(26 septembre)
Justine était fille d’un prêtre païen d’Antioche. Tous les jours, assise à sa fenêtre, elle entendait lire l’Évangile par le diacre Proclus : et c’est ainsi qu’elle se convertit à la foi chrétienne. Sa mère fit part de la chose à son père, un soir, dans le lit où ils dormaient ensemble. Et quand ils se furent endormis, le Christ leur apparut, entouré d’anges, et leur dit : « Venez à moi, je vous donnerai le royaume des cieux ! » Réveillés, ils se firent baptiser avec leur fille.
Sainte Justine eut beaucoup à souffrir d’un mage nommé Cyprien, qu’elle finit par convertir à la foi du Christ. Ce Cyprien, qui avait été consacré au diable dès l’âge de sept ans, pratiquait les arts magiques, et savait, par exemple, changer les femmes en chevaux. S’étant pris d’amour pour Justine, c’est à la magie qu’il eut recours pour parvenir à la posséder, comme aussi pour la livrer à un certain Acladius, qui était également amoureux de la jeune fille. Il appelle donc le diable, qui, lui apparaissant, lui demande ce qu’il lui veut. Et Cyprien : « J’aime une jeune fille de la secte des Galiléens. Peux-tu faire en sorte que je la possède ? » Et le diable : « Comment ne le pourrais-je pas, moi qui ai pu chasser l’homme du paradis, forcer Caïn à tuer son frère, amener les Juifs à tuer le Christ, et troubler et corrompre l’humanité entière ? Prends cet onguent et enduis-en la porte de sa maison ; et moi, aussitôt, j’allumerai dans son cœur un grand amour pour toi. » La nuit suivante, le démon s’approche de Justine et s’efforce d’exciter son cœur à cet amour criminel. Mais elle, sentant le danger, se recommande pieusement au Seigneur et munit tout son corps du signe de la croix. À ce signe, le diable, épouvanté, s’enfuit et revient près de Cyprien, à qui il avoue son échec. Cyprien le renvoie, et appelle un diable plus puissant. Et celui-ci : « Je sais ton désir, et j’ai vu l’échec de mon compagnon. Mais moi, je ferai mieux que lui, et je réussirai où il a échoué ! » Après quoi il se rend chez Justine et s’efforce d’exciter son âme à l’amour de Cyprien. Mais la sainte, de nouveau, repousse la tentation au moyen d’un signe de croix. Alors Cyprien invoque le prince des diables et lui dit : « Votre pouvoir est-il donc si petit qu’une jeune fille suffise à le vaincre ? » Le diable, piqué au jeu, prend la forme d’une jeune fille, et, s’approchant de Justine, lui dit : « Je viens près de toi pour vivre avec toi dans la chasteté ; mais dis-moi d’abord, je te prie, quelle sera la récompense de nos efforts ! » Et Justine : « La récompense sera grande, et la peine petite ! » Alors le démon : « Mais Dieu n’a-t-il pas dit aux hommes de croître et de multiplier et de remplir la terre ? Je crains, chère amie, qu’en persévérant dans la chasteté nous ne désobéissions à Dieu au lieu de le satisfaire ! » Et Justine, sous l’action du démon, commença à douter, et son cœur s’enflamma de concupiscence, au point que déjà elle voulait se lever pour aller se chercher un amant. Mais bientôt, revenant à elle, et comprenant à qui elle avait affaire, elle se munit du signe de la croix, et le diable s’évanouit sous son souffle, comme une cire qui fond. Il prit alors la forme d’un beau jeune homme, s’approcha d’elle dans le lit où elle était couchée, et voulut se jeter sur elle pour l’embrasser. Mais Justine, devinant le malin esprit, le repoussa d’un signe de croix. Alors le diable, avec la permission de Dieu, l’accabla de fièvre, et répandit la peste dans la ville d’Antioche, et fit proclamer, par des possédés, que toute la ville périrait si Justine ne consentait pas à prendre un mari. Aussitôt la foule se pressa devant la maison des parents de Justine, demandant que la jeune fille fût livrée à un mari pour détourner le fléau. Mais Justine, après avoir résisté pendant sept ans, pria pour eux et la peste disparut.
