« Il convient d’exposer dans ce qui va suivre, et de donner une preuve encore plus évidente, que la philosophie des Grecs n’est qu’un plagiat de la philosophie barbare.
« Les Stoïciens disent que Dieu est un corps et un esprit dans la substance, ce qui est à l’instar de l’âme. Eh bien, vous trouverez ces mêmes choses exprimées dans les écritures. N’allez pas maintenant rechercher les allégories qu’elles cachent, et que la vérité gnostique nous révèle, qui, comme tous habiles athlètes, montrent une attaque et en méditent une autre. » Les mêmes philosophes disent encore que Dieu pénètre toutes les essences. Nous l’appelons créateur, et de plus, créateur par sa parole. Ce qui a pu les égarer, est ce qu’on lit dans la Sagesse (Sagesse, 7,34) : « Il parcourt tout et pénètre dans tout, par sa pureté. » C’est qu’ils ne comprenaient pas que ces expressions ne devaient s’entendre que de la sagesse, principe de création en Dieu. Soit, me répond-on ; mais les philosophes sont unanimes pour ranger la matière parmi les principes des choses, savoir les Stoïciens, Platon, Pythagore, et même Aristote le Péripatéticien, et non pas pour n’en reconnaître qu’un seul. Mais qu’on sache donc que ce qu’ils nomment la matière, est une substance dépourvue de qualité et de forme. Et s’il est trop osé de soutenir que Platon nie son existence, n’en parle-t-il’ pas de la manière la plus mystérieuse, lorsqu’il dit en propres termes dans le Timée, car il savait bien qu’il n’y avait qu’un principe en réalité : (Timée, p. 46 de H. ET, 533 et 543 de Ficin)
« Que ces questions restent donc ainsi réglées entre nous ; ce n’est pas maintenant le lieu de dire s’il nous semble qu’il y ait un ou plusieurs principes de l’ensemble des choses, quand ce ne serait que par cette seule considération, qu’il serait difficile d’expliquer notre opinion, d’après la manière dont nous nous sommes engagés dans cette discussion » ;
D’ailleurs, cette phrase du prophète (Genèse, 1, 2) :
« La terre était invisible et sans ordre, a pu les induire à croire à une première essence matérielle. Épicure a dû certainement l’idée de faire intervenir le hasard, (τὸ αὐτόματον) comme cause, à ce qu’il a mal compris le sens de ce mot :
Vanité des vanités, tout est vanité (Ecclésiaste, 1, 2).
Si Aristote n’a pas voulu faire descendre l’action providentielle plus bas que la lune, cela tient à ce verset du psaume (Ps. XXXVI, 6) :
« Votre miséricorde, Seigneur, réside dans le ciel, et votre vérité s’étend jusqu’aux nuages. »
Car avant l’avènement du Seigneur, on n’avait pas découvert le sens mystique des prophéties. Quant aux châtiments après la mort et au supplice du feu, toute la muse poétique, aussi bien que la philosophie hellénique, les ont dérobés à la philosophie barbare. Voici les expressions dont Platon fait usage au dernier livre de la République (l. X, p. 519 de Ficin, 615 de H. Et.).
« Là on voyait des hommes sauvages, couleur de feu, qui se tenaient dans l’attente du mugissement des flots. Ils conduisirent un à un tous les morts après s’en être saisis, dés qu’ils eurent reconnu Aridée et les autres : ils leur lièrent les pieds et les mains, leur frappant la tête, les écorchant ; ils les tirèrent hors du chemin, pour assouplir leurs membres autour des chevalets. »
« Ces hommes, couleur de feu, ne peuvent pas avoir une autre signification que celle des anges qui se saisissent des êtres injustes pour les châtier.
« Qui a créé, dit le prophète (Ps. CIV, 4), les vents pour être ses envoyés, et le feu dévorant pour être l’exécuteur de ses ordres. »
De tout ceci il résulte évidemment que l’âme est immortelle ; que ce qui est châtié ou corrigé est doué de sensibilité ; qu’il vit, dès qu’il veut et qu’il souffre. Mais quoi ! Platon n’a-t-il pas reconnu des fleuves de feu, dans les abîmes de la terre qui, dans la langue des barbares, sont appelés Géhenne et que, poétiquement, nous nommons. Tartare, Cocyte, Achéron, Pyriphlégéthon et de tous les autres noms semblables ; qu’il montre comme des lieux de supplice, pour nous rendre vertueux par l’enseignement ? Sachant, par l’écriture, que les anges des petits et des plus humbles voient Dieu, et de plus, nous montrant la surveillance constante que nos anges gardiens exercent sur nous, il n’hésite pas à écrire :
« Après que toutes les âmes eurent fait choix de leur future existence, et qu’elle leur eût été assignée, elles se présentèrent, en ordre, devant Lachésis : celle-ci envoya, avec chacun d’eux, le démon qu’elle avait choisi pour leur servir de gordien dans la vie, et d’auxiliaire dans l’accomplissement des destinées qu’elles devaient remplir (Platon, Rép., I, 10). »
« Il se pourrait que le démon qui accompagnait Socrate eût une signification secrète de cette espèce » Certainement, les philosophes ayant reçu de Moïse le dogme de la création de l’univers, ils l’ont professé. Aussi, Platon a-t-il dit ouvertement :
« A-t-il toujours existé, n’ayant jamais eu de principe d’engendrement, ou bien a-t-il dû l’existence à un principe de création auquel il remonte ? Est-il visible, tangible, a-t-il un corps (Platon, Timée, p. 526 de Ficin, 28 de H. Et.) »
De même, lorsqu’il dit : « C’est un travail difficile que de découvrir le créateur et le père de tout cet univers (Ibidem) ; » non seulement il a donné à comprendre que l’univers avait eu un commencement d’existence, mais même il signifie qu’il est issu de Dieu, comme un fils de son père, lui donnant ce nom, comme du seul préexistant, puisqu’il est sorti du néant.
« Les Stoïciens posent de même en principe que le monde a été engendré. Et ce prince des démons que la philosophie barbare proclame sous le nom de Diable, Platon, dans le 10e des Lois (p. 669 de Ficin, 896 de H. Et.), en parle, comme d’une âme malfaisante, en ces termes : « N’est-il pas nécessaire de dire qu’il existe une âme qui réside dans tous les corps mis en mouvement, et qui les dirige, à commencer par le ciel même ?
« Comment cela ne serait-il pas ?
« Est-elle unique, ou en admettrons-nous plusieurs ?
