« Notre législateur a formé un grand nombre de ses disciples à se réunir en communauté ; ce sont ceux qui se nomment Esséniens : ce nom leur ayant été, ce qu’il me semble, attribué à cause de leur sainteté. Ils sont répandus dans beaucoup de villes de la Judée, beaucoup de bourgs grands et peuplés. Leur manière de se recruter n’est pas par la famille ; la famille n’est pas un mode qui permette l’option ; c’est par le penchant à la vertu et le désir d’être utile à ses semblables.
« On ne voit parmi les Esséniens, ni un enfant en bas âge, ni un adolescent, ni un jeune homme, parce que les caractères de ces âges sont trop inconstants et portés à la nouveauté, n’étant pas encore formée : ce sont des hommes faits, approchant de la vieillesse, qui ne sont plus troublés par l’activité de la circulation, ni par l’entraînement des passions, des hommes enfin qui savent goûter la liberté réelle et sans fiction. Leur manière de vivre est le gage de cette liberté. Aucun d’eux ne possède en propre quoi que ce soit, ni maison, ni esclave, ni champs, ni troupeaux de bétail, ni rien de ce qui compose l’attirail et le superflu de la richesse. Mettant tout en commun, ils profitent en commun des ressources destinées à tous. Ils habitent ensemble, prennent leur repas ensemble à la manière des Thiases (réunions de confréries religieuses) ; et emploient toute leur activité à des travaux utiles pour la communauté. Leurs occupations sont très variées. S’y livrant avec zèle, ils n’admettent point les excuses du froid ou du chaud, ou des variations de l’atmosphère. Rendus au lieu accoutumé de leur travail, avant le lever du soleil, ils le quittent à peine lorsqu’il est couché, non moins joyeux que ceux qui se livrent aux exercices, du Stade. Ils prétendent que l’usage qu’ils : font de leurs facultés est plus utile à la société humaine et plus doux à l’âme que la gymnastique, en ce que c’est d’une durée plus prolongée que les exercices athlétiques, ne décroissant pas avec la vigueur corporelle. Il en est parmi eux qui sont agriculteurs, versés dans Tari de labourer et d’ensemencer la terre. Les autres sont conducteurs de troupeaux, surveillant diverses espèces de bestiaux. On en voit se livrer à l’éducation des abeilles, d’autres sont artisans de métiers différents, pour n’être pas exposés à souffrir la privation de choses nécessaires à la vie, et ne renvoyant pas au lendemain l’exécution de ce qui ne présente pas de motif de retard. Le salaire que chacun d’eux reçoit des travaux variés qu’ils exécutent, est rapporté à un économe choisi par eux, lequel, après avoir reçu ces fonds, s’empresse d’acheter les objets nécessaires pour leur fournir des vivres en abondance et toutes les autres commodités de la vie. Compagnons de chambrée et de table, ils partagent les mêmes goûts. Amants de la frugalité, ils abhorrent le luxe, comme aussi funeste à la santé qu’il est dangereux pour l’âme. La table n’est pas la seule chose commune entre eux, les vêtements le sont aussi, en hiver des manteaux épais, en été des tuniques courtes et à bas prix, en sorte qu’il est permis à chacun de faire choix du vêtement qui lui plait, ce qui est à l’un, appartenant à tous, et réciproquement. En outre, si l’un d’eux tombe malade, il est traité aux dépens de la communauté, recevant les soins de l’art et ceux de l’affection. Les vieillards, encore qu’ils n’aient pas d’enfants, non seulement reçoivent tous les secours que peut attendre le père le plus cher d’une nombreuse famille, et de la famille la plus tendre. Ils terminent leur existence par une vieillesse aussi heureuse que peuvent la procurer les attentions les plus minutieuses, entourés qu’ils sont d’hommages et d’égards, d’autant plus précieux qu’ils ne sont pas dus à la nature, mais au choix libre de ceux qui les leur rendent. Prévoyant avec habileté ce qui pourrait le plus contribuer à la dissolution de cette association, ils en ont banni le mariage avec l’obligation de pratiquer une exacte continence. Aucun Essénien ne prend de femme, parce que la femme est égoïste, envieuse au plus haut degré, habile, à porter le trouble dans les habitudes de son époux, lui tendant continuellement des pièges, et pour le séduire, préparant des discours flatteurs et toute espèce d’artifice connu sur la scène. Elle fascine les yeux et les oreilles dans l’espoir d’égarer l’esprit qui commande, en corrompant les sens qui lui sont soumis. Si elle devient mère, gonflée d’orgueil et d’effronterie, ce qu’elle n’osait entreprendre qu’avec dissimulation auparavant, elle l’exige avec une audace et une arrogance sans pareilles, et fini d’autorité tout ce qui est le plus contraire à la bonne harmonie du ménage, L’époux enlacé par les philtres de sa femme, préoccupé par les soins nécessaires à l’éducation de ses enfants, n’est plus le même pour les autres, mais devient, à son insu, différent de lui-même, esclave au lieu d’homme libre. Leur manière de vivre est donc digne d’envie à ce point, que non seulement, des particuliers, mais même de grands rois, ont été frappés d’admiration en voyant ces hommes, et ont témoigné leur vénération pour eux, en les comblant de louanges et d’estime. »
Je borne ici ce que j’ai emprunté à cet écrit ce qui va suivre est tiré du traité portant pour titre, que tout homme vertueux est libre :