu’ils doyvent tenir de l’élection et prédestination de Dieu. Laquelle matière semble fort entortillée à plusieurs, pource qu’ils ne trouvent nulle raison, que Dieu en prédestine les uns à salut, les autres à la mort. Or il apperra par la procédure, qu’eux-mesmes s’enveloppent par faute de bon sens et discrétion. Qui plus est, en ceste obscureté qui les effraye, nous verrons combien ceste doctrine non-seulement est utile, mais aussi douce et savoureuse au fruit qui en revient. Jamais nous ne serons clairement persuadez comme il est requis, que la source de nostre salut soit la miséricorde gratuite de Dieu, jusques à ce que son élection éternelle nous soit quant et quant liquide, pource qu’elle nous esclarcit par comparaison la grâce de Dieu, en ce qu’il n’adopte pas indifféremment tout le monde en l’espérance de salut, mais donne aux uns ce qu’il desnie aux autres. Chacun confesse combien l’ignorance de ce principe diminue de la gloire de Dieu, et combien aussi elle retranche de la vraye humilité : c’est de ne point mettre toute la cause de nostre salut en Dieu seul. Or puis que cela est tant nécessaire à cognoistre, notons bien ce que dit sainct Paul : asçavoir qu’il n’est pas bien cognu, sinon que Dieu sans avoir esgard à aucunes œuvres, eslise ceux qu’il a décrétez en soy. Le résidu, dit-il, a esté sauvé en ce temps selon l’élection gratuite Rom. 11.5. Si c’est par grâce, ce n’est plus des œuvres : car grâce ne seroit plus grâce. Si c’est des œuvres, ce n’est plus de grâce : car l’œuvre ne seroit plus œuvre. S’il faut que nous soyons ramenez à l’élection de Dieu, pour sçavoir que nous n’obtenons point salut que par la pure libéralité de Dieu, ceux qui taschent d’amortir ceste doctrine, obscurcissent entant qu’en eux est, comme gens ingrats, ce qui devoit estre célébré et magnifié à plene bouche, et arrachent la racine d’humilité. Sainct Paul testifie clairement, que quand le salut du peuple est attribué à l’élection gratuite de Dieu : lors il appert qu’il sauve de son bon plaisir ceux que bon luy semble : et que ce n’est pas pour rendre salaire, lequel ne peut estre deu. Ceux qui ferment la porte, à ce qu’on n’ose point approcher pour gouster ceste doctrine, ne font pas moins d’injure aux hommes qu’à Dieu : pource que rien ne suffira sans ce point à nous humilier deuement, et ne sentirons point assez de cœur combien nous sommes obligez à Dieu. Et de faict. Christ nous est tesmoin que nous n’avons nulle droicte fermeté ne fiance ailleurs. Car pour nous asseurer et délivrer de crainte entre tant de périls, embusches et assauts mortels, brief, pour nous rendre invincibles, il promet que tout ce qui luy a esté donné en garde par le Père, ne périra point Jean. 10.28. Dont nous avons à recueillir, que tous ceux qui ne se cognoissent point estre du peuple péculier de Dieu, sont misérables, d’autant qu’ils sont en tremblement continuel : et ainsi, que tous ceux qui ferment les yeux à ces trois utilitez que nous avons notées, et voudroyent renverser ce fondement, pensent très-mal à leur proufit et à celuy de tous fidèles. Il y a aussi, que c’est de là que l’Eglise nous vient en avant : laquelle (comme sainct Bernard dit très-bien) ne se pourroit trouver ny estre cognue entre les créatures, d’autant que d’une façon admirable elle est cachée au giron de la prédestination bienheureuse, et sous la masse de la malheureuse damnation des hommes[c]. Mais devant qu’entrer plus avant à traitter cest argument, il me faut faire une préface à deux manières de gens. Comme ainsi soit que ceste dispute de prédestination soit de soy-mesme aucunement obscure, elle est par la