1.[1] La quinzième année du règne d’Amasias, la royauté sur les Israélites à Samarie échut à Jéroboam, fils de Joas, dont le règne se prolongea pendant quarante ans[2]. Ce roi devint très outrageant et impie envers Dieu, car il adora des idoles, s’adonna à quantité de pratiques absurdes et étrangères, et, pour le peuple des Israélites, fut cause d’innombrables malheurs[3]. Un certain Jonas lui prophétisa qu’il devait faire la guerre aux Syriens, triompher de leur puissance et étendre son propre royaume, du côté du nord jusqu’à la ville d’Amath, et du côté du midi jusqu’au lac Asphaltite : c’étaient là, en effet, autrefois, les limites de la Chananée, ainsi que les avait circonscrites le général Josué. Jéroboam partit donc en campagne contre les Syriens et soumit tout leur pays, comme l’avait prophétisé Jonas.
[1] II Rois, XIV, 23.
[2] Hébreu : 41.
[3] Les mss. MSP portent xαxών, qui va mieux avec le contexte ; cependant, άγαθών (mss. RO) paraît justifié par le verset 23 : « Il rétablit la frontière d’Israël..., accomplissant la parole de l’Éternel... annoncée par Jonas. »
2.[4] J’ai jugé nécessaire, ayant promis de donner une relation exacte des faits, de rapporter également tout ce que j’ai trouvé consigné, touchant ce prophète, dans les Livres hébraïques. Ayant reçu de Dieu l’ordre de partir pour le royaume de Ninos et d’y proclamer, à son arrivée dans la ville, qu’elle perdrait son empire[5], il prit peur et, au lieu de s’y rendre, s’enfuit de la présence de Dieu dans la ville de Jopé ; là, avant trouvé un navire, il s’y embarqua et fit voile vers Tarse[6], en Cilicie. Cependant, une tempête des plus violentes s’éleva et le bateau menaçait de sombrer : les matelots, le pilote et l’armateur lui-même se répandaient en prières, promettant leur reconnaissance s’ils échappaient à la mer. Quant à Jonas, il s’était enveloppé dans son manteau et jeté sur le plancher, n’imitant en rien ce qu’il voyait faire aux autres. Comme la bourrasque ne faisait que croître et que la mer se soulevait sous l’action des vents, supposant, comme de juste, qu’un homme de l’équipage leur valait cette tempête, ils convinrent de demander au sort de désigner le coupable. Le sort, interrogé, désigna le prophète. Ils s’informèrent qui il était et quel était l’objet de son voyage ; il répondit qu’il était de race hébraïque et prophète du Dieu suprême[7]. Il leur conseillait donc, s’ils voulaient échapper au danger présent, de le jeter à la mer, car c’était lui qui leur valait cette tempête[8]. Tout d’abord, ils n’osèrent pas, estimant impie de précipiter un étranger, qui leur avait confié sa vie, vers une perte aussi manifeste. Mais, à la fin, comme la tourmente s’exaspérait et que le navire était tout près de couler, encouragés à la fois par le prophète lui-même et par leur crainte pour leur propre salut, ils le jettent à la mer. Aussitôt la tempête s’apaise. Quant à Jonas, on dit que, avalé par le monstre marin[9], il fut, après trois jours et autant de nuits, rejeté dans le Pont-Euxin[10], vivant et sans que son corps eût souffert le moindre dommage. Là, il supplia Dieu de lui accorder le pardon de ses fautes et il partit pour la ville de Ninos. Il s’y arrête dans un endroit d’où l’on pouvait l’entendre et annonce que, dans très peu de temps, les habitants perdront l’empire de l’Asie. Après cette révélation, il s’en retourna. J’ai raconté son histoire telle que je l’ai trouvée consignée[11].
[4] Jonas, I, 1.
[5] Josèphe écrit Νίνου βασιλεία et plus loin Νίνου πόλις au lieu de Νινευή des Septante.
[6] Hébreu : Tarsis ; Sept. : Θάρσις (c’est-à-dire probablement Tartessos en Espagne).
[7] Hébreu : « Je crains Dieu » ; LXX : δοΰλος Κυρίου.
[8] Josèphe omet le renseignement (Jonas, I, 10) que Jonas les avait informés de la raison pour laquelle il avait fui la présence de Dieu.
[9] Κήτος comme les LXX.
[10] La Bible ne désigne aucune mer et dit, avec plus de sens, que le monstre vomit le prophète sur la terre ferme.
[11] Josèphe ne dit rien de la repentance des Ninivites, du pardon que Dieu leur accorde et de l’anecdote du ricin (Jonas, III, 5 – IV, 11).
