« Le Seigneur appelle à lui un publicain. Donc il est l’ennemi de la loi, puisqu’il choisit pour apôtre un étranger, un profane dans le langage du judaïsme. » Ainsi raisonne le sectaire.
— Il oublie apparemment que Pierre était un serviteur de la loi, et que, non content de l’élever à l’apostolat, le Seigneur lui rendit le témoignage « qu’il avait été éclairé par le Père lui-même sur la connaissance du Fils. » Nulle part il n’avait vu le Christ signalé comme la lumière, l’espérance et l’attente des nations. Il y a mieux. Il affirma que les Juifs étaient son peuple de prédilection par ce proverbe : « Le médecin n’est pas pour ceux qui se portent bien, mais pour les malades. » En effet, si par malades il a entendu les hommes du paganisme et les publicains qu’il appelait à lui, nier que le médecin fût nécessaire aux Juifs, n’était-ce pas avouer qu’ils avaient la santé ? A considérer ainsi les choses, il a eu tort de descendre pour remédier à des infirmités imaginaires, et abolir une loi sous le régime de laquelle florissait la santé, et où il. n’y avait pas besoin de guérison. Mais à qui persuadera-t-on que le Christ se soit comparé à nu médecin, sans réaliser la similitude ? Si personne ne propose le médecin à qui possède la santé, bien moins encore le proposons-nous à des individus qui nous sont aussi étrangers que l’homme semble l’être au dieu de Marcion, ayant son créateur à lui, son protecteur à lui, et ne pouvant attendre que du Très-Haut le Christ pour médecin. Cette comparaison à elle seule établissait d’avance que si le médecin a été envoyé aux malades, il ne l’a été que par le maître de ces mêmes malades.
Mais d’où Jean est-il venu au milieu des hommes ? C’est un Christ soudain, c’est un précurseur soudain. Ainsi apparaissent dans le système de Marcion toutes les choses qui, du côte du Créateur, ont leur développement progressif et complet. Nous répondrons ailleurs à chacune des allégations présentes. Attachons-nous ici à un seul point ; démontrons l’exacte concordance de Jean avec le Christ, et du Christ avec Jean, prophète du Créateur, puisque le Christ est le messie du Créateur. Que l’hérétique rougisse donc ! il aura supprimé sans profil la marche du précurseur. Que Jean, celle voix du désert, comme l’appelle Isaïe, n’eût pas préparé les sentiers du Seigneur par la promulgation et l’éloge de la pénitence ; qu’il n’eût pas au nombre de ses néophytes baptisé le Seigneur lui-même ; enfin qu’il n’eût pas été l’avant-coureur de l’Homme-Dieu, eût-on comparé les disciples du Christ, qui buvaient et mangeaient, avec ceux de Jean, dont la vie se consumait dans le jeune et la prière ? Du moment que l’on suppose quelque différence entre le Christ et Jean, entre les disciples de l’un et, les disciples de l’autre, la comparaison dans la bouche des Juifs n’a plus ni rectitude ni application. Car personne ne s’étonnerait ou ne se mettrait à la torture en voyant les prédications rivales de deux divinités ennemies, en désaccord sur la discipline, quant au point de départ elles diffèrent sur les auteurs de la loi. Tant il est vrai que le Christ est lié à Jean, comme Jean est lié au Christ, tous deux les délégués du Créateur, tous deux prédicateurs et maîtres sous l’œil de la loi et des prophètes !
Allons plus loin ! le Christ se fût hâté d’attribuer à un dieu étranger la manière de vivre de Jean. Il eût répondu pour la justification de ses propres disciples, qu’initiés à une divinité différente et contraire, il n’était pas étonnant qu’ils marchassent dans des voies opposées. Au lieu de cela, que fait-il ? « Les fils de l’époux pouvaient-ils jeûner pendant que l’époux était avec eux ? » répond-il humblement à ceux qui l’interrogeaient ; « mais les jours viendront où l’époux leur sera enlevé, et alors ils jeûneront. » Loin de chercher à défendre ses disciples, il semble plutôt les excuser, comme si le blâme n’était pas sans fondement. Loin de répudier la discipline de Jean, il y souscrit ; bonne pour l’époque, bonne encore après lui. Il l’eût repoussée avec dédain, il eût prêté assistance à qui la combattait, si les préceptes qu’il trouva en vigueur n’avaient été les siens.