curiosité des hommes rendue enveloppée et perplexe, et mesmes périlleuse : pource que l’entendement humain ne se peut refréner ne restreindre, qu’il ne s’esgare en grans destours et s’eslève par trop haut, désirant s’il luy estoit possible, de ne rien laisser de secret à Dieu, qu’il n’enquière et espluche. Puis que nous en voyons beaucoup tomber en ceste audace et outrecuidance, et mesmes plusieurs, qui autrement ne sont point mauvais, il nous les faut admonester comment ils ont à se gouverner en cest endroict. Premièrement doncques qu’il leur souviene que quand ils enquièrent de la prédestination, ils entrent au sanctuaire de la sagesse divine : auquel si quelqu’un se fourre et ingère en trop grande confiance et hardiesse, il n’atteindra jamais là de pouvoir rassasier sa curiosité : et entrera en un labyrinthe où il ne trouvera nulle issue. Car ce n’est pas raison que les choses que Dieu a voulu estre cachées, et dont il s’est retenu la cognoissance, soyent ainsi espluchées des hommes : et que la hautesse de sa sapience, laquelle il a voulu estre plustost adorée de nous qu’estre comprinse, (afin de se rendre admirable en icelle) soit assujetie au sens humain, pour la chercher jusques à son éternité. Les secrets de sa volonté, qu’il a pensé estre bon de ne nous communiquer, il nous les a testifiez en sa Parole. Or il a pensé estre bon de nous communiquer tout ce qu’il voyoit nous appartenir et estre proufitable.
[c] Serm. in Cantic., LXXVII
Nous sommes parvenus en la voye de la foy, dit sainct Augustin, tenons-nous y constamment : icelle nous mènera jusques en la chambre du Roy céleste, où tous les thrésors de science et sagesse sont cachez. Car le Seigneur Jésus ne portoit point d’envie à ses Apostres, qu’il avoit exaltez en si grande dignité, quand il leur disoit : J’ay beaucoup de choses à vous dire, que vous ne pouvez encores porter. Il nous faut cheminer, il nous faut proufiter, il nous faut croistre, afin que nos cœurs soyent capables des choses que nous ne pouvons encores comprendre Jean 16.12. Si la mort nous surprend ce pendant que nous proufitons, nous sçaurons hors de ce monde, ce que nous n’avons peu sçavoir yci. Si ceste cogitation a une fois lieu en nous : asçavoir que la Parole de Dieu est la voye unique pour nous conduire à enquérir tout ce qui est licite de cognoistre de luy : item la seule lumière, pour nous esclairer à contempler tout ce qui est licite d’en veoir : elle nous pourra facilement retenir et retirer de toute témérité. Car nous sçaurons qu’estans sortis des limites de l’Escriture, nous cheminerons hors du chemin et en ténèbres : et pourtant ne pourrons sinon errer, trébuscher, et nous achopper à chacun pas. Ayons doncques cela devant les yeux sur toutes choses, que ce n’est pas une moindre rage d’appéter autre cognoissance de la prédestination, que celle qui nous est donnée en la Parole de Dieu, que si quelqu’un vouloit cheminer par des rochers inaccessibles, ou veoir en ténèbres. Et que nous n’ayons point honte d’ignorer quelque chose en ceste matière, où il y a quelque ignorance plus docte que le sçavoir. Plustost que nous soyons bien aises de nous abstenir d’appéter une science, de laquelle l’affectation est folle et dangereuse, voire mesmes pernicieuse. Si la curiosité de nostre entendement nous solicite, ayons tousjours ceste sentence en main pour la rabatre, Comme manger beaucoup de miel n’est pas bon : aussi que de chercher la gloire, ne tournera pas à gloire aux curieux Prov. 25.27. Car c’est bien pour nous déterrer de ceste audace, quand nous voyons qu’elle ne peut autre chose faire, que nous précipiter en ruine.