3.[12] Le roi Jéroboam mourut après avoir vécu en pleine prospérité et gouverné quarante ans. On l’ensevelit à Samarie, et son fils Zacharie lui succéda sur le trône. De même, Ozias[13], fils d’Amasias, dans la quatorzième année du règne de Jéroboam, devint roi des deux tribus à Jérusalem[14] ; sa mère, nommée Achiala[15], était d’une famille de la capitale. Il était honnête et juste, de caractère magnanime et très habile à prévoir les événements. Il fit campagne contre les Philistins[16], les vainquit et leur prit de vive force les villes de Gitta et de Jamnia[17], dont il démantela les murs. Après cette expédition, il marcha contre les Arabes voisins de l’Égypte, fonda une ville sur la mer Érythrée et y plaça une garnison[18]. Ensuite, il défit les Ammanites, à qui il imposa un tribut, et, ayant réduit en son pouvoir toute la région qui s’étend jusqu’à la frontière d’Égypte, il passa le reste de sa vie à s’occuper de Jérusalem. Toutes les parties des remparts qui s’étaient écroulées par vétusté ou à cause de la négligence des rois ses prédécesseurs, il les releva et les répara, ainsi que ce qui avait été jeté bas par le roi des Israélites lorsqu’il entra dans la ville après avoir fait prisonnier son père Amasias. Il éleva, en outre, de nombreuses tours hautes de cent cinquante coudées[19]. Il bâtit des postes fortifiés dans le désert et creusa beaucoup d’aqueducs. Il possédait une quantité immense de bêtes de somme et d’autres bestiaux : le pays, en effet, était très propre aux pâturages. Et comme il aimait l’agriculture, il prit grand soin de la terre et y cultiva des plantes de toute espèce de semences. Il avait autour de lui une armée choisie de trois cent soixante-dix mille hommes pourvue de chefs, taxiarques et chiliarques, hommes vaillants et d’une vigueur invincible, au nombre de deux mille[20]. Il partagea en phalanges toute l’armée et les arma en donnant à chacun une épée, en distribuant des cuirasses d’airain, des arcs et des frondes. En outre, il fabriqua beaucoup de machines de siège, balistes et catapultes, crocs[21], grappins et autres du même genre.
[12] II Rois, XIV, 29.
[13] Dans les Rois, il porte le nom d’Azarias, qui, dans la Chronique, est celui du grand-prêtre.
[14] II Rois, XV, 1 ; II Chroniques, XXVI, 1.
[15] Hébreu : Jécoliabou (Rois), Jecolia (Chroniques), LXX : Ίεχελία.
[16] Chroniques, XXVI, 6.
[17] La Bible ajoute Asdod.
[18] Il s’agit d’Elath (Chroniques, XXVI, 2).
[19] Ce chiffre n’est pas dans la Bible.
[20] Bible (v. 12-13) : 2.600 chefs, 307.500 hommes.
[21] La mention des crocs (άρτήρας) ne se trouve que dans les mss. S et P.
4.[22] Tandis qu’il était occupé à ces arrangements et préparatifs, il perdit la raison dans les fumées de l’orgueil : gonflé de cette prospérité périssable, il fit bon marché de la puissance immortelle et capable de durer toujours, — je veux dire la piété envers Dieu et l’observance des lois. C’est ainsi qu’il fut perdu par ses succès et retomba aux fautes de son père, où le précipitèrent à son tour l’éclat de sa fortune et la grandeur de ses biens, qu’il ne sut pas diriger sagement. Lors d’un jour de fête important, qui comportait une réunion de tout le peuple, il se revêtit du vêtement pontifical et pénétra dans le sanctuaire pour offrir de l’encens à Dieu sur l’autel d’or. Comme le grand-prêtre Azarias, assisté de quatre-vingts prêtres, voulut l’en empêcher, — car il n’était pas permis au roi, disaient-ils, d’offrir sur l’autel, et seuls en avaient le droit ceux de la famille d’Aaron, — et qu’ils lui criaient de sortir sans pécher envers Dieu, dans sa fureur il les menaça de mort, s’ils ne se tenaient tranquilles. Mais, à ce moment, une forte secousse ébranla la terre, et le Temple s’étant entrouvert, la lumière éclatante du soleil en jaillit et tomba sur la face du roi[23], de sorte qu’aussitôt la lèpre l’envahit et, devant la ville, près de l’endroit appelé Erogé[24], la moitié de la montagne d’Occident fut arrachée et, après avoir roulé quatre stades, s’arrêta vers le mont d’Orient, de façon à obstruer les voies d’accès et les jardins du roi[25]. Lorsque les prêtres virent le visage du roi envahi par la lèpre, ils lui annoncèrent son malheur et l’invitèrent à sortir de la ville comme impur. Et lui, dans la honte de l’affreux événement et dans l’impossibilité désormais de se mouvoir librement, obéit à leur injonction : tel fut le misérable et pitoyable châtiment qu’il eut à subir pour des prétentions trop au-dessus de la condition humaine et les impiétés où elles l’entraînèrent à l’égard de Dieu. Il demeura nu certain temps en dehors de la ville[26], menant une vie de simple particulier ; son fils Jotham le remplaçait au pouvoir. Enfin, il mourut du chagrin et du découragement causés par son malheur, après avoir vécu soixante-huit ans, dont il régna cinquante-deux. Il fut enseveli seul dans ses propres jardins[27].
[22] Chroniques, XXVI, 16.
[23] Ces détails (tremblement de terre, fusée lumineuse, éboulement) ne sont pas dans la Bible, mais le tremblement de terre au temps d’Ozias est mentionné dans Amos, I, 1, et Zacharie, XIV, 5 ; il y avait donc sur ces événements une tradition midraschique. Le jaillissement de la lumière du soleil a peut-être été suggéré par l’emploi dans l’hébreu du mot qui s’applique plutôt au soleil.
[24] Localité inconnue et texte douteux. Les Exc. Peirosc. ont άπορρωγή, mot inconnu, mais qui pourrait signifier « la Fracture ». Hamaker propose xρήνη ‘Ρωγήλ « la source Roghel ».
[25] Cf. Zacharie, XIV, 4-5 : le mont d’Orient est le mont des Oliviers.
[26] La Bible dit : « dans son palais ».
[27] Les Rois (XV, 7) disent, au contraire, qu’il fut enseveli auprès de ses pères. La Chronique (II Chron., XXVI, 23) semble avoir amalgamé deux versions contradictoires : « ... il fut enterré avec ses pères, dans le champ de la sépulture des rois, car on disait qu’il était lépreux, etc. ... » ; ces derniers mots semblent indiquer une sépulture à part, et c’est cette version que parait suivre Josèphe.