Encore sur Judas et sur ceux qui sont entrés avec lui dans la conspiration contre le Christ.
« Ecoutez, Seigneur, ma prière : ne méprisez pas mes supplications ; exaucez-moi ; soyez moi propice. Je suis attristé dans le cours de mes rêveries ; je suis troublé à la voix de mon ennemi et par la tribulation du pécheur ; car ils m’ont chargé d’iniquités, et dans leur fureur, ils me devinrent insupportables. Mon cœur s’est troublé au dedans de moi, et les frayeurs de la mort m’ont accablé. La crainte et la terreur m’ont assailli, et les ténèbres m’ont environné. » Et le reste. Le psalmiste ajoute : « Perdez-les, Seigneur, divisez leur langage, car j’ai vu dans cette ville la violence et la discorde : jour et nuit elles assiègent ses remparts, et l’iniquité et le travail résident en son enceinte ainsi que l’injustice ; l’usure et le mensonge ne s’éloignent pas de ses places publiques. Car si mon ennemi m’eût outragé, je l’aurais supporté ; et si celui qui me hait se fût élevé contre moi, je me déroberais à ses poursuites : mais vous, cet autre moi-même, le chef de mes conseils et le confident de mes secrets, qui me prépariez des mets si doux, et avec qui je marchais dans l’union en la maison du Seigneur.
Ces paroles : Si mon ennemi m’eût outragé, je l’aurais supporté ; et si celui qui me hait se fût élevé contre moi, je me déroberais à sa poursuite mais vous, cet autre moi-même, le chef de mes conseils et le confident de mes secrets (Ps., XL, 10), qui me prépariez des mets si doux, sont semblables à celles de la prophétie précédente, rapportées à Judas : L’homme de ma paix, de ma confiance, qui mangeait mon pain, a fait éclater sa trahison contre moi. De même, en effet, que ce traître est nommé dans le psaume cité plus haut l’homme de la paix, alors qu’il était formé par le Sauveur, comme étant du nombre des disciples, de même ici il est appelé un autre moi-même, le chef de mes conseils, et le confident de mes secrets. Dans l’un il est dit : « Celui qui mangeait mon pain a fait éclater sa trahison contre moi ; » ainsi dans le passage que nous rapportons il est dit de lui : « Vous qui me prépariez des mets si doux. » Car Judas était un de ceux qui furent honorés de la mystérieuse société et de la nourriture spirituelle dont notre Sauveur faisait jouir ses disciples. En effet, le Christ ne parlait à la multitude profane et au peuple qu’en paraboles ; et il ne révélait sa doctrine qu’à ses disciples seuls du nombre desquels était Judas. Aussi est-il dit : « Celui qui mangeait mon pain a fait éclater sa trahison contre moi, et : Vous qui me prépariez des mets si doux, » ce qui est mieux rendu par Aquila, qui traduit : Nous nous préparions ensemble un doux secret, » et par Symmaque qui met : Qui partagions ensemble les douceurs des entretiens. Au lieu de : « Mais vous, cet autre moi-même, le chef de mes conseils et le confident de mes secrets, » Symmaque met : « Mais vous qui partagiez mes habitudes, le chef de mes conseils et le confident de mes secrets. » Puisqu’il était comblé de tant d’honneurs et admis à l’amitié privilégiée du Sauveur, c’est à juste titre que celui-ci s’écrie : « Si mon ennemi m’eût outragé, je l’aurais supporté après cette prédiction sur Judas, le prophète annonce la délivrance de la mort et la liberté du Christ : « Pour moi, j’ai poussé des cris vers Dieu, et le Seigneur m’a exaucé. Le soir, le matin, au milieu du jour je lui annoncerai, je lui exposerai ma douleur, et il écoutera ma voix : il mettra mon âme en paix. »
