Homilétique

3.2 De la couleur.

[Tout discours, celui des livres, de la conversation, veut remplacer l’expérience immédiate par quelque chose qui en tienne lieu et qui en reproduise l’impression. La parole doit être quelque chose de plus que la formule des choses. On ne connaît que quand on a l’image : l’image produit quelquefois une impression égale à celle de la réalité. Il ne faut rien de moins dans la chaire, il faut peindre la pensée.] Je veux que l’expression fasse image, c’est-à-dire qu’elle nous donne non seulement l’idée, mais en quelque sorte la vue, une vive intuition des choses, physiques ou morales, dont on nous parle ; qu’on revête pour nous les idées d’une forme qui les représente vivement et distinctement à l’imagination. On peut envisager dans cet acte, l’acte lui-même, la nature des idées sur lesquelles il s’exerce, son objet immédiat ou son mode, et les moyens qu’il emploie. Reprenons.

1. L’acte lui-même. – Il faut donner à chacun des objets qui entrent dans le sujet du discours son caractère et sa valeur. [Qu’est-ce que peindre sa pensée, sinon ajouter à la clarté une vivacité qu’elle n’a pas ordinairement, une force qu’elle ignore ?] Il ne s’agit donc pas de peindre pour peindre ; c’est le moyen et non pas le but. Ceci trace la limite, exclut les longueurs et la minutie. En général, il s’agit de peindre et non pas de décrire, de tout faire deviner et non de tout montrer. Tout est subordonné à l’instruction et à l’émotion. Je n’aime guère mieux l’éclat des images dans le discours de la chaire que l’or sur les vêtements du prêtre ou le luxe dans le sanctuaire. Pourtant il faut rendre les objets sensibles. Les figures un peu hardies nous manquent ; le style un peu coloré est peu admis dans le temple. Je ne dis à personne de forcer sa nature, car ici encore, tout ce que l’on ne fait pas dans la foi est péché. (Romains 14.23)

2. La nature des objets [qu’il faut représenter]. – Tantôt ce sont des objets matériels, tantôt des objets immatériels ; tantôt des personnages, tantôt des situations ou des scènes ; tantôt des faits individuels, tantôt des faits collectifs.

3. L’objet immédiat ou le mode de la représentation. – Tantôt c’est le caractère, l’idée de l’objet, tantôt ses symptômes extérieurs [que l’image fait ressortir. L’un des procédés ressemble davantage à la sculpture, l’autre à la peinture. Dans leur perfection, ils ont une égale valeur. Bossuet excelle dans les deux genresi. Souvent on caractérise par un mot : l’éclair fend la nue, la nuit revient ; mais on a vu, cela suffit. On peut donc saisir l’idée soit par quelque circonstance spéciale, caractéristique, soit par des détails variés. C’est la peinture, qui doit être employée le plus souvent sans doute, parce qu’elle est à la portée de plus de monde. Cependant, l’autre procédé, qui consiste à mettre l’objet même devant les yeux, a une grande force employé à propos. Il est familier à La Bruyère.]

i – Fontaines qui ne se taisent ni jour ni nuit. (Bossuet, Oraison funèbre du prince de Condé.)

4. Les moyens que l’on emploie. – Ils sont directs, quand on s’en tient à l’objet lui-même qu’il s’agit de faire connaître et de faire voir ; indirects, quand on use de la ressource des rapprochements.

a. Les moyens directs consistent dans renonciation des caractères de l’objet. La forme la plus ample de ce procédé est la description, c’est-à-dire l’indication des circonstances qui peuvent rendre une idée sensible à l’imagination, ou aussi visible, aussi présente que possible dans l’absence de l’objetj. J’ai dit l’indication, non l’énumération, parce que si quelquefois une énumération complète peut être utile, même en certains cas, la redondance ou du moins l’accumulation, plus souvent un trait bien choisi suffit à notre dessein. Ce n’est pas le nombre des détails, c’est leur choix qui importe ; il y a des traits féconds qui valent l’analyse complète et méthodique d’un caractère et d’une situation. Il faut chercher le point où les rayons convergent et où la lumière devient flammek.

j – Génie antique, dont le nôtre diffère trop : circonstances contingentes ajouté au fait principal ; toujours descendre du genre à l’espèce.

k – Pontum adspectabant flentes. (Virgile, L’Enéide, V, 616.)
Son coursier bondissant, qui sent flotter la rêne,
Lance un regard oblique à son maître expirant,
Revient, penche la tête, et le flaire en pleurant.

