Le Pédagogue

LIVRE TROISIÈME

CHAPITRE XI

Méthode abrégée de vie chrétienne.

Il ne nous est pas absolument défendu de porter des bijoux, des habits riches et commodes, mais il nous l’est très expressément de ne pas mettre un frein aux passions violentes qui n’obéissent pas au souverain empire de la raison, de peur que leur action dissolvante ne pénètre toutes les parties de notre âme et ne la plonge sans retour dans les délices de la volupté. Ces délices, en effet, acquièrent, par l’habitude, une force constante et irrésistible. Elles font de l’homme un cheval fougueux que le Pédagogue, s’efforçant en vain de diriger vers le salut, ne peut plus ni maîtriser ni conduire. La partie sensitive de l’âme commande seule et commande en tyran. La raison ne lui est plus de rien ; il ne la connaît plus. Sa voix, étouffée par le vice, ne peut le réveiller dans le désordre de ses sens et de ses désirs. Il n’a plus de goût qu’à l’éclat de l’or et des pierreries, à la magnificence des vêtements, aux inépuisables recherches du luxe. Mais, pour nous, ces divines paroles de l’apôtre ne doivent jamais être absentes de notre mémoire : « Vivez saintement parmi les Gentils, afin qu’au lieu de médire de vous, comme si vous étiez des malfaiteurs, ils considèrent vos bonnes œuvres et rendent gloire à Dieu au jour où il vous visitera. » Des vêtements simples et de couleur blanche, comme nous l’avons déjà dit, tels sont ceux que le Pédagogue nous accorde et qu’il se plaît à nous voir porter. Il veut que nous préférions aux recherches de l’art la simplicité de la nature ; il veut que nous rejetions loin de nous tout ce qui est faux et trompeur ; il veut enfin que la vérité, qui est une et simple, soit en toutes choses notre guide et notre modèle.

Sophocle met au-dessous des femmes les hommes mous et voluptueux qui s’habillent comme elles. Comme, en effet, les habits des soldats, des marins et des princes font reconnaître leur état et leur rang, les vêtements de l’homme réglé et tempérant doivent annoncer son caractère et ses mœurs. Il faut qu’ils soient sans ornements, et que leur propreté seule les embellisse. Dans la partie de l’ancienne loi où Moïse traite de la lèpre, il défend expressément l’usage des habits diversifiés par mille couleurs différentes, comme si cette ressemblance qu’ils ont avec les écailles du serpent leur donnait quelque chose de la malignité de cet animal impur. Au contraire, il appelle pur celui sur qui n’éclate point cette variété de couleurs brillantes et dont toute la personne est blanche depuis la tête jusqu’aux pieds, afin qu’à l’image de Dieu, qui n’est ni trompeur, ni divers, nous revêtions notre âme et notre corps des couleurs simples de la vérité. Le sage Platon, imitateur en ceci du divin Moïse, ne permet point des habits plus recherchés que ceux dont l’usage suffit à une femme chaste et modeste ; persuadé que la couleur blanche est de toutes les couleurs la plus convenable à l’honnêteté, il veut qu’on réserve les autres pour les ornements de la guerre. Le blanc convient donc aux hommes qui aiment la paix et marchent à la lumière de la vertu. Comme les signes qui ont du rapport avec les causes en font connaître les effets et les indiquent aux yeux, comme la fumée annonce la présence du feu, et un pouls réglé celle de la santé, de même la forme et la couleur de nos vêtements indiquent la nature et le caractère de nos mœurs. La tempérance, si simple et si pure ; la propreté, qui, étant comme l’image de la tempérance, ne permet jamais aux choses honteuses de l’approcher et de la souiller ; la simplicité enfin, qui ne connaît ni la vanité ni le faste, telles sont, telles doivent être les habitudes constantes d’une vie sainte et chrétienne. Les vêtements utiles et solides ne sont point ceux que les artifices de l’ouvrier n’ont rien oublié pour embellir, mais ceux dont l’épaisseur conserve la chaleur naturelle en ne lui laissant aucune issue pour s’exhaler au-dehors, et qui, mêlant la chaleur qui leur est propre à celle du corps, le réchauffent ainsi naturellement. C’est donc en hiver surtout qu’il faut faire usage de ces sortes de vêtements. La tempérance est facile à satisfaire ; elle n’a d’autres besoins que ceux de sa santé ; d’autres désirs que ceux de son salut. Les vêtements des femmes peuvent être plus doux et plus moelleux que ceux des hommes, pourvu qu’il ne cessent pas d’être simples et chastes et qu’ils n’offensent jamais l’honnêteté et la pudeur. Les habits doivent avoir de la conformité avec l’âge, l’état, le naturel, les occupations et les habitudes de ceux qui les portent. L’apôtre saint Paul nous recommande admirablement de revêtir Jésus-Christ et de ne point chercher à contenter les désirs de la chair. Le Verbe nous défend de faire violence à la nature en perçant nos oreilles. Pourquoi, en effet, ne pas percer aussi nos narines, afin d’accomplir, par notre folle vanité, ces paroles de la Sagesse : « La beauté d’une femme sans pudeur est comme un collier d’or au cou de l’animal immonde. »

