Il y a des théologiens, comme, par exemple, Hengstenberg, aux yeux desquels l’élément de la prédiction n’occupe qu’une place tout à fait insignifiante dans les discours ou dans les écrits des prophètes. Pour eux, les prophéties sont uniquement l’exposé des principes généraux qui président au gouvernement du monde par Dieu ; le reste n’est que l’accessoire. Dans le camp rationaliste, on prétend que les prédictions ont l’inconvénient de léser la liberté humaine, et de lui enlever toute possibilité d’exercer la moindre influence sur la marche de l’histoire. — Mais que serait-ce donc qu’un monde dont la marche dépendrait absolument du caprice des hommes ?
[Hengstenberg (Evang. Kirchenzeitung, 1833, N° 23) pose en principe qu’il n’y a aucune prophétie qui ne vise uniquement qu’un cas isolé. Quand elle paraît le faire, c’est que l’on prend la première réalisation pour la seule. L’A. T., dit-il, est un tout écrit tout entier en vue de l’Église de tous les siècles. Israël, Edom, Babylone ! Mais, nous les retrouvons en nous et autour de nous. A ce point de vue-là, rien ne nous apparaît plus comme tout à fait passé, rien non plus comme tout à fait à venir. Il ne saurait en être autrement puisque la Bible est la parole d’un Dieu éternel. Une fois les grandes lois posées, il n’y a plus de place pour l’imprévu que dans la fixation des lieux et des moments où elles s’exécuteront. La Bible, il est vrai, renferme aussi des prédictions portant sur des faits spéciaux, mais ce sont là des concessions que Dieu fait à la petite foi de ses enfants. — L’influence de Schleiermacher est aisément reconnaissable ici ; Schleiermacher aussi, dans sa Foi chrétienne, § 103, 3, professe un dédain marqué pour les détails et n’attache guère d’importance qu’aux traits généraux de la prophétie. Seulement il y a cette différence entre ces deux théologiens, que le dernier ne voit dans ces traits généraux que des idées juives, tandis que Hengstenberg y voit des idées divines, éternellement justes, et que dès lors il importe extrêmement de comprendre, si l’on veut se rendre compte de la marche des événements. C’est le grand mérite de Hengstenberg d’avoir mis la valeur éternelle des prophéties en lumière et, par là-même, leur étude, en honneur.]
Laissons là les opinions humaines ! Consultons les prophètes eux-mêmes, et voyons quel rôle à leurs yeux la prédiction joue dans leurs prophéties. Or, à défaut de Deutéronome 18.22, dont nous avons déjà parlé, la seconde partie d’Esaïe ne permettrait aucun doute à cet égard.
L’auteur de ces 26 chapitres constate à plus d’une reprise que dans son livre la délivrance de l’exil est annoncée longtemps à l’avance ; il y tient beaucoup, cela a une grande importance à ses yeux ; il constate qu’il parle de Cyrus avant que Cyrus ait paru. Cela prouve que le Dieu d’Israël est le seul et le vrai ; les dieux des païens ne méritent pas ce nom, ils ne savent pas annoncer l’avenir (Ésaïe 41.21-28 ; 42.9). « Je vous annonce des choses nouvelles ; et je vous les fais entendre avant qu’elles arrivent. » Peut-on insister plus clairement sur la notion de prédiction ? Voyez encore Ésaïe 43.9-13 ; 44.25 ; 45.21. Ces diverses prophéties ont pour but bien, déterminé de rendre le peuple inexcusable dans son incrédulité (Ésaïe 43.3 et sq.). « Ces choses, lisons-nous, au v. 7, ont été créées maintenant et non pas auparavant, et un jour plus tôt tu n’en ouïs point parler, afin que-tu ne puisses pas dire : Voici, je les savais bien ! » Une prédiction n’est donc pas une simple prévision. Il y a des cas où les calculs les plus perspicaces de la sagesse humaine ne servent de rien.
Nous ne voudrions cependant pas que l’on conclût de ce qui précède à la complète identité des prédictions avec leur accomplissement. Les prophéties sont tout autre chose que la photographie des personnages du N. T. prise avant leur apparition. Elles devraient avoir une tout autre teneur si telle était leur nature. Si l’on admettait ce point de vue, c’en serait fait du caractère historique de la révélation ; le N. T. ne serait que le tome second de l’Ancien, et l’on serait condamné à ignorer les imperfections et l’infirmité qu’une étude quelque peu approfondie fait découvrir dans les documents de l’ancienne alliance.