D’autre part il y en a d’autres, lesquels voulans remédier à ce mal, s’efforcent quasi de faire que toute mémoire de la prédestination soit ensevelie : pour le moins ils admonestent qu’on se donne de garde de s’enquérir aucunement d’icelle, comme d’une chose périlleuse. Combien que ceste modestie soit louable, de vouloir qu’on n’approche des mystères de Dieu, sinon avec grande sobriété : toutesfois en ce qu’ils descendent trop bas, cela n’est point pour proufiter envers les esprits humains, lesquels ne se laissent point brider si facilement. Pourtant afin de tenir yci bonne mesure, il nous faut revenir à la Parole de Dieu, en laquelle nous avons bonne reigle de certaine intelligence. Car l’Escriture est l’eschole du sainct Esprit : en laquelle comme il n’y a rien omis qui fust salutaire et utile à cognoistre, ainsi il n’y a rien d’enseigné qu’il ne soit expédient de sçavoir. Il nous faut doncques garder d’empescher les fidèles d’enquérir ce qui est contenu en l’Escriture, de la prédestination : afin qu’il ne semble ou que nous les vueillons frauder du bien que Dieu leur a communiqué, ou que nous vueillons arguer le sainct Esprit, comme s’il avoit publié les choses qu’il estoit bon de supprimer. Permettons doncques à l’homme chrestien d’ouvrir les aureilles et l’entendement à toute la doctrine qui luy est adressée de Dieu : moyennant qu’il garde tousjours ceste tempérance, que quand il verra la sacrée bouche de Dieu fermée, il se ferme aussi le chemin d’enquérir. Ceste sera une bonne borne de sobriété, si en apprenant nous suyvons Dieu, l’ayans toujours devant nous : au contraire, quand il mettra fin à enseigner, que nous cessions de vouloir plus avant entendre. Le péril que craignent ces bonnes gens dont nous avons parlé, n’est pas de telle importance que nous devions pourtant laisser de prester audience à Dieu en tout ce qu’il dit. Ceste sentence de Salomon est bien notable, que la gloire de Dieu est de cacher la parole Prov. 25.2 : mais puis que la piété et le sens commun montrent qu’elle ne doit pas estre entendue en général de toutes choses, nous avons à chercher quelque distinction, de peur que sous couverture de modestie et sobriété, nous ne prenions plaisir, et nous flattions en ignorance brutale. Or Moyse nous distingue le tout en peu de paroles, disant, Nostre Dieu a ses secrets vers soy : mais il nous a manifesté sa Loy à nous et à nos enfans Deut. 29.29. Nous voyons comment il exhorte le peuple d’appliquer son estude à la doctrine contenue en la Loy : pource qu’il a pleu à Dieu la publier : et ce pendant il retient le mesme peuple sous les barres et limites de l’instruction qui luy est donnée, par ceste seule raison, qu’il n’est pas licite aux hommes mortels de se fourrer aux secrets de Dieu.
Je confesse que les meschans et blasphémateurs trouvent incontinent en ceste matière de prédestination, à taxer, caviller, abbayer ou se mocquer. Mais si nous craignons leur pétulance, il se faudra taire des principaux articles de nostre foy : desquels ils n’en laissent quasi pas un qu’ils ne contaminent de leurs blasphèmes. Un esprit rebelle ne se jettera pas moins aux champs, quand il orra dire qu’en une seule essence de Dieu il y a trois personnes, que quand on luy dira que Dieu a préveu en créant l’homme, ce qui luy devoit advenir. Pareillement ces meschans ne s’abstiendront point de risée, quand on leur dira qu’il n’y a guères plus de cinq mille ans que le monde est créé : car ils demanderont comment c’est que la vertu de Dieu a si longtemps esté oisive. Pour réprimer tels sacrilèges, nous faudroit-il laisser de parler de la divinité de Christ, et ou sainct Esprit ? nous faudroit-il taire de la création du monde ? Plustost au