Préparation évangélique

LIVRE VIII

CHAPITRE IX
HYPOTYPOSE DU GRAND-PRÊTRE ÉLÉAZAR, DU SENS CACHÉ DANS LES SAINTES LOIS TIRÉ DU LIVRE D’ARISTÉE

« Il est convenable de rappeler en peu de mots les explications qu’il donnait en réponse aux questions que nous lui adressâmes.

« Aux yeux d’un grand nombre de personnes, il y a dans votre législation des détails minutieux. Je veux parler de ce qui a rapport aux aliments, aux boissons, aux animaux réputés immondes. Nous lui fîmes cette demande : comment la création étant la même pour tous, peut-on dire qu’il y a des viandes impures, et que d’autres impuretés se contractent par le toucher. La plus grande partie de ces lois ayant un caractère de superstition, on conviendra que celles-ci l’emportent sur les autres à cet égard. En réponse à cette objection, le grand-prêtre débuta en ces termes : il faut, dit-il, bien faire attention à l’importance dont est pour nous le choix de nos relations et de nos sociétés, au moyen de quoi ceux qui fréquentent les hommes pervers, prennent des habitudes coupables et deviennent malheureux pendant toute leur vie. Si au contraire, ils vivent au milieu d’hommes sages et de bonnes mœurs, en se purifiant, ils adoptent une vie de correction et de redressement. Ayant donc fait la distinction des actes de piété de ceux de justice, notre législateur nous a enseigné tout ce qui est relatif à l’une et à l’autre, non seulement par les prohibitions, mais par les faits, nous montrant les malheurs et les châtiments envoyés directement par Dieu aux hommes coupables ; car avant tout il nous a fait voir qu’il n’y a qu’un Dieu, que sa puissance se manifeste en toutes choses, chaque portion de l’univers recevant l’influence de sa domination, et rien de ce qui est le plus caché parmi les hommes n’échappant à sa pénétration, découvrant clairement dans les précédents de la conduite de chacun les conséquences qui doivent en résulter. Ayant exactement classé toutes ces vérités et les ayant mises dans tout leur jour, il a développé dans tout le cours de sa législation la puissance de Dieu, qui est telle que, si quelqu’un méditait une action criminelle, il n’échapperait pas à sa pénétration, à plus forte raison s’il l’exécutait. Ayant donc commencé par ‘ cet exorde, et montré que tous les hommes, excepté nous, admettent la pluralité des dieux, qu’ils adorent d’une manière idolâtre ; les hommes élevée en dignité et armés de pouvoir, leur ayant érigé des statues de pierre ou de bots qui en rappellent les traits ; ils disent que ce sont les images des inventeurs de découvertes utiles à l’humanité, et ils les adorent malgré l’extravagance flagrante de cette conduite. Si en effet, c’est à cause de leurs découvertes qu’on leur a élevé ces statues, rien n’est plus insensé. Ce n’est qu’en prenant dans l’ensemble des choses Créées, qu’ils ont pu, au moyen des dispositions qu’ils ont su leur donner, en amener quelques-unes à être d’une plus grande utilité ; mais ils n’ont rien produit d’eux-mêmes. C’est donc une folie et une absence de raison que l’apothéose de pareils hommes. Aujourd’hui même on trouve des hommes et plus ingénieux et plus savants que ceux des temps anciens et en grand nombre, sans qu’on s’empresse de fléchir le genou devant eux. Or, ceux qui ont établi ce culte et donné naissance à cette mythologie, passent pour être les plus sages des Grecs. Que dire des autres idolâtries en grand nombre, celle des Égyptiens et autres semblables, qui mettent toute leur confiance dans les animaux elles reptiles, qui les adorent, leur immolent des victimes, de leur vivant et après leur mort ? Notre législateur ayant donc sagement considéré cet état de choses, et ayant été instruit par Dieu lui-même dans la science universelle, nous a circonscrits par des barrières infranchissables et des murs de fer, pour ne nous mêler avec aucune de ces nations ; restant purs quant à l’âme et quant au corps, exempts de toutes les opinions d’idolâtrie, n’adorant qu’un seul Dieu dont la puissance l’emporte sur celle de toutes les créatures, en sorte que les chefs des Égyptiens appliqués à la contemplation des choses saintes, et ayant eu de nombreux rapports d’affaires avec nous, nous ont surnommés les hommes de Dieu. Ce qui, à moins qu’ils n’adorent le Dieu de vérité, n’est pas accordé aux autres hommes qui ne sont occupés que de bonne chère, de boisson et des commodités de la vie : or, toutes leurs facultés intellectuelles se dissipent en de pareils soins. Chez nous, au contraire, ces mêmes choses sont comptées pour rien, et la pensée du règne de Dieu est la méditation de notre vie entière. Afin donc de ne nous mêler avec aucun de ces peuples, de ne point contracter d’habitudes avec des hommes vicieux, empruntant d’eux leurs égarements, il nous a entourés de tous côtés d’actes purificatoires contenus dans ses lois, pour les aliments, les boissons, le toucher, l’audition et la vue. Dans l’ensemble et sous le rapport physique, il a placé dans un ordre d’égalité toutes les créatures, sous l’influence d’une même puissance directrice, d’admission ou de rejet et cependant une raison profonde règle, une à une, chaque espèce de nourriture dont nous nous abstenons, ou dont nous faisons usage. En parcourant un ou deux exemples je vais vous en donner la preuve,