« Je répondrai, pour ceux-ci, qu’elles sont plusieurs. Nous en reconnaîtrons deux pour le moins, l’une répandant les bienfaits, tandis que l’autre a le pouvoir de faire tout le contraire. »
Voici encore ce qu’il écrit dans le Phèdre :
« Il y a encore d’autres maux : tels sont la plupart de ceux auxquels un certain démon a mêlé (Phèdre, p. 542 de Ficin, 240 de H. Et.) la jouissance rapide de la volupté. »
Dans le dixième livre des Lois, il désigne ouvertement cette pensée de l’apôtre : « notre lutte n’est pas contre le sang et contre la chair, mais contre les essences intellectuelles qui sont dans le ciel. » (St. Paul aux Ephésiens, 6,12) Voici en quels termes :
« Puisque nous sommes tombés d’accord que le ciel est rempli de beaucoup de biens et de beaucoup de maux, qui sont en plus grand nombre ; la guerre, entre eux, est éternelle, comme nous l’avons dit, et telle qu’elle exige la plus grande vigilance. (Platon, 10e des Lois, p. 675 de Ficin, 406 de H. Et.) »
La philosophie barbare a également reconnu un monde intellectuel et un monde sensible ; l’un est l’archétype, l’autre est l’image de ce beau modèle. Elle attribue le premier à la Monade, comme intellectuel ; et le sensible à l’hexade (le nombre six), qui représente le mariage dans les idées des Pythagoriciens, parce que six est un nombre générateur. C’est dans la Monade qu’il a placé le ciel invisible, la terre sainte et la lumière intellectuelle,
« Au commencement, dit-il, Dieu fit le ciel et la terre ; la terre était invisible. »
Puis il ajoute :
« Et Dieu dit que la lumière soit, et la lumière fut. »
Dans la cosmogonie sensible il créa le Ciel, firmament ou solide, le firmament soumis à l’action des sens, la terre visible, la lumière qui nous éclaire. Ne vous semble-t-il pas que Platon ait dérobé de là l’idéal des animaux, placé par lui dans le monde intellectuel, et qu’il ait construit les formes sensibles, d’après les genres intellectuels ? C’est avec une parfaite raison donc, que Moïse fait pétrir de terre, le corps humain, que Platon nomme une tente terrestre, et qu’il dit que l’âme douée de raison lui a été insufflée, par Dieu, d’en haut, dans le visage. Là, disent-ils, repose la faculté directrice, n’expliquant pas l’entrée de l’âme dans notre premier père, autrement que par l’adjonction des organes des sens. C’est ainsi que l’homme a été créé, d’après l’Image et la ressemblance de Dieu. L’image de Dieu, c’est le Verbe divin, royal, l’homme impassible et l’image de cette image est l’intelligence humaine. Si vous voulez accueillir ce qu’il nomme ressemblance, sous un autre, nom, vous la trouverez indiquée par Moïse, sous l’expression d’être à la suite de Dieu. Car il dit :
« Marchez à la suite du Seigneur, votre Dieu, et observez ses commandements. »
Les suivants sont, je crois, les serviteurs de Dieu, tous, pleins de vertus.
C’est de là que les Stoïciens ont pris l’usage de dire que le but de la philosophie est de vivre d’accord avec la nature ; et Platon, de vivre à la ressemblance de Dieu ; comme nous l’avons déjà établi dans le second livre des Stromates. Zénon, le Stoïcien, tenait de Platon, comme ce dernier de la philosophie barbare, de dire qu’il n’y avait que les hommes vertueux qui pussent être de véritables amis. En effet, Socrate dit dans le Phèdre, qu’il est contre le destin qu’un méchant soit ami d’un méchant, ou qu’un homme vertueux ne le soit pas d’un autre homme vertueux (Platon, Phèdre, 348 de Ficin, 716 de H. Et) ce qu’il a complètement démontré dans le dialogue du Lysis (Platon, Lysis, p. 110 de Ficin, 214 de H. Et.) : savoir, qu’une amitié véritable ne saurait se conserver au milieu de l’injustice et de la perversité. Et l’Étranger, Athénien, dit également, que c’est une action chérie de Dieu et qui se règle sur ses traces, qui, de plus ; a pour elle un ancien proverbe ; que l’homme semblable, est ami de son semblable dans les limites d’une conduite modeste ; mais que les êtres, manquant de modération, ne sauraient se lier d’amitié, ni avec ceux qui sont immodérés, ni avec ceux qui sont le contraire ; en sorte que Dieu doit être pour nous la mesure de toutes choses (Platon, 4e des Lois, p. 601 de Ficin, 415 de H. Et.).
Puis, après d’autres réflexions, Platon ajoute :
« Tout homme bon est semblable à quiconque est bon. Et, sous ce rapport, il ressemble à Dieu, et celui qui aime tout ce qui est bon, aime nécessairement Dieu. »
Puisque nous en sommes venus à ce point, faisons encore mention de ce philosophe. A la fin du Timée, il dit que l’on doit rapprocher, le plus possible, la conception de l’objet conçu, suivant sa nature ancienne, et lorsqu’il aura établi cette ressemblance, il aura atteint le but proposé aux hommes par les Dieux, celui de la vie la plus parfaite, aussi bien pour le temps présent que pour celui à venir. (Platon, Timée, p. 852 de Ficin, 80 de H. Et) »
Et, après quelques paroles, Clément continue (Clément, Stromates, 5, p. 705) :
« Nous sommes tous frères, comme fils d’un seul Dieu, élèves d’un seul maître. C’est ce que Platon semble insinuer, très-bien, en ces termes :
« Vous êtes tous frères, en tant qu’habitant une même cité (Platon, 3 de la Rép. p. 443 ; de Ficin, 415 de H. Et) leur dirons-nous, en continuant notre fable ; mais Dieu en moulant son ouvrage, a su mêler l’or dans l’engendrement de ceux d’entre nous qui sont propres à gouverner ; ce qui fait qu’ils sont les plus précieux : viennent ensuite les auxiliaires auxquels il a mêlé l’argent : le fer et l’airain ont été employés pour les laboureurs et les autres artisans. »
D’où ce philosophe tire la conséquence que les uns doivent chérir et adopter les études qui tiennent de la science ; les autres celles qui appartiennent à l’opinion, car il est nécessaire qu’il ait prophétisé une nature exquise, avide de science ; à moins qu’on ne dise, comme quelques interprètes l’ont supposé, qu’ayant admis trois natures, il a décrit trois formes de gouvernement : celle des Juifs, d’argent ; celle des Grecs, la troisième ; celle des chrétiens, dans laquelle l’or royal (l’Esprit saint) se trouve mêlé. Car il décrit, en quelque sorte, mot pour mot, la vie des chrétiens dans le Théaetète (Platon, Théétète, p. 127 de Ficin ; 173 de H. Et).