Peu d’espace suffit aux grands écrivains pour enfermer tout un tableau. Ils savent rapprocher les éléments d’une pensée ou d’une image, supprimer les intervalles, remplacer la juxtaposition des parties par leur combinaison ; ainsi Bossuet :

Cette parole de confiance emporta son âme sainte au séjour des justesl.

l – Bossuet, Oraison funèbre de la princesse palatine.

Et ailleurs :

Il expire en disant ces mots, et il continue avec les anges le sacré cantiquem.

m – Bossuet, Oraison funèbre de Le Tellier.

Dans les récits de la Bible les plus concis, le mot caractéristique, compréhensif, ne manque jamais.

Massillon excelle dans l’art de fondre les images dans l’ensemble du style, quoiqu’il ne se refuse pas des images hardies, comme celle-ci :

Vos actions rougissent de vos titres.

mais celles-là même ne paraissent qu’autant qu’il faut, parce qu’elles sont amenées, légitimées d’avance. [Souvent, du reste, ce qui peint le mieux, ce ne sont pas les combinaisons et les mots heureux, mais l’expression simple et naïve, qui, sans avoir la prétention de peindre, ne se propose autre chose que de désigner l’idée. Ainsi nous lisons dans la Bible : Que la lumière soit, et la lumière fut, (Genèse 1.3.) et ailleurs : Rachel pleurant ses enfants refuse d’être consolée parce qu’ils ne sont plus. (Matthieu 2.18.) Mais souvent aussi il faut plus de frais.

[Un moyen puissant et dangereux est l’épithète, et c’est à elle fréquemment que se réduit l’image. L’épithète est un mot ajouté au nom de l’objet ou de l’action pour signaler un caractère de cette action ou de cet objet.] Toute épithète est un adjectif ou un adverbe ; tout adjectif n’est pas une épithète. Ce n’est pas une épithète que l’adjectif ou l’adverbe sans lequel le sens resterait incomplet ou suspendu ; mais c’est une épithète oiseuse que celle qui ne donne pas de l’objet une vue plus complète ou un sentiment plus vif.

[Dans toutes les langues les écrivains médiocres font un grand abus de l’épithète ; c’est une facile ressource pour les esprits paresseux, le supplément insuffisant d’une méditation imparfaite, et la cause de cette mollesse de style qu’on remarque chez plusieurs écrivains.] L’épithète est oiseuse si elle ne résume pas un jugement, si elle, n’est pas un tableau abrégé. Elle ne doit pas être la règle, mais l’exception. [Toutes les fois que l’épithète n’est pas utile, elle est nuisible, et les épithètes utiles le sont bien moins que les épithètes nuisibles ne sont nuisibles. Voyez l’imitation du Psaume 19, par J.-B. Rousseau :

Quel plus sublime cantique
Que ce concert magnifique
De tous les célestes corps !…
Quelle divine harmonie
Résulte de leurs accords ! etc...

Qui ne se sent, dans la première strophe, fatigué de ces épithètes qu’il ne demandait pas, parce qu’elles étaient comprises dans le substantif ? Nous pouvons rappeler ici encore une fois le principe de l’activité ; il faut laisser faire quelque chose à l’esprit, et il ne vous sait aucun gré de ce qu’il aurait trouvé lui-même ou de ce qu’il a réellement trouvé.

Il faut distinguer les cas où le substantif apporte avec lui tout le cortège d’idées accessoires, ou bien où toute idée accessoire serait importune, et où le substantif se sert à lui-même d’adjectif ; car, au fond, tout substantif n’est-il pas implicitement adjectif ?

Un sentiment très vif tour à tour supprime et multiplie les épithètes. Dans une argumentation serrée, pressante, la parole, pressée d’arriver, rejette les qualificatifs qui ne sont pas absolument nécessaires. Il peut y avoir un style tout de substantifs.

Mais si les adjectifs se cachent et rentrent, pour ainsi dire, dans le sein des substantifs, là où la pensée se concentre, où elle se ceint les reins pour aller plus vite, il y a des moments d’effusion, où l’épithète reparaît et se multiplie : on n’a pas assez de moyens pour caractériser les objets. L’adjectif, là, est aussi nécessaire que le substantif ; il en fait partie. Dans ce genre, la redondance même peut plaire :

Votre, crime est énorme, exécrable, odieuxn.

n – Ducis, Hamlet, acte V, scène IV.