Voyant enfin l’inutilité de toutes ses ruses, le diable revêtit la forme de Justine, pour salir du moins la réputation de la sainte. Sous cette forme, il vint trouver Cyprien et se jeta dans ses bras. Et Cyprien, ravi de joie, s’écria : « Merci d’être venue, Justine, la plus belle des femmes ! » Mais le diable ne put supporter d’entendre nommer Justine, et aussitôt s’évanouit en fumée. Et Cyprien, se voyant déçu, fut rempli de tristesse. Longtemps il veilla devant la porte de la jeune fille, se transformant tantôt en femme, tantôt en oiseau ; mais, devant la jeune fille, il n’était plus ni femme, ni oiseau, et reprenait aussitôt sa forme naturelle. Et de même Acladius, qui s’était transformé par magie en moineau, et voletait devant la fenêtre de Justine, reprit sa forme première dès que la jeune fille l’aperçut. Et son épouvante fut extrême, car il craignait de se tuer en tombant. Mais Justine eut pitié de lui, et le fit descendre par une échelle, en l’avertissant de renoncer à ses folies, s’il ne voulait pas s’exposer à être condamné comme magicien.
Alors Cyprien invoqua une dernière fois le diable et, lui dit : « Dis-moi, je t’en prie, en quoi réside le pouvoir de cette jeune fille ? » Et le diable : « Je te le dirai, si tu consens à me jurer solennellement que jamais tu ne t’éloigneras de moi. » Et Cyprien : « Je te le jure ! » Alors le diable : « C’est en faisant le signe de la croix que cette jeune fille détruit tout mon pouvoir. » Et Cyprien : « Donc le crucifié a plus de pouvoir que toi ? » Et le diable : « Il a plus de pouvoir que tout le reste du monde, et c’est lui qui livre au feu éternel tous ceux que nous parvenons à séduire. » Alors Cyprien : « Ainsi, je dois, moi aussi, devenir l’ami du crucifié, pour éviter ce châtiment ? » Et le diable : « Tu m’as juré solennellement de ne jamais t’éloigner de moi ! » Mais Cyprien : « Je te méprise avec tout ton vain pouvoir, et je renonce à toi et à tous tes diables, et je me munis du signe de la croix ! » Et aussitôt le diable s’enfuit, tout confus. Alors Cyprien se rendit auprès de l’évêque. Et celui-ci, croyant qu’il venait pour tromper les chrétiens, lui dit : « Que ceux-là te suffisent, Cyprien, qui sont hors de l’Église : contre l’Église, tu n’as pas de pouvoir ! » Mais Cyprien lui raconta ce qui lui était arrivé et lui demanda à être baptisé. Et, depuis lors, il se distingua si éminemment, tant par la science que par la vertu, que, à la mort de l’évêque, il fut lui-même ordonné évêque. Il fit entrer Justine dans un monastère, où elle devint abbesse d’une foule de saintes jeunes filles. Et souvent saint Cyprien écrivait des lettres aux martyrs pour les encourager dans leur lutte. Or le seigneur de la région fit comparaître devant lui Cyprien et Justine, et leur enjoignit de sacrifier aux idoles. Et comme ils persistaient dans la foi du Christ, il les fit plonger dans une chaudière pleine de cire, de poix, et de graisse. Mais ils n’en éprouvèrent aucun mal, et s’y rafraîchirent comme dans un bain d’eau froide. Alors le prêtre des idoles dit à ce préfet : « Laisse-moi me mettre devant la chaudière, et aussitôt je vaincrai tout le pouvoir de ces deux imposteurs ! » Et quand il fut devant la chaudière, il s’écria : « Grand est le Dieu Hercule, et grand Jupiter, le père des dieux ! » Et aussitôt jaillit une flamme qui le consuma. Alors Cyprien et Justine furent extraits de la chaudière et décapités. Leurs corps restèrent pendant sept jours livrés aux chiens ; ils furent ensuite transportés à Rome et reposent aujourd’hui, dit-on, à Plaisance. Leur martyre eut lieu sous Dioclétien, le 6 octobre 280.