« Parlons donc des plus éminents. Qui voudrait, en effet, s’entretenir de ceux qui se traînent honteusement dans la philosophie ? Ceux dont je parle ignorent le chemin qui mène à la place publique, aux tribunaux, au sénat, ou à tout autre lieu de réunion publique d’administration : ils ne voient et n’entendent ni les lois ni les décrets, soit qu’on les proclame ou qu’on les affiche. Les brigues des factions dans l’élection des magistrats, les conciliabules, les banquets, les divertissements où l’on introduit les joueuses de flûte, sont autant de choses qui ne leur apparaissent même pas en songe. Les événements heureux ou malheureux arrivés à l’Etat, les adversités qu’il a éprouvées du temps de nos ancêtres, c’est ce qu’il ignore plus complètement que ce qu’on nomme les Choês de la mer : il ne se rend pas même compte de son ignorance à cet égard ; c’est que, dans la réalité, il n’y a de présent et d’habitant dans la ville que son corps : son esprit voltige de tout côté, suivant l’expression de Pindare, au-dessus de la terre, étudiant le cours des astres qui brillent dans le ciel, et interrogeant, partout, toute la nature. »
« Aussi, on peut mettre en parallèle ces paroles du Seigneur :
« Que votre discours soit oui et oui, non et non (St. matthieu, 5,37 ; Ep. de S. Jacques, 5,12), »
avec ce qui suit,
« Quant à moi, le mensonge ne peut m’être permis, non plus que de dissimuler la vérité (Platon, Théétète, p. 151 de H. Et, 113 de Ficin), »
« Le passage suivant, tiré du onzième livre des Lois, est parfaitement en harmonie avec la prohibition du jurement :
« Que la louange et le jurement soient à jamais écartés (Platon, 11e des Lois, p. 376 et 677 de Ficin, 917 de H. Et). »
Et, en général, Pythagore, Socrate et Platon, lorsqu’ils disent avoir entendu la voix de Dieu, lorsqu’ils considèrent la construction de l’univers, si habilement combinée et si perpétuellement conservée par Dieu, ont prêté l’oreille à ces paroles de Moyse :
« Il dit et cela fut fait, »
qui nous révèlent que Dieu fait par l’entremise de son Verbe. Ces philosophes savaient aussi que l’homme a été pétri de la terre, car ils ne cessent de nommer terrestre notre corps. Homère même ne craint pas d’employer ce langage sous forme d’invective :
« Mais, vous tous, redevenez eau et terre (Iliad, H, 97). »
C’est ce qu’Isaïe a dit :
« Et vous les foulerez aux pieds comme de la boue (Isaïe, X, 6). »
Et ce que Callimaque a décrit clairement :
« C’était l’année même, où jadis les oiseaux, les habitants de la mer et les quadrupèdes parlaient comme l’argile de Prométhée. »
Puis encore le même :
« Si, en effet, dit-il, Prométhée t’a façonné et que tu ne sois pas sorti d’une autre argile »
Hésiode, au sujet de Pandore, dit :
« Il ordonna à Vulcain, remarquable par son adresse, de pétrir au plus vite de la terre avec l’eau, de lui donner la voix d’un homme et son intelligence. (Hésiode, Œuvres et Jours, v. 60) »
« Les Stoïciens définissent la nature un feu artiste qui marche vers l’engendrement. Le feu et la lumière sont les expressions allégoriques dont se sert l’écriture pour désigner Dieu ou son Verbe.
« Mais quoi ! est-ce qu’Homère, en paraphrasant la division de la terre et de l’eau, ne fait pas apparaître clairement à nos yeux la découverte de l’Aride de l’écriture. Voici comme il en parle sous les noms de Téthys et de l’Océan :
« Il y a déjà un longtemps qu’ils ont fait divorce de couche et d’embrassements entre eux (Homère, Iliade, X, v 206). »
En outre, les plus judicieux de tous les Grecs rattachent à la divinité la puissance universelle. Epicharme, qui au reste était Pythagoricien, dit :
« Rien n’échappe à la divinité. Voilà ce que vous devez savoir. Dieu est lui-même notre surveillant, et rien ne se soustrait à sa puissance. »
Le lyrique dit ce qu’il est au pouvoir de Dieu de tirer la lumière sans tache de la nuit sombre, et de couvrir l’astre brillant du jour des ténèbres les plus profondes (Fragment 106 de Bœckh). » Le seul, en effet, qui puisse faire arriver la nuit lorsque le soleil brille, dit-il, c’est Dieu. »
Aratus, dans le poème intitulé Phénomènes, dit :
« Commençons par Jupiter, dont nous ne tairons jamais la mémoire tant que nous serons parmi les hommes. Toutes les routes qu’ils parcourent sont remplies de ce Dieu : toutes les places qu’ils fréquentent, en sont également pleines, aussi bien que la mer et les lacs. Tous, nous avons besoin de Jupiter, en toutes circonstances. » Il ajoute : « Car nous sommes sa race, c’est-à-dire sa créature. Il est plein de bienveillance pour les hommes et leur annonce par des signes ce qui doit leur profiter. C’est lui qui a fixé dans les cieux ces brillants signaux, en séparant les étoiles : il a partagé l’année entre les diverses constellations, afin de prédire aux hommes ce qui leur était le plus utile à faire, suivant les différentes saisons ; de manière à assurer à jamais leur succession. C’est la raison pour laquelle ils l’implorent le premier et le dernier. Je vous salue, ô Père, ô prodige infini, ô grand appui de la race humaine (Début du poème). »
Déjà, avant lui, Homère, dans la description du bouclier fait par Vulcain, a chanté la création du monde d’après Moïse :
« Il y a représenté la terre, le ciel et la mer, dit-il ; il y a placé tous les prodiges que le ciel enferme (Hom., Iliad., X, v 483). »
« En effet, ce Jupiter, chanté dans les poèmes et dans les ouvrages en prose, rappelle l’intelligence qui est en Dieu.
Déjà Démocrite le remet, pour ainsi dire, sous nos yeux, lorsqu’il dit qu’il y a très peu d’hommes qui dirigent leurs mains vers ce lieu que, nous autres Grecs nous nommons Air, et que toute la fable appelle Jupiter ; car il sait tout, il donne et ôte, il est le roi de l’univers.
« Le Béotien Pindare l’a exprimé d’une manière plus mystérieuse, en qualité de Pythagoricien : ce il n’y a qu’une race des Dieux et des hommes : l’une et l’autre tire l’existence d’une même mère (Némé, VI, v. 1). » C’est la matière qu’il entend : Puis il déclare qu’il n’y a qu’un seul artisan de toutes ces choses, qu’il nomme ἀριστοτέχνα (Frag. 29 de Bœckh), le père, l’ouvrier le plus habile, qui admet au sein de la divinité, suivant l’ordre de leur mérite, les progrès en bien que nous faisons.
« Je passe Platon sous silence, qui sans y mettre de dissimulation, dans la lettre à Eraste et à Corisque (Vie lettre de Platon), nomme le père et le fils, ayant, je ne sais comment, tiré cela des voix hébraïques, nous recommandant dans les mêmes termes, invoquant par serment avec un zèle qui n’est point sans inspiration et avec une doctrine qu’accompagne le zèle,
« Dieu cause de tout ce qui existe, le Père et Seigneur du chef et de la cause que vous connaîtrez infailliblement, si vous vous adonnez sincèrement à la philosophie. »
« Ce discours, qu’il attribue à Dieu, est contenu dans le Timée (Platon, Timée, p. 530 de Ficin, 41 de H. Et) où il se nommé Père et créateur, Δημιουργὸς, à peu près en ces termes :
« Dieux des dieux dont je suis le père et dont je produis toutes les œuvres. »
De même quand il dit :
« Toutes choses dépendent du roi universel, tout existe à cause de lui, il est le principe de tout ce qu’il y’a de beau (dans les premières) ; les secondes se rapportent au second, les troisièmes au troisième (Plat., lettre à Denys, p. 707 de Ficin, p. 312 de H. Etienne). »
« Je ne saurais le comprendre autrement que de la sainte Trinité. Ce qu’il désigne par le troisième, c’est le Saint-Esprit ; par le second, c’est le Fils, par qui tout a été créé, suivant la volonté du Père.
