Dans ses doctrines sur l’immortalité de l’âme, Platon ne diffère en rien de Moïse : celui-ci, le premier, a déterminé l’essence immortelle de l’âme qui réside dans chaque homme, en disant qu’elle est l’image de Dieu, ou plutôt qu’elle a été faite à son image. Il a dit en effet (Gen., I, 26) : « Le Seigneur dit : faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance, et Dieu fit l’homme, et il le fit à l’image de Dieu. » Puis, divisant ce concret par le discours, en un corps qui frappe les sens, et une âme conçue par la pensée il ajoute (Gen., II, 7) : « Dieu prit la poussière de la terre, et Dieu façonna l’homme, puis il lui souffla dans le visage un souffle de vie, et l’homme fut créé dans une âme vivante. » Ensuite il nous le montre comme chef et roi de tout ce qui est sur la terre.
Il dit en effet : « Qu’il commande aux poissons de la mer, aux oiseaux du ciel, et à toutes les bêtes qui sont sur la terre, et Dieu fit l’homme, et il le fit à l’image de Dieu (Gen., I, 26). » Comment concevoir en effet, d’une autre manière, l’image et la ressemblance de Dieu, sinon des facultés qui sont en Dieu, et de la ressemblance avec sa vertu. Platon, comme s’il avait été disciple de Moïse, s’exprime ainsi dans l’Alcibiade.
« Pouvons-nous dire qu’il y ait dans l’âme quelque chose de plus divin que ce à l’aide de quoi nous réfléchissons ? Nous ne le pouvons pas. C’est donc ce en quoi elle ressemble à la divinité ; et celui qui y applique ses regards, en même temps qu’il connaîtra tout ce qui est divin, savoir Dieu et sa prévoyance, se connaîtra aussi lui-même, le mieux qu’il se puisse. Il paraît donc que comme les miroirs réfléchissent plus fidèlement les traits que ne le fait le miroir qui est dans l’œil, et avec phis de pureté et de lumière, de même Dieu l’emporte en clarté et en pureté, sur tout ce qu’il y a de plus parfait dans notre âme. – Il me semble ainsi, ô Socrate. – Si nous dirigeons donc nos regards vers Dieu, nous ferons usage du meilleur miroir possible pour connaître les choses humaines, sous le rapport de la vertu de l’âme, et c’est ainsi que nous pourrions le mieux nous voir et nous connaître. – Certainement. » Ce texte est tiré de l’Alcibiade. » Dans le dialogue de l’âme, il donne l’explication détaillée de ce qui précède.
« Voulez-vous que nous posions deux sortes d’Etres, l’une d’êtres visibles, l’autre d’Etres invisibles ? – Soit, dit-il – L’invisible, immuable par essence, et le visible, dans une mobilité habituelle ? – Admettons encore cela. – Eh bien, est-il autre chose que nous trouvions en nous-mêmes, qu’un corps et une âme ? – Rien de plus, dit-il. – Avec quelle de ces deux sortes, dirons-nous que le corps ait plus de ressemblance et de consanguinité ? – Tout le monde voit d’abord que c’est avec le visible. – Et l’âme est-elle visible on non ? – Elle ne l’est pas au moins pour les hommes, ô Socrate, dit-il. – Toutefois, quand nous parlons de choses visibles ou qui ne le sont pas, est-ce à la nature de l’homme que nous le rapportons, ou à une autre ? – A la nature de l’homme·. Qu’avons-nous donc dit de l’âme ? qu’elle est visible ou invisible ? – Invisible. – C’est donc une chose invisible ? – Assurément – Notre âme est donc plus semblable que notre corps à ce qui est invisible, et notre corps à ce qui est visible ? – De toute nécessité, ô Socrate. – Nous disions donc que lorsque l’âme employé le secours du corps pour étudier une chose, ou pour voir, ou pour écouter, ou pour y appliquer un autre de nos sens, (car c’est de la sorte, c’est-à-dire par la sensation, que le corps peut se rendre compte de quoi que ce soit) ; alors l’âme est attirée par le corps dans des choses qui ne sont jamais en état de fixité, elle s’égare, se trouble, éprouve des vertiges comme si elle était ivre, par cela seul qu’elle s’est mise en contact avec ces choses. – Absolument. – Lorsqu’au lieu de cela elle considère les choses seule à seule, elle s’élève dans les régions où tout est pur, éternel, immortel et constamment le même, et comme d’une origine commune avec cette nature, elle s’y associe à perpétuité, tant qu’elle reste seule à seule, et qu’elle en a la permission ; alors son égarement a cessé. Elle est toujours avec les mêmes substances, immuable comme elles par l’effet de son contact avec elles : eh bien cette disposition, de l’âme est ce que nous nommons Φρόνησις, prudence. – Ce que vous dites là est parfaitement bien et la pure vérité, ô Socrate. – A quelle espèce donc, d’après ce que nous avons précédemment indiqué et ce que nous venons de dire maintenant, l’âme vous semble-t-elle plus semblable et plus intimement liée ? – D’après la marche que nous avons suivie, dit-il, ô Socrate, je pense que l’homme même le moins capable d’instruction confesserait que l’âme a plus de ressemblance avec ce qui est complet dans son ensemble, avec ce qui est toujours dans les mêmes rapports d’existence intime plutôt qu’avec ce qui ne l’est pas. « Mais le corps qu’en dites-vous ? – Je trouve qu’il ressemble à l’autre. Voyons encore par cette autre manière de procéder : savoir, que puisque l’âme et le corps sont dans un même sujet, la nature prescrit à l’un de commander en maître ; en conséquence lequel vous paraît le plus semblable à la divinité ? lequel se rapproche le plus de la condition mortelle ? ou bien ne vous semble-t-il pas que la divinité est faite, pour régir et commander, tandis que ce qui est mortel doit être soumis et esclave ? – Je le pense. – Auquel de ces deux l’âme ressemble-t-elle ? – Evidemment, Socrate, l’âme ressemble à la divinité, et le corps à ce qui est mortel. Faites donc attention, ô Cebès ; dit-il, si, de tout ce que nous avons dit on peut tirer la même conséquence, l’âme sera éminemment semblable à ce qui est divin, immortel, intellectuel, uniforme, indissoluble, toujours d’accord avec soi-même, immuable par nature, tandis que le corps sera le plus semblable à ce qui est, comme homme mortel, sans intelligence, polyforme, dissoluble, sans fixité dans sa manière d’être intime. Avons-nous quelque chose de plus à dire, ô Cebès, pour prouver qu’il n’en est point ainsi ? – Nous n’avons rien. – Mais quoi, s’il en est ainsi, n’est-il pas évident qu’il serait désirable pour le corps qu’il fût promptement dissous, tandis que l’âme recouvrerait une entière indissolubilité, ou quelque chose qui s’en approche ? comment n’en serait-il pas ainsi ? vous concevez donc, dit-il, que lorsque l’homme sera mort, son corps visible, placé dans un sujet visible que nous nommerons, cadavre, auquel il appartient de se dissoudre, de tomber en cendres, de s’exhaler en l’air, n’éprouve pas immédiatement cet effet (de la séparation) ; mais persévère encore un temps quelconque à être ce qu’il était. Or donc, si quelqu’un doué de beauté corporelle venait à décéder, qu’à la même heure, au moment même où son corps cesse de vivre, on l’embaumât à la manière dont les Egyptiens embaument leurs morts, en sorte que si ce n’est tout entier, au moins ce corps pendant un temps d’une durée indéfinie, subsistât partiellement, savoir, en faisant abstraction de quelques portions qui se corrompent, s’il conserve les os, les nerfs et tout ce qui est analogue dans les organes, reconnaîtrons-nous nos parties presque comme immortelles, ou leur contesterons-nous ce nom ? – Elles sont presque immortelles. – Eh bien comment donc pourrons-nous croire que l’âme, cette substance invisible qui s’élance invisiblement dans un autre séjour, comme elle, pur, noble, invisible, dans le véritable Hadès, enfin près du Dieu bon et prudent (ou s’il plaît à Dieu, mon âme doit se rendre incontinent), que notre âme, douée de ces privilèges et d’une nature telle, en se délivrant du corps, se dissiperait aussitôt comme une vapeur et périrait entièrement, comme une foule d’hommes le soutiennent ! O mon cher Cebès et tous Simias, il s’en faut infiniment. Mais voici bien plutôt comment les choses se passent : si l’âme sort pure du corps sans rien traîner à sa suite, par la raison que pendant sa vie elle ne s’est mise volontairement en communication avec quoi que ce soit, qu’elle a toujours fui la société, se recueillant en elle-même, parce qu’elle méditait sans cesse sur sa destination : destination qui n’est autre chose que la véritable philosophie, celle en effet qui nous montre réellement la manière de mourir sans peine, n’est-ce pas la méditation de la mort ?
« Assurément et entièrement.
« L’âme donc, ainsi préparée, se rend dans ce lieu invisible qui est semblable à elle, divin, immortel où règne la prudence. Dès qu’elle y est arrivée, elle jouit d’un bonheur parfait, étant exempte d’égarements, de déraison, de craintes, d’affections désordonnées et de toutes les infirmités qui affligent l’espèce humaine : et ce qu’on assure des initiés, lui est véritablement applicable, d’habiter avec les dieux pendant tout le temps à venir. Parlerons-nous ainsi, ô Cébès, ou le ferons-nous d’une autre manière ?
« Nous le dirons ainsi par Jupiter, s’écria Cebès. « Mais si je suppose, elle se dégage du corps pleine de souillure et d’impuretés, parce qu’elle a contracté une union trop intime avec lui, parce qu’elle l’a trop soigné, trop aimé, qu’elle s’est trop livrée à ses enchantements, aux désirs et aux voluptés, au point de croire qu’il n’y a de réalité que dans les choses corporelles, dans ce qu’on peut toucher et voir, dans le boire et le manger, dans le plaisir des sens ; s’étant habituée à concevoir de la haine pour tout ce qui, ténébreux et invisible aux yeux, est intellectuel ; ce qui est la matière des études philosophiques, au point de trembler en y pensant et à le fuir : une âme ainsi formée vous semble-t-elle devoir se séparer du corps de plein gré et sans être polluée ?
« Non, certes, de quelque manière qu’elle s’en sépare, dit-il. » Cette citation est tirée de Platon. Porphyre en développe la pensée dans son premier livre du Traité de l’âme, adressé à Boéthus. Voici en quels termes :