Stromates

LIVRE CINQUIÈME

CHAPITRE XIII

Selon les philosophes, la connaissance de Dieu est un don divin, et il faut en demander la participation à ceux qui ont été jugés dignes de recevoir l’inspiration divine.

Ainsi, tout ce qui peut se nommer, qu’on le veuille ou non, a été engendré. Soit donc que le Père lui-même attire à lui quiconque a vécu sans tache et s’est élevé jusqu’à la notion de la nature bienheureuse et incorruptible ; soit que le libre arbitre, que nous portons en nous-mêmes, parvenu à la connaissance du souverain bien, s’élance et franchisse le fossé, selon le langage de la gymnastique, ce n’est jamais néanmoins sans le secours d’une grâce particulière que l’âme reçoit des ailes, dépose la lourde enveloppe du corps pour le rendre à la poussière, sa sœur, et prend son vol par delà les régions supérieures. Platon aussi déclare dans le Ménon que la vertu est un don de Dieu, comme l’attestent ses paroles :

« Il paraît donc d’après ce raisonnement, ô Ménon, que la vertu vient par une influence divine à ceux qui la possèdent. »

Je le demande, cette influence divine dans la bouche de Platon, ne semble-t-elle pas désigner ici la lumière et la connaissance qui sont le patrimoine de tous ? Le philosophe est plus explicite encore :

« Si dans le cours de cette discussion nous avons examiné et traité la chose, comme nous le devions, il s’ensuit que la vertu n’est point naturelle à l’homme, ni ne peut s’apprendre, mais qu’elle arrive par une influence, divine à ceux en qui elle se rencontre, non sans intelligence de leur part. »

Ainsi donc la sagesse, qui est le don de Dieu et la vertu du Père, d’une part, sollicite l’action de notre liberté, de l’autre accueille la foi, et récompense les œuvres du zèle par la faveur suprême de l’élection. Et ici je vous citerai le témoignage de Platon lui-même, qui déclare formellement qu’il faut ajouter foi aux enfants de Dieu. Il venait de discourir dans le Timée sur les dieux invisibles et engendrés ; il ajoute :

« Parler de ceux qu’on nomme Génies et connaître leur origine, c’est un effort qui surpasse notre intelligence. Il faut donc, sur cette matière, nous en rapporter aux premiers hommes, qui étant nés des dieux, comme ils le disaient eux-mêmes, ont dû connaître parfaitement leurs pères.Et véritablement, il est impossible de ne pas croire les enfants des dieux, quand même ils n’apporteraient à l’appui de leurs paroles aucun motif de conviction ou de vraisemblance. »

Je doute que la Grèce puisse nous fournir un témoignage plus décisif que notre Sauveur et tous ceux qui ont reçu la consécration prophétique ; notre Sauveur, à titre de fils légitime, les prophètes, à titre de fils adoptifs, sont des témoins irrécusables sur les merveilles divines. Croyons-les donc, ajoute Platon, ils sont inspirés de Dieu. Que si quelqu’un vient nous crier avec une sorte de dignité tragique :

« Je ne puis croire ; Car ce n’est pas Jupiter lui-même qui m’a parlé ; »

Qu’il ne l’oublie pas, c’est Dieu lui-même qui a promulgué les saintes Écritures par la bouche de son Fils. N’est-il pas digne de foi, celui qui annonce les choses dont il est le maître et qui lui sont personnelles, puisque

« nul, selon l’oracle du Seigneur, ne connaît le Père, si ce n’est le Fils et celui auquel le Fils l’aura révélé. »

Il y a donc nécessité de croire, même sans autre élément de conviction et de vraisemblance, c’est Platon qui le déclare, quand la vérité nous est prêchée par l’ancien et le nouveau Testaments. Pourquoi cela ?