Si vous pensez que l’or vous pare et vous embellit, vous êtes inférieur à l’or. Si vous lui êtes inférieur, au lieu d’en être le maître, vous en êtes l’esclave ; mais quoi de plus absurde que de s’avouer d’une nature inférieure à celle des sables de la Lydie ! L’or qui tombe dans le fumier s’y salit et s’y souille ; ainsi périt dans la honte et dans le mépris la beauté des femmes, que leurs richesses séduisent et plongent dans tous les désordres d’une vie molle et impudique. Le Verbe, il est vrai, leur donne un anneau d’or, mais ce n’est point un ornement, c’est seulement le signe qu’il remet entre leurs mains la garde et le soin du ménage, parce que ce soin est surtout celui qui leur est propre et leur appartient. Ces anneaux sont des signes qui nous rappellent nos devoirs, et nous n’en aurions pas besoin si nous suivions tous avec un saint zèle les instructions du Pédagogue. Tous les maîtres seraient justes et tous les esclaves fidèles ; mais comme l’ignorance et la mauvaise éducation nous font pencher sans cesse vers l’injustice et l’infidélité, ces signes nous furent donnés pour nous relever et nous soutenir.

Quelquefois cependant on peut se relâcher un peu de cette vie sévère et réglée ; quelquefois on doit permettre aux femmes dont les maris sont incontinents de se parer pour leur plaire. Mais il faut qu’en se parant, leur seul désir, leur unique pensée, soit de s’attirer les éloges et la complaisance de leurs maris seuls. Je voudrais même qu’elles s’efforçassent de les guérir plutôt par de chastes caresses que par un soin curieux et recherché de leur beauté. L’amour conjugal est entre leurs mains un instrument juste et puissant ; mais puisque leurs maris sont misérablement corrompus par le vice, et qu’elles-mêmes veulent rester chastes et pudiques, il doit leur être permis d’user de tous les moyens qui sont en leur pouvoir pour les retenir et pour apaiser et éteindre cette soif impure des voluptés, qui les aveugle et les dévore. Insensiblement, l’habitude de la tempérance la leur rendra douce et facile. Ils l’aimeront comme on doit l’aimer, pour elle-même et non point par amour du vice. Tout ce qu’un luxe impur et désordonné fait acheter aux femmes, il faut s’empresser de le leur ôter. Le luxe nourrit leur orgueil et leur mollesse, par l’attrait incessant de nouveaux plaisirs, et semble leur donner des ailes pour échapper aux devoirs du mariage et de la pudeur. Leurs parures mêmes doivent être pleines de modestie et ne jamais s’écarter, par une molle affectation, des beautés simples et franches de la vérité. Il leur est surtout honorable que leurs maris, pleins de confiance en leur sagesse, se reposent sur elles de tous les soins intérieurs de leur maison ; car c’est pour les aider et les secourir en cela, qu’elles leur ont été données. Si des emplois publics, ou le soin de nos affaires particulières, nous éloignent de notre famille, il nous est permis d’avoir un anneau qui nous serve à sceller et à enfermer plus sûrement les objets de quelque importance ; tous les autres anneaux qui ne sont point destinés à cet usage nous sont interdits. L’anneau que nous portons doit être un signe et un moyen de prudence, comme le veut l’Écriture ; mais les femmes qui se couvrent d’or et de pierreries semblent craindre que, si on leur ôte ces vains ornements, ceux qui les voient ne les prennent pour de pauvres et viles esclaves. Elles ne réfléchissent pas que la vraie liberté, la seule qui soit honorable et réelle, consiste dans la beauté de l’âme et non point dans celle du corps. Nous donc, à qui le Seigneur lui-même daigne servir de maître ; nous qu’il adopte pour enfants, il nous convient, non point de paraître libres, mais de l’être en effet. Nos actions, nos démarches, nos mouvements, nos habits, toute notre vie en un mot, doit être réglée par une sage et honnête liberté. Quant à l’anneau qu’il nous est permis d’avoir, il ne faut point le porter au même doigt que les femmes, mais à l’extrémité du petit doigt, afin qu’il n’embarrasse point l’usage de la main et qu’il ne s’en échappe point facilement. Les images qu’on y fait graver, et qui nous servent de sceau, doivent être, de préférence, une colombe, un poisson, un vaisseau aux voiles déployées et rapides ; on y peut encore faire graver une lyre, comme Polycrate, ou une ancre, comme Séleucus ; enfin un homme qui, pêchant au bord des mers, nous rappelle saint Pierre et Moïse. Mais il faut se garder de porter à ses doigts l’image des idoles, dont la pensée seule est un crime. Point d’épée, point d’arc ni de flèche à ceux qui cherchent la paix. Point de vases qui rappellent les festins à ceux qui suivent la tempérance. Surtout n’imitons point ces voluptueux qui font peindre nus ceux ou celles qu’ils aiment, et qui, ayant toujours sous les yeux ces objets de leurs passions, ne peuvent les bannir de leur esprit lors même qu’ils le voudraient.

