Qu’il est difficile, Seigneur, de se connaître soi-même ! Voilà des années, de longues années que je regarde dans les abîmes de mon cœur ; chaque jour mon regard pénètre plus avant, et je reconnais que je ne touche pas encore au fond. Il y a là comme le sanctuaire du sanctuaire, rempli, non d’encens, mais de ténèbres ! habité, non par le Saint des saints, mais par le Méchant des méchants, séducteur habile, que le plus habile des hommes ne peut pas toujours reconnaître. Tantôt je me dis que l’intention est tout, et l’œuvre peu de chose ; alors je me contente de méditer le bien. Tantôt je me persuade que l’important c’est d’agir ; alors j’agis pour ma propre satisfaction ? peut-être pour ma propre gloire ! Aujourd’hui, je me retranche dans la faiblesse de ma nature, et je m’applaudis, comme d’une bonne œuvre, de cette humilité. Demain, comptant sur ma force propre, je m’élancerai avec confiance dans le combat de la vie, sans même te prier. Qui sait si je ne suis pas fier de la grâce que tu m’as faite de connaître ton Évangile ? Et qui sait si (contradiction incroyable) je ne compte pas aussi sur mon ignorance en bien des choses pour m’excuser ? Oui, mon cœur est un abîme sans fond, un mystère insondable… ou plutôt le fond de cet abîme, c’est la passion ; l’explication de ce mystère, c’est le péché ! Le péché jeté par moi dans ton œuvre, le péché que j’aime, que je caresse et que je déguise sous des formes menteuses, afin de le retenir en trompant ma conscience. Ah ! Seigneur, fais-moi sentir qu’il n’y a pas d’excuse à une ignorance où se mêle une volonté mauvaise ; une volonté qui est bien aise de ne pas comprendre pour être dispensée d’obéir ; que je sente mieux que ton Évangile est à la fois une odeur de vie et une odeur de mort ; qu’il ne peut retourner à toi sans effets ; fais-moi comprendre que mon ignorance voulue ne m’innocente pas devant toi, qui m’as donné, comme à tout homme venant au monde, la lumière que je mets sous le boisseau de mes convoitises, pour n’en pas être importuné. Ouvre mes yeux, malgré moi ? sur les plaies de mon âme, et ne me laisse de repos qu’après m’avoir fait tout voir, tout confesser et tout purifier dans la foi à mon Sauveur crucifié.