« N’allez pas entrer dans cette abjecte opinion que c’est par un intérêt minutieux pour les souris et les belettes que Moïse a réglé ce qui les concerne dans ses lois ; tout cela n’a été établi que dans une intention de pureté et de règlement de mœurs, pour la justice et la sanctification. Tous ceux des oiseaux dont il nous a laissé l’usage se distinguent par leur douceur et par leur propreté : ce sont les pigeons, les tourterelles, les gelinottes, les perdrix, les oies et autres semblables. Quant à ceux qui nous sont interdits, vous n’y trouverez que des oiseaux sauvages, carnassiers, abusant de la supériorité de leurs forces relativement à ceux dont nous avons célébré la douceur, pour se nourrira leurs dépens et contre toute justice. Ce n’est pas tout : ils enlèvent même les agneaux et les chevreaux et déclarent la guerre aux hommes vivants et morts. En les déclarant impurs, il a voulu donner à ceux auxquels il destinait ses lois, un signe de reconnaissance relativement à leur âme, pour qu’ils fussent agréables dans les rapports sociaux, ne se fondant pas sur leur force pour opprimer les faibles ou pour les dépouiller, mais se réglant d’après les exemples de la plus grande justice comme les oiseaux paisibles que nous avons montres, qui ne se nourrissent que des légumes que la terre fait éclore, qui jamais n’abusent de leur force pour tuer ceux qui leur sont inférieurs ou semblables. Par ce moyen, le législateur a signalé aux hommes doués d’intelligence le devoir d’être justes, de ne rien exécuter par violence, de ne pas se fier à la supériorité de leurs forces pour en opprimer les autres. Lorsqu’en effet il ne permet pas même de toucher à ces animaux à cause de leur caractère particulier, comment ne doit-on pas, à plus forte raison, se mettre en garde contre des habitudes pareilles aux leurs, pour ne pas s’y adonner ?

« Il explique par des métaphores semblables à celle que nous venons de citer pour les oiseaux, l’autorisation de se nourrir de certains quadrupèdes. La fissure de la corne des pieds est un signe que nous devons dans toutes nos actions séparer le bien du mal : la force des corps entiers qui se développe dans l’action ayant son point d’appui dans les épaules et les jambes. Ordonner de tout faire avec division, ce qui est figuré par ces animaux, c’est nous forcer à la justice. C’est aussi l’indice que nous devons vivre dans la séquestration des autres hommes, qui, la plupart, se corrompent par le contact, accomplissant en commun de grandes iniquités. Des contrées et des états entiers s’en font honneur, lorsqu’ils permettent que les hommes se souillent par un honteux commerce entre eux, que les fils vivent avec leurs mères, les pères avec leurs filles : nous devons adopter le plus grand éloignement d’une semblable conduite. La première figure est celle que nous venons de dire, la séparation ; ensuite il a caractérisé par les mêmes, le signe de la mémoire ; en effet, tout animal ayant le pied fendu est en même temps ruminant, ce qui, pour les esprits pénétrants, signifie clairement la mémoire.

« La rumination n’est autre chose que la renaissance de la vie et de la complexion ; car la cohésion des parties de l’animal ne s’opère que par la nourriture, aussi cela nous est-il recommandé dans l’Écriture. « Vous rappellerez le Seigneur dans votre mémoire, parce qu’il a fait en vous de grandes et d’admirables choses. » Elles vous paraîtront glorieuses, en effet, si vous y appliquez votre attention : premièrement, la charpente du corps, puis, la distribution de la nourriture et son partage entre chaque membre ; bien plus que cela, la répartition des sens, l’énergie de la pensée, son mouvement invisible et sa promptitude d’exécution pour tout ce qui est à faire, l’invention des arts : tout cela forme un cercle de méditations plein d’attraits. Tel est le motif de l’ordre qui nous est donné de repasser dans notre mémoire toutes ces choses qui ne se maintiennent dans leur ensemble que par la puissance divine ; le législateur a déterminé toutes les places et tous les moments, pour que nous méditions sans cesse sur la puissance de Dieu qui conserve le commencement, le milieu et la fin. Ainsi au commencement de nos repas il nous ordonne d’en remercier Dieu. Dans la forme de nos vêtements, il a encore placé une’ empreinte de reconnaissance ; pareillement dans la construction des villes et des maisons, en nous ordonnant d’inscrire, en fermant les enceintes, devant les grandes et les petites portes, des sentences sacrées qui nous rappellent la mémoire de Dieu. Il veut encore qu’un symbole soit mis comme un bracelet autour de nos mains, pour qu’en travaillant nous sachions clairement que quelque chose que l’on fasse, on doit le faire avec justice, en ayant le souvenir de notre propre structure et par-dessus tout la crainte de Dieu. Il nous ordonne de méditer les arrangements établis par Dieu, en nous couchant, eu nous levant, en nous promenant, non par forme d’acquit, mais d’une manière soutenue, en considérant le mouvement ascensionnel et alternatif de ces deux états, tant lorsque nous cédons au sommeil, que lorsque nous nous en arrachons ; car cette transition de l’un à l’autre a quelque chose de divin et d’incompréhensible.