Je dois aussi quelques instructions sur la manière de porter la barbe et les cheveux. Les cheveux des hommes doivent être lisses et courts, leur barbe épaisse et touffue. Il ne faut point que leurs cheveux retombent en boucles sur leurs épaules, comme ceux des femmes, mais qu’ils se contentent de l’ornement de leur barbe. S’ils la coupent, ils ne la couperont point entièrement, car c’est un spectacle honteux, et c’est aussi par trop ressembler à ceux qui l’arrachent et l’épilent que de la raser jusqu’à la peau. Le psalmiste, plein d’admiration pour la belle et longue barbe d’Aaron, y répand dessus, dans ses chants, les parfums célestes. Si donc nous sommes obligés quelquefois de couper notre barbe ou nos cheveux par diverses circonstances qui n’ont aucun rapport avec le soin de notre beauté, lorsque par exemple nos cheveux, tombant jusque sur nos yeux, nous empêchent de voir, ou que les poils de notre lèvre supérieure se mêlent à nos aliments, il ne faut point les couper avec un rasoir, mais avec des ciseaux. Quant aux poils de notre barbe qui ne nous sont point incommodes, gardons-nous bien de les couper, puisqu’ils donnent à notre visage une gravité majestueuse, et qu’ils inspirent à ceux qui nous voient une sorte de respect et de terreur filiale. Un extérieur grave et vénérable est un frein pour ne pas pécher, par la crainte qu’il nous inspire d’être trop facilement reconnus. Aussi voyons-nous que ceux qui veulent se livrer au désordre s’efforcent de n’avoir rien de remarquable, afin de se confondre dans la foule des pécheurs et de n’y être point reconnus.

L’habitude de porter les cheveux courts n’est pas seulement la marque d’une vie sévère et réglée ; elle est encore très-utile à notre santé. Car elle accoutume la tête à supporter, sans qu’il en résulte aucune incommodité pour nous, le froid, le chaud et tous les changements rapides et instantanés des saisons. On peut dire, en effet, de la chevelure de l’homme, qu’elle est comme une éponge qui pompe les humeurs et les infiltre perpétuellement dans le cerveau. Quant aux femmes, il doit leur suffire de rendre leurs cheveux plus dociles, et de les retenir dans les nœuds modestes d’un simple ruban ; plus leur chevelure est simplement arrangée, plus leur beauté est vraie et digne de la pudeur de leur sexe. Tous ces plis, toutes ces tresses, ces boucles qu’elles entrelacent les unes dans les autres les font ressembler à des courtisanes et les enlaidissent au lieu de les embellir, en leur faisant arracher violemment ceux de leurs cheveux qui n’obéissent point à leurs caprices. La tête ainsi couverte d’ornements fragiles, elles n’osent point y porter les mains ; elles craignent même de se livrer au sommeil de peur de détruire, sans le vouloir, ces parures bizarres et artificieuses qui leur ont coûté tant de soins. Mais surtout elles doivent éviter de placer sur leurs têtes des cheveux qui aient appartenu à la tête des autres. Cet usage est souverainement impie. À qui, en effet, le prêtre imposera-t-il les mains ? à qui donnera-t-il sa bénédiction ? Ce ne sera point certes à cette femme, mais aux cheveux trompeurs qu’elle porte, et par ces cheveux à une tête qui n’est point la sienne. Ainsi elles pèchent à la fois contre l’homme et contre le Christ, à qui elles doivent obéissance et soumission ; contre l’homme, qu’elles trompent impudemment ; contre le Christ, qu’elles outragent autant qu’il est en elles, puisqu’elles attirent, par ce mensonge impur, ses malédictions sur la plus noble partie de leur corps, sur leur tête, dis-je, destinée à recevoir ses bénédictions.

Le même motif nous oblige à ne pas changer, par des couleurs artificielles, la couleur naturelle de nos cheveux et de nos sourcils. S’il nous est défendu de porter des habits de couleurs différentes et mélangées, il nous l’est à plus forte raison de détruire la blancheur de nos cheveux, qui est une cause de respect et un signe d’autorité. Cette blancheur est une marque d’honneur que Dieu nous donne et que nous devons montrer aux jeunes gens, afin qu’ils le respectent en nous. Il a souvent suffi de la tête blanche d’un vieillard, et de son aspect vénérable, pour arrêter le désordre d’une assemblée de jeunes gens, et pour les rappeler à la modestie par une crainte respectueuse et un soudain repentir. Il ne faut pas cependant que les femmes arment leur visage d’une sagesse hypocrite qui ne soit point au fond de leur cœur. Je leur vais montrer une chaste parure, je veux dire la beauté de l’âme, qui suffit seule à les parer, comme je le leur ai déjà répété tant de fois, lorsque remplies d’une joie pure par la présence du Saint-Esprit, elles brillent sans cesse des couleurs vives et inaltérables des vertus chrétiennes, la justice, la prudence, la force, la modération, l’amour du bien et la pudeur. Après avoir embelli leur âme, elles peuvent songer à la beauté de leur corps, beauté qui consiste dans une juste proportion de tous les membres et dans ces couleurs fraîches et pures qui naissent d’une santé forte et habituelle. Cet ornement naturel de la santé est le seul qui convienne à la noble figure que nous avons reçue de Dieu. La tempérance, sans qu’il soit besoin d’aucun artifice, produit la santé ; la santé, à son tour, produit la beauté. Les divers aliments que la terre produit pour notre usage, l’eau qui nous désaltère, l’air que nous respirons, et qui nous fait vivre, concourent mutuellement, par leurs qualités différentes, à ce double objet, et maintiennent notre corps dans un équilibre parfait, qui est la vraie et seule beauté. Cette beauté éclate comme une fleur sur le visage de l’homme qui se porte bien ; car la santé, la produisant au-dedans, l’a fait fleurir et briller au-dehors.

