La Légende dorée

CLXXV
SAINT MOÏSE, ABBÉ

Le solitaire Moïse dit à un de ses frères, qui lui demandait de l’instruire : « Enferme-toi dans ta cellule, et elle t’enseignera tout ! »

Un vieillard malade voulait se rendre en Égypte pour ne pas être trop à charge aux frères. Moïse lui dit : « Ne t’en va pas, car tu commettrais le péché de chair ! » Et le vieillard : « Comment peux-tu me dire cela, à moi qui ne suis plus qu’un cadavre ? » Il partit donc, et une jeune fille le soigna par dévouement ; et quand il fut convalescent, il la viola. Lorsqu’elle eut enfanté un fils, le vieillard prit l’enfant dans ses langes, et, le jour d’une grande fête, entra dans l’église où les frères étaient rassemblés. Et il leur dit : « Vous voyez cet enfant ? C’est le fils de la désobéissance ! Prenez bien garde à vous, mes frères, et priez pour moi ! » Après quoi il revint s’enfermer dans sa cellule.

Un des frères ayant péché, on envoya chercher Moïse, qui arriva en portant sur son dos un sac plein de sable. Et comme on lui demandait ce que cela signifiait : « Ce sont mes péchés qui courent derrière moi, mais, comme je ne les vois pas, voici que je viens juger les péchés d’autrui ! » Les frères comprirent et pardonnèrent au coupable. On raconte une chose analogue du solitaire Prieur, qui, ayant à juger un de ses frères, fit porter derrière lui un grand sac de sable et, devant lui, un sac plus petit. Et il dit : « Le grand sac, ce sont mes péchés ; mais comme ils sont derrière moi, je ne les vois pas et ne m’en afflige pas ; le petit sac, ce sont les péchés de mon frère ; et comme ils sont devant moi, je suis tout prêt à les juger avec sévérité. »

Moïse fut ordonné prêtre, et l’évêque lui dit, en le revêtant du superhuméral : « Te voilà tout blanc ! » Et lui : « Seigneur, que ne puis-je l’être plutôt au dedans ! » Puis l’évêque, voulant l’éprouver, dit à son clergé de le repousser au moment où il approcherait de l’autel, et d’écouter ensuite ce qu’il dirait. On fit ainsi, et on entendit qu’il disait : « Voilà qui est bien fait pour toi ! car, n’étant pas un homme, pourquoi as-tu eu la présomption d’aller parmi les hommes ? » Tout cela est extrait de la Vie des Pères.

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