« Le même, dans le dixième livre de la République, mentionne Her, fils d’Arménius, Pamphylien d’origine, qui n’est autre que Zoroastre, car celui-ci a écrit (Platon, Rép. l. X, p. 513 de Ficin, de H. Et.) :
« Voici ce que Zoroastre, fils d’Arménius, Pamphylien de naissance, a composé, après être mort, sur toutes les choses qu’il a apprises des Dieux, lorsqu’il était dans les enfers. »
Or, Platon dit donc que ce Zoroastre, ayant été placé sur un bûcher, le douzième jour était revenu à la vie. Peut-être n’est-ce pas la résurrection qu’il a voulu indiquer ; mais il a voulu faire allusion au chemin des âmes, parcourant les douze signes du zodiaque pour parvenir à l’analepse (la reprise de la vie) ; car ce même philosophe a professé que c’est par ce même retour, que les âmes reviennent a l’engendrement. C’est également le sens qu’on doit attribuer aux douze travaux d’Hercule, après lesquels l’âme obtient d’être délivrée de cet univers terrestre.
« Je ne passerai pas non plus, sans le citer, Empédocle. Ce physicien fait mémoire de l’analepse universelle, c’est-à-dire du changement qui doit advenir, un jour, dans la substance du feu.
Héraclite d’Éphèse a professé cette doctrine avec plus de clarté encore, admettant comme démontré qu’il y a un univers éternel, puis un autre univers qui se détruit, quant à sa disposition organique ; mais qui n’est pas différent, comme il le reconnaît, de celui qui y succède. A l’égard de l’éternité d’un univers quelconque, formé éternellement de l’ensemble de toute substance, il l’établit clairement par ces paroles :
« Cet univers, formé de la réunion de toutes les substances, n’a été créé par aucun des dieux ni par aucun des hommes : il a été, il est, il sera : c’est un feu toujours vivant qui s’allume successivement et s’éteint de même, »
« Quant à la doctrine de la production et de la destruction de l’univers, voici de quelle manière il l’enseigne :
« Les altérations du feu sont d’abord la mer, puis la moitié de la mer devient terre, et la moitié de la terre devient la vapeur ignée. »
« Il dit donc que le feu, par sa puissance, c’est-à-dire par celle que lui a communiqué le Verbe Dieu, qui a mis toutes choses en ordre, le feu, dis-je, se transforme en eau qui est comme le germe de l’arrangement de l’univers ; c’est ce qu’il nomme mer. De là viennent ensuite le ciel, la terre et tout ce qu’ils contiennent. Comment ensuite ces mêmes substances se revivifient-elles et se consument-elles ? Il nous l’explique clairement en disant :
« La mer se répand et se retire d’après les mêmes lois, d’après lesquelles elle existait avant que la terre fut ; il en est de même des autres éléments. »
Les plus éclairés, parmi les Stoïciens, ont des doctrines a peu près semblables à celles de ce philosophe, traitant de la construction, de l’ordre de l’univers, de la qualité qui caractérise l’univers et l’homme, de la durée persistante de nos âmes. En revenant, à Platon, il nomme, dans le septième livre de la République (Platon, Septième livre de la République, page 465 de Ficin, 521 de H. Etienne), le jour dont nous jouissons un jour de nuit, apparemment par allusion aux esprits de ténèbres qui commandent dans le monde, que saint Paul nomme Κοσμοκράτορες. De même qu’Héraclite, il déclare que la mort n’est qu’un sommeil qui est la descente de l’âme dans le corps.
« Est-ce que l’Esprit saint n’a pas prophétisé les mêmes pensées en parlant du Sauveur, lorsqu’il fait dire à David :
« Je me suis assoupi et j’ai sommeillé. Je me suis réveillé parce que le Seigneur prendra ma défense (Psaume III, 6) »
Il n’emploie pas le sommeil simplement comme une allégorie de la résurrection du Christ notre Sauveur, en disant qu’il s’est éveillé de son sommeil ; mais aussi comme une allusion à sa descente dans la chair. Aussi notre Sauveur lui-même nous exhorte à nous réveiller comme s’il disait : Méditez sérieusement sur la vie, et efforcez-vous de détacher votre âme du corps.
« Platon prophétise aussi sur le jour du Seigneur, dans le dixième livre de la République, en ces termes :
« Après que sept jours se furent écoulés pour chacun de ceux qui étaient dans la prairie, s’étant levés, ils durent partir le huitième jour, et arriver après quatre autres jours (Platon, 10e de la Républ., p. 519 de Ficin, 614 de H. Et.). »
Par la prairie, on doit entendre la sphère immobile, comme un lieu plein de douceurs et d’agréments : c’est le séjour des êtres pieux. Les sept jours indiquent chacune des rotations des sept planètes, et toute l’activité artistique qui tend vers le repos, comme vers son terme. Sa direction, après avoir traversé les sphères errantes, mène au ciel : c’est le huitième mouvement et le huitième jour. »
« Il dit que les âmes arrivées le quatrième jour, ce qui signifie la marche des quatre éléments.
Ce ne sont donc pas les seuls Hébreux qui reconnaissent (la sainteté du) septième jour ; les Grecs eux-mêmes l’ont connue, en ce que c’est pendant cette période, que tout l’univers des animaux et des plantes achève son cours. Hésiode le déclare en parlant ainsi :
D’abord la première, puis la quatrième, enfin la septième journée : jour sacré. »
« Puis au septième jour, revint la lumière brillante du soleil. »
« Homère :
Ensuite vint le septième jour : jour sacré ; puis : Le septième était sacré. »
Encore :
« C’était le septième jour, et tout avait été consommé, »
« De nouveau, à la septième aurore, nous quittâmes le fleuve de l’Achéron. »
« Callimaque le poète, l’a également célébré :
« C’était le septième jour, et tout avait été terminé. »
« Le même :
« Le septième jour compte parmi les jours de bonheur, et c’est la septième génération. La septième dans les premiers, et la septième est la fin. »
« Toutes choses dans le ciel étoilé, ont été faites par sept, comme on le voit dans les globes, qui par leur cours remplissent l’année. »
« Les élégies de Solon, divinisent en quelque sorte le nombre sept. »
« Mais quoi ! n’est-ce pas d’accord avec l’Écriture qui dit :
Expulsons le juste du milieu de nous, car il nous est à charge, que Platon a pour ainsi dire prophétisé l’économie de notre salut, dans le deuxième livra de la République, lorsqu’il dit :
Le juste ainsi classé, sera flagellé, enchaîné : on lui arrachera les yeux, enfin, on lui fera subir toutes les tortures, on l’attachera au gibet (Platon, Rép., Liv 2, p. 423 de Ficin, 362 de H. Etienne). »
« Antisthène, le disciple de Socrate, paraphrase l’écriture des prophètes :
A qui me comparez-vous, dit le Seigneur ?
lorsqu’il dit :
« On ne peut comparer Dieu à qui que ce soit, c’est pourquoi personne ne peut s’en faire une idée d’après les images. »
Xénophon l’Athénien dit les mêmes choses en propres termes :
« Celui qui ébranle et met en mouvement cet univers, nous fait bien voir à quel point il est grand et puissant ; mais il dissimule à nos regards sa forme et sa figure. Le soleil même qui semble toute lumière (παμφαής), ne nous permet pas de le fixer ; et quiconque serait assez audacieux pour le faire, serait bientôt frappé de cécité »
« Quelle chair peut voir avec ses yeux le Dieu céleste, véritable et immortel, qui habite l’empyrée ? mais elle ne peut pas même soutenir l’éclat des rayons du soleil » a dit la Sibylle.
