Quels convives appelle-t-il à son festin ? ceux qu’il avait désignés par la bouche d’Isaïe : « Partagez votre pain avec celui qui a faim, recevez sous votre toit l’indigent qui n’a point d’asile, » tous ceux enfin « qui ne peuvent pas rendre les services qu’on leur a rendus. » Si le Christ défend de rechercher ici-bas cette reconnaissance qu’il promet au jour de la résurrection, j’y retrouve encore les errements du Créateur, auquel déplaisent les hommes qui « courent après les présents et attendent un salaire. » Examine ensuite auquel des deux convient mieux la parabole de celui qui invite. « Un homme prépara un grand festin, et invita beaucoup de monde. » Ces préparatifs figurent déjà l’abondance de la vie éternelle. Je remarque d’abord que l’on n’invite point d’ordinaire à un festin des étrangers ni des hommes avec lesquels on n’a aucun lien de parenté, mais plutôt ceux qui logent dans la maison, et les amis. Au Créateur donc d’inviter des convives qui lui appartenaient, du côté d’Adam, parce qu’ils étaient hommes ; du côté de leurs pères, parce qu’ils étaient Juifs ; mais non à ce Dieu auquel ils n’appartenaient ni par nature ni par adoption. Ensuite, si celui qui envoie vers les convives est celui qui a préparé le repas, ce festin est encore celui du Créateur, qui, non content de convier à son banquet ces convives appelés à lui dans la personne de leurs pères, leur réitéra son invitation par l’avertissement des prophètes. Il n’est pas le festin de celui qui, sans avoir envoyé aucun serviteur pour avertir les convives, sans avoir rien fait pour la vocation de ses élus, descendit en personne tout à coup. Il ne fait que paraître et le voilà qui invite ; il ne fait qu’inviter, et le voilà qui presse d’arriver à son banquet, commençant le repas au moment où il invite. « Les convives s’excusent. » Invités par le dieu étranger, ils ont raison, car ils l’ont été inopinément ; s’ils n’ont point raison, donc l’invitation n’a point été imprévue. Or, si l’invitation n’a point été imprévue, donc elle venait du Créateur qui les avait invités autrefois. Enfin, c’est de ce même Créateur qu’ils déclinèrent la vocation le jour où ils dirent à Aaron : « Lève-toi, fais-nous des dieux qui marchent devant nous. » De là ensuite cet anathème : « Vous entendrez sans entendre, » c’est-à-dire sans entendre l’invitation de ce même Dieu qui dit par Jérémie d’une manière très-conforme à cette parabole : « Ecoutez ma voix, et vous serez mon peuple, et je serai votre Dieu ; et vous marcherez dans toutes les voies où je vous ordonnerai de marcher. » Voilà l’invitation de Dieu. « Et ils n’ont pas écouté, dit-il, et ils n’ont pas prêté l’oreille. » Voilà les refus du peuple : « Mais ils se sont enfoncés dans les désirs et la dépravation de leur cœur. – J’ai acheté un champ, j’ai acquis des bœufs, j’ai épousé une femme. » Il insiste encore : « Et je leur ai envoyé tous mes serviteurs les prophètes. » Ici l’Esprit saint lui-même avertira les convives, « et le jour et avant le jour. Et mon peuple ne m’a point écouté, et il n’a pas prêté l’oreille, et il s’est endurci. »
Dès que cette nouvelle est rapportée au Père de famille, il s’en irrite (mot décisif ! car Marcion niant que son dieu soit accessible à la colère, c’est donc le mien puisqu’il s’irrite,) il ordonne qu’on aille recueillir les convives sur les places publiques et les carrefours.
Voyons si ce n’est pas dans ce même sens qu’il s’écria autrefois par la bouche de Jérémie : « Suis-je devenu pour la maison d’Israël une solitude, ou bien une terre abandonnée et sans culture ? » Qu’est-ce à dire ? n’ai-je pas qui choisir et où choisir, puisque mon peuple m’a répondu : « Nous ne viendrons pas à toi. » Voilà pourquoi il envoya inviter d’autres convives de la même cité ; puis, comme il restait de la place, il ordonne qu’on aille recueillir le long des routes et des haies, qui ? nous enfants de la Gentilité. Il ressentait alors ces mouvements jaloux consignés dans le Deutéronome : « Je leur cacherai ma face, et leur montrerai leur fin, » c’est-à-dire leur place occupée par d’autres, « parce qu’ils sont une race perverse et des enfants infidèles. Ils m’ont provoqué par des dieux qui n’en sont pas, ils m’ont irrité par leurs vaines idoles. Et moi, je les provoquerai avec un peuple qui n’est pas le mien ; oui, je les irriterai avec un peuple insensé. » Il les irritera dans nous, dont les Juifs portent l’espérance, et « à laquelle, dit le Seigneur, ils ne goûteront pas, car la fille de Sion a été abandonnée comme la hutte après la saison des fruits, comme une cabane dans un champ de concombres, » depuis qu’elle a fermé l’oreille à la dernière invitation du Christ.
Je le demande, dans ces dispositions et ces prophéties du Créateur, ainsi rapprochées, en est-il une seule qui puisse convenir à qui ne possède ni disposition préparatoire ni succession de temps pour s’accorder avec la parabole, et qui a fait toute son œuvre d’un seul coup ? Ou bien quelle sera sa première vocation ? où est son second avertissement ? Les uns doivent d’abord s’excuser, les autres arriver ensuite. Maintenant, au contraire, il vient inviter à la fois les premiers et les seconds convives, dans la cité, dans les carrefours, sur les places publiques, le long des haies, contre l’intention de la parabole ; il ne peut d’ailleurs se convaincre du refus de convives qu’il n’a jamais invités autrefois, et auxquels il ne fait que de s’adresser ; ou bien s’il estime d’avance qu’ils mépriseront ses invitations, il a donc anticipé sur leurs outrages eh leur substituant les Gentils. Sans doute il doit descendre une seconde fois pour prêcher son Evangile aux nations. Oui, il viendra ; mais non pas, j’imagine, pour appeler les convives à son festin, mais pour y marquer leur place. En attendant, toi qui expliques l’invitation à ce banquet par l’abondance et les délices spirituelles du banquet céleste, souviens-toi aussi que les promesses de la terre, le vin, l’huile, le froment, et cette cité elle-même, sont figurées par le Créateur dans les promesses spirituelles.