Les Hébreux ont avancé que la nature intermédiaire des êtres doués de raison, avait eu un principe d’existence, et n’était pas éternelle : divisant par le langage les substances intellectuelles qui composent cette classe, ils les ont nommées esprits, puissances, ministres de Dieu, anges et archanges. C’est de leur chute et de leur perversion qu’ils font sortir la race des démons, et toute l’espèce malfaisante, dont l’activité s’exerce contre nous et pour nous nuire. Voilà la raison pour laquelle ils condamnent la croyance qui en fait des Dieux ; c’est parce que le bien n’est pas inhérent à leur nature ; parce qu’ils ne tirent pas leur existence d’eux-mêmes, mais de la cause première et universelle de toute existence ; enfin parce qu’ils ne comportent pas en eux et avec eux, les idées de bien-être, de vertu, d’immortalité ; n’étant en rien les égaux du Dieu universel, ni de celui par qui toutes choses ont été créées et établies. Platon, d’accord avec les Hébreux, a bien admis des substances incorporelles et intellectuelles qui sont des natures raisonnables ; mais il pèche dans les conséquences ; d’abord, en soutenant qu’elles n’ont pas commencé d’être, comme toute âme ; ensuite, en disant qu’elles se sont formées des émanations de la première cause ; car il ne veut pas reconnaître qu’elles soient sorties du néant pour venir à l’existence. C’est en ce sens, qu’il suppose une race nombreuse de Dieux, qu’il nous donne dans son langage, comme des émanations ou des émissions de la première et de la seconde cause, et auxquelles il attribue la bonté essentielle ; car il n’est jamais possible, dans son opinion, que ces êtres renoncent à la vertu qui est innée en eux ; ce qui lui fait concevoir l’opinion qu’ils sont des Dieux. Il y a, pense-t-il une troupe de démons étrangers à ceux-ci, qui est susceptible de bassesse et de perversité, et capable de faire tourner las choses du mieux au pire ; d’où il conclut qu’on doit dénommer les uns, bons génies, les autres, mauvais génies.
Après avoir supposé ces principes d’une manière qui s’éloigne de l’opinion des Hébreux, il ne dit pas l’élément sur lequel repose l’existence probable de ces démons. Car, aux yeux de tout homme de sens, ce ne saurait être la matière d’où les corps sont tirés : cette matière n’est nullement capable de raisonner ; or des êtres raisonnables ne sauraient être formés d’un principe irraisonnable ; et les démons raisonnent. S’il les donne pour des émanations de substances meilleures on lui demandera comment, de cette source pure et excellente, des êtres dissemblables auraient pu sortir ; et d’où aurait germé dans leur sein la malice, qu’il admet dans la seconde classe de démons ; lorsque la racine qui les produit n’a rien que de bon ? Comment l’amer pourrait-il naître du doux, puisqu’il est certain que la troupe des mauvais démons est cent fois plus pernicieuse que toutes les ténèbres et toute l’amertume qui est au monde ? Comment soutenir qu’ils sont le produit d’écoulement de la substance des êtres les plus excellents ; puisque, s’il en était ainsi, rien n’aurait pu les priver des attributs de ces mêmes êtres ; et s’ils ont pu en différer, c’est qu’ils n’étaient pas, dans le principe, d’une nature impassible ? S’ils n’étaient pas d’une telle nature, comment seraient-ils devenus Dieux, ayant la possibilité de contracter les imperfections qui règnent dans une classe vicieuse par nature ? Mais s’ils ne sont, ni une émanation de la nature des êtres par excellence, ni tirés de la matière des corps ; il faudra reconnaître ou qu’ils étaient éternels, et concevoir, auprès de la matière éternelle des corps, un troisième ordre d’essences raisonnables et éternelles qu’on opposerait à Dieu (Dieu alors ne serait plus le créateur, ni l’ordonnateur de tout ce qui est) ; ou bien, on sera contraint d’avouer que Dieu les a créés du néant, d’après la doctrine contenue dans les livres des Hébreux. Quels sont les enseignements que ceux-ci nous donnent à cet égard ? Ils disent que la nature intermédiaire des êtres raisonnables n’est formée ni de la matière des corps, ni des émanations de la nature incréée, laquelle a pour condition d’être l’éternelle et l’immuable, tant de substance, que de manière d’être : cette seconde classe, n’ayant point eu d’existence antérieure, elle n’a pu la devoir qu’à la puissance créatrice, la cause universelle. Dès lors, ils ne sont pas Dieux : ce titre ne saurait proprement leur être décerné, parce qu’ils n’égalent point en essence celui qui les a créés, et par conséquent le bon et le beau n’est pas chez eux, comme dans la divinité, une qualité inhérente à leur être. Ils peuvent quelquefois lui être opposés, ce qui arrive par la négligence qu’ils apportent à se maintenir dans le bien que chacun d’eux peut accomplir, étant maîtres de la suite à donner aux élans de leur âme, et aux méditations de leur intelligence.
En voilà assez sur cette question, passons à une autre.