« Nous avons fait voir l’excellence du précepte relativement à notre séparation des autres peuples et la réminiscence d’après l’application que nous en avons faite et à fissure de la corne et à la rumination des animaux dont nous pouvons nous nourrir ; car ce n’est pas au hasard ni d’après une conception vague de l’esprit que cette loi nous a été donnée ; mais d’après la vérité et comme signé d’un raisonnement droit. Après avoir réglé tout ce qui a rapport aux alimenta, ans boissons, ans objets dont le contact nous est permis, il nous prescrit de ne rien faire ni de ne rien, écouter par désœuvrement, et de ne point faire tourner à l’injustice, l’usage que nous faisons de la faculté de parler. On peut découvrir les mêmes enseignements dans ce qui concerne les animaux immondes : l’instinct de la belette et du rat est en effet malfaisant, aussi bien que celui de tous les animaux semblables dont la chair nous est interdite. Les rats détériorent et gîtent tout ; non pas seulement pour s’en nourrir, mais dans le but de rendre complètement inutile à l’homme tout ce à quoi ils ont porté la dent ; la race des belettes leur est égale pour mal faire : les belettes ont quelque chose de particulier, en outre de ce que nous avons dit, dans leur constitution physique, qui nous révolte, de concevoir par les oreilles et d’engendrer par la bouche. Ce mode de conception est impur aux yeux des hommes ; car tout ce qu’ils ont reçu par l’ouïe, ils lui donnent du corps au moyen du discours, s’ils entraînent les autres dans le désordre, se souillant eux-mêmes par toute espèce d’impiété, île commettent une impureté de la nature la plus fâcheuse : en conséquence, votre roi, d’après ce qu’on nous en a rapporté, a justement fait périr tous ceux qui en agissent ainsi.

« Je crois, lui dis-je, que vous voulez parler des délateurs qu’il poursuit sans relâche en les frappant et les soumettant à des jugements rigoureux » Oui, car rien n’étant plus contraire à la sainteté, que des hommes qui veillent pour le malheur de leurs semblables, notre loi défend de faire du mal à qui que ce soit, par discours ou par action. Je crois avoir en peu de mots développé ce que je m’étais proposé de vous démontrer, que tout dans notre loi est dirigé vers la justice et que rien n’y a été inséré sans réflexion ni à la manière des fables ; mais que dans toute notre vie et dans chacune de nos actions nous pratiquons la justice devant tous les hommes, en ayant présent à la pensée le Dieu qui règne sur nous. Tout ce qui traite des aliments des animaux et des reptiles impurs n’a donc pas d’autre bat que la Justice et de faire régner l’équité dans les relations des hommes entre eux.

« Il me semble qu’Eléazar justifiait parfaitement chacun des préceptes de sa loi. Quant aux veaux, aux béliers et aux chèvres offerts en sacrifice, il disait qu’on ne doit choisir dans les troupeaux que ceux, qui se montrent apprivoisés, qui n’ont rien de sauvage, afin que ceux qui les présentent à l’autel, se rendent le témoignage qu’ils ne sont pas enorgueillie et qu’ils se conforment aux instructions du Dieu, leur législateur ; celui qui offre le sacrifice fait en même temps la consécration entière de toute son âme.

« Je crois avoir recueilli ce qui a été dit dans cette conférence qui fût digne d’être mentionné relativement à la sainteté de la loi que j’ai entrepris de vous faire comprendre, sachant, ô Philocrate, le désir que vous avez de vous instruire. »

Tels sont les discours tenus par le grand-prêtre Éléazar à ceux des Grecs qui furent députés vers lui, par lesquels il leur enseigna la manière dont on doit interpréter la partie allégorique des saintes lois et en discerner le motif.

Aristobule, qui unissait aux traditions nationales les principes de la philosophie d’Aristote, mérite d’être entendu à son tour dans l’exposition qu’il donne des membres qu’on attribue à Dieu. Cet Aristobule est le même dont il est fait mention au commencement du second livre des Macchabées. Ses explications sont tirées d’un écrit adressé au roi Ptolémée :

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