contraire, la vérité de Dieu est si puissante tant en cest endroict comme par tout, qu’elle ne craint point la malédicence des iniques : comme aussi sainct Augustin remonstre très-bien au livret qu’il a intitulé, Du bien de persévérance[d]. Car nous voyons que les faux apostres, en blasmant et diffamant la doctrine de sainct Paul, n’ont peu faire qu’il en ait eu honte. Ce qu’aucuns estiment toute ceste dispute estre périlleuse, mesmes entre les fidèles, d’autant qu’elle est contraire à exhortations, qu’elle esbranle la foy, qu’elle trouble les cœurs et les abat, c’est une allégation frivole. Sainct Augustin ne dissimule pas qu’on le reprenoit par ces raisons, qu’il preschoit trois librement la prédestination : mais comme il luy estoit facile, il les réfute suffisamment[e]. Touchant de nous, pource qu’on objecte plusieurs et diverses absurditez contre la doctrine que nous baillerons, il vaut mieux différer de soudre une chacune en son ordre. Pour le présent je désire d’impétrer de tous hommes en général, que nous ne cherchions point les choses que Dieu a voulu estre cachées, et aussi que nous ne négligions point celles qu’il a manifestées : de peur que d’une part il ne nous condamne de trop grande curiosité, ou de l’autre, d’ingratitude. Car ceste sentence de sainct Augustin est très-bonne : que nous pouvons seurement suyvre l’Escriture, laquelle condescend à nostre petitesse, comme une mère à l’infirmité de son enfant, quand elle le veut apprendre d’aller[f]. Quant à ceux qui sont si prouvoyables ou timides, qu’ils voudroyent que la prédestination fust du tout abolie, afin de ne point troubler les âmes débiles, de quelle couleur, je vous prie, desguiseront-ils leur orgueil, veu qu’obliquement ils taxent Dieu d’une sotte inconsidération, comme s’il n’avoit point préveu le péril auquel ces outrecuidez pensent sagement remédier ? Parquoy quiconque rend la doctrine de la prédestination odieuse, détracte ou mesdit de Dieu ouvertement : comme s’il luy estoit eschappé par inadvertance de publier ce qui ne peut estre que nuisible à l’Eglise.
[d] Chap. XV, jusqu’au XX.
[e] De Bono persever., cap. XIV.
[f] De Genes. ad literam., lib. V
Quiconques voudra estre tenu pour homme craignant Dieu, n’osera pas simplement nier la prédestination, par laquelle Dieu en a ordonné aucuns à salut, et assigné les autres à damnation éternelle, mais plusieurs l’enveloppent par diverses cavillations, et sur tous, ceux qui la veulent fonder sur sa prescience. Or nous disons bien qu’il prévoit toutes choses comme il les dispose : mais c’est tout confondre, de dire que Dieu eslit ou rejette selon qu’il prévoit ceci et cela. Quand nous attribuons une préscience à Dieu, nous signifions que toutes choses ont tousjours esté et demeurent éternellement en son regard, tellement qu’il n’y a rien de futur ne de passé à sa cognoissance : mais toutes choses luy sont présentes, et tellement présentes, qu’il ne les imagine point comme par quelques espèces, ainsi que les choses que nous avons en mémoire, nous vienent quasi au-devant des yeux par imaginations : mais il les voit et regarde à la vérité, comme si elles estoyent devant sa face. Nous disons que ceste prescience s’estend par tout le circuit du monde, et sur toutes créatures. Nous appelons Prédestination : le conseil éternel de Dieu, par lequel il a déterminé ce qu’il vouloit faire d’un chacun homme. Car il ne les crée pas tous en pareille condition : mais ordonne les uns à vie éternelle, les autres à éternelle damnation. Ainsi selon la fin à laquelle est créé l’homme, nous disons qu’il est prédestiné à mort ou à vie. Or Dieu a rendu tesmoignage de sa prédestination, non-seulement en chacune personne, mais en toute la lignée