« Si vous ne croyez pas, dit le Seigneur, vous mourrez dans vos péchés. »

Au contraire,

« celui qui croit possède la vie éternelle. Heureux donc tous ceux qui ont placé leur confiance dans le Seigneur ! »

La confiance est un degré de plus que la foi. En effet, sais-je convaincu par la foi que le maître dont j’écoute la parole est le fils de Dieu, alors j’ai une ferme confiance dans la vérité de sa doctrine ? De même que l’enseignement et la méditation, au jugement d’Empédocle, augmentent la sagesse, de même la confiance dans le Seigneur augmente l’intensité de la foi. Nous le déclarons formellement, blâmer la philosophie et attaquer la foi, vanter l’injustice et placer le bonheur dans la satisfaction de tous les désirs, c’est une perversité qui se rencontre dans les mêmes hommes. La foi néanmoins, pour être un assentiment volontaire de notre âme, ne laisse pas d’opérer les bonnes œuvres, et d’être le fondement de toute action où resplendit la justice. Mais le mot faire, nous objecte ici le subtil Aristote, se dit des bêtes et des choses inanimées, tandis que le mot agir s’emploie pour ce qui concerne l’homme. Eh bien ! qu’Aristote réforme donc les poètes de sa nation qui disent de Dieu qu’il a fait toutes choses.

« Toute action, dit-il, est bonne ou nécessaire. Commettre l’injustice n’est donc pas chose bonne ; car personne n’est injuste, sinon pour quelque motif en dehors de l’action même. Dans les choses nécessaires, rien qui soit libre. Or, commettre l’injustice est un acte volontaire : donc il n’est pas nécessité. L’homme de bien diffère du méchant surtout par le but de ses actions et par la pureté de ses désirs. Tout vice de l’âme est fils de l’intempérance, et agir par passion c’est agir par intempérance et par malice. »

Aussi qu’elle est admirable dans toutes ses parties, cette déclaration du Sauveur !

« En vérité, en vérité, je vous le dis : celui qui n’entre pas par la porte dans la bergerie des brebis, mais qui s’y introduit par une autre voie, est un voleur et un brigand. Celui, au contraire, qui entre par la porte est le pasteur des brebis ; le portier ouvre à celui-là. »

Ensuite le Seigneur, poursuivant la même comparaison :

« Je suis, dit-il, la porte des brebis. »

Il faut conclure de là que pour être sauvé il est nécessaire d’avoir appris la vérité de la bouche du Christ, quand même on se serait élevé jusqu’aux maximes de la philosophie grecque. Car il est enfin dévoilé,

« le mystère qui n’avait point été découvert aux enfants des hommes dans les siècles précédents, comme il a été révélé de nos jours. »

En effet, l’idée de Dieu, en tant qu’unique et tout-puissant, résida toujours par une sorte de révélation naturelle dans les esprits droits, et la plupart de ceux qui ne dépouillèrent pas tout respect pour la vérité, participèrent à l’éternel bienfait de la divine Providence. Ainsi, pour nous renfermer ici dans quelques exemples abrégés, Xénocrate de Chalcédoine ne répugne point à croire que l’idée de Dieu soit commune, même aux animaux dépourvus de raison. Démocrite est d’un avis contraire ; mais la force des principes qu’il a posés l’entrainera malgré lui dans les mêmes aveux. Car, d’après son système, ce sont les mêmes images, qui, parties de l’essence divine, vont frapper les organes des hommes et ceux des animaux. Et comment l’homme n’aurait-il pas l’idée de Dieu, quand la Genèse nous le représente recevant le souffle delà vie et formé d’une essence plus pure que celle de toutes les autres créatures? Voilà pourquoi Pythagore déclare que l’intelligence arrive à l’homme par une influence divine. Platon et Aristote s’accordent là-dessus avec Pythagore. Pour nous, Chrétiens, nous disons que le souffle de l’Esprit saint est envoyé à celui qui possède la foi. Suivant les Platoniciens, l’intelligence est une émanation de l’influence divine ; l’âme est sa demeure comme le corps est la demeure de l’âme. En effet, Joël, l’un des douze prophètes, dit formellement :

« Après cela, je répandrai mon esprit sur toute chair, et vos fils et vos filles prophétiseront. »

Qu’on ne s’imagine pas néanmoins que l’Esprit soit en chacun de nous comme une parcelle de la Divinité. Comment a lieu cette répartition ? Qu’est-ce que l’Esprit-saint ? Nous l’expliquerons quand nous viendrons à traiter de la prophétie et de l’âme. Terminons par ce mot d’Héraclite :

« L’incrédulité n’est bonne qu’a dérober aux regards la profondeur des mystères ; l’ignorance, en effet, se retranche derrière l’incrédulité. »

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