C’est par une constante habitude de la tempérance et du travail, que le corps de l’homme se fortifie et s’embellit naturellement. Cette vive chaleur qui résulte du mouvement et de l’exercice dissout les aliments, en distribue avec égalité les sucs nutritifs dans tous les membres, et dilate les pores de manière à ouvrir un passage à ceux de ces sucs qui sont inutiles et surabondants. L’immobilité du corps empêche les aliments de s’y répandre, de s’y attacher et de le nourrir ; comme le pain tombe et ne se durcit point dans un four qui est mal chauffé. Les hommes donc qui ne font aucun exercice sont sujets à mille incommodités que les autres ne connaissent point. Les aliments qu’ils prennent ne pouvant se dissoudre avec facilité et pénétrer également toutes les parties du corps, se changent en un chyle grossier qui les opprime, en d’abondantes sueurs qui les énervent, ou bien leurs sucs inutiles et superflus se précipitant vers les parties destinées à la génération, y allument l’incendie honteux de la lubricité. Un exercice modéré, mais constant, débarrasse, au contraire, du superflu incommode et dangereux des aliments, et donne au visage ces couleurs vives et naturelles qui font la beauté.

Il est absurde que des créatures faites à l’image et à la ressemblance de Dieu méprisent ce type éternel et souverain de toute beauté, et préfèrent à son ouvrage les ornements impies qu’ils ont eux-mêmes fabriqués. Le Verbe veut que les femmes soient chastes dans leurs vêtements comme dans leurs actions ; il veut qu’elles se parent de leur pudeur seule, et qu’elles soient soumises à leurs maris, afin que si ceux-ci ne lui obéissent point, elles les amènent peu à peu à lui obéir par la pureté de leurs mœurs et la sainteté de leurs discours. « Femmes, dit l’apôtre saint Pierre, soyez soumises à vos maris, afin que s’il y en a qui ne croient point à la parole, ils soient gagnés sans la parole par la bonne vie de leurs femmes, lorsqu’ils considéreront la pureté de vos mœurs unie au respect que vous avez pour eux. Ne vous parez point au-dehors par l’artifice de votre chevelure, par les ornements d’or, ni par la beauté des vêtements ; mais ornez-vous au-dedans du cœur par la pureté incorruptible d’un esprit de douceur et de paix, ce qui est un riche ornement aux yeux de Dieu. » Les femmes qui exercent leur corps par le travail, et qui préparent de leurs mains tout ce dont elles ont besoin, brillent d’une beauté simple et presque divine, bien différentes de celles qui, demandent leur parure à des mains étrangères, et s’accusent ainsi elles-mêmes de paresse et d’immodestie. Elles n’ont garde d’acheter leurs vêtements, mais elles les tissent de leurs mains et se plaisent à s’en orner, parce que, soumises à Dieu, elles conforment toute leur vie aux règles qu’il nous a données. Leur chasteté et leur modestie se montrent ensemble dans cet amour du travail.

Quel plus beau spectacle, en effet, que de voir une femme, sage protectrice de sa maison, se vêtir, elle et son mari, d’ornements qui sont son ouvrage, et remplir de joie tous ceux qui l’entourent ! Ses enfants à cause de leur mère, son mari à cause de son épouse, elle-même à cause de tous, tous enfin à cause de Dieu. Pour tout dire, en un mot, une femme forte et laborieuse est un trésor qui n’aura point de prix. Elle ne sait point ce que c’est que d’être oisive et sourde aux prières des pauvres, toutes ses actions sont chastes, et il ne sort jamais de sa bouche aucune parole qui ne soit pleine de sagesse et de douceur. Ses enfants la bénissent dès le matin, son mari la loue, le Verbe lui-même rehausse l’éclat de sa vertu modeste par ces paroles qu’il met dans la bouche du roi Salomon : « La femme pieuse est bénie, elle est dans la gloire parce qu’elle craint le Seigneur. » « La femme forte et vigilante, dit-il encore, est la couronne de son mari. » Que les femmes donc amoureuses de la modestie règlent avec soin leur démarche, leur visage, leur regard et leur voix. Qu’elles aient horreur de ces gestes lascifs, de ces mouvements efféminés empruntés aux actrices et aux danseurs, que plusieurs d’entre elles s’enorgueillissent malheureusement d’imiter ; de cette démarche molle, de ces accents trompeurs et étudiés, de ces regards brillants d’étincelles voluptueuses, comme si elles marchaient et se montraient sur la scène. Les lèvres de la femme étrangère distillent le miel le plus doux. Ses paroles sont onctueuses comme l’huile. Mais à la fin elle est amère comme l’absinthe, elle blesse comme l’épée à deux tranchants. Ses pieds descendent dans la mort, ses pas pénètrent jusqu’aux enfers et y entraînent ceux qui la suivent.

Ce fut une femme étrangère qui vainquit Samson et lui coupa traîtreusement la chevelure qui faisait sa force. Ce fut aussi une femme étrangère qui s’efforça de séduire Joseph ; mais la vertu du saint patriarche, fortifiée par la tempérance, repoussa victorieusement les attaques de la volupté.

