L’autorité de David ne fut d’abord reconnue que par la tribu de Juda, à laquelle il appartenait ; les autres tribus continuèrent de tenir pour la famille rejetée de Dieu, et, malgré le meurtre d’Isbosceth, fils de Saül, elles persistèrent plusieurs années encore dans cette fidélité déplacée. Ce ne fut qu’après son règne partiel de sept ans et demi à Hébron, que David vit enfin tout le peuple venir à lui, ainsi que cela nous est rapporté dans les premiers versets de 2 Sam. ch. 5. Voyez avec quel soin la Bible raconte tout ce qu’elle raconte ! Voyez combien le principe théocratique est soigneusement sauvegardé ! Le peuple commence par dire à David : « L’Éternel t’a dit : Tu gouverneras mon peuple d’Israël ! » et ce n’est qu’après cette déclaration de principes, que David, avant de recevoir l’onction sainte, fait alliance, en présence de l’Éternel, avec le peuple représenté par ses anciensa. Alors commença ce règne puissant pendant lequel le fils d’Isaïe réussit, non seulement à rendre son peuple entièrement indépendant des nations qui jusqu’alors l’avaient si fort opprimé, mais encore à étendre son empire jusqu’aux rives de l’Euphrate, et à se soumettre des peuples étrangers (Psaumes 18.44 et sq.), de telle sorte que David peut servir de type au Messie, et que les attributs du règne de Dieu sur la terre peuvent aussi, par une sorte de réciprocité, être appliqués au règne de David. Ainsi, par exemple, le règne de David s’étendra jusqu’aux bouts de la terre (Psaumes 2.8 ; 72.8) ; il durera éternellement (2 Samuel 7.16 ; 23.5). Toutefois, si même la domination du monde est le but de la théocratie, Israël, ne doit pourtant point être une puissance conquérante ; aussi David est-il sévèrement repris à l’occasion du dénombrement (2 Samuel 24.1 ; 1 Chroniques 21.1-30), qu’il n’a sans doute entrepris que dans le but de perfectionner l’organisation militaire de son royaume (cf. § 200). L’intervention de Gad dans cette histoire, et de Nathan dans celle de Bathséba, montre que les prophètes, même sous un David, remplirent fidèlement leur mandat et qu’ils furent en tout temps de vigilantes sentinelles en Israël. Parce que dans 2 Samuel 24.11, Gad est appelé le voyant de David, on a supposé qu’il était un employé du roi ; on a parlé à ce propos de prophètes de cour et de conseillers intimes. Mais rien de plus indépendant qu’un vrai prophète. Les grands prêtres eux-mêmes figurent dans la liste des employés royaux, mais un prophète, jamais (2 Samuel 8.16 ; 20.23 ; 1 Chroniques 27.32 ; 1 Rois 4.2 et sq.). Sous David, nous voyons prophètes et roi agir d’un commun accord en vue d’un but commun. Comment en eût-il été autrement avec un monarque qui savait si bien ce que devait être un roi théocratique ? Ou peut dire que David se laisse en tout et partout diriger par une pensée unique : il veut être un serviteur de Jéhovah, de ce Dieu qui l’a choisi et qui l’a pris de derrière son troupeau pour paître son peuple élu (Psaumes 78.70-72). C’est ce qui résulte de plus d’un de ses Psaumes ; voyez entre autres le 101, qui pourrait être intitulé : « le portrait du vrai roi ; et le 18 qui est l’hymne de reconnaissance que David composa après toutes ses victoires. Aussi tous ses successeurs sont-ils pesés à son poids, et « marcher comme David », est-il le plus grand éloge qui soit fait des meilleurs d’entre eux (1 Rois 11.4. Voir aussi 1 Rois 3.7, 14 ; 11.38).
a – Remarquez la tournure v. 3 : « il fit alliance avec eux. » Nous avons vu au § 80 que cela suppose aux deux parties contractantes des droits inégaux.