Ainsi il représente comme dans une prière le temps qui précéda sa mort, et où Judas se préparait à le trahir. Alors donc notre Sauveur et Seigneur, affligé de la perte et de la mort de son ami, et plus encore de la ruine de la nation juive, et touché de pitié de la folie de ses frères et de ses amis de prédilection, appelle ses entretiens et sa doctrine le cours de ses rêveries, parce qu’elles ne leur ont servi de rien ; il dit : « Je suis attristé dans le cours de mes rêveries ; je suis attristé à la voix de mon ennemi et par la tribulation du pécheur ; car, ajoute-t-il, ils m’ont chargé d’iniquités, et dans leur fureur ils me devinrent insupportables, » ce qui peut se rapporter aux princes des fils de la circoncision qui se sont efforcés de le circonvenir dans des dispositions hostiles et perverses ; ou encore cela peut s’entendre des puissances invisibles qui le combattaient au dehors et qui préparèrent le déicide par le moyen des hommes. Aussi, ces paroles semblent concorder avec ce qui est rapporté du Christ dans l’Evangile, au temps de sa passion, lorsqu’il dit à ses disciples : « Mon âme est triste jusqu’à la mort (Marc., XIV, 34). Demeurez ici et veillez avec moi ; » et encore : « Maintenant mon âme est troublée » (Jean, XII, 27). Or, ces paroles sont semblables à celles-ci du psaume : « Mon cœur s’est troublé au dedans de moi, et les frayeurs de la mort m’ont accablé. La crainte et la terreur m’ont assailli, et les ténèbres m’ont environné. » C’est ainsi qu’il désigne les assauts que lui livrèrent les puissances opposées. De même donc qu’il est parlé dans les prophéties d’un esprit de fornication, suivant ces paroles : « Ils ont été égarés par l’esprit de fornication (Osée, IV, 12), et d’un esprit d’erreur dans le désert. » Ainsi il y a un esprit qui inspire la terreur de la mort, comme aussi un esprit qui produit la force, la puissance et l’intrépidité selon Dieu. De même il faut reconnaître un esprit de crainte et de frémissement, et encore un esprit de crainte et de confusion. Ces esprits, pour ainsi dire, ont coutume de s’élever contre ceux qui s’offrent à la mort pour rendre témoignage à la religion, et ils luttèrent avec bien plus de fureur contre celui qui souffrait la mort pour tous. Toutefois, que ce soit un esprit de frayeur et de mort, ou de crainte et de tremblement, ou quelque autre puissance qui l’ait assailli, cependant le Christ ne fut pas abattu, puisque, semblable à un généreux athlète, après avoir terrassé la crainte de la mort par l’espoir de la vie, lui-même étant la vie, il éloigna la mort. De même il repoussa l’esprit de crainte et de frémissement qui l’avait assailli, par l’esprit de confiance, de puissance et de force. En effet, suivant Isaïe, entre autres esprits, l’esprit de conseil et de force s’est reposé sur lui. Ainsi il a chassé l’esprit de ténèbres par la puissance de sa lumière propre, parce que « la lumière luit dans les ténèbres (Jean, I, 5), et les ténèbres ne l’ont pas comprise. » Telles sont les paroles du vingt et unième psaume, où le psalmiste lui fait dire : « Un grand nombre de jeunes taureaux m’ont environné (Ps., XXI, 13) ; des taureaux gras m’ont assiégé. Ils ont ouvert leur gueule comme le lion qui ravit et qui rugit. » Et : « Une multitude de chiens m’ont entouré (Ibid., 17). Le conseil des méchants m’a assiégé » (Ibid., 21). Plus bas « Arrachez mon âme au glaive, et délivrez mon unique de la puissance du chien ; sauvez-moi de la gueule du lion, et protégez ma faiblesse contre les cornes des licornes. » Evidemment ici il appelle jeunes taureaux, lions, chiens, licornes les puissances mauvaises qui l’assaillirent et l’enveloppèrent au temps de sa passion, et cependant ne purent rien contre lui. Voilà quel est le sens de ces passages, si on les rapporte à notre Sauveur et Seigneur ; mais si vous les attribuez à un autre, vous aurez à établir vous-même comment ces circonstances s’accordent entre elles. Cependant après la prédiction sur ceux qui devaient l’assaillir, le Christ parle ainsi de la métropole des Juifs, de Jérusalem elle-même : « J’ai vu la violence et la discorde dans la ville. » Et ce qui suit. Mais ce n’est pas le temps d’en expliquer le sens.