C’est donc avec raison que j’ai fait l’éloge de la tempérance. Du reste, je ne saurais comprendre quel absurde plaisir on trouve à murmurer ses paroles à voix basse au lieu de parler naturellement, et à se montrer en public la tête inclinée avec affectation sur l’épaule, comme nous le voyons faire à tant de voluptueux qui parcourent la ville dans tous les sens, le corps violemment dépouillé de tous les poils que Dieu leur avait donnés comme une marque distinctive de la dignité de leur sexe. Loin de nous ces mouvements efféminés, ce luxe impur, ces infâmes délices ! Loin de nous cette démarche molle, ces habitudes de corps sans dignité et sans force, qui sont, nous dit le poète Anacréon, les signes auxquels on reconnaît les courtisanes. La beauté et le plaisir n’ont rien de commun avec ces détestables habitudes. Ennemies de la vérité, elles nous entraînent nécessairement loin des voies droites du salut. Tout en elles est danger, laideur, hypocrisie et mensonge. Mais surtout il faut veiller sur nos yeux et sur nos regards ; car il vaut mieux que nos pieds nous entraînent et nous fassent tomber, que si nos yeux étaient la cause de notre chute.

Voyez comme le Seigneur vient lui-même, en ce danger, à votre secours par ces paroles brèves et énergiques : « Si votre œil droit vous scandalise, arrachez-le et jetez-le loin de vous ; » arrachant ainsi vos désirs. Si vos regards lascifs, si vos yeux sans cesse en mouvement semblent être de complicité avec votre cœur, n’est-ce pas que vous êtes déjà coupables d’adultère, puisque vous préludez ainsi par eux à ses infâmes plaisirs ? C’est par les yeux que la corruption commence et pénètre dans tout le corps. Si vos yeux sont chastes et purs, votre cœur est rempli de joie ; s’ils sont pleins de fraude et de séduction, vous vous préparez d’affreuses douleurs. Quel tableau, que celui du dernier roi des Assyriens, l’efféminé Sardanapale, assis immobile sur un lit élevé, tissant la pourpre comme une femme, et jetant sans cesse autour de lui des regards impurs et lascifs ! Quelle leçon, que sa chute et sa mort, pour les voluptueux qui lui ressemblent ! Les femmes qui font de leurs yeux ce honteux usage se mettent elles-mêmes à prix, et semblent chercher qui les achète. « Votre œil est la lampe de votre corps ; c’est à sa lumière qu’on pénètre et qu’on lit dans votre cœur. La femme impudique se trahit par l’effronterie de ses regards. Faites donc mourir les membres de l’homme terrestre qui est en vous : la fornication, l’impureté, les passions déshonnêtes, les mauvais désirs et l’avarice, qui est une idolâtrie. Ce sont ces crimes qui attirent la colère de Dieu sur les incrédules. » Hé quoi ! nous exciterons nous-mêmes les troubles de notre âme et nous n’en rougirons point ? Voyez ces femmes dissolues : les unes, la bouche toujours pleine de mastic, sourient, les lèvres entr’ouvertes, à tous ceux qui s’approchent d’elles ; les autres, comme si elles n’avaient point de doigts, touchent leurs tête et divisent leurs cheveux avec des instruments faits exprès, les portant toujours avec elles et n’épargnant rien pour que ces instruments de mollesse et d’affectation soient d’un métal précieux ou de l’ivoire le plus pur ; d’autres se couvrent de tant de fleurs, qu’on peut croire qu’elles les produisent. Les couleurs naturelles de leur visage s’affaiblissent et disparaissent sous cette multitude de couleurs brillantes qui ne leur appartiennent point. Ce sont ces femmes que Salomon appelle insensées et audacieuses, ignorantes de la modestie : « Elle s’est assise à la porte de sa maison, au lieu le plus élevé de la ville, pour attirer ceux qui passent dans le chemin et qui s’avancent dans leurs voies : que le faible se détourne vers moi. Et elle a dit à l’imprudent : les eaux furtives sont plus douces ; le pain dérobé est plus agréable. » Images expressives des plaisirs cachés de l’amour. Le poète Pindare vante aussi la douceur de ces larcins impurs : « Mais le malheureux ne sait point que là est la pâture de la mort, et que les convives de l’impudique sont dans les profondeurs de l’enfer. » Éloignez-vous, dit le Pédagogue, n’habitez point en ces lieux dangereux, n’arrêtez point vos yeux sur elle, et vous franchirez, sans y tomber, les fleuves brûlants de l’enfer. Voici encore ce que le Seigneur dit à ce sujet par la boucle du prophète Isaïe : « Parce que les filles de Sion s’élèvent avec orgueil, parce qu’elles marchent la tête haute, le regard plein d’affectation, avec bruit et cadençant leurs pas, le Seigneur les humiliera et révélera la laideur de leur visage dépouillé de ses ornements. »

Les femmes qui ont des servantes ne doivent rien leur passer de honteux dans leur conduite et dans leurs discours ; mais il est de leur devoir de les reprendre et de les punir. Le poète comique Philémon dit énergiquement à ce sujet : « S’il est permis de suivre avec affectation une belle esclave qui marche à la suite de sa maîtresse, et de la regarder avec une impudence amoureuse dans les rues et les promenades publiques, l’impudicité de la suivante tourne au détriment de la maîtresse ; celui qui ose peu impunément osera bientôt davantage, d’autant plus qu’en souffrant ces attaques contre la chasteté de son esclave la femme libre semble les encourager contre la sienne. Celui qui ne s’irrite point contre les désordres de la volupté montre un esprit enclin au même vice. » C’est sans doute ici le cas de rappeler ce proverbe populaire qui dit avec tant de vérité : « tel maître, tel valet. »

