Ce moyen de salut, — l’homme saisissant la grâce de Dieu par la foi et trouvant ainsi le pardon de ses péchés, — jusqu’à quel point les hommes de l’A. T. en ont-ils joui ? Ont-ils vraiment possédé le salut, ont-ils pu s’en réjouir comme d’un bien actuel, ou n’ont-ils fait que de le voir de loin, et ne se sont-ils réjouis que dans la certitude que les promesses divines s’accompliraient un jour ? En d’autres termes, les justes de l’ancienne alliance ont-ils connu la justification comme la connaissent les chrétiens ? Ont-ils su, comme le peuple de la nouvelle alliance, ce que c’est que d’être un enfant de Dieu ?
Telle est la délicate question qui a fait le sujet de la controverse à laquelle Coccéius a donné son nom. Coccéius (1603-1669) prétendait que pendant l’ancienne alliance, Dieu n’avait fait que de fermer les yeux sur les péchés des hommes (παρέσις, prætermissio, dissimulatio). Les péchés n’étaient point réellement pardonnés, remis ; il n’y avait pas ἀφέσις ἁμαρτίας ; Dieu ne punissait pas, bien que sa justice n’eût point obtenu satisfaction.
[Voyez sur cette dispute Buddée, Just. théol. dogm. Coccéius eut pour adversaires non seulement Alting et Leydecker, mais encore Witsius, d. œconomia fœderum Dei (§ 11). Parmi les modernes, voyez surtout F. de Rougemont, Christ et ses témoins. Ce livre renferme sur le sujet qui nous occupe une foule de remarques pleines de justesse.]
Nous avons vu au § 137 que, moyennant une confession sincère et certains sacrifices, on pouvait obtenir le pardon des péchés commis par faiblesse (Lévitique 5.10, ונסלח לו, il lui sera pardonné, Psaumes 19.12, nettoie-moi des fautes commises par erreur). Mais à côté des péchés commis par faiblesse, il y a ceux commis par méchanceté. Pour ceux-là, il n’y avait point de sacrifices. Pouvait-on néanmoins en obtenir le pardon ? Peut-on parler d’une justification complète sous l’ancienne alliance ?
Il résulte de plusieurs déclarations et de plusieurs récits de l’A. T. que déjà sous l’ancienne alliance les pécheurs, — individus isolés ou peuple tout entier, — obtenaient le pardon de leurs fautes quand ils s’humiliaient sincèrement devant Dieu. Dieu faisait plus que de fermer les yeux sur les péchés, que de les ignorer pour un certain temps, que de se taire à leur égard (Héchérisch, החריש), comme il peut le faire à l’égard des péchés des impies eux-mêmes (Psaumes 50.21) ; Il faisait réellement passer la faute, Il l’éloignait (2 Samuel 12.13, יהוה העביר חטאתך), Il rendait à l’homme sa justice (Job 33.26, וישב לאנוש תּדקתו), Il le réintégrait dans l’état où il était avant son crime, alors qu’il faisait la volonté de Dieu et qu’il était l’objet de son bon plaisir. Déjà sous l’ancienne alliance, l’Éternel voulait être connu comme un Dieu plein de pitié et miséricordieux. « Le pardon, הסלי_הּ, se trouve auprès de Toi, afin qu’on Te craigne. » (Psaumes 130.4), afin qu’on Te révère à cause de l’abondance de ses compassions, car c’est pour l’amour de son nom que Dieu pardonne (Psaumes 79.9). Ainsi l’A. T. ne connaît pas seulement le mécontentement profond, le trouble amer du pécheur qui refoule son repentir dans son cœur ou qui se donne lui-même l’absolution, pansant ainsi à la légère sa propre plaie ; il connaît aussi la paix de celui que Dieu a véritablement absous : voyez le Psaumes 32 tout entier, Proverbes 28.13, et tant de passages qui montrent que Dieu fait grâce à ceux qui s’humilient, comme Psaumes 51, Psaumes 34.19, etc. ; l’A. T. bénit le Dieu qui pardonne (Psaumes 103), et non pas seulement le Dieu qui pardonnera (Michée 7.18 et sq.).
Mais il n’y en a pas moins quelque chose d’incomplet et de relatif dans ce pardon ; ce n’est pas encore la grâce de la nouvelle alliance. Avant Jésus-Christ, on ne peut parler ni de réconciliation durable entre Dieu et l’homme, ni de nouvelle naissance, ni de vie éternelle demeurant dans le croyant. Et d’abord, pour ce qui est de la réconciliation, l’Israélite pouvait obtenir le pardon de tel ou tel péché isolé ; il pouvait même momentanément se sentir devant Dieu purifié de sa souillure totale ; mais comme il n’y avait pas de sacrifice qui s’offrît une fois pour toutes, il n’y avait pas non plus de réconciliation acquise une fois pour toutes. Les effets des sacrifices lévitiques étaient bienfaisants, mais insuffisants ; l’avenir seul devait procurer une expiation définitive (Zacharie 3.8-9).