Xénophane de Colophon a donc eu raison en professant la doctrine que Dieu est un et incorporel : ce à quoi il ajoute :
« Il y a un Dieu suprême au-dessus des Dieux et des hommes, dont le corps n’a aucune ressemblance avec les corps mortels, non plus que l’intelligence. »
« Puis ensuite :
« Mais les mortels croient que les Dieux sont engendrés, qu’ils ont un corps, une voix, et des vêtements. (Sensation, Théodoret) semblables aux nôtres »
« Et encore :
« Mais si les bœufs ou les lions eussent eu des mains qui leur permissent de peindre des figures et d’exécuter les mêmes travaux que les hommes, les chevaux eussent peint les Dieux sous des formes semblables aux leurs, les bœufs en eussent fait autant, leur donnant un corps en tout semblable à celui qu’ils tiennent de la nature. »
« Écoutons maintenant Bacchylide le lyrique,, parlant de la divinité :
« Ceux-ci sont exempts des maladies qui enchaînent notre existence : exempts de fautes, ils n’ont rien de commun avec les hommes. »
Écoutez encore ce qu’on lit sur Dieu dans un poème de Cléanthe le Stoïcien, :
« Vous me demandez ce qu’est le Bien suprême, prêtez-moi attention. C’est un être ordonné, juste, saint, pieux, maître de soi, utile, beau, dans le devoir, austère, sans dissimulation, toujours rendant service ? sans craint et sans douleur, obligeant, écartant les chagrins, utile, sûr, amical, plein d’honneur, cherchant à plaire, ouvert, généreux, sans faste, soigneux, doux, empressé, patient, sans reproche et persévérant. »
« Le même philosophe accusant, d’une manière détournée, l’idolâtrie de la multitude, ajoute :
« Tout homme vulgaire se laisse conduire par l’opinion, dans l’espoir d’obtenir quelque avantage de cette puissance. »
Ce n’est cependant pas d’après l’opinion que la masse avait de la divinité que le poète s’exprime, lorsqu’il dit :
« Je ne puis croire qu’imitant furtivement les manières des hommes pervers, Jupiter se soit introduit dans ton lit sous une apparence humaine. »
C’est Amphion qui parle de la sorte à Antiope. Quant à Sophocle, il retrace ce fait sans employer de mystère ;
« Jupiter épousa la mère de celui-ci sans se changer en or, sans se couvrir du duvet d’un cygne, comme il le fit lorsqu’il s’approcha de la vierge de Pleuron : il se montra comme un pur homme, »
Ensuite il ajoute :
« L’adultère escalada rapidement les degrés de la chambre de la jeune infidèle. »
Il retrace d’une manière encore plus flagrante l’incontinence de Jupiter et de la fable, en racontant ce qui suit :
« Celui-ci, sans avoir pris part au banquet, sans avoir plongé ses mains dans l’onde purifiante, se rendit, avec un cœur aiguillonné par la passion, près du lit, sur lequel il reposa pendant la nuit toute entière. »
Mais laissons ces détails aux folles peintures du théâtre. Héraclite dit que les hommes sont toujours indociles aux leçons du devoir, tant avant de les entendre qu’après les avoir entendues.
Melanippide le lyrique, chante : O Père, prêtez l’oreille à mes prières, vous l’admiration des mortels, et prenez soin de l’âme toujours vivante. »
« Le grand Parménide, comme le nomme Platon dans le Sophiste, écrit en ces termes sur la divinité :
« De même qu’il n’a point commencé d’être, il ne peut périr ; il est indivisible, unigène, inébranlable et incréé. »
« Mais Hésiode :
« Vous êtes, dit-il, le roi et le souverain des immortels, aucune puissance ne peut se mesurer avec vous. »
« Quoi ! la tragédie elle-même, nous arrachant au culte des idoles, nous apprend à diriger nos regards vers le ciel. En effet, Sophocle, au rapport d’Hécatée qui a recueilli des récits historiques, dans son livre sur Abraham et les Égyptiens, s’écrie à hante voix sur la scène :
« Oui, dans la vérité, il est un seul Dieu qui a fait le ciel et la terre immense, l’étendue de la mer bleuâtre, et la violence des vents. Mortels que nous sommes, dans une profonde erreur de notre cœur, nous consacrons, avec l’espoir d’éloigner de nous les infortunes, des statues de pierre ou de bronze, aux Dieux : nous en formons des images d’or ou d’ivoire : nous leur immolons des victimes : nous célébrons, en leur honneur, des solennités pompeuses, et nous croyons ainsi remplir les devoirs de la piété »
« Euripide, sur la scène tragique, dit également :
« Vous voyez cet éther immense, suspendu au-dessus de nos têtes, qui retient de toute part la terre dans ses bras humides : pensez que c’est Jupiter, et adorez-le comme Dieu. »
« Dans la pièce de Pirithoûs ; le même poète :
« Vous qui tenez votre existence de vous-même, qui embrassez la nature entière dans votre orbite ; autour duquel la lumière éclatante et la nuit sombre règnent tour-à-tour, que la foule innombrable des étoiles environne par des danses qui n’ont point de fin. »
« Dans ces vers le poète a nommé αὐτοφυή (son propre auteur), l’intelligence créatrice : il applique à l’univers ce qui suit : « dans lequel les alternatives de jour et de nuit contrastent entre elles. »
Le fils d’Euphorion, Eschyle, a dit :
« Jupiter est l’éther, Jupiter est la terre, Jupiter est le ciel, Jupiter est toutes choses, et tout ce qui peut exister par-dessus. »
« Je sais que Platon rendit dommage à Héraclite, lorsque celui-ci écrivait : il y a un sage ; il n’a pas voulu dire qu’il était seul, et nomme Jupiter. Puis encore
« La loi veut que nous obéissions à la volonté d’un seul. »
Que si vous voulez tirer des inductions de cette sentence :
que celui qui a des oreilles pour entendre, entende ;
vous en trouverez le développement dans l’éphésien (Héraclite),
« Les insensés, en écoutant, ressemblent à des sourds, et leur langage décèle qu’en présence, ils sont absents, »
Voulez-vous apprendre clairement, des Grecs, qu’il n’y a qu’un principe ? Écoutez Timée de Locre, dans son traité de physique. Il vous rendra ce témoignage en propres termes.