Lorsque nous nous livrons au plaisir permis de la promenade, nous devons être en garde contre une démarche trop précipitée ou trop lente, et marcher sans aucune affectation, d’une manière honnête et posée. Il est honteux et criminel de s’arrêter exprès en tournant la tête de côté et d’autre pour voir si ceux que nous rencontrons nous regardent, comme si nous étions sur la scène et qu’il nous plût d’être remarqués et montrés du doigt. Si nous descendons dans un lieu bas et incliné, nous ne devons pas nous faire porter par nos domestiques sur la hauteur que nous venons de quitter comme le font ces voluptueux qui paraissent d’abord robustes, mais dont l’esprit et le corps sont également affaiblis par la mollesse de leurs mœurs. Que le visage et le corps de ceux qui aiment la vertu n’aient jamais rien de mou et d’affecté ; que leurs mouvements et leurs manières soient toujours dignes d’un esprit noble et élevé. Surtout qu’ils ne traitent point leurs esclaves comme de vils animaux. S’il est, en effet, ordonné aux esclaves d’être soumis en toute crainte à leurs maîtres, non-seulement à ceux qui sont bons et doux, mais même à ceux qui sont fâcheux, il est du devoir des maîtres d’être pleins, envers leurs serviteurs, de justice, de patience et de douceur. « Enfin, dit encore le saint apôtre, qu’il y ait entre vous tous une parfaite union, une bonté compatissante, une amitié de frères, une charité indulgente, pleine de douceur et d’humilité, parce que c’est à cela que vous êtes appelés, afin de devenir héritiers de la bénédiction. »

Zénon, voulant faire de fantaisie le portrait d’une jeune fille, le fait en ces termes : « Que l’air de son visage soit modeste et pur, son regard ferme sans être hardi, sa tête droite, et qu’aucun de ses mouvements ne paraisse ni languissant ni gêné ; que ses réponses soient pleines de vivacité, et que son esprit retienne facilement tout ce qu’on lui apprend d’honnête et de vertueux ; que ses manières enfin ne fassent naître dans le cœur des impudiques aucune coupable espérance, qu’une pudeur toute pleine de douceur et de fore brille sur son visage et ne s’y éteigne jamais. » Loin d’elle donc tout commerce impur avec les vendeurs de parfums, de bijoux, de vêtements voluptueux et de mille autres inventions funestes ; qu’elle s’éloigne de ces boutiques empoisonnées au milieu des quelles tant de femmes, ornées comme des courtisanes, consument toutes les heures du jour, préludant à leur prostitution ; que les hommes ne s’y rassemblent pas pour y faire assaut d’esprit, tendre des pièges aux femmes et les exciter à des rires impurs par mille médisances contre le prochain ; que tous les jeux de hasard leur soient en horreur, ainsi que le gain coupable qu’on en retire, et vers lequel tant d’hommes se précipitent avec une folle avidité. C’est l’amour de l’oisiveté qui les a fait naître ; c’est le même amour impur qui les entretient et qui les nourrit. Ces jeux, ennemis de la vérité, remplissent l’âme de tumulte et ne lui laissent plus goûter aucun plaisir simple et naturel. L’âme de l’homme se peint tout entière dans le genre de vie qu’il embrasse. La plus sûre manière de bien vivre, c’est de vivre constamment dans la société d’hommes probes et vertueux. Ceux qui vivent avec les méchants le deviennent bientôt eux-mêmes.

La divine sagesse du Verbe défendit au peuple ancien, par la bouche de Moïse, de se nourrir de la chair de porc, leur voulant ainsi faire entendre qu’il leur défendait la fréquentation de ces hommes qui, semblables à ces animaux impurs, se plongent sans honte dans tous les excès de la gourmandise et de la sensualité, dans tous les désordres d’une chair impudique et corrompue. Il leur défendit de manger de la chair de l’aigle et du milan, et de celle de tous les oiseaux qui vivent de proie, leur interdisant ainsi toute société avec les hommes qui vivent de rapine et de vol. Toutes ses autres défenses renferment de semblables allégories. Il fit plus, il leur indiqua encore allégoriquement ceux avec qui ils devaient vivre, c’est-à-dire les justes. Vous mangerez, leur dit-il, de tous les animaux qui ont la corne fendue en deux et qui ruminent. Cette division de la corne de leurs pieds est le symbole de l’équilibre de la justice. L’homme juste rumine la parole de Dieu, qui est entrée en lui par l’instruction, de la même manière que ces animaux ruminent leurs aliments. Comme ils les ramènent de leurs entrailles dans leur bouche, le juste ramène dans son âme, par la pensée, sa nourriture spirituelle, et on peut dire qu’il la rumine, puisqu’il l’a sans cesse dans la bouche et dans les entrailles. La justice, d’ailleurs, se divise en deux parts, comme le pied de ces animaux : l’une qui nous sanctifie en ce monde ; l’autre, qui nous conduit au siècle futur.

