1.[1] Vers ce même temps[2], Démétrius, fils de Séleucus, s’étant enfui de Rome et s'étant emparé de Tripolis de Syrie[3], ceignit le diadème ; puis, à la tête de quelques mercenaires, il pénétra dans le royaume, partout bien reçu par les habitants, qui lui faisaient leur soumission. Ils s'emparèrent même du roi Antiochus et de Lysias et les lui livrèrent vivants. Sur l'ordre de Démétrius, ils furent immédiatement mis à mort. Antiochus avait régné deux ans, comme il a été déjà dit ailleurs[4]. Beaucoup de Juifs renégats et transfuges se rassemblèrent autour de Démétrius, entre autres le grand prêtre Alkimos, et portèrent des accusations contre le peuple entier, Judas et ses frères. Ils prétendaient que ceux-ci avaient tué tous les amis de Démétrius, et que tous ceux qui dans le royaume étaient de son parti et l'attendaient avaient été détruits par eux ; eux-mêmes avaient été chassés de leur patrie, réduits à l'exil ; ils demandaient au roi d'envoyer un de ses amis qui le renseignerait sur tout ce qu'avait osé faire Judas.
[1] I Maccabées, 7, 1-7.
[2] 162/1 av. J.-C. (151 Sél.). Démétrius (I Soter), fils de Séleucus IV Philopator (frère et prédécesseur d'Antiochus Épiphane), était l'héritier légitime du trône des Séleucides. Il était retenu en otage à Rome.
[3] I Macchabées indique simplement « une ville maritime » ; en revanche II Maccabées, 14, 1, nomme Tripolis.
[4] Cela n'a été dit nulle part.
2.[5] Démétrius irrité envoya Bacchidès, ami du roi Antiochus Épiphane, homme de mérite[6], qui avait le gouvernement de toute la Mésopotamie ; il lui donna une armée, lui confia le grand-prêtre Alkimos, et lui ordonna de tuer Judas et les siens. Bacchidès quitta Antioche avec ses troupes, et, arrivé en Judée, envoya à Judas et à ses frères un messager porteur de paroles de paix et d'amitié, car il voulait s'emparer de lui par la ruse. Mais Judas se méfia : il voyait, en effet, que Bacchidès était venu avec une armée comme on en amène pour faire la guerre et non la paix. Cependant quelques-uns du peuple, ajoutant foi aux promesses qu'avait fait proclamer par héraut Bacchidès et pensant qu'ils n'avaient rien à redouter de la part d'Alkimos leur compatriote, se rendirent auprès d'eux, et après avoir reçu de tous les deux le serment qu'ils n'auraient aucun mal, ni eux-mêmes, ni ceux qui étaient du même parti, firent leur soumission. Mais Bacchidès, sans se soucier de son serment, fit mettre à mort soixante d'entre eux et détourna par ce manque de parole à l'égard des premiers tous ceux qui avaient l'intention de se rallier à lui. Puis, après s’être éloigné de Jérusalem et établi au bourg appelé Bethzetho[7], il envoya chercher et arrêta plusieurs transfuges et quelques uns du peuple, les tua tous, et ordonna à tous les habitants de la région d'obéir à Alkimos ; après cela, laissant à celui-ci quelques troupes pour assurer sa domination sur le pays, il retourna à Antioche auprès du roi Démétrius.
[5] I Maccabées, 7, 8-20.
[6] Ni cet éloge inattendu de Bacchidès (ἄνδρα χρηστόν) ni le détail qu'il était un ami d'Épiphane ne se lisent dans I Maccabées.
[7] Βηζέθ dans I Maccabées. Cette localité pourrait être la même que celle qui est plusieurs fois nommée dans la Guerre (II et V) sous le nom de Βεζεθά et qui était un faubourg de Jérusalem. Voir cependant Schlatter, Zeitschrift des deutschen Palästina Vereins, XIX, 225.
3.[8] Alkimos, voulant consolider son pouvoir et comprenant qu'en gagnant la bienveillance du peuple il gouvernerait avec plus de sécurité, s'efforçait de rallier tout le monde à sa cause par d'habiles discours, propres à flatter et à plaire. Bientôt il eut autour de lui une troupe nombreuse de partisans et une armée considérable ; mais elle était surtout composée de Juifs renégats et transfuges, à la fois ses serviteurs et ses soldats, à la tête desquels il parcourait la contrée en tuant tous les partisans de Judas qu'il rencontrait. Judas, voyant qu'Alkimos devenait puissant et avait mis à mort nombre d'honnêtes et pieux citoyens, se mit lui-même en campagne, tuant les partisans d'Alkimos. Alkimos sentait qu'il ne pourrait pas résister à Judas, auquel il était inférieur en force ; il résolut de faire appel à l'alliance de Démétrius. Il se rendit donc à Antioche, et là il excita le roi contre Judas, qu'il accusait de lui avoir déjà fait beaucoup de mal ; il lui en ferait, disait-il, encore davantage si l'on ne prenait les devants en envoyant une forte armée pour le châtier.