« Il n’y a qu’un principe de toutes choses qui n’a point été engendré. Car s’il eût eu un commencement d’existence, il ne serait pas principe ; mais ce seraient les choses dont il tire son être, qui seraient principes. »
C’est d’où découle cette maxime incontestable
« Écoutez, ô Israël : Le Seigneur votre Dieu est unique, et vous n’adorerez que lui seul (Deutér., VI, 4). »
Et comme le répète la Sibylle :
« Son existence apparaît à tous les yeux, de manière à ne pas induire en erreur. »
Xénocrate de Chalcédoine, en nommant Jupiter le suprême et l’extrême τὸν μὲν ὕπατον, τὸν δὲ νέατον, donne uns idée du père et du fils. Et ce qui est encore plus étonnant, c’est qu’Homère, qui a donné aux Dieux les passions des homme, et que, par ce motif, Épicure trouve indigne de respect, semble cependant connaître ce qu’est la divinité, lorsqu’il dit :
« Pourquoi, ô fils de Pelée, aux pieds légers, me poursuis-tu, toi qui n’es qu’un mortel ; lorsque je suis un Dieu immortel ? Tu n’as donc pas encore reconnu que je suis un Dieu (Iliade, X, 3). »
Il a indiqué par ces vers, que la divinité n’est pas saisissable aux mortels ; qu’ils ne peuvent l’atteindre, ni des pieds, ni des mains, ni des yeux, ni d’aucune partie du corps,
« A qui assimilerez-vous le Seigneur, à quelle ressemblance le comparerez-vous ? dit l’Écriture. Est-ce que le sculpteur en bois, le fondeur d’or ou le doreur, a pu retracer son image ? et tout ce qui vient à la suite ?
Épicharme, le comique, a parlé clairement du Verbe, dans la pièce de la République, eu ces termes :
« La vie humaine a surtout besoin de raisonnement et de nombre : nous vivons par le nombre et le raisonnement. Voilà ce qui conserve les mortels. »
« Il ajoute ouvertement :
« La parole (λόγος) gouverne les hommes et, jusqu’à un certain point, est leur sauveur. Le raisonnement dans l’homme ne vient que de Dieu. La parole est née avec l’homme, pour le conduire dans les traverses de la vie, dans la découverte des jours. C’est la parole divine qu’on suit ; elle nous enseigne ce qu’il est utile que nous fassions ; car l’homme n’aurait jamais fait aucune découverte, si Dieu ne l’y eut conduit. Ainsi la raison humaine n’est qu’une émanation de la raison divine. »
N’entendons-nous pas l’Esprit-Saint, crier dans Isaïe :
« A quoi me sert cette multitude de victimes, dit le Seigneur. Je suis rempli d’holocaustes : la graisse des agneaux, le sang des taureaux, ne me sont point agréables » (Isaïe, 1, 11).
Puis après quelques lignes, il ajoute :
« Lavez-vous, purifiez-vous, bannissez les iniquités de votre cœur (Isaïe, 1, 16). »
« Eh bien, Ménandre le comique écrit en propres mots :
« Si quelqu’un, ô Pamphile, offrant en sacrifice des quantités de taureaux, de chevreaux, ou d’autres victimes semblables, par Jupiter, ou en décorant les temples d’offrandes magnifiques, soit manteaux d’or ou de pourpre, soit des représentations d’animaux en ivoire ou en émeraude, croit en cela se rendre Dieu propice, il s’abuse et décèle la frivolité de son esprit. L’homme doit avant tout faire voir qu’il est vertueux, qu’il respecte la pureté des vierges, la vertu conjugale des épouses, qu’il ne se livre, pour s’enrichir, ni aux fraudes secrètes, ni aux actes d’une violence meurtrière. Ne désirez pas même, ô Pamphile, une aiguillée de fil qui ne vous appartienne pas ; car Dieu vous voit et se tient près de vous. »
« Je suis un Dieu proche et non un Dieu éloigné. L’homme fera-t-il quelque chose dans le secret, sans que je le voie ? » Voilà ce qu’il dit par la bouche de Jérémie.
« Ménandre paraphrase l’Écriture, lorsqu’elle dit :
« Immolez un sacrifice, de justice et espérez dans le Seigneur,
dans les vers suivants :
« Me désirez pas une aiguille à un étranger ; car Dieu se complaît aux œuvres de justice et non pas à celles qui sont injustes. Que ce soit par le travail que vous éleviez votre fortune., en labourant la terre, jour et nuit. Continuez votre sacrifice en toute confiance, étant juste et orné de la pureté de l’âme, comme d’une robe éclatante. Si vous entendez le tonnerre, ne fuyez point, puisque votre conscience ne vous fait nul reproche, ô mon maître, car Dieu vous voit et se tient près de vous. »
« Lorsque vous parlerez encore, dit l’Écriture, je vous dirai me voici (Isaïe, LII, 6). »
« Diphile le comique a dialogué, à peu près ainsi, la doctrine du jugement.
« Pensez-vous, ô Nicérate, que ceux des morts qui, pendant leur vie, ont goûté toute espèce de délices, échappent à la divinité sans en être connus ? Il est un œil de la justice qui voit toutes choses : aussi, pensons-nous que deux chemins mènent au séjour des morts, l’un, celui des justes, l’autre, celui des impies. Lorsqu’on est mort, disent-ils, la même terre les couvre tous deux de son obscurité. Enlevez donc, dérobez, dépouillez, mettez tout sens dessus dessous. Ne vous laissez pas égarer : il y a un jugement dans l’enfer qui sera rendu par Dieu, souverain de l’univers, dont le nom nous glace d’effroi ; encore que je ne le nomme pas. Il rendra à chacun des pécheurs, après la durée de leur vie, suivant leur mérite. »
« Si quelqu’un des mortels croit qu’en commettant journellement le mal, il échappera à la connaissance des Dieux, il a une très fausse manière de penser ; mais il sera trompé dans son attente, lorsque la justice, usant de loisir, viendra le surprendre. Voyez, vous tous qui croyez qu’il n’y a pas de Dieu : il y en a un, certes, il y en a un. Et si l’on fait le mal, étant né avec une inclination vicieuse : qu’on mette le temps à profit ; car, avec le temps, le coupable subira la peine de ses crimes.
La tragédie est d’accord avec la muse comique pour nous enseigner les mêmes choses, « Il y aura un temps dans les siècles, où l’éther, à l’œil d’or, laissera échapper les trésors de feu dont il est rempli ; la flamme, dévorant toutes les substances terrestres et célestes, exercera avec rage son action destructive. »
Puis il ajoute :
« Lorsque tout aura disparu, on cherchera en vain l’abîme profond des flots : la terre, dépouillée de sa parure et desséchée par le feu, ne fera plus germer le feuillage agité par le vent ; mais, ensuite, il ranimera tout ce qu’il avait détruit auparavant. »
On lit des choses semblables, dans les poèmes orphiques, écrites ainsi qu’il suit :
« Après les avoir tous cachés, il les ramènera ensuite à l’éclat du jour qui réjouit les peuples, les tirant de son cœur sacré, faisant des choses prodigieuses. »
« Si nous vivons pieusement et pratiquant la justice, nous serons heureux ici-bas et plus heureux encore après avoir quitté la terre ; notre bonheur n’étant plus borné par le temps, mais se réglant par l’éternité.