d’Abraham, laquelle il a mise pour exemple, que c’est à luy d’ordonner selon son bon plaisir quelle doit estre la condition d’un chacun peuple. Quand le Souverain divisoit les nations, dit Moyse, et partissoit les enfans d’Adam, sa portion a esté le peuple d’Israël, et le cordeau de son héritage Deut. 32.8. L’élection est toute patente : c’est qu’en la personne d’Abraham, comme en un tronc tout sec et mort, un peuple est choisi et ségrégé d’avec les autres qui sont rejettez. La cause n’appert point, sinon que Moyse, afin d’abatre toute matière de gloire, remonstre aux successeurs, que toute leur dignité gist en l’amour gratuite de Dieu. Car il assigne ceste cause de leur rédemption, que Dieu a aimé leurs pères : et a esleu leur lignée après eux Deut. 4.37. Il parle plus expressément en un autre lieu, disant. Ce n’est pas que vous fussiez plus grans en nombre que les autres peuples, que Dieu a prins son plaisir en vous afin de vous choisir : mais d’autant qu’il vous a aimez Deut. 7.8. Cest advertissement est plusieurs fois réitéré par luy : Voyci, le ciel et la terre sont au Seigneur ton Dieu, toutesfois il a prins en amour les Pères, et y a prins son plaisir, et t’a esleu, pource que tu estois leur semence Deut. 10.14-15. Item ailleurs, il leur commande de se tenir purs en saincteté, pource qu’ils sont esleus en peuple péculier Deut. 23.5. En un autre lieu derechef, il remonstre que la dilection de Dieu est cause qu’il est leur protecteur. Ce que les fidèles aussi confessent d’une bouche. Il nous a choisi nostre héritage, la gloire de Jacob, lequel il a aimé Ps. 47.4. Car ils attribuent à ceste amour gratuite tous les ornemens desquels Dieu les avoit douez : non-seulement pource qu’ils sçavoyent bien iceux ne leur avoir esté acquis par aucun mérite, mais aussi que le sainct Patriarche Jacob mesme n’avoit point eu telle vertu en soy, que pour acquérir tant à luy qu’à ses successeurs une si haute prérogative. Et pour rompre et abatre plus fort tout orgueil, il reproche souvent aux Juifs, qu’ils n’ont rien mérité de l’honneur que Dieu leur a fait : veu qu’ils sont un peuple de dur col et revesche Deut. 9.6. Quelquesfois aussi les Prophètes metten en avant la mesme élection, pour faire honte aux Juifs de leur opprobre, entant qu’ils en estoyent vilenement décheus par leur ingratitude. Quoy qu’il soit, que ceux qui veulent attacher l’élection de Dieu à la dignité des hommes, ou aux mérites de leurs œuvres, respondent yci : Quand ils voyent qu’une seule lignée est préférée à tout le reste du monde, et qu’ils entendent de la bouche de Dieu, qu’il n’a esté esmeu pour aucun regard d’estre plus enclin envers un troupeau petit et mesprisé, et puis malin et pervers, qu envers les autres : plaideront-ils contre luy, de ce qu’il luy a pleu d’establir un tel exemple de sa miséricorde ? Mais si est-ce qu’avec tous leurs murmures et contredits, ils n’empescheront point son œuvre : et en jettant leurs despitemens contre le ciel ainsi que pierres, si ne frapperont-ils point ne blesseront sa justice, mais le tout retombera sur leur teste. Ce principe aussi de l’élection gratuite, est réduit en mémoire au peuple d’Israël, quand il est question de rendre grâces à Dieu, ou de se confermer en bonne confiance pour l’advenir. C’est luy, dit le Prophète, qui nous a faits, et ne nous sommes pas faits nous-mesmes : nous sommes son peuple et les brebis de sa pasture Ps. 100.3. La négative qu’il met n’est pas superflue : mais est adjoustée pour nous exclurre, afin que non-seulement nous apprenions en confus que Dieu est autheur de tous les biens qui nous rendent excellens, mais aussi qu’il a esté induit de soy-mesme à nous les faire, pource qu’il n’eust rien