« Pendant que l’époux est avec eux ; » à ce litre consigné dans le roi prophète, je reconnais encore mon Christ. « Il est semblable à un nouvel époux qui sort du lit nuptial, s’écrie David. Il part des extrémités de l’aurore, et il s’abaisse aux bornes du couchant. » C’est lui encore qui, dans l’exaltation de sa joie, parle ainsi à son père par la bouche d’Isaïe. « Je me réjouirai dans le Seigneur, mon âme sera ravie d’allégresse ; mon Dieu m’a. paré des vêtements du salut. Il m’a entouré dos ornements de la justice, comme l’époux embelli par sa couronne, comme l’épouse brillante de pierreries. » Ils seront pour toi le « vêtement dont se pare la nouvelle épouse. » Le Christ, par la bouche de Salomon, appelle encore à lui cette épouse dans la vocation des Gentils. En effet, tu as lu : « Descendez, ô mon épouse, des sommets du Liban ! » Il avait raison ; du Liban, car le nom de cette montagne signifie encens chez les Grecs : mon Sauveur se fiançait une Église avec les dépouilles de l’idolâtrie. Dis, maintenant, ô Marcion ! que tu n’es pas le plus insensé des hommes ! Voilà que tu attaques la loi même de ton Dieu. Il ne veut pas d’union conjugale ; les nœuds du mariage, il les brise ; son baptême n’est que pour le célibat ou la virginité : la mort ou le divorce est le seul droit à cette faveur. Et le christ d’un pareil dieu, ton inconséquence me le convertit en époux. Va, un pareil titre appartient exclusivement « à qui unit autrefois l’homme et la femme, et non à qui les sépare. » Ton erreur n’est pas moins grossière au sujet de cette déclaration où le Seigneur semble distinguer le passé d’avec le nouveau. Le vin nouveau de ton délire fermente dans de vieilles outres. Tu as cousu à l’Evangile qui avait la priorité sur le tien le lambeau de la nouveauté hérétique. Parle, Marcion ! En quoi mon Créateur a-t-il fait preuve de versatilité et d’inconstance ?
— « Préparez la terre nouvelle, » nous dit-il par Jérémie ! N’est-ce pas là nous détourner du passé ? « Le passé n’est plus. Voilà que je crée toutes choses nouvelles, nous dit-il par Isaïe ! » N’est-ce pas là nous appeler à un régime nouveau ?
— Nous avons démontré précédemment que l’économie de la loi ancienne, disposée autrefois par le Créateur, était accomplie et développée par son Christ, toujours sous l’autorité d’un seul et même Dieu auquel appartient ce qui est antique et nouveau. Car « on ne confie pas le vin nouveau à de vieilles outres, » à moins d’avoir de vieilles outres. « On ne coud point à un vêtement usé un lambeau neuf, » à moins d’avoir un vêtement usé.
Enfin, on ne met point la main à une œuvre qu’il faut entreprendre, à moins d’avoir les matériaux nécessaires. J’en conclus que si le but de sa comparaison était de montrer qu’il séparait l’Evangile de la loi ancienne, il affirmait que l’ancien Testament était à lui, et qu’il ne devait pas être flétri du titre d’étranger. Entre-t-on en communauté avec son ennemi pour le plaisir de rompre ensuite ? Qui dit séparation, dit union précédente ; ainsi les deux lois qu’il séparait n’en formaient qu’une avant cette époque, comme elles n’en eussent formé qu’une s’il ne les avait pas séparées. Séparation, oui sans doute, mais nous ne l’admettons qu’à titre de réforme, d’augmentation, de perfectionnement, comme le fruit sort de la semence dont il est le produit. Ainsi l’Evangile se sépare de la loi en sortant de la loi ; autre, mais non étranger ; différent, mais non contraire.
Le langage du Christ n’a pas non plus une forme nouvelle. Il propose des paraboles ! il répond à des difficultés ! Ecoute le Psaume soixante-dix-septième qui l’avait prédit : « Je le parlerai en paraboles, c’est-à-dire par des comparaisons ; je te montrerai en figure les choses cachées. » C’est-à-dire j’éclaircirai certaines questions. Si tu avais à prouver qu’un individu appartient à une autre nation, quel serait ton argument ? La langue qu’il parle.