[J’ôterai en un jour l’iniquité de ce pays, v. 9. Et au v. 8, le sacerdoce lévitique n’est que la figure de la véritable sacrificature, qui est encore à venir. « Ce sont des hommes figuratifs » que Jéhosçuah et ses compagnons. La traduction ordinaire : « Ce sont des gens qu’on tient pour des monstres, » est fautive.]
Voyez aussi Psaumes 130.7 : « Israël, attends-toi à l’Éternel, car… Lui-même rachètera Israël de toutes ses iniquités. » Or, ce qui est vrai du peuple en général, l’est aussi des individus. Jamais Israélite n’aurait pu dire : « Les choses vieilles sont passées ; voici toutes choses sont devenues nouvelles ! » (2 Corinthiens 5.17) Il est tranquillisé pour ce qui est de ses péchés passés, mais il n’est réellement pas plus avancé qu’auparavant, car, pour la suite de sa vie, qu’a-t-il à faire si ce n’est à chercher à se constituer juste devant Dieu par les œuvres de la loi ? Comment n’aimerait-il pas le Dieu qui lui a tant remis ? Mais comment l’aimerait-il d’une manière permanente, car, et c’est ici notre second point, il ne peut encore être question pour lui de nouvelle naissance. Avant Jésus-Christ, point d’homme spirituel, point d’Esprit saint habitant dans l’homme, venant donner une nouvelle base à la vie, répandre dans le cœur la semence d’une nouvelle personnalité. Avant Jésus-Christ, comme le dit fort bien l’auteur de Christ et ses Témoins, il peut s’opérer un changement moral dans les cœurs, on peut parler de conversion, mais non pas de régénération, de création nouvelle. Les forces pneumatiques sont déjà agissantes ; elles travaillent déjà sur la vie psychique ; mais leur action a quelque chose de sporadique, de violent, que nous allons bientôt retrouver dans la manière dont l’Esprit de Dieu agit sur les prophètes quand il s’abat sur eux pour les inspirer (§ 161). Et c’est précisément parce que l’Esprit de Dieu ne dépose pas dans le croyant les germes d’une vie nouvelle, germes capables par leur action progressive de transformer la personnalité tout entière, depuis le cœur jusqu’à la périphérie, — c’est précisément pour cela que dans l’ancienne alliance, il n’y a pas encore, — troisième point, — vie éternelle ni victoire sur la mort. Un Asaph peut par un élan passager de foi s’élever jusqu’à la pensée de la gloire qui l’attend au-delà du sépulcre (fin du Psaumes 73), mais avec tout cela la mort n’est encore que couverte d’un voile. Si le pardon des péchés délivre de la mort, il faut encore bien s’entendre : c’est une délivrance temporaire, c’est un éloignement de la mort, un renvoi à plus tard, et c’est de la mort du corps qu’il est question. Tel est le sens de la promesse que Nathan fait à David : « Tu ne mourras pas. » Voyez encore Job 33.28 : « Dieu a garanti mon âme, afin qu’elle ne passât point dans la fosse, et ma vie voit la lumière » ; Habakuk 2.4 : « Le juste vivra », c’est-à-dire qu’il sera épargné par les jugements qui vont atteindre le peuple, qu’il aura sa vie pour butin (Jérémie 45.5 ; 21.9). Mais la mort n’est point encore vaincue, son aiguillon n’est pas brisé. Le chant de louange de Romains ch. 8 est bien autre chose encore que celui de Job 33.28. L’Esprit du Christ ressuscité, on le sent, a passé sur l’Apôtre. Point de perfection tant que n’était pas accomplie l’œuvre de rédemption de la nouvelle alliance (Hébreux 11.40).
L’A. T. est donc bien éloigné encore de l’υἱοθεσία, de l’adoption du N. T. Le peuple de Dieu dans son ensemble est le fils de Dieu (§ 82, Exode 4.22) ; le roi théocratique est appelé fils de Dieu (§ 165, 2 Samuel 7.14) ; les justes aussi sont de la génération de ses fils, דור בניכ.ֻ (Psaumes 73.15) ; mais si l’expression est là, elle n’a point encore son plein sens, elle ne l’aura que dans la prochaine économie. Les plus grands prophètes eux-mêmes n’ont pas ce que posséderont les plus simples enfants de Dieu (Matthieu 11.11).