[8] I Maccabées, 7, 21-25.
4.[9] Démétrius, jugeant qu'il y aurait danger pour ses propres intérêts à laisser Judas devenir aussi puissant, envoya Nicanor, le plus dévoué et le plus fidèle de ses amis (celui-là même qui s'était enfui avec lui de Rome), et lui confia les forces qu'il pensait devoir suffire contre Judas ; il lui ordonna de n'avoir pour le peuple aucun ménagement. Nicanor, arrivé à Jérusalem, résolut de ne pas attaquer Judas tout de suite ; dans l'intention de s'emparer de lui par ruse, il lui envoya des assurances pacifiques, déclarant qu'il ne voyait pas la nécessité d'en venir aux mains et de s'exposer au péril, et qu'il était prêt à lui garantir par serment qu'il n'avait rien à craindre il n'était venu avec des amis que pour faire connaître les dispositions du roi Démétrius à l'égard de la race juive. Tel fut le message de Nicanor ; Judas et ses frères le crurent, et, sans soupçonner aucune trahison, lui donnèrent des sûretés et le reçurent avec ses troupes. Nicanor embrassa Judas et, tout en causant avec lui, donna à sa suite un signal convenu pour s'emparer de la personne de Judas. Mais l'autre comprit le guet-apens, s'élança dehors et s'enfuit auprès des siens. Nicanor, voyant son intention et sa ruse découvertes, résolut d'attaquer Judas ; celui-ci ramassa son armée, se prépara au combat, l'attaqua près du bourg de Kapharsalama[10], le battit et le contraignit à se réfugier dans la citadelle de Jérusalem[11].
[9] I Maccabées, 7, 26-32.
[10] Site inconnu. Peut-être Carvasalim près de Ramleh, mentionnée au XIe siècle.
[11] Le texte des mss. de Josèphe attribue la victoire à Nicanor, qui force Judas a se réfugier dans la citadelle. Mais ce texte est à la fois en contradiction avec I Maccabées et absurde, car la citadelle était encore aux mains des Syriens. Plusieurs corrections ont été proposées ; nous suivons la leçon de Naber.
5.[12] Un jour qu'il descendait de la citadelle pour aller au Temple, quelques-uns des prêtres et des anciens rencontrèrent Nicanor, le saluèrent et lui montrèrent les sacrifices qu'ils allaient, disaient-ils, offrir à Dieu pour le roi. Nicanor leur répondit par des blasphèmes et les menaça, si le peuple ne lui livrait Judas, de raser le Temple à son retour. Sur ces menaces, il quitta Jérusalem, et les prêtres, affligés par ses paroles, se mirent à verser des larmes et supplièrent Dieu de les arracher aux mains des ennemis. Nicanor, une fois sorti de Jérusalem, s'établit auprès du bourg de Béthoron[13], et y campa. pour attendre une autre armée qui lui arrivait de Syrie. Judas, qui avait environ mille[14] soldats en tout, s'en fût camper à Adasa[15], autre bourg, distant de 30 stades de Béthoron. Il exhorta les siens à ne pas se laisser effrayer par la multitude de leurs adversaires, à ne point calculer contre combien d'hommes ils allaient combattre, mais bien qui ils étaient et pour quelle noble cause ils risquaient leur vie, puis à marcher courageusement contre l'ennemi ; cela dit, il les mena au combat. Il attaqua Nicanor ; le combat fut violent, mais Judas eut le dessus, tua à l'ennemi beaucoup de monde ; finalement Nicanor lui-même tomba après s'être vaillamment battu. Lui mort, son armée ne résista même plus ; les soldats, ayant perdu leur général, s'enfuirent en jetant leurs armes. Judas les poursuivit, les massacra, et fit annoncer au son de la trompette dans tous les bourgs environnants sa victoire sur l'ennemi. Les habitants à cette nouvelle sortirent en armes, se portèrent au devant des fugitifs et les tuèrent un à un, en sorte qu'il n'échappa de ce combat pas un seul des neuf mille hommes de l'armée. Cette victoire fut remportée le treizième jour du mois appelé chez les Juifs Adar et chez les Macédoniens Dystros[16]. Chaque année on la célèbre dans ce même mois et l'anniversaire est regardé comme une fête[17]. Ce fut le commencement d'une courte période, pendant laquelle le peuple juif fut épargné par la guerre et put jouir de la paix ; puis il fut entraîné dans de nouvelles luttes et de nouveaux périls.