trouvé en nous digne d’un tel honneur. Il leur monstre aussi ailleurs, qu’ils se doyvent tenir cachez sous l’ombre du bon plaisir de Dieu, en disant qu’ils sont semence d’Abraham serviteur d’iceluy, et enfans de Jacob son esleu Ps. 105.6. Et après avoir raconté les bénéfices continuels qu’ils avoyent receus comme fruits de leur élection, il conclud qu’il les a ainsi libéralement traittez, pource qu’il s’est souvenu de son alliance. A laquelle doctrine respond le Cantique de toute l’Eglise, Seigneur, c’est la dextre et la clairté de ton visage, qui a donné ceste terre à nos Pères, pource que tu as prins ton plaisir en eux Ps. 44.3. Or il est à noter que quand il est fait mention de la terre, c’est un mereau visible de l’élection secrette de Dieu, par laquelle ils ont esté adoptez. L’exhortation que fait ailleurs David, tend à un mesme but, Bienheureux est le peuple duquel l’Eternel est Dieu, et la lignée qu’il s’est esleue pour héritage Ps. 33.12. Samuel tend à la seconde fin en disant, Vostre Dieu ne vous délaissera point à cause de son grand nom, puis qu’il luy a pleu de vous créer à soy pour peuple 1Sam. 12.22. David fait le semblable quant à soy. Car voyant sa foy assaillie, il prend ces armes pour résister au combat : Bienheureux est celuy que tu as esleu, Seigneur : il habitera en tes parvis Ps. 65.4. Or pource que l’élection qui autrement est cachée en Dieu, a esté jadis ratifiée tant en la première rédemption des Juifs, qu’en la seconde, et autres bénéfices, le mot d’Eslire s’applique quelquesfois à ces tesmoignages patens, qui toutesfois sont au-dessous de l’élection. Comme en Isaïe, Dieu aura pitié de Jacob, et eslira encores Israël Esaïe 14.1. Car en parlant du temps à venir, il dit que le recueil que Dieu fera du résidu de son peuple, lequel il avoit comme déshérité, sera un signe que son élection demeurera tousjours ferme et stable : combien qu’il sembloit qu’elle fust quant et quant décheute. Et en disant ailleurs. Je t’ay esleu, et ne t’ay point rejetté Esaïe 41.9 : il magnifie le cours continuel de son amour paternelle en tant de bienfaits qui en estoyent tesmoignages. L’Ange parle encores plus ouvertement en Zacharie, J’esliray encores Jérusalem Zach. 2.12 : comme si en la chastiant si rudement il l’eust réprouvée : ou bien que la captivité eust interrompu l’élection du peuple : laquelle toutesfois est inviolable, combien que les signes n’en apparoissent pas tousjours.
Adjoustons maintenant un second degré d’élection, qui ne s’est pas estendu tant au large, afin que la grâce spéciale de Dieu y eust tant plus de lustre : c’est que Dieu en a répudié aucuns de la lignée d’Abraham : et d’icelle mesme il en a entretenu les autres en son Eglise, afin de monstrer qu’il les retenoit pour siens. Ismaël du commencement estoit égual à son frère Isaac, veu que l’alliance spirituelle avoit aussi bien esté scellée en son corps par le sacrement de Circoncision. Ismaël est retranché, puis Esaü, finalement une multitude infinie, et quasi toutes les dix lignées d’Israël. La semence a esté suscitée en Isaac Gen. 21.12. La mesme vocation a duré en Jacob : Dieu a donné un semblable exemple en réprouvant Saül 1Sam. 15.23 ; 16.1. Ce qui est bien magnifié aussi au Pseaume, quand il est dit qu’il a débouté la lignée de Joseph, et n’a point esleu la lignée d’Ephraïm : mais a esleu la lignée de Juda Ps. 78.67-68. Ce qui est plusieurs fois réitéré en l’Histoire saincte, pour mieux donner à cognoistre en tel changement le secret admirable de la grâce de Dieu. Je confesse qu’Ismaël, Esaü et leurs semblables sont décheus de leur adoption par leur propre vice et coulpe, veu qu’il y avoit condition apposée de garder de leur costé fidèlement l’alliance