La description aime à multiplier les épithètes quand elles font image, ou quand elles caractérisent l’objet et le mettent en rapport ou en contraste avec la situation. [Mais plus on les prodigue, moins il est permis d’en employer de triviales : il faut qu’elles disent quelque chose. Ce n’est pas que l’on doive chercher l’extraordinaire ; l’épithète la plus simple, celle qui viendrait à l’esprit de tout le monde, est souvent la meilleureo ; c’est la vérité du style. Mais, en général, elles doivent être frappantes, présenter un tableau, ou renfermer un jugement.] Il y a des épithètes qui peignent, d’autres qui caractérisent ; les premières sont des images, les autres des pensées. [Voici un exemple de l’emploi des unes et des autres] :

Et dans les flancs affreux de leurs roches sanglantes
Emportent, à grands cris, leurs dépouilles vivantes.
Poursuivant des proscrits les troupes égarées,
Du sang de ses sujets souillait ses mains sacréesp.

o – Naïveté des épithètes antiques. Les plus communes vont redevenir piquantes. On se remettra à dire la rose parfumée, la fraîche aurore, le fleuve rapide, la verte prairie. On dit bien : le lac bleu. – Je ne saurais blâmer des épithètes tomme celles-ci dans Esther, acte I, scène II :
Sacrés monts, fertiles vallées! …
Du doux pays de nos aïeux
Serons-nous toujours exilées ?

p – Voltaire, La Henriade, chant II.

Les épithètes combinées ont souvent une grande force :

La mort pâle et sanglante était à ses côtés.
…. De l’enfer il ne sort
Que l’éternelle soif d’une impossible mort.
Après que tous les partis furent abattus, il sembla encore se soutenir seul, et seul encore menacer le favori victorieux de ses tristes et intrépides regards.

On peut en dire autant des épithètes en antithèse :

La mort plus puissante nous l’enlevait entre ces royales mains.
Le temps, cette image mobile
De l’immobile éternité.q.
Pour réparer des ans l’irréparable outrage.

q – J.-B. Rousseau, Odes. Livre III, ode II.

[Si on le peut, on fera bien d’employer des épithètes neuves, des adjectifs un peu détournés de leur sens ordinaire, bien entendu toutefois que cela ait lieu sans faire violence à la langue comme dans ces associations de mots] : « Disciple lumineux, un homme irréparable ; une âme douloureuse. »

Mais je ne saurais conseiller à la chaire des épithètes trop extraordinaires ; elle doit se garder d’étonner.

Et, en général, soyez sobres d’épithètes ; dites-vous bien que leur abondance trahit la faiblesse, d’un style peu substantiel, où l’adjectif s’ajoute au substantif pour faire le poids. Voyez les maîtres, combien ils en sont économes. [Massillon en a plus que Bossuet ; mais il est bien loin de les prodiguer, quoiqu’il sache les multiplier à propos.]

b. [Les moyens indirects de peindre relèvent l’objet, en mettent les traits en saillie, en rehaussent la couleur par le rapprochement de quelque autre objet. Nous abordons ici le style figuré.

L’antithèse est un des moyens les plus forts, mais aussi les plus dangereux, de faire ressortir les objets.] Elle est une opposition d’idées marquée par les mots ; en sorte qu’il n’y a pas d’antithèse quand les choses seules ou quand les mots seuls contrastent. Mais dans le premier cas, ce n’est qu’une figure de moins ; dans le second, c’est une figure puérile, un jeu de mots, un mensonge de l’expression.

Ceux qui font des antithèses en forçant les mots, dit Pascal, sont comme ceux qui font de fausses fenêtres pour la symétrie.

Le goût de l’antithèse appartient surtout aux époques et aux esprits qui manquent de simplicité ; elle est une de ces épices destinées à réveiller un palais émoussé. Les bons auteurs ne l’emploient guère. Elle est étrangère à Démosthène, rare chez Bossuet ; nous la retrouvons chez Fléchier [qui n’a pas craint de dire dans son oraison funèbre de Turenne] :

Est-ce qu’après tant d’actions dignes de l’immortalité, il n’avait plus rien de mortel à faire ?