En la personne de David se trouve consommée l’union de la royauté humaine et de la royauté divine. Voilà un homme qui est établi dans la maison et sur le royaume de Dieu. « Je l’établis dans ma maison et dans mon royaume, dit l’Éternel à Nathan (1 Chroniques 17.14). David est assis sur le trône de Jéhovah (1 Chroniques 28.5 ; 29.23). Et cette union doit être manifeste : l’arche va sortir de sa retraite (2 Samuel ch. 6), et elle sera introduite dans la forteresse du mont de Sion qui, depuis la conquête de Jérusalem, est la résidence royale. L’ancien tabernacle, qui se trouvait sur le haut-lieu de Gabaon, continuera à être un lieu de culte (1 Chroniques 16.37-42 ; 2 Chroniques 1.3) ; mais, à partir de ce moment, c’est le mont de Sion qui, en qualité de demeure de l’Éternel (Psaumes 9.12 ; 74.2 ; 76.3 ; 78.68), est réellement le foyer de la vie religieuse en Israël ; c’est de Sion que Dieu donne à connaître sa puissance et sa grâce (Psaumes 3.5 ; 20.3 ; 110.2) ; Jérusalem est la ville de Dieu (Psaumes 46.5), la ville du grand roi (Jéhovah, Psaumes 48.3) ; elle est bien fondée sur les saintes montagnes (Psaumes 87.1) ; dans sa forte position elle est le symbole de l’assemblée des enfants de Dieu (Psaumes 125.1 et sq.) ; le jour viendra où des hommes de toutes nations seront heureux d’être comptés au nombre de ses bourgeois (Psaumes 87) ; tant il est vrai que la prophétie ne peut comprendre le règne de Dieu sans Jérusalem.
[Jérusalem, dit Ritter dans sa géographie. XVI, 297, — qui s’élève au milieu de la Judée, loin de toutes les grandes voies de communication, protégée et séparée du reste du monde, à l’Est par le désert et la mer Morte, au Nord par les monts escarpés de la Syrie, à l’Ouest par la côte inhospitalière de la Grande Mer, au Sud par les solitudes d’Edom et par les plaines de sable dont les vagues roulent sans cesse depuis les frontières de l’Egypte a celles de la Palestine ; Jérusalem, qui est construite sur un sol rocheux, presque sans terre labourable ; que ne traverse aucun fleuve et qui n’a presque point de sources : — cette ville, si peu favorisée de la nature, n’en a pas moins acquis dans l’histoire une importance telle, qu’on ne saurait absolument lui comparer que Rome et Constantinople.]
Avec David, la royauté ne nous est plus présentée comme un mal nécessaire, ni même comme un simple progrès extérieur sur la constitution précédente ; elle nous apparaît comme une nouvelle puissance morale et religieuse. Israël peut maintenant, en regardant à son roi, arriver au sentiment de sa propre dignité, je dirais presque de sa propre majesté de peuple de Dieu ; comme aussi, d’autre part, le roi est le représentant, de son peuple, en sorte que l’on voit se concentrer sur lui cette haute dignité de fils de Dieu, qui a commencé par être l’apanage de la nation tout entière.
[Comparez § 82. Le roi théocratique est le fils de Dieu, le premier-né parmi les rois de la terre (2 Samuel 7.14 ; Psaumes 89.27 ; 2.7). Cela marque d’abord l’amour et la fidélité que Dieu témoigne au prince de son peuple. Mais il y a plus que cela dans cette expression de fils de Dieu : le roi théocratique n’est devenu ce qu’il est que grâce à l’Éternel (Psaumes 2.7) ; son pouvoir est d’origine divine, sa majesté est un reflet de la gloire de Dieu (Psaumes 21.4,6). C’est absolument ainsi que les juges (§ 98), qui ne tiennent leur charge que de Dieu, sont appelés des dieux et des fils du Très-Haut.]
David, — et cela est également vrai de Salomon, quoiqu’en une moindre mesure, — a aussi quelque chose qui rappelle le prêtre ; il intercède en faveur de ses-sujets, il les bénit au nom de l’Éternel des armées (2 Samuel 6.18 ; 1 Chroniques 29.10 ; 1 Rois 8.14, 55).