« Le poète philosophe, Empédocle, nous dit :
« Admis au foyer des autres immortels, admis à leur banquet, ils seront exempts des tourments qui affligent l’humanité, n’étant plus soumis à la mort ni aux souffrances. »
Personne, suivant les Grecs, ne sera assez grand pour échapper à la justice ni assez petit pour échapper à ses regards. Orphée dit les mêmes choses.
« En portant vos regards vers le Verbe divin, attachez-vous à lui, en rectifiant la faculté intellectuelle de votre âme : suivez exactement ce sentier, ne fixez uniquement que le roi immortel. »
« Ensuite, en parlant de Dieu qu’il reconnaît invisible, il ajoute qu’il n’a été connu que par un seul homme, Chaldéen d’origine (soit qu’il veuille désigner par ces vers Abraham, où son fils).
« Si ce n’est par un rejeton unique de la tribu des Chaldéens, versé dans la science de la marche du soleil et sachant comment son mouvement circulaire s’accomplit autour de la terre, qui est son centre, d’une manière toujours égale : c’est lui qui maîtrise les vents dans l’air et sur l’onde ; »
« Ensuite, paraphrasant en quelque sorte cette parole :
« le ciel est mon trône, la terre mon marchepied (Isaïe, LXVI, 1), »
Il continue :
« Pour lui, il est immuablement fixé dans le ciel immense, sur un trône d’or : la terre est placée sous ses pieds : il étend sa droite jusqu’aux bornes de l’océan : la base des montagnes est ébranlée jusqu’au centre, par l’impulsion de sa colère : elle ne peut résister à sa force invincible : tout entier dans le ciel, rien ne se fait sur la terre que par lui : il réunit à la fois le commencement, le milieu et la fin. Cependant il m’est interdit de vous le faire connaître. Mes membres éprouvent au mouvement convulsif, né de mon esprit ; car Dieu règne du sommet des cieux. »
Et ce qui suit
« Il a développé dans ces vers les expressions du prophète : « Si vous ouvrez votre ciel, je suis saisi de tremblement : devant vous les montagnes entrent en fusion : elles coulent comme la cire en votre présence. » Puis encore, Isaïe a dit ;
« Qui a mesuré le ciel par la paume de sa main et toute la terre par son poing (Isaïe, XL, 12) ? »
« Voici comment Orphée rend cette même idée :
« Maître suprême de l’éther, de l’enfer, de la mer et de la terre, vous qui ébranlez par vos coups de tonnerre la demeure solide de l’Olympe ; vous que les démons redoutent ; que craint la troupe des Dieux ; à qui les Parques obéissent malgré leur insensibilité invincible : père et mère (μητροπάτωρ) par la colère duquel tout est mis en commotion ; c’est vous qui agitez les vents ; qui couvrez de nuages toute la scène du monde, déchirant le vaste sein de l’air par le sillonnement de vos éclairs. Les astres vous doivent l’ordre qui les régit : vos infatigables envoyés environnent votre trône de feu. Ce sont eux qui ont le soin de régler tout ce qui s’exécute parmi les mortels : par vous le printemps brille d’un éclat nouveau, au milieu des fleurs purpurines : par vous l’hiver courre de ses nuages glacés les contrées où naguère Bromios distribuait aux bacchantes les fruits qu’il avait recueillis. »
« Il ajoute encore, donnant à Dieu, en propres termes, le nom de Pantocrator, l’incorruptible, l’éternel, celui dont le nom ne peut être proféré que par les seuls immortels : Venez, ô le plus grand des dieux, avec votre nécessité invincible ; montrez-vous terrible, insurmontable, grand, impérissable, couronné par l’éther. »
« Par le terme de Métropator, il ne désigne pas seulement la création de rien, mais il fournit encore les premiers rudiments de l’opinion de ceux qui veulent trouver en Dieu la notion conjugale.
« Voici encore une paraphrase des écritures prophétiques tirée tant d’Osée :
Me voici, c’est moi qui forge la foudre, qui crée le souffle des vents, dont les mains ont fondé toute la milice céleste, » que des paroles de Moïse :
« Voyez, voyez, je suis celui qui est, et il n’est pas un autre Dieu que moi. Je tuerai et je ferai vivre ; je frapperai et je guérirai. Il n’est personne qui puisse vous arracher de mes mains (Deutéronom, XXXII, 39). »
« C’est lui qui fait naître le mal du bien pour les mortels, et leur envoie la guerre qui répand l’effroi »
C’est ainsi que s’exprime Orphée.
Archiloque de Paros en parle dans des termes pareils :
« O Jupiter, le ciel est votre empire. ; c’est de là que vous faites fondre sur les hommes les fléaux destructeurs des peuples et des lois. »
« Répétons encore ce que nous a dit le chantre de Thrace, Orphée :
« Il étend sa droite jusqu’aux bornes de l’océan ; de tout côté la terre tremble sous ses pieds. »
Ces vers sont pris évidemment de ces paroles :
« Le Seigneur ébranlera les villes et leurs habitants ; il tiendra l’univers entier dans sa main comme un nid d’oiseau. »
Le Seigneur a créé la terre par sa puissance, dit Jérémie ; il rétablira l’univers par sa (Jérémie, 10,12) sagesse, »
Ajoutons à tout cela Phocilyde, qui appelle démons les anges : les uns sont bons, les autres sont méchants ; il fait comprendre sous cette dénomination ceux que nous nommons les anges rebelles,
« Les dieux ne sont donc pas toujours les mêmes envers les mortels : il en est qui peuvent écarter le malheur qui menace l’homme à sa naissance (Phocylide. Vers étranger au texte imprimé). »
« Le poète comique Philémon renverse l’idolâtrie par ces vers :
« La fortune n’est point une divinité pour nous : le hasard n’est autre que ce qui arrive à chacun, et voilà ce que nous nommons fortune (Ménandre, frag. 48 de Meineke) »
« Sophocle, le père de tant de tragédies, dit :
« Toutes choses n’arrivent pas aux dieux d’après leurs désirs, excepté à Jupiter qui réunit en lui le commencement et la fin. »
Orphée dit encore :
« Il n’y a qu’une force et qu’un Dieu, le grand Ciel avec ses feux, dans lequel tout est accompli, et qui embrasse tout ce qui est, le feu, l’eau, la terre. »
« Mais, à son tour, que proclame Pindare dans sa fureur bachique :
« Qu’est-ce que Dieu ? Tout ce qui existe ; »
puis :
« Dieu est ce qui crée tout pour les humains, »
lorsqu’il dit :
« Comment espérez-vous, ô homme, vous élever un peu au-dessus de votre semblable, par la sagesse ? Il est difficile à la nature humaine de pénétrer les desseins des Dieux envers vous, qui êtes né d’une mère mortelle (Pindare, frag. 38, cité dans les Eclogae physicae de Stobée). »
Voici comme il tire parti de cette parole :
« Qui a connu l’esprit de Dieu ou qui l’a assisté de ses conseils ? »
Mais Hésiode n’est-il pas d’accord avec le prophète, lorsqu’il dit :
« Il n’y a point de devin parmi les hommes, habitants de la terre, qui puisse connaître la pensée de Jupiter, porteur de l’Égide (Hésiode, fragments,, page 450 de l’édition de Mœsner). »
En conséquence, Solon l’Athénien a parlé convenablement dans ses élégies, en suivant les traces d’Hésiode,
« La pensée des immortels est entièrement cachée aux hommes. »
dit-il.