de Dieu, laquelle ils ont desloyaument violée : toutesfois c’a esté un bénéfice singulier de Dieu, en ce qu’il les a daigné préférer à tout le reste du monde : comme il est dit au Pseaume, Qu’il n’a pas ainsi fait à toutes nations et ne leur a point manifesté ses statuts Ps. 147.20. Or je n’ay pas dit sans cause qu’il nous faut yci noter deux degrez : car desjà en l’élection de tout le peuple d’Israël, il n’est astreint à nulle loy quand il use de sa pure libéralité, tellement que de le vouloir obliger à en user également envers tous : c’est par trop usurper sur luy, veu que l’inéqualité démonstre que sa bonté est vrayement gratuite. Parquoy Malachie voulant aggraver l’ingratitude d’Israël, leur reproche que non-seulement ils ont esté esleus d’entre tout le genre humain, mais estans en la maison sacrée d’Abraham, encores ont-ils esté choisis à part : et ce pendant ont vilenement mesprisé Dieu qui leur estoit Père si libéral. Esaü, dit-il, n’estoit-il pas frère de Jacob ? Or j’ay aimé Jacob, et ay hay Esaü Malach. 1.2-3. Dieu prend là pour tout résolu, que comme ainsi soit que tous les deux frères fussent engendrés d’Isaac, et par conséquent héritiers de l’alliance céleste, brief, rameaux de la saincte racine : en cela les enfans de Jacob luy estoyent desjà obligez tant et plus, estans eslevez en telle dignité, mais puis qu’en rejettant Esaü le premier-nay, il avoit fait leur père Jacob seul héritier, combien qu’il fust inférieur selon l’ordre de nature, il les condamne de double ingratitude, en se plaignant qu’ils n’ont peu estre retenus en sa sujétion par ces deux liens.
Combien que nous ayons desjà assez liquidé, que Dieu eslit en son conseil secret ceux que bon luy semble, en rejettant les autres, toutesfois son élection gratuite n’a encores esté exposée qu’à demi, jusques à ce que nous venions aux personnes singulières, ausquelles Dieu non-seulement offre salut, mais aussi leur en assigne telle certitude, que l’effet n’en peut estre suspens ni en doute. Ceux-ci sont réputez sous la semence unique de laquelle sainct Paul fait mention. Car combien que l’adoption ait esté commise à Abraham comme en dépost, tant pour luy que pour sa lignée, toutesfois pource que plusieurs de ses successeurs ont esté retranchez comme membres pourris : pour avoir la plene fermeté et efficace de l’élection, il est recquis de monter au chef, par lequel le Père céleste a conjoinct ses esleus à soy, et les a aussi alliez ensemble d’un nœud indissoluble. Par ainsi en l’adoption de la lignée d’Abraham, la faveur libérale de Dieu qu’il a desniée à tous autres, est bien apparue : mais la grâce qui est faite aux membres de Jésus-Christ, a bien autre prééminence de dignité : pource qu’estans unis avec leur chef : ils ne sont jamais retranchez de leur salut. Sainct Paul doncques argue prudemment par le lieu de Malachie n’aguères allégué, que Dieu en conviant quelque peuple à soy, et en luy faisant promesse de la vie éternelle : a encores une façon plus spéciale d’eslire une partie d’iceluy : en sorte que tous ne sont point esleus effectuellement d’une grâce éguale. Ce qui est dit, J’ay aimé Jacob, appartient à toute la postérité du sainct Patriarche, laquelle Malachie oppose aux enfans et successeurs d’Esaü Rom. 9.13 : mais cela n’empesche point que Dieu en la personne d’un homme ne nous ait proposé un miroir de l’élection, qui ne peut escouler qu’elle ne parviene à son plein effect. Sainct Paul non sans cause note, que tels qui appartienent au corps de Jésus-Christ, sont nommez reliques, veu que l’expérience monstre que de la grande multitude qui s’intitule l’Eglise, plusieurs s’escartent et s’esvanouissent, tellement qu’il n’y en demeure qu’une petite portion. Si