Notre divin maître ne nous conduira pas aux spectacles, que je puis sans doute appeler, sans craindre d’être repris, des chaires de mensonge et d’impiété ! Toutes les assemblées qui s’y réunissent sont criminelles, injustes, dévouées aux malédictions de Dieu. Le tumulte et l’injustice y règnent ; le désordre et la honte y naissent naturellement par le mélange des deux sexes qui s’y servent l’un à l’autre de spectacle et d’excitation à la volupté. Là se forment les desseins coupables ; là, les yeux, brûlant de flammes lascives, allument et réchauffent les désirs impurs ; là, les cœurs s’accoutument à l’effronterie du crime en s’accoutumant à l’effronterie des regards. Les plaisirs du théâtre, des bals et des concerts, sont donc des plaisirs défendus et maudits. On n’y voit que méchanceté ; on n’y entend que discours obscènes, que paroles vaines et trompeuses. Est-il, en effet, quelque action vile et honteuse qui ne soit point représentée au théâtre ? quelque impudente parole qui n’y soit point proférée par ces comédiens et ces bouffons dont le métier est d’exciter au rire ceux qui les viennent écouter ? Le plaisir que nous ressentons à voir peindre nos vices les imprime plus avant dans notre âme, et nous en fait rapporter chez nous des images vives et dévorantes. Moins nous sommes sensibles à ces plaisirs, plus nous les fuyons, plus nous sommes forts contre les lâches voluptés. Ceux qui les aiment me diront sans doute que les spectacles ne sont qu’un jeu qui les délasse. Quelle n’est donc pas la folie de ces villes qui font de ces sortes de jeux leur affaire la plus sérieuse ? Sont-ce, d’ailleurs, des jeux, que ces désirs effrénés d’une vaine gloire qui nous font courir avec tant d’ardeur à des spectacles qui causent la mort de tant d’hommes ? Sont-ce des jeux, que ces jalousies, ces envies de briller au-dessus des autres, qui nous entraînent à de folles dépenses, auxquelles nos biens ne peuvent suffire ? Et ces séditions qui naissent souvent tout-à-coup dans ces rassemblements tumultueux, les appellerez-vous aussi des jeux et des divertissements ? Est-ce enfin un jeu, que d’entretenir par toutes sortes de moyens les misères de l’oisiveté, et de préférer ce qui n’est qu’agréable à ce qui serait bon et utile ? Mais, me répondent-ils, nous ne sommes pas tous des philosophes. Quoi ! notre but à tous n’est-il pas de vivre ? Que me dites-vous donc ? quelle est votre pensée ? Comment aimerez-vous Dieu et votre prochain, si vous n’aimez point la sagesse ? Comment vous aimerez-vous vous-même, si vous ne désirez point la véritable vie ? Mais, répliquent-ils encore, nous n’avons point même appris à lire. Si vous ne savez point lire, vous savez au moins entendre ; car cela ne s’apprend pas, et c’est tout ce qu’il faut. La foi, en effet, n’appartient pas aux sages et aux savants selon le monde, mais aux sages selon Dieu. Il n’est pas besoin d’être savant pour la posséder ; les ignorants la peuvent lire, et recevoir par elle la charité, qui en est le sceau spirituel et divin.

Le soin des affaires publiques peut s’allier avec celui de la sagesse divine. L’application aux choses du monde est permise, pourvu qu’on s’y applique honnêtement, suivant les ordres et les lois de Dieu. Celui qui vend ou qui achète ne doit jamais avoir deux prix. Qu’il agisse d’une manière simple, qu’il s’étudie à dire toujours la vérité. S’il ne réussit point par cette franchise, il est riche de la droiture de ses intentions. Que les marchands et les négociants s’abstiennent donc de tout serment. C’est une coupable habitude. Qu’ils aient toujours présente à l’esprit cette défense du Seigneur : « Vous ne prendrez pas le nom du Seigneur en vain. Le Seigneur ne purifiera point celui qui prend son nom en vain. » Ceux qui n’observent point ces maximes, qui sont avares, menteurs, hypocrites, qui fraudent et altèrent la vérité, Dieu les bannit et les chasse lui-même de sa maison sainte, ne voulant point qu’elle soit une caverne de voleurs, ni qu’elle serve à d’impurs négoces. Les hommes et les femmes qui viennent à l’Église y doivent venir modestement vêtus, avec un maintien grave, mais naturel, un silence respectueux, une charité ardente et vraie, chastes de corps, chastes de cœur, saints enfin, autant qu’ils le peuvent, pour adresser leurs prières au Saint des saints. Les femmes, en outre, doivent s’y présenter voilées, car il est de leur devoir de l’être toujours, si ce n’est dans l’intérieur de leur maison. Cette modeste habitude de rester voilées leur épargne des crimes et en épargne aux autres ; ayant toujours devant les yeux leur voile et la pudeur, elles ne peuvent tomber, ni être à personne une occasion de chute. C’est là ce que le Verbe exige d’elles, puisqu’il leur a ordonné de rester voilées quand elles le prient.