[L’esprit est un mauvais supplément de l’éloquence ; il est beaucoup plus commun, et l’orateur doit se tenir en garde contre ses pièges. L’antithèse recherchée est toujours mauvaise : elle n’est peut-être admissible que lorsqu’elle échappe involontairement et part de l’âme.] Quand il y a opposition entre les choses, il ne faut pas craindre de la marquer dans les mots ; mais l’opposition dans les idées gagne quelquefois à n’être pas marquée par les motsr.

r – Voyez la belle expression de saint Paul, Romains 16.20 : Le Dieu de paix écrasera bientôt Satan sous vos pieds.

[Le christianisme a été favorable à l’antithèse, et on peut dire que lui-même en est plein. Pour concilier certaines oppositions, il a été nécessaire tout d’abord de les faire ressortir. Aussi les écrivains chrétiens de tous les temps y ont-ils plus ou moins abondé. Les langues modernes sont chrétiennes par tout un côté, et on peut le dire aussi jusqu’à un certain point des mœurs et de la pensée. C’est ce qui explique la différence que l’on peut remarquer entre les auteurs modernes et les anciens par rapport à l’usage de l’antithèse. Le paganisme la supprimait, pour ainsi dire parce qu’il donnait à la vie une certaine unité, unité factice sans doute et qui consistait dans la négation ou l’ignorance de l’un des termes de ces grands contrastes que la vie humaine nous présente. Le christianisme, en faisant saillir ces contrastes qu’il veut concilier, a mis au jour les antithèses de notre existence. Il ne faut donc pas s’étonner que plusieurs des plus grands effets de la chaire chrétienne résultent de l’antithèse. Mais encore une fois, il faut s’en tenir à cet égard à ce qui dépend du fond des choses, se garder des jeux d’esprit et d’une rhétorique facile et froide qui caractérise les époques de décadence et témoigne du manque d’inspiration.

[La métaphore, nom sous lequel on peut comprendre toutes les formes du style figuré, est un des moyens les plus sûrs de donner du caractère et de la couleur à l’expression.] Elle consiste à transporter à un objet les qualités propres à une autre classe d’objets. [La raison de cette substitution, c’est que l’esprit est plus frappé d’une idée quand elle est appliquée à un objet où il ne s’attend pas à la rencontrer. La métaphore a deux formes fondées sur la nature mixte de l’homme.] L’homme seul réunit en lui les deux natures ; elles influent l’une sur l’autre, se rappellent continuellement, et il cherche toujours à opérer leur réunion. De là vient que nous donnons un corps aux objets métaphysiques ou moraux et une vie morale aux objets physiques. Ces deux formes de la métaphore ou du transport sont aussi anciennes que l’homme ; mais les métaphores primitives ont cessé d’être des figures ; elles ne font plus saillie sur le fond du langage.

[La première de ces deux formes de la métaphore, celle qui consiste à donner un corps, une forme, une couleur aux choses qui n’en ont point, est la plus commune ; les langues ont forcément un élément matérialiste. L’autre, celle qui nomme le physique par le spirituel, est d’un ordre plus élevé ; elle témoigne de notre nature supérieure, comme la première de notre nature physique. Les métaphores de ce genre prouvent que l’esprit domine tout ; car si nous sommes forcés de donner des noms tirés de l’ordre physique aux choses de l’ordre moral, nous ne le sommes point de donner des noms spirituels aux choses physiques. Ces métaphores intellectuelles sont d’une grande beauté ; elles abondent dans l’Écriture sainte : Parce que mon épée s’est enivrée dans les cieux, voici elle descendra sur les Iduméens et sur le peuple que j’ai mis à l’interdit ; (Esaïe 34.5.) mais elles se retrouvent dans le tissu même de toutes les langues. L’instinct panthéiste, qui est le poison de tant d’écrits modernes, a contribué à les faire revivre ; mais elles ne dépendent nullement de ce système, et elles sont de tous les temps. Voyez Bossuet :

O voyage bien différent de celui qu’elle avait fait sur la même mer, lorsque, venant prendre possession du sceptre de la Grande-Bretagne, elle voyait, pour ainsi dire, les ondes se courber sous elle et soumettre toutes leurs vagues à la dominatrice des merss.

s – Bossuet, Oraison funèbre de la reine Henriette.

