Précis d'histoire de l'Eglise

Conclusion

Emmanuel Kant

1. Faillite du rationalisme. Au moment où le rationalisme était battu en brèche par le réveil, il commençait à s’effondrer intérieurement. Rousseau remettait en honneur le sentiment, qui se moque parfois de la froide raison. Un philosophe allemand, Kant (1724-1804), rabaissait l’orgueil rationaliste, en démontrant, dans sa Critique de la Raison pure, que nous ne pouvons connaître que les apparences des choses, non leur nature réelle. Dans sa Critique de la Raison pratique, il proclamait les devoirs de la conscience, ce qu’il appelle « l’impératif catégorique », et déclarait que pour obéir à cette loi morale intérieure, nous avons besoin du secours de Dieu. Le système kantien est anthropocentrique, c’est-à-dire qu’il part des besoins psychologiques de l’homme, et non de la révélation de Dieu. Pendant un siècle et demi, cet anthropocentrisme a dominé la théologie allemande. Il est très différent du christianisme orthodoxe, mais il en est cependant plus près que le rationalisme du XVIIIe siècle. Aussi, au début du XIXe siècle, allons-nous assister à un renouveau de la foi chrétienne, qui résultera à la fois de la faillite intérieure du rationalisme, et du réveil religieux.

Jean-Jacques Rousseau

Extrait de la « Profession de foi du Vicaire savoyard ».

Je vous avoue aussi que la majesté des Ecritures m’étonne, la sainteté de l’Evangile parle à mon cœur. Voyez les livres des philosophes avec toute leur pompe ; qu’ils sont petits près de celui-là ! Se peut-il qu’un livre à la fois si sublime et si simple soit l’ouvrage des hommes. Se peut-il que celui dont il fait l’histoire ne soit qu’un homme lui-même ? Quelle douceur, quelle pureté dans les mœurs ! quelle grâce touchante dans ses instructions ! quelle élévation dans ses maximes ! quelle profonde sagesse dans ses discours ! quelle présence d’esprit, quelle finesse et quelle justesse dans ses réponses ! quel empire sur ses passions ! où est l’homme, où est le sage qui sait agir, souffrir et mourir sans faiblesse et sans ostentation ?... Quels préjugés, quel aveuglement ne faut-il point avoir pour oser comparer le fils de Sophronisque au fils de Marie ? Quelle distance de l’un à l’autre ! Socrate, mourant sans douleur, sans ignominie, soutint aisément jusqu’au bout son personnage ; et si cette facile mort n’eût honoré sa vie, on douterait si Socrate, avec tout son esprit, fut autre chose qu’un sophiste… La mort de Socrate, philosophant tranquillement avec ses amis, est la plus douce qu’on puisse désirer ; celle de Jésus expirant dans les tourments, injurié, raillé, maudit de tout un peuple, est la plus horrible qu’on puisse craindre. Socrate prenant la coupe empoisonnée bénit celui qui la lui présente et qui pleure ; Jésus, au milieu d’un supplice affreux, prie pour ses bourreaux acharnés. Oui, si la vie et la mort de Socrate sont d’un sage, la vie et la mort de Jésus sont d’un Dieu… Dirons-nous que l’histoire de l’Evangile est inventée à plaisir ? Mon ami, ce n’est pas ainsi que l’on invente ; et les faits de Socrate, dont personne ne doute, sont moins attestés que ceux de Jésus-Christ. Au fond, c’est reculer la difficulté sans la détruire ; il serait plus inconcevable que plusieurs hommes d’accord eussent fabriqué ce livre, qu’il ne l’est qu’un seul en ait fourni le sujet. Jamais des auteurs juifs n’eussent trouvé ni ce ton, ni cette morale ; et l’Evangile a des caractères de vérité si grands, si frappants, si parfaitement inimitables, que l’inventeur en serait plus étonnant que le héros. Avec tout cela, ce même Evangile est plein de choses incroyables, de choses qui répugnent à la raison, et qu’il est impossible à tout homme sensé de concevoir ni d’admettre. Que faire au milieu de toutes ces contradictions ? Etre toujours modeste et circonspect ; respecter en silence ce qu’on ne saurait ni rejeter ni comprendre, et s’humilier devant le grand Etre qui seul sait la vérité.

Voilà le scepticisme involontaire où je suis resté ; mais ce scepticisme ne m’est nullement pénible… Je sers Dieu dans la simplicité de mon cœur ; je ne cherche à savoir que ce qui importe à ma conduite. Quant aux dogmes qui n’influent si sur les actions ni sur la morale, je ne m’en mets nullement en peine. Je regarde toutes les religions particulières comme autant d’institutions salutaires… Je les crois toutes bonnes quand on y sert Dieu convenablement. Le culte essentiel est celui du cœur. Dieu n’en rejette point l’hommage quand il est sincère, sous quelque forme qu’il lui soit offert.

J.J. ROUSSEAU
Emile, Livre IV.

2. Résumé chronologique. Nous distinguons trois phases dans l’histoire de ce siècle.

1685-1715 : Fin du règne de Louis XIV. Bayle. Déistes anglais. Réveil piétiste, Spener, Francke.

1715-1750 : Début de Louis XV. Antoine Court. Atténuation et recrudescence momentanée des persécutions. Abbadie. Saurin. Bach. Haendel. Bengel. Réveil morave. Grand réveil en Amérique. Début du réveil méthodiste. Rédemptoristes.

1750-1792 : Fin de Louis XV. Louis XVI. Rationalistes français : Voltaire, Rousseau. Encyclopédie. Fin des persécutions. Edit de tolérance de Joseph II et de Louis XVI. Suppression des jésuites. Swedenborg. Universalistes. Unitaires. Kant. Organisation du méthodisme. Révolution française.

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