[12] I Maccabées, 7, 33-50.
[13] Cf. VII, 1.
[14] 3.000 selon Maccabées, 7, 40.
[15] Au N.-E. de Beth-horon, près de Gophna (Eusèbe, Onomasticon, p. 220, Lagarde). La distance entre Adasa et Beth-horon n'est pas indiquée par Maccabées.
[16] Mars 161 av. J.-C.
[17] Le « jour de Nicanor » est également mentionné par II Maccabées, 15, 36, et par Magillath Taanith, § 30.
6.[18] Le grand-prêtre Alkimos ayant voulu jeter bas le mur du sanctuaire, qui était vieux et bâti par les anciens prophètes, Dieu le frappa subitement : il fut terrassé, perdit la parole, et après plusieurs jours de souffrances ininterrompues, il mourut, ayant été grand-prêtre quatre ans[19]. Après sa mort, le peuple donna la grande-prêtrise à Judas. Celui-ci, ayant appris la puissance des Romains, leurs conquêtes de la Gaule[20], de l'Ibérie, de Carthage en Libye, et de plus leurs victoires sur la Grèce, et sur les rois Persée, Philippe et Antiochus le Grand, résolut de faire amitié avec eux. Il envoya donc à Rome ses amis Eupolémos, fils de Jean, et Jason, fils d'Eléazar, et les chargea de demander aux Romains de s’allier aux Juifs et d’écrire à Démétrius de ne pas leur faire la guerre. Les ambassadeurs de Judas, arrivés à Rome, furent reçus par le Sénat qui, lorsqu'il connut le but de leur mission, consentit à l'alliance. Il fit un décret à ce sujet, en envoya une copie en Judée, et plaça l'original au Capitole, gravé sur des tables d'airain[21]. Il était conçu en ces termes : « Décret du Sénat au sujet de l'alliance et de l'amitié avec le peuple des Juifs. Aucun des sujets de Rome ne fera la guerre au peuple juif et ne fournira à ses ennemis des vivres, des navires ou de l'argent[22]. Si quelqu'un attaque les Juifs, les Romains leur porteront secours dans la mesure de leurs moyens, et, par contre, si quelqu'un attaque le territoire des Romains, les Juifs combattront avec eux. Si le peuple juif veut ajouter ou retrancher quelque clause à ce traité d'alliance, ce ne sera que d'un commun accord avec le peuple romain, et toute addition nouvelle fera autorité. » Ce décret fut rédigé par Eupolémos, fils de Jean, et Jason, fils d'Eléazar, Judas étant grand-prêtre de la nation, et Simon, son frère, général[23]. Tel fut le premier traité d'alliance et d'amitié entre les Romains et les Juifs.
[18] I Maccabées, 8.
[19] Cet événement est placé par I Maccabées (9, 54-56) sous le gouvernement du Jonathan et naturellement il n'y est pas question de l'élévation de Judas au pontificat. Josèphe affirmera de nouveau ce dernier détail, mais il se contredit, Ant., XX, 10, où il déclare qu'après la mort d'Alkimos, la grande-prêtrise vaqua pendant 7 ans. Josèphe a dû avoir sous les yeux un exemplaire de I Maccabées falsifié dans un intérêt hasmonéen. Le mur du sanctuaire que veut abattre Alkimos est probablement le mur d'enceinte qui séparait la cour accessible aux païens du vestibule intérieur, réservé aux Israélites. Cf. Schürer, I3, p.225, note 6.
[20] τὴν Γαλατίαν ; I Maccabées τοῖς Γαλάταις. S'agit-il des Gaulois (d'Italie ou de Provence) ou de la Galatie d'Asie Mineure ? La mention de la conquête de la Grèce (empruntée à I Maccabées) est un anachronisme ; celle de Carthage ne se trouve que chez Josèphe.
[21] Josèphe rectifie ici Maccabées d'après lequel c'est l'original sur bronze qui est envoyé à Jérusalem.
[22] Ici encore Josèphe améliore le texte très obscur de Maccabées. De même à la fin de la citation.
[23] Cette phrase (fait-elle encore partie du décret ?) manque dans I Maccabées. Elle est d'ailleurs absurde. Willrich en a conclu que le traité avait été signé sous Juda Aristobule (Judaica, p. 71).