on demande pourquoy l’élection générale du peuple n’est pas tousjours ferme ny effectuelle : la raison est claire, c’est que Dieu ne donne point l’esprit de régénération à tous ceux ausquels il offre sa Parole pour s’allier avec eux. Ainsi combien qu’ils soyent conviez extérieurement, ils n’ont point la vertu de persévérer jusques à la fin. Ainsi telle vocation externe sans l’efficace secrette du sainct Esprit, est comme une grâce moyenne entre la réjection du genre humain et l’élection des fidèles, qui vrayement sont enfans de Dieu. Tout le peuple d’Israël a esté appelé l’héritage de Dieu : et toutesfois il y en a eu beaucoup d’estranges : mais pource que Dieu n’avoit point promis frustratoirement de leur estre Père et Rédempteur, il a plustost eu esgard en leur donnant ce tiltre, à sa faveur gratuite, qu’à la vilene desloyauté des apostats qui se révoltent, par lesquels aussi sa vérité n’a pas esté abolie : car en se gardant quelque résidu, il est apparu que sa vocation estoit sans repentance : car en ce qu’il a tousjours ramassé son Eglise des enfans d’Abraham, plustost que des nations profanes, il a eu esgard à son alliance. Et combien qu’il l’ait restreinte à peu de gens, pource que la plus grand’part à cause de son incrédulité n’en estoit point capable, tant y a qu’il a prouveu qu’elle ne défaillist point. Brief l’adoption commune de la lignée d’Abraham a esté comme une image visible d’un plus grand bien et plus excellent, qui a esté propre et particulier aux vrais esleus. C’est la raison pour laquelle sainct Paul discerne tant songneusement les enfans d’Abraham selon la chair, d’avec les spirituels qui ont esté appelez à l’exemple d’Isaac Rom. 9.7-8. Non pas que c’ait esté simplement une chose vaine et inutile d’estre enfans d’Abraham (ce qui ne se peut dire sans faire injure à l’alliance de salut, de laquelle ils estoyent héritiers quant à la promesse) mais pource que le conseil immuable de Dieu, par lequel il prédestine ceux que bon luy semble, a desployé sa vertu pour le salut de ceux qui sont nommez spirituels. Or je prie et exhorte les lecteurs de ne se point préoccuper d’une opinion ou d’autre, jusques à ce qu’ayans ouy les tesmoignages de l’Escriture que je produiray, ils cognoissent ce qu’ils en devront tenir. Nous disons doncques, comme l’Escriture le monstre évidemment, que Dieu a une fois décrété par son conseil éternel et immuable, lesquels il vouloir prendre à salut, et lesquels il vouloit dévouer à perdition. Nous disons que ce conseil, quant aux esleus, est fondé en sa miséricorde sans aucun regard de dignité humaine. Au contraire, que l’entrée de vie est forclose à tous ceux qu’il veut livrer en damnation : et que cela se fait par son jugement occulte et incompréhensible, combien qu’il soit juste et équitable. D’avantage, nous enseignons que la vocation des esleus est comme une monstre et tesmoignage de leur élection. Pareillement, que leur justification en est une autre marque et enseigne, jusques à ce qu’ils vienent en la gloire en laquelle gist l’accomplissement d’icelle. Or comme le Seigneur marque ceux qu’il a esleus, en les appelant et justifiant : aussi au contraire, en privant les réprouvez de la cognoissance de sa Parole, ou de la sanctification de son Esprit, il démonstre par tel signe quelle sera leur fin, et quel jugement leur est préparé. Je laisseray yci beaucoup de resveries que plusieurs fols ont forgées pour renverser la prédestination : je m’arresteray seulement à considérer les raisons lesquelles ont lieu entre gens sçavans, ou peuvent engendrer quelque scrupule entre les simples : ou bien ont quelque apparence pour faire à croire que Dieu n’est point juste, s’il est ainsi que nous tenons.