[Il est utile et nécessaire d’user de la métaphore : elle est comme un miroir dans lequel on voit ce qui est derrière soi et que l’on n’apercevrait pas sans lui. Elle vaut souvent tout un syllogisme. D’ailleurs, elle donne une idée de plus, une vue plus riche et plus pleine de l’objet. [C’est ainsi que La Bruyère a dit de la véritable grandeur, qu’elle se courbe par bonté vers ses inférieurs et revient sans effort dans son naturelt.

t – La Bruyère, Les Caractères. Chapitre II. Du mérite personnel.

On pourrait demander à la chaire un style moins incorporel, moins abstrait, plus imagé que celui qu’elle emploie communément. Notre style, comme le dit Bossuet de celui de Calvin, est un peu triste. Nous avons affaire au peuple, car la religion réduit tous ses auditeurs à la qualité d’hommes, les rapproche de la nature, les fait tous ensemble peuple et enfants.

Dès qu’on se livre aux impressions des sens, on devient enfant comme tout le monde,

dit Marmontel ; je renverserais cette proposition, et j’ajouterais avec lui : Notre condition naturelle est celle du peuple. Il nous faut donc, dans un certain sens parler comme le peuple ; et le langage populaire est la métaphore. Toutefois, ne forçons pas notre talent : en littérature comme en morale, ce qui ne se fait pas dans la foi est péché. [L’usage abondant de la métaphore suppose une certaine fécondité d’imagination qui n’appartient pas à tous. Mais pour ceux que le tour de leur esprit porte de ce côté,] il faut les avertir :

  1. Que l’habitude de tout exprimer par figure peut devenir une paresse de l’esprit, et nous désapprendre les vrais noms des choses ;

  2. Que l’on peut en venir, et c’est un grand mal, à se payer d’images, et prendre son parti de la faiblesse des idées pour peu que le vide intérieur soit dissimulé par l’agrément ou l’éclat de la forme. Sur ce sujet, Vauvenargues a dit excellemment que lorsqu’une pensée est trop faible pour porter une expression simple, c’est la marque pour la rejeter.

  3. Que, par l’abus de la métaphore, le prédicateur courrait le danger d’introduire des idées fausses. La métaphore, qui anime les choses inanimées et personnifie les idées abstraites, peut être périlleuse sous ce rapport. Elle a quelquefois jeté la philosophie morale et sociale dans de fausses voies ou retardé ses progrès : ainsi, quand on représente la société comme un être individuel.

  4. Enfin, que le luxe des images est inconvenant dans la chaire. Si le style du prédicateur ne doit pas être triste, il doit encore moins être frivole, et les images prodiguées, fussent-elles d’ailleurs parfaitement convenables, envisagées en elles-mêmes, lui font perdre sa gravité. Il faut, dans le même but, s’interdire les métaphores trop ingénieuses et qui tournent à l’esprit. Il y a guerre entre l’esprit et l’éloquence en général, mais surtout entre l’esprit et l’éloquence de la chaire, dont les convenances spéciales bannissent toute apparence de frivolité.

Voltaire voudrait que la métaphore fût toujours fournie par la passion ; règle trop absolue, mais précieuse pourtant. Elle signifie pour nous que la beauté du style et sa force doivent être une même chose, et qu’il faut, autant que possible, que ce qui intéresse l’imagination touche le cœur. Une image où l’âme de l’écrivain se fait sentir est bien plus belle que toute, autre où l’on ne voit que son esprit.

[Bossuet est admirable à cet égard. C’est lui qui a dit, par exemple :

Ainsi nous allons, toujours tirant après nous la longue chaîne traînante de nos espérances.

Il faut que les ornements soient intimement unis aux idées et comme confondus avec le tissu même de la composition.

[L’allégorie, fort peu usitée dans la prédication, quoiqu’elle ait pour autorité l’éloquence divine elle-même, serait une forme à introduire de nouveau pour qui en aurait le talent. Elle est antique, mais il serait possible de la rendre moderne, et quoiqu’elle pût étonner d’abord, elle se ferait accueillir, car elle est éminemment populaire. Cependant si la métaphore a des dangers que nous avons dû signaler, l’allégorie, qui est une métaphore prolongée, ne pourrait être employée qu’avec de grandes précautions, car elle peut aisément paraître un amusement de l’esprit. Les paraboles de l’Évangile, que l’on peut rapprocher de l’allégorie, ont un caractère éminemment sérieux qui ne permet pas à l’esprit de se distraire du but religieux et de se perdre dans l’amusement.] On ne pourrait pas risquer aujourd’hui une allégorie comme celle de la vieillesse ; (Ecclésiaste 12.2-9) c’est proprement une énigme ; mais une allégorie comme celle de la vigne (Esaïe chapitre 5) pourrait trouver place dans un discours moderne. Il faut d’ailleurs distinguer les auditoires auxquels on s’adresse.

