Dans notre sixième et septième livres des Stromates, consacrés aux commentaires sur la véritable philosophie, après avoir exposé le plus complètement qu’il nous sera possible la morale qu’elle contient, et avoir montré quelle est la vie du parfait Gnostique, nous continuerons de prouver aux philosophes que notre disciple, au lieu d’être, comme ils se l’imaginent, un athée, est le seul qui rende à Dieu le culte qui lui appartient. Pour arriver à ce but, il nous faudra toucher sommairement aux dogmes qu’il croit, aux pratiques qu’il observe, autant du moins que nous pourrons sans péril confier ces secrets à la lettre parlante d’un ouvrage public. Le Seigneur, en effet, nous a ordonné « de travailler pour la nourriture qui demeure dans la vie éternelle. » Et le prophète dit quelque part : « Heureux celui qui sème sur toute terre arrosée d’eau où paissent la génisse et l’âne ; » qu’est-ce à dire ? le peuple qui, formé des Hébreux et des Gentils, se confond dans une foi commune. Mais celui qui est faible se nourrit « de légumes », selon l’illustre apôtre. Déjà les trois livres de notre Pédagogue, prenant le Chrétien au berceau, l’instruisent et le forment à ce régime de vie que développe en lui, par l’intermédiaire de la foi, l’enseignement des Catéchèses, et qui, dans le néophyte, inscrit au nombre des hommes faits, prépare une âme vertueuse à recevoir plus tard le précieux dépôt de la connaissance. Une fois que les Gentils auront été mis à même de reconnaître, par les détails où nous entrerons, qu’en persécutant le véritable adorateur de Dieu, ce sont eux qui font acte d’impiété, fidèle alors au titre et au caractère de Stromates sous lesquels se présentent nos commentaires, nous résoudrons quelques objections, soulevées tant par les Grecs que par les Barbares an sujet de l’avènement de notre Seigneur.
Les fleurs diverses qui émaillent les prairies, les grands arbres qui ornent les jardins, ne sont ni séparés, ni groupés par espèces, quoique plus d’un auteur ait réuni dans un même recueil des matières diverses d’érudition qu’il distingua les unes des autres par les titres de prairie, d’hélicon, d’alvéole et de péplos. Nos Stromates ressemblent à une prairie. Mille objets divers s’y mêlent et s’y confondent, à la manière des fleurs, selon qu’ils se sont offerts à notre esprit, jetés sans ordre et sans art, quelquefois même dispersés à dessein. Écrits de la sorte, ils seront pour moi un feu caché sous la cendre que l’on réveille au besoin ; si par hasard ils tombent entre les mains d’un lecteur qui peut être initié aux mystères de la connaissance, ils l’exciteront à y chercher, non pas sans quelque labeur, ce qui peut le servir et lui profiter. La justice voulant que le travail précède la nourriture, n’est-il pas plus juste encore que la fatigue précède la connaissance pour ceux qui tendent au salut et à la béatitude éternelle par la voie étroite et laborieuse, par la voie véritable du Seigneur ? Quelle est notre connaissance ? Quel est notre jardin spirituel ? Notre Seigneur lui-même, dans lequel nous sommes plantés comme dans une bonne terre, après avoir été arrachés au sol stérile de notre vie antérieure. La transplantation développe la bonté du fruit. Or, encore une fois, la lumière et la connaissance véritable, c’est notre Seigneur dans lequel nous avons été transplantés.
On distingue deux sortes de connaissances : la première est celle qui porte communément ce nom, et se manifeste dans tous les hommes. Il faut établir une distinction semblable pour l’intelligence et la conception qui réside dans la perception des objets dont nous sommes environnés, et appartient aussi bien aux êtres doués de raison qu’à ceux qui ne l’ont pas reçue en partage. Dieu me préserve de donner le nom de connaissance à de grossières notions qui ne viennent que par les sens ! Mais la connaissance par excellence et vraiment digne de ce nom a pour caractère définitif l’intelligence et la raison. Par elle seule les facultés de l’être raisonnable se transforment en connaissances qui s’appliquent hors des sens et par la simple action de l’esprit aux choses qui ne sont perceptibles qu’à l’intelligence. « Qu’il est bon, s’écrie David, l’homme touché de compassion pour ceux qui s’égarent et périssent dans les voies de l’erreur, et qui vient à leur aide » en leur distribuant la parole de la vérité, non pas avec une pitié indiscrète et irréfléchie, mais « qui réglera et dispensera ses discours avec le discernement de la sagesse ! Voilà l’homme qui a répandu ses biens sur les pauvres. »