[Il ne porte cependant aucune atteinte à la dignité sacerdotale ; nulle part il n’est dit que David ou Salomon aient sacrifié de leurs propres mains, faisant ainsi ce que la loi ne permettait qu’aux seuls prêtres de faire. Les prêtres peuvent fort bien avoir assisté les rois dans 2 Samuel 6.17 ; 1 Rois 3.4 ; 2 Chroniques 1.6 ; 1 Rois 8.62 ; 9.25, qui sont autant de passages où il est parlé de sacrifices, offerts par David ou Salomon.]
On peut dire que, comme autrefois Moïse et Samuel, il a l’honneur de réunir en sa personne les trois dignités théocratiques, car l’esprit prophétique ne lui fait point défaut non-plus (2 Samuel 23.2).
Et pourtant, il y a plus encore. La promesse que lui transmet Nathan dans 2 Samuel ch. 7, introduit un élément nouveau dans l’histoire du royaume de Dieu : désormais la royauté théocratique est inséparable de David, ou du moins de sa race. On connaît ce chapitre. David, vainqueur de tous ses ennemis, communique à Nathan son projet de bâtir à l’Éternel une demeure stable. Celui-ci l’approuve d’abord, mais pendant la nuit il reçoit de Dieu un avis contraire. David a répandu trop de sang dans ses guerres (1 Chroniques 22.8 ; 28.3) pour pouvoir bâtie une maison à l’Éternel ; c’est là une œuvre de paix ; celui des descendants de David que Dieu s’est choisi pour fils, aura seul cet avantage. Mais, si Dieu refuse les services de David, il s’engage, en revanche, à lui bâtir, lui, une maison ; il promet à sa race une royauté éternelle ; les châtiments ne feront pas défaut, mais sa grâce ne lui sera jamais retirée. Voyez le commentaire de ce passage dans Psaumes 89.20-28. — A partir de ce jour (2 Samuel 23.5, alliance éternelle), l’accomplissement des prophéties messianiques est indissolublement lié à la réalisation des promesses sacrées faites à David (Ésaïe 55.3 ; Psaumes 89.50 ; Actes 13.34).
Au reste, ce n’est pas seulement à cause de sa position dans la théocratie et comme un degré important dans l’échelle de la révélation, que David nous intéresse, mais aussi comme homme et à cause de sa piété individuelle. Nul plus que lui dans l’ancienne alliance n’a éprouvé l’amertume du péché et le besoin de la grâce, ces deux sentiments que la loi avait précisément pour mission de produire dans les cœurs. Sa vie intérieure a été aussi agitée que sa vie extérieure ; ce sont des luttes continuelles, des chutes profondes, des grâces magnifiques. La désolation d’une âme qui s’est livrée au mal ; le poids accablant du péché, la nécessité d’une expiation et d’un renouvellement du cœur, la joie du pardon, le bonheur qu’il y a à se confier en Dieu, la force triomphante que la foi communique en toutes circonstances, le vif amour pour Dieu qui s’empare du pécheur reçu en grâce ; il a connu tout cela par expérience et, par ses Psaumes, où il s’est raconté tout entier, il est un témoin toujours vivant de ce que produisent dans l’homme et la loi et la foi.
C’est par ses Psaumes que David a exercé la plus profonde influence sur le développement spirituel de son peuple. Le chant sacré était déjà cultivé en Israël avant lui (§ 105 et 113) ; mais il avait un caractère épique assez prononcé, plutôt que lyrique ; c’était de la poésie objective et non pas subjective. Mais lorsque David et les poètes sacrés de son temps eurent composé leurs admirables cantiques et que le chant des Psaumes fut devenu une partie essentielle du culte public, alors les Israélites apprirent à invoquer leur Dieu en chantant, — en chantant, à Lui exposer tous leurs besoins, à Lui faire part de toutes leurs impressions, à Lui parler de toutes leurs craintes et de toutes leurs espérances. Il serait difficile de dire tout ce dont le peuple de Dieu est redevable à l’auteur des agréables cantiques d’Israël (2 Samuel 23.1) ; relevons seulement ces deux points. : les Psaumes ont été l’un des principaux moyens dont Dieu s’est servi pour faire habiter sa Parole dans les familles Israélites, et pour y conserver vivantes les traditions de l’histoire sacrée.