La comparaison est une métaphore explicite, comme la métaphore est une comparaison implicite. La comparaison est plus naïve, et, en tant qu’ornement, plus antique que la métaphore ; [elle abonde dans Homère, qui en déroule tous les plis, tandis que chez les modernes elle a une forme plus rapide et plus concentrée. Elle est un peu lente de sa nature, elle se promène au lieu de marcher ou de courir, elle semble supposer qu’on a du loisir, qu’on peut s’attarder ; elle est plus poétique qu’oratoire. On ne peut penser à la bannir de la chaire, mais elle ne lui est pas éminemment propre.] Les grands prédicateurs, excepté Bossuet, en font peu d’usage. Lui-même l’emploie plus volontiers dans le panégyrique et dans l’oraison funèbre que dans le sermonu.

u – Voyez le Panégyrique de saint Paul et l’Oraison funèbre du grand Condé.

Il faut recommander les comparaisons rapides, jetées en courant au milieu du récit et du raisonnement :

Henri, plein de l’ardeur
Que le combat encore enflammait dans son cœur,
Semblable à l’océan qui s’apaise et qui gronde …v.

v – Voltaire, La Henriade, chant VI.

Par levibus ventis, volucrique simillima soranow
.

w – Virgile, L’Enéide, chant II, vers 794.

Et Bossuet :

La grandeur, loin d’affaiblir la bonté, n’est faite que pour l’aider à se communiquer davantage, comme une fontaine publique qu’on élève pour la répandre.

Ou encore :

Restait cette redoutable infanterie de l’armée d’Espagne, dont les gros bataillons serrés, semblables à autant de tours, mais à des tours qui sauraient réparer leurs brèches, demeuraient inébranlablesx.

x – Bossuet, Oraison funèbre du prince de Condé

Nous ne voulons point d’ailleurs condamner absolument les comparaisons étendues même dans le sermon.

Elles peuvent être familières, elles doivent même l’être, en ce sens qu’elles doivent être empruntées à des objets connusy ; mais il faut qu’elles soient nobles. Celle-ci, de Bossuet, ne l’est pas :

L’âme n’a pas moins d’attache, la pente n’est pas moins sensible dans la disette que dans l’abondance. Il en est comme des cheveux, qui font toujours sentir la même douleur, soit qu’on les arrache d’une tête chauve, soit qu’on les tire d’une tête qui en est couverte.

y – Démosthène a dit : Tels que des mouleurs en argile, vous fabriquez et taxiarques et tribuns pour l’étalage, non pour la guerre.
– Et encore : Comme dans un édifice, dans un vaisseau, les parties inférieures doivent être les plus solides, de même donnons pour fondement à la politique la justice et la vérité. – Tant qu’un navire, grand ou petit, n’est pas encore perdu, matelots, pilote, passagers, doivent tous concourir avec ardeur à empêcher la perfidie ou l’imprudence de le faire périr ; mais les vagues l’ont-elles surmonté, tout effort devient inutile. Ainsi, Athéniens, tant que notre république est encore debout, soutenue par de grandes forces, d’innombrables ressources et la plus brillante considération, que ferons-nous ?

[Le grand orateur grec peut servir de modèle sous le rapport des comparaisons qu’il emploie. Elles sont remarquables par leur rapidité et leur caractère pratique.

Saurin est plus heureux dans ce morceau déjà cité :

Si Dieu nous avait donné une vie pleine de charmes, nous eussions pris peu de soin de nous en procurer une autre : il est naturel d’aimer un séjour où l’on trouve des délices ; tout ce qui nous attache à la terre ralentit l’ardeur que nous aurions pour le ciel ; l’homme intérieur ne se renouvelle que lorsque l’homme extérieur tombe, et notre foi s’établit sur les ruines de notre fortune. Lorsque la colombe rencontre hors de l’arche les vents déchaînés, les eaux débordées, les bondes des cieux ouvertes, l’univers entier enseveli sous les ondes, elle cherche son refuge dans l’arche. Mais lorsqu’elle trouve des plaines et des campagnes, elle s’y arrête. Mon âme, voilà ton image.

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