Mais de son côté, Moïse, en prophétisant que la femme, à cause de sa transgression, enfanterait dans la souffrance et dans la peine ; un poète, qui n’est pas sans illustration, a dit :
« Ni jour ni nuit ils ne cesseront de gémir, accablés de travaux et de misère : les Dieux leur donneront de cruels soucis. »
« Ainsi, dit Homère, le père suspendit lui-même ses balances d’or (Homère, Iliade, v, 69) » pour signifier que Dieu est juste.
Ménandre le comique, voulant donner à entendre aussi que Dieu est juste, a dit :
« Un Dieu (Δαίμων) assiste chaque homme dès sa naissance, est son excellent guide dans le cours de la vie ; car on ne saurait admettre qu’il y eut un Dieu pervers qui se plût à persécuter la vie vertueuse. »
Puis il ajoute :
« Dieu ne saurait être qu’entièrement bon. »
Peut-être a-t-il voulu dire que Dieu est tout ce qui est bon : ce qui est encore mieux.
« Eschyle, le poète tragique, alléguant la puissance de Dieu, n’hésite pas à le nommer Très-Haut (ὕφιστος) dans ces vers :
« Séparez Dieu des mortels, et ne vous figurez pas qu’il soit comme vous revêtu de chair. Vous ne le connaissez pas. Tantôt il se montre comme un feu dont on ne peut s’approcher par aucun effort ; tantôt c’est une onde, puis une obscurité profonde : il se rend semblable aux animaux, au vent, à la nuée, à l’éclair, au tonnerre, à la pluie : la mer, les rochers, toutes les fontaines, et les lacs immenses obéissent à ses ordres. Il fait trembler les montagnes, la terre et le gouffre imposant des mers, les sommets des monts, lorsqu’il lance sur eux le regard effrayant du maître ; la gloire du Dieu Très-Haut peut tout ce qu’elle veut (Fragment 24 de Stanley). »
« Ne vous semble-t-il pas que ces vers soient la paraphrase de cette sentence : « La terre tremble pour se soustraire aux regards du Seigneur. » Le plus prophétique des oracles, Apollon, est bien forcé de rendre hommage à la gloire de Dieu, à l’occasion de Minerve, laquelle, lorsque les Mèdes conduisaient leur armée en Grèce, implorait avec supplication Jupiter en faveur de l’Attique. Voici cet oracle :
« Pallas ne peut pas rendre Jupiter Olympien propice à ses vœux, par ses pressantes prières, ni par son profond génie. Il abandonnera à la flamme incandescente beaucoup de temples des immortels, qui, maintenant, saisis de frayeur, ruissellent de sueur : » et ce qui suit.
Théoridas, dans son livre de la nature, écrit ;
« Le principe des essences, principe véritable, est essentiellement unique. Ces deux attributs caractérisent le principe, c’est d’être un et d’être unique. »
« Il n’en existe pas un autre que le grand Roi ; nous dit Orphée.
Diphile le comique déclare qu’étant le père commun de tous, nous devons l’honorer seul jusqu’à la fin, comme inventeur et créateur de tout ce qui est bon.
« Platon (Platon, 7e de la Rép., p. 482. D. de Ficin, 519 de H. Et) a donc raison d’assujettir les meilleures natures à l’habitude de venir apprendre la science que nous avons dit, plus haut, être la plus grande de toutes : celle de voir le bien (ἀγαθόν), et de s’élever à sa hauteur (Platon, Ibid, p. 483. C, 521 C. de H. Et). Cette conduite, à ce qu’il me semble, n’aura rien de comparable à un jeu de croix on pile ; c’est la circonduction de l’âme, qui d’un jour ténébreux est amenée à la véritable restitution de l’être, et que nous appellerons la véritable philosophie. » Ceux qui y participent sont issus de la race d’or, à ce qu’il juge, en disant :
« Vous êtes tous frères, mais principalement ceux qui sortent de la race d’or (Platon, Répub. liv. 3. p. 415 de H. Et. 443 de Ficin),
« Nous sommes tous descendants du père et du créateur de toutes choses. Ils ont compris, par un instinct naturel et sans le secours de l’instruction, les choses qui sont dans tous les êtres ; de quelle manière les substances privées de vie sympathisent avec les animaux ; comment les êtres animés sont les uns déjà immortels, astreints à des travaux journaliers, et parmi les mortels, les uns sont sans cesse guidés par la crainte, et semblent encore renfermés dans le sein de leur mère ; les autres se conduisent par une force de raison indépendante : cela embrasse tous les hommes désignés sous la dénomination de Grecs ou de Barbares. Or, il n’est, en aucun pays, de race de cultivateurs, ni de bergers, ni même de politiques, qui puisse vivre sans la foi première à un être excellent. En conséquence, toute nation orientale, voisine des rives de l’Occident, septentrionale ou tournée vers le vent Notus, a une seule et même croyance proleptique sur celui qui a constitué le gouvernement de l’univers ; d’autant plus que ses œuvres sont universellement et également connues. Cependant, par-dessus tous les autres, parmi les Grecs, ceux des philosophes qui, sortis de la philosophie barbare, se sont livrés à des recherches nombreuses à ce sujet, donnent une adhésion préalable et entière à un Dieu invisible, unique, le plus puissant et le plus habile artisan, cause première de toutes les plus belles choses. Quant aux conséquences qu’on doit en tirer ; sans les instructions que nous pouvons leur donner, on ne pouvait les connaître ; et même avec ce secours, on ne conçoit pas de Dieu l’opinion réelle qu’on devrait en avoir, d’après sa nature : seulement, Comme nous n’avons cessé de le répéter, ce n’est qu’une vérité superficielle qu’on obtient ainsi. »
Tout ce qui précède est de Clément. Toutefois, puisque la philosophie de Platon a été déjà longuement invoquée par nous, afin de prouver combien ses dogmes se rapportent à ceux des Hébreux ? ce qui nous a donné sujet d’admirer la pénétration de ce philosophe, aussi bien que son amour sincère de la vérité, il est temps, maintenant, de considérer quelques autres points de sa doctrine sur lesquels nous ne sommes plus du tout en harmonie avec lui, et qui non » font préférer la philosophie réputée barbare à la sienne.