La femme d’Énée, nous disent les historiens, était si chaste et si modeste, que lorsque Troie fut prise et livrée aux flammes, elle ne quitta point son voile, tout épouvantée qu’elle fût, le gardant même sur son visage jusque dans le trouble et le désordre de sa fuite. Les disciples du Christ devraient se montrer dans toutes les actions de leur vie tels qu’ils se montrent à l’Église, aussi graves, aussi doux, aussi pieux, aussi charitables ; mais il ne faudrait pas seulement qu’ils le parussent, il faudrait qu’ils le fussent réellement. Maintenant, au contraire, et je ne sais par quelle fatale habitude, ils changent de maintien, d’esprit et de mœurs en changeant de lieux, semblables aux polypes qui prennent, dit-on, la couleur des pierres auxquelles on les trouve attachés. À peine sortis de l’assemblée des fidèles, ils dépouillent cette sainteté que l’esprit de Dieu y répand, et redeviennent semblables à la multitude insensée qu’ils fréquentent ; ou plutôt, déposant ce faux masque de gravité sous lequel s’était cachée leur hypocrisie, ils se montrent tels qu’on ne pourrait croire qu’ils sont, si eux-mêmes ne se trahissaient. La parole de Dieu qu’ils viennent d’entendre avec respect, ils ne l’emportent point avec eux, mais en se retirant, ils la laissent au lieu même où ils l’ont entendue. Ils n’ont pas plutôt quitté ce saint lieu, qu’ils retombent et s’enfoncent dans le désordre, chantant au bruit des instruments des chansons obscènes, se mêlant sans pudeur au tumulte des festins, à la joie folle de l’ivresse. Tout-à-l’heure ils célébraient l’immortalité de l’âme ; maintenant sans doute ils n’y croient plus, car ils la méconnaissent et l’outragent. Mangeons et buvons, disent-ils, car nous mourrons demain. Non, ils ne mourront point demain, ils sont déjà morts à Dieu ; ils ensevelissent leurs propres morts, c’est-à-dire qu’ils creusent eux-mêmes leur tombe dans les profondeurs de l’enfer.

Le saint apôtre leur oppose cependant avec énergie les maximes divines. « Ne vous y trompez pas, leur dit-il, ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les abominables, ni les voleurs ; ni les avares, ni les médisants, ni les ivrognes, ni les ravisseurs du bien d’autrui, ne seront héritiers du royaume de Dieu. » Appelés au royaume de Dieu, montrons-nous dignes de cette vocation en aimant Dieu et notre prochain. Cet amour ne consiste point dans de vaines démonstrations, mais dans une véritable bienveillance. Ceux qui n’ont point en eux-mêmes ces principes d’une parfaite charité mettent le trouble dans l’église par la manière impudente dont ils prennent et reçoivent ces baisers que l’apôtre appellent saints, corrompant ainsi cette ancienne coutume toute sainte et toute mystique, et donnant lieu à la médisance et à d’insolents soupçons. Que notre cœur donc soit plein d’amour, notre bouche modeste et fermée, montrant à nos frères la douceur de nos mœurs par la bienveillance de notre esprit. Il est encore d’autres baisers qui cachent un venin mortel sous des apparences de sainteté. De même que la tarentule cause d’affreuses douleurs aux lèvres qu’elle ne fait que toucher, les baisers de l’impudique brûlent ceux sur qui ils s’arrêtent. Il est manifeste d’ailleurs que les baisers ne sont point l’amour : tout amour vient de Dieu. « L’amour de Dieu, dit saint Jean, est de garder ses commandements. » Ce n’est donc point de nous embrasser les uns les autres. « Ses commandements, ajoute-t-il, sont doux et faciles à suivre. » Du reste, ces saluts empressés que se renvoient avec affectation les amis qui se rencontrent dans les rues, afin qu’on les remarque et qu’on croie à leur amitié, n’ont pas plus de vérité que de grâce. S’il nous est ordonné de nous retirer dans le lieu le plus secret de notre maison pour prier Dieu mystiquement, pourquoi n’agirions-nous pas envers notre prochain, que le commandement le plus près du premier nous fait un devoir d’aimer, de la même manière que nous agissons envers Dieu, l’aimant d’un amour mystique et intérieur, lui parlant avec douceur, cherchant l’occasion de lui être utile ? Car nous sommes le sel de la terre. Bénir dès le matin notre ami à haute voix par un hypocrite désir d’être remarqués, c’est, il me semble, différer bien peu de ceux qui l’exècrent et le maudissent.

Par-dessus tout enfin, il faut éviter la présence des femmes et fuir avec soin leur rencontre. Il n’est pas nécessaire de les toucher pour commettre le mal, il suffit souvent de les regarder. Ce danger est celui de tous, que doivent fuir avec le plus de soin les sincères adorateurs du Christ. Que vos yeux soient chastes, que vos regards s’accordent toujours avec la droiture de votre cœur. Quoiqu’il puisse arriver que vous ne tombiez pas en voyant, il faut pourtant éviter de voir, de peur de tomber. Il n’est pas impossible que celui qui voit commette le mal ; il l’est que celui qui ne voit point forme d’impurs désirs. Enfin il ne doit pas suffire aux vrais Chrétiens d’être purs au-dedans, il faut encore qu’ils le paraissent au-dehors, afin qu’aucun reproche, aucun blâme, aucun soupçon ne les puisse atteindre, afin que leur chasteté soit pleine et entière ; afin qu’ils ne soient pas seulement fidèles, mais qu’ils paraissent aux yeux de tous dignes de la foi qu’ils professent. « Il ne faut, dit l’apôtre, donner à personne occasion de nous reprendre. » « Ayez soin, dit-il, de faire le bien, non-seulement devant Dieu, mais aussi devant tous les hommes. Détournez les yeux d’une femme parée et ne considérez pas la beauté de l’étrangère. » Si vous lui demandez le motif de cette défense, lui-même vous l’expliquera : à cause de la beauté d’une femme, plusieurs ont péri, et c’est par-là que s’allume comme un feu cette amitié qui conduit au feu de l’enfer, cette amitié, dis-je, qui naît du feu, et